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26/06/2024 | BELGIQUE | N°P.24.0073.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 juin 2024, P.24.0073.F


N° P.24.0073.F
D. D.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon, et Thomas Grulois, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
1. L. J.,
2. M. E.,
tous deux agissant en nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure C. L.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 21 décembre 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, statuan

t comme juridiction de renvoi ensuite d’un arrêt de la Cour du 29 mars 2023.
Le demandeur invoque...

N° P.24.0073.F
D. D.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon, et Thomas Grulois, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
1. L. J.,
2. M. E.,
tous deux agissant en nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure C. L.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 21 décembre 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, statuant comme juridiction de renvoi ensuite d’un arrêt de la Cour du 29 mars 2023.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 15 mai 2024, le conseiller Tamara Konsek a fait rapport et l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
Le demandeur a déposé, le 21 juin 2024, une note en réponse par application de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur la demande de remise :

Le demandeur postule une nouvelle remise de la cause et sollicite que la Cour invite le ministère public à lui communiquer ses conclusions par écrit, qu’elle fixe un délai pour lui permettre d’y répondre, et qu’à défaut, elle déclare les poursuites irrecevables.
Il suit des articles 432 du Code d’instruction criminelle et 1107 du Code judiciaire que le ministère public près la Cour dispose du choix de conclure oralement ou par écrit, sans qu’il appartienne à la Cour de lui donner des injonctions à cet égard.
Selon le demandeur, l’oralité des débats l’empêche, au vu de leur technicité, de répondre à l’argumentation du ministère public dès lors qu’il n’a pas été en mesure d’en prendre connaissance de manière précise et complète avant l’audience. Il soutient que seul le dépôt préalable de conclusions écrites, exposant la teneur des échanges avec le conseiller-rapporteur, permet d’assurer le respect des droits de la défense.
A cet égard, le demandeur allègue qu’au terme du débat relatif à l’appréciation de la légalité de l’arrêt attaqué, le ministère public est son adversaire objectif lorsqu’il conclut au rejet du pourvoi, et que lui-même est dans une position moins favorable que le conseiller-rapporteur qui a une connaissance préalable de la thèse du ministère public exposée à l’audience.
Le ministère public près la Cour ne requiert pas devant celle-ci, et l’avis qu’il émet n’en fait ni l’adversaire ni le partisan de l’une quelconque des parties à l’instance de cassation. Celles-ci sont en droit d’appuyer ou de contredire l’avis selon les modalités prévues par l’article 1107 du Code judiciaire.
L’avant-projet d’arrêt établi par le conseiller-rapporteur n’est pas une pièce produite par une partie. Sa communication à l’avocat général éclaire les conclusions qu’il prend à l’audience et permet aux parties de saisir la réflexion de la juridiction au moment où elle s’élabore.
Contrairement à ce que le demandeur allègue, la Cour n’a pas connaissance, avant l’audience, d’écrits que le ministère public aurait rédigés et communiqués au siège sans l’avoir été aux parties. En d’autres termes, lorsque les conclusions du ministère public sont verbales, elles le sont tant pour le siège que pour les parties.
De la circonstance qu’aucune disposition légale n’oblige le ministère public près la Cour à y conclure exclusivement par écrit, il ne se déduit pas que cette procédure viole l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Partant, il n’y a pas lieu de faire droit à la nouvelle demande de remise.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique :
Sur le premier moyen :
L’arrêt dit le demandeur coupable de viol au préjudice d’une mineure de moins de seize ans en retenant, à titre d’élément de preuve, l’analyse de crédibilité de l’enfant.
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 149 de la Constitution.
Le demandeur reproche à l’arrêt de ne pas répondre aux conclusions dans lesquelles il contestait la fiabilité d’une telle expertise et, partant, le principe même de son utilisation comme élément de preuve dans une procédure pénale, eu égard au taux d’erreur qui lui est reconnu, notamment, par deux spécialistes du recueil et de l’analyse de la parole de l’enfant qui ont développé la méthode d’analyse utilisée par l’expert.
L’obligation de motiver les jugements et arrêts et de répondre aux conclusions d’une partie est remplie lorsque la décision comporte l’énonciation des éléments de fait ou de droit à l’appui desquels une demande, une défense ou une exception sont accueillies ou rejetées. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
L’arrêt relève que l’enfant s’est confiée quant aux faits de viol à trois personnes de son entourage familial, lesquelles ont rapporté ces dires globalement de manière conforme et concordante. Il énonce que, malgré ses difficultés d’expression, celle-ci a donné une description relativement détaillée des faits, décrivant certaines positions qu’elle devait prendre et les sensations ressenties, et a affirmé que, pour le surplus, le demandeur s’est depuis toujours montré gentil envers elle.
L’arrêt constate également que les parties n’étaient pas en conflit, l’entourage familial de l’enfant n’ayant, au début, pas pu imaginer un tel comportement du demandeur, et qu’aucun bénéfice apparent pour l’enfant ne peut être lié à la dénonciation des faits.
Il énonce que, bien que le demandeur exprime son dégoût pour la pédophilie, son attirance pour des jeunes enfants ou adolescentes est établie dès lors qu’il a, d’après ses propres dires, eu des relations sexuelles avec la fille de sa compagne de l’époque, faits qui ont également fait l’objet, dans la présente cause, d’une prévention de viol de mineure, définitivement déclarée établie. A cet égard, la cour d’appel a souligné le parallélisme, jugé peu ordinaire, entre les pratiques sexuelles admises par le demandeur en ce qui concerne la jeune fille précitée, et celles rapportées par l’enfant.
L’arrêt ajoute encore que l’expert ayant assisté à l’audition vidéo-filmée de l’enfant a relevé la bonne cohérence du récit ainsi que les détails du discours, et qu’il a indiqué que celle-ci souffre d’un stress post-traumatique aigu.
Il suit de ces considérations, dont il ressort que l’enfant ne s’est pas contredite au cours de ses différents récits et que leur contenu est confirmé par d’autres éléments du dossier, que, selon les juges d’appel, l’expertise de crédibilité se basant sur l’audition vidéo-filmée de l’enfant n’est pas dépourvue de fiabilité et peut servir d’élément de preuve.
Ainsi, l’arrêt répond, par une appréciation contraire, à la défense proposée.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 149 de la Constitution.
Quant aux deux premières branches réunies :
Le moyen soutient que l’arrêt, qui déclare la prévention de viol établie sur la seule base des dires de l’enfant, qu’ils soient exprimés lors de l’audition vidéo-filmée, rapportés par des membres de la famille ou examinés dans le cadre de l’expertise de crédibilité, ne répond pas aux conclusions qui faisaient valoir que la seule parole de la partie civile ne peut constituer une preuve suffisante pour fonder une condamnation pénale. Il fait valoir que l’arrêt viole ainsi la présomption d’innocence, méconnaissant également l’équité procédurale.
L’arrêt ne fonde pas sa décision par référence aux seules affirmations de l’enfant. La cour d’appel a, ce qui est différent, confronté ces déclarations entre elles pour les juger constantes, elle a constaté que le récit de l’enfant, en ce qui concerne la nature des actes de pénétration, est corroboré par les déclarations du demandeur qui a confirmé de telles pratiques sexuelles, elle a relevé les circonstances du dévoilement des faits dans un contexte dépourvu de tensions particulières entre les familles et elle a indiqué que l’enfant présente, selon l’expert, un stress post-traumatique aigu.
Ces considérations de l’arrêt répondent aux conclusions, sans violer la présomption d’innocence ou méconnaître l’équité du procès.
Le moyen ne peut être accueilli.

Quant aux troisième et quatrième branches réunies :
Dans sa troisième branche, le moyen fait grief à la cour d’appel d’avoir accordé à la parole de l’enfant, qui avait été soumise à une analyse de crédibilité, une plus grande valeur probante qu’aux dénégations du demandeur qui n’avaient pas fait l’objet d’une expertise similaire.
Selon le demandeur, ayant ainsi été soumis à un traitement discriminatoire, il appartenait aux juges d’appel de corriger pareil déséquilibre en ordonnant une expertise afin d’assurer le respect de la présomption d’innocence et de garantir le droit à un procès équitable.
La quatrième branche du moyen soutient qu’en fondant sa décision sur l’analyse de crédibilité des dires de l’enfant, l’arrêt méconnaît l’équité procédurale dès lors qu’au cours de l’instruction, le demandeur n’a bénéficié ni d’une analyse de crédibilité par un expert psychologue, ni d’une analyse de son audition au moyen d’un polygraphe.
Il n’apparaît pas de la procédure que le demandeur ait fait valoir devant les juges d’appel un traitement discriminatoire en raison de la circonstance que sa parole n’a pas été soumise à une expertise de crédibilité, ni qu’il ait formulé devant eux une demande d’expertise.
Et il n’en ressort pas davantage que le demandeur ait soutenu devant la cour d’appel une méconnaissance de l’équité procédurale.
En tant qu’il est invoqué pour la première fois devant la Cour, le moyen, dans ses deux branches, est irrecevable.
Dans la mesure où il est déduit de la prémisse que la condamnation se fonde exclusivement sur les dires de l’enfant ou l’analyse de crédibilité qui en a été faite, le moyen, ainsi qu’il ressort de la réponse au premier moyen, manque en fait.

Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée par les défendeurs en nom propre :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
D. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par les défendeurs en qualité de représentants légaux de leur enfant mineure C.L., statue sur
1. le principe de la responsabilité :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
2. l’étendue du dommage :
L’arrêt confirme le jugement attaqué qui alloue aux défendeurs la somme provisionnelle de dix mille euros et réserve à statuer pour le surplus.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle et est étrangère aux cas visés à l’alinéa 2 de cette disposition.
Le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette la demande de remise et le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quatre cent septante-neuf euros douze centimes dont cent cinquante-trois euros cinquante et un centimes dus et trois cent vingt-cinq euros soixante et un centimes de frais de signification couvert par l’assistance judiciaire.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre par le chevalier Jean de Codt, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, premier avocat général, avec l’assistance de Lutgarde Body, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.0073.F
Date de la décision : 26/06/2024
Type d'affaire : Autres

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-06-26;p.24.0073.f ?

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