N° C.23.0465.F
G. S., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société à responsabilité limitée KRB Trans,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Ixelles, place du Champ de Mars, 5, où il est fait élection de domicile,
contre
CNH INDUSTRIAL CAPITAL EUROPE, société de droit français, dont le siège est établi à Nanterre (France), rue du Port, 12, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0821.165.475,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
en présence de
R. K.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 6 avril 2023 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
Les considérations que la « vente a eu pour effet de créer un enrichissement sans cause au profit de la masse, [la défenderesse] subissant corrélativement un appauvrissement », et que, « lorsque le curateur a vendu un objet appartenant à un tiers, celui-ci est titulaire d’une créance de la masse jusqu’à concurrence du prix de vente » sont la suite de la décision de l’arrêt, critiquée par le moyen, que la défenderesse « pouvait valablement revendiquer le véhicule au-delà du délai prescrit » et ne constituent pas un fondement distinct de la décision de l’arrêt de reconnaître l’existence d’une créance de masse au profit de la défenderesse.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
L’article XX.194 du Code de droit économique dispose, en son alinéa 1er, que la faillite ne porte pas atteinte au droit de revendication du propriétaire des biens détenus par le débiteur et, en son alinéa 2, qu’à peine de déchéance, l’action en revendication doit être exercée avant le dépôt du premier procès-verbal de vérification des créances.
Il suit de la formulation de cette disposition que celle-ci s’applique à toute demande en revendication du propriétaire pour un bien détenu par le failli, lors même qu’il n’existe pas de relation contractuelle entre eux.
L’arrêt énonce que la défenderesse, « société de leasing, [a] conclu le 27 août 2019 un contrat de leasing avec la s.r.l. Les Grands Lacs Transport représentée par son gérant, [partie appelée en déclaration d’arrêt commun, par lequel elle] donne en location […] un tracteur routier », que « l’article 9 [du contrat] fait défense au locataire de se défaire du matériel loué [et] l’article 11 lui impose de s’engager à apposer sur le matériel loué ‘la mention de propriété’ », et que, « dès le 3 février 2020, [la défenderesse] adresse un rappel à [son locataire] pour non-paiement du loyer [et] en fait de même en juin, juillet, septembre, octobre, décembre 2020 et janvier, février, mars, avril et mai 2021 ».
Il relève encore que, le 1er mars 2021, la « société KRB Trans, dont [la partie appelée en déclaration d’arrêt commun] est également gérant, est déclarée en faillite », le tribunal « fix[ant] la date du dépôt du premier procès-verbal de vérification des créances au 7 avril 2021 [et] le jugement [étant] publié au Moniteur belge le 8 mars 2021 », qu’ayant appris que « le véhicule [précité] est immatriculé au nom de la société faillie, [le curateur] porte plainte pour vol », que « le 21 avril 2021, la police des Pays-Bas indique au curateur qu’elle a immobilisé le véhicule et l’invite à le reprendre pour le 1er mai 2021 », que, « le 5 mai 2021, [la partie appelée en déclaration d’arrêt commun] prend contact avec le curateur et l’informe que le tracteur routier fait l’objet d’un leasing », que, « par lettre du 11 mai 2021, [la défenderesse] met un terme au contrat de leasing [et], mandat[ant] une société [pour] retrouver le véhicule, [elle] apprend que le tracteur routier avait été cédé à la société KRB Trans », que, « par lettre du 18 mai 2021, [la défenderesse] informe le curateur que le tracteur routier est sa propriété » et que « le curateur refuse de réserver une suite favorable à cette demande, […] le tracteur routier [étant] vendu pour 32 915 euros [le] 25 mai 2021 ».
L’arrêt, qui considère que « l’article XX.194 du Code de droit économique n’est […] pas applicable » au motif qu’« il résulte du texte même de [cette disposition] et de sa genèse qu’[elle] ne concerne que l’hypothèse du failli en relation contractuelle avec le propriétaire de la chose revendiquée » car « c’est l’existence de ce lien préexistant qui permet aux cocontractants du futur failli, dont ils ont connaissance de l’identité, d’être attentifs à l’ouverture d’une procédure de faillite » et que « le champ d’application de l’article XX.194 [précité] ne peut être étendu à des personnes qui, comme [la défenderesse], n’avaient aucun lien de nature contractuelle avec le failli et qui n’ont pas pu avoir connaissance du délai endéans lequel il convenait, à peine de déchéance, de revendiquer le bien », viole la disposition précitée.
Le moyen est fondé.
Pour le surplus, la défenderesse soutient que, dans cette interprétation, la disposition précitée viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution en ce qu’elle soumet à un même délai deux catégories différentes de propriétaires.
En opposant la catégorie des propriétaires en relation contractuelle avec le failli à celle des propriétaires qui n’ont pas eux-mêmes mis le bien à disposition du failli en ce que ces derniers, par hypothèse, n’apprennent que le failli est en possession du bien qu’à un moment où le délai de déchéance a déjà expiré, la défenderesse n’identifie pas deux situations distinctes reposant sur des critères objectifs, mais sur des hypothèses.
Il n’y a dès lors pas lieu de poser de question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Et le demandeur a intérêt à ce que l’arrêt soit déclaré commun à la partie appelée à la cause à cette fin.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
Déclare le présent arrêt commun à R. K. ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du sept juin deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.