N° P.22.0400.F
I. B. P. J.,
ayant pour conseil Maître Marie Sternon, avocat au barreau de Bruxelles,
II. J. BAGOT ARQUEOLOGIA S.L., société de droit espagnol, faisant élection de domicile chez Maître Yves-Bernard Debie, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Schaerbeek, boulevard Lambermont, 376,
opposants à la transmission, à l’étranger, d’objets saisis en Belgique,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16 mars 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le premier demandeur invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Par un arrêt du 21 décembre 2022, la Cour a interrogé la Cour constitutionnelle sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire.
L’arrêt n° 29 du 14 mars 2024 de la Cour constitutionnelle a répondu par un constat de violation.
A l’audience du 22 mai 2024, le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
La Cour n’a pas égard au mémoire dit « ampliatif », cet écrit ayant été remis au greffe le 3 mai 2024, soit après l’expiration du délai prévu à l’article 429, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle.
Il suit de l’arrêt du 14 mars 2024 de la Cour constitutionnelle que les pourvois ne peuvent pas être déclarés irrecevables sur la base de la norme interrogée.
A. Sur le pourvoi du demandeur :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire.
Quant à la première branche :
Le demandeur fait état d’une convention qu’il a passée le 1er février 2015 avec le propriétaire de la galerie où les œuvres d’art litigieuses ont été trouvées. Il soutient que cette convention établit sa qualité de déposant, en manière telle que la cour d’appel n’a pu lui dénier celle de tiers intéressé.
L’arrêt décide, pour les motifs résumés ci-après, que la convention du 1er février 2015 ne prouve pas la qualité invoquée.
Contestant l’appréciation en fait des juges d’appel, le moyen est irrecevable.
Quant aux deuxième et troisième branches :
Pour décider que le demandeur ne justifie pas de l’intérêt légitime requis par la loi, l’arrêt relève les éléments suivants :
- le demandeur produit une convention de dépôt-vente, datée du 3 décembre 2014, passée entre lui-même et une autre personne dont l’identité et la signature ont été intentionnellement masquées, tandis que sa propre signature n’y figure pas ;
- le demandeur refuse d’indiquer de qui il tient ces objets issus de l’antiquité égyptienne, jetant le trouble sur la légitimité des droits dont il se prétend titulaire ;
- il ne produit aucun élément établissant que les œuvres d’art proviendraient bien d’une collection privée régulièrement constituée en Belgique ;
- il se contredit en se présentant tantôt comme propriétaire de bonne foi, tantôt comme dépositaire ;
- exploitant une galerie à Barcelone, il n’explique pas pourquoi les objets litigieux sont passés entre ses mains avant d’être mis en vente à Bruxelles ;
- la convention du 1er février 2015 contient une option d’achat en faveur du propriétaire de la galerie bruxelloise, ce qui suppose que le demandeur était lui-même, à cette date, propriétaire ou titulaire d’une option d’achat ; or le document du 3 décembre 2014 est muet à cet égard.
Sur la base de l’ensemble de ces motifs, les juges d’appel ont pu régulièrement décider que le demandeur ne rapportait pas la preuve de l’intérêt légitime requis.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen soutient que l’arrêt viole l’article 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004 : dès lors que le demandeur a produit une convention attestant sa qualité de déposant, la chambre des mises en accusation devait lui reconnaître un intérêt légitime à s’opposer au transfert à l’étranger des objets déposés.
La disposition légale invoquée organise, au bénéfice du tiers intéressé, une procédure d’opposition à la transmission des biens saisis qui forment l’objet de l’infraction visée par la demande d’entraide judiciaire.
La juridiction d’instruction ne peut refuser la remise que lorsque les tiers détenteurs ou autres ayant droits ont un intérêt à ce que ces objets soient conservés à l’intérieur des frontières du Royaume. Lesdites personnes doivent établir cet intérêt.
La légitimité de l’avantage que le tiers dit perdre du fait de la transmission à l’étranger des objets saisis, est une condition de la recevabilité de son opposition audit transfert.
Du seul fait qu’une chose a été mise en dépôt en vue de sa vente sur le marché belge, il ne se déduit pas nécessairement que l’opposition du déposant à son transfert obéisse à un intérêt légitime.
Il suit en effet des motifs résumés ci-dessus, en réponse aux deuxième et troisième branches du premier moyen que, pour les juges du fond, la convention de dépôt-vente invoquée par le demandeur pourrait n’avoir d’autre cause que le maintien d’une situation illicite.
Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Il appartient à la juridiction d’instruction de se prononcer sur la légitimité de l’intérêt dont un tiers se prévaut pour s’opposer à la transmission d’un objet saisi à l’autorité judiciaire étrangère qui le réclame.
Et dès lors que le tiers doit établir cet intérêt, il appartient également à cette juridiction d’apprécier la valeur probante des pièces communiquées par le tiers à l’appui de sa prétention.
Revenant à soutenir que la seule allégation d’un intérêt légitime suffit pour contraindre le juge à accueillir la requête, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Selon le demandeur, le simple constat de l’existence de la convention du 1er février 2015 obligeait les juges d’appel à lui reconnaître un intérêt légitime à s’opposer au transfert des objets litigieux.
Réitérant le grief déjà invoqué au deuxième moyen, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, le demandeur reproche à l’arrêt de ne pas déterminer la norme juridique applicable à la demande portée devant la chambre des mises en accusation, et de ne pas avoir invité le demandeur à s’expliquer sur sa qualité de tiers intéressé.
L’arrêt vise l’article 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004, disposition invoquée par le demandeur lui-même dans la requête qu’il a déposée le 6 avril 2021.
Dès lors que l’article 6, § 5, alinéa 3, prévoit les conditions de recevabilité du recours qu’il institue, la chambre des mises en accusation ne saurait avoir surpris le demandeur en lui opposant que la qualité qu’il revendique n’est pas établie.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le demandeur fait valoir que l’arrêt se contredit en énonçant, d’une part, que le débat sur la propriété des objets saisis relève de la compétence exclusive des juridictions civiles et en considérant, d’autre part, qu’il n’établit ni sa qualité de propriétaire ni celle de tiers intéressé.
Mais en considérant, dans le cadre d’une procédure en référé pénal, qu’un doute subsiste quant à la légitimité des droits que le demandeur prétend détenir sur les objets saisis, l’arrêt ne statue pas définitivement sur la propriété de ceux-ci.
Le moyen manque en fait.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen est pris de la violation de la foi due à la convention du 1er février 2015 : l’arrêt énonce que le demandeur s’y présente comme étant propriétaire des objets mis en dépôt alors que la convention ne mentionne pas cette qualité.
Mais l’arrêt reste légalement justifié, quant à l’absence de preuve d’un intérêt légitime dans le chef du demandeur, par l’ensemble des motifs résumés ci-dessus, en réponse aux deuxième et troisième branches du premier moyen.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
B. Sur le pourvoi de la demanderesse :
La demanderesse n’invoque aucun moyen.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de cent vingt-cinq euros nonante-neuf centimes dont I) sur le pourvoi de J. B. P. : soixante-trois euros dus et II) sur le pourvoi de la société J. Bagot Arqueologia : soixante-trois euros dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, conseillers, et Sidney Berneman, conseiller honoraire, magistrat suppléant, et prononcé en audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.