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26/06/2024 | BELGIQUE | N°P.24.0554.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 juin 2024, P.24.0554.F


N° P.24.0554.F
M. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Samuel Rwanyindo, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
D. N.,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 20 mars 2024 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 19 juin 2024, le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport et l’avoca

t général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirig...

N° P.24.0554.F
M. D.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Samuel Rwanyindo, avocat au barreau de Liège-Huy,
contre
D. N.,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 20 mars 2024 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 19 juin 2024, le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport et l’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique :
Sur le moyen :

1. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, et 195 du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au respect des droits de la défense et au droit à un procès équitable.
L’arrêt déclare le demandeur coupable de trois atteintes à l’intégrité sexuelle sur la personne de la défenderesse, sa belle-fille, commis les 21 novembre 2020, 11 décembre 2020 et 16 décembre 2020.
Le demandeur fait grief à l’arrêt de ne pas faire droit à la demande d'audition de son épouse, G. B., formulée en termes de conclusions, soit d’un témoin qui durant l’enquête a tenu des propos incriminants dans ses dépositions à l’égard du demandeur. Selon ce dernier, en refusant de procéder à l’audition de ce témoin capital, la cour d’appel l’a privé de la possibilité de contester les accusations dont il fait l’objet et, partant, a méconnu les principes généraux du droit précités.
2. La question de savoir si le juge qui doit se prononcer sur le bien-fondé de l'action publique est tenu d'entendre comme témoin une personne qui a fait une déclaration à charge du prévenu au cours de l'information ou de l’instruction, lorsque ce prévenu le demande, doit être appréciée à la lumière du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6.1 de la Convention, et du droit d'interroger ou de faire interroger des témoins à charge, garanti par l'article 6.3.d, de cette convention. A cet égard, il est essentiel que l'action publique exercée à charge du prévenu, dans son ensemble, se déroule de manière équitable, ce qui n’empêche pas le juge de tenir compte non seulement des droits de la défense du prévenu mais aussi des intérêts de la société, des victimes et des témoins eux-mêmes.

3. Il résulte de ces dispositions conventionnelles que, en règle, la preuve invoquée contre un prévenu doit lui être présentée à l’audience publique, que le prévenu doit pouvoir contredire cette preuve et que, en principe, il doit pouvoir interroger à l’audience la personne qui a été entendue au cours de l’information ou de l’instruction et a fait une déclaration à charge.
4. Les articles 6.1 et 6.3.d de la Convention, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, requièrent que le juge examine une demande d’audition d’un témoin qui a fait une déclaration à charge du prévenu durant l’enquête, à l’aune des trois critères suivants :
(i) existe-t-il un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition ;
(ii) la déposition du témoin absent a-t-elle constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation ; et
(iii) existe-t-il des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble.
5. En règle, le juge apprécie à la lumière de ces critères et dans cet ordre l’impact de l’absence d’audition à l’audience d’un témoin sur l’équité du procès. Cependant, cela n’exclut pas qu’un ou deux de ces critères puissent se révéler particulièrement probants pour déterminer si la procédure considérée dans son ensemble est, ou non, équitable. Il n’est pas davantage exclu que les trois critères et les motifs énoncés à cet égard puissent se renforcer, se compléter ou s’éclaircir et être lus dans leur rapport mutuel.
6. Le juge apprécie, en tenant compte des critères ainsi précisés, si l’absence d’audition à l’audience d’un témoin qui, durant l’information ou l’instruction, a fait une déclaration à charge du prévenu, ne méconnaît pas son droit à un procès équitable considéré dans son ensemble, en ce compris les droits de la défense. Le juge doit fonder sa décision sur les circonstances concrètes qu’il indique.
La Cour vérifie si le juge qui a décliné une demande d’audition d’un témoin à charge a fait un exacte application des critères précités et si les raisons qu’il a indiquées pour ne pas entendre le témoin sont conformes aux autres motifs de sa décision.
7. En réponse à la requête du demandeur de faire entendre à l’audience un témoin, son épouse G. B., qui a fait des déclarations à charge durant l’enquête, l’arrêt considère que la cour d’appel n’aperçoit pas l’utilité d’une telle audition, dans la mesure où elle est suffisamment informée par les éléments du dossier et qu’il n’y a pas lieu de retarder l’issue de l’affaire.
L’arrêt énonce également que le demandeur n’indique pas la plus-value qu’apporterait une telle audition au regard des droits de la défense, dès lors que le premier juge n’a pas fondé sa décision uniquement ou de façon déterminante sur la déposition du témoin précité mais également sur les déclarations de la plaignante et des autres témoins, plus essentielles au niveau du consentement, puisque ledit témoin ne fait finalement que relater certains gestes que le prévenu admettra lui-même en partie et pour lesquels il ne conteste que l’absence de consentement de la défenderesse.
Les juges d’appel en ont déduit qu’une telle audition n’apparaissait pas utile à la manifestation de la vérité sans pour autant que le respect de l’équité du procès soit compromis.

8. Dans le cadre de l’examen de la culpabilité du demandeur, l’arrêt commence par se référer à deux dépositions que l’épouse du demandeur a faites durant l’enquête. La première déclaration de ce témoin, le 19 décembre 2020, porte sur des confidences que le demandeur lui a faites en reconnaissant certains gestes commis trois semaines plus tôt (avoir embrassé la défenderesse sur la bouche et lui avoir touché la poitrine) et le 16 décembre 2020 (lui avoir touché la poitrine et les fesses). La seconde déclaration concerne le comportement et les propos du demandeur et de la défenderesse, que le témoin a personnellement observés lors des faits du 16 décembre 2020, ainsi qu’un appel téléphonique de la défenderesse au témoin, au cours duquel celle-ci lui a fait la relation des attouchements.
La décision attaquée énonce ensuite que les faits sont largement corroborés par les témoignages convergents de la défenderesse et de son mari, ainsi que de personnes auxquelles elle s’est confiée peu de temps après les faits reprochés au demandeur.
Les juges d’appel ont également relevé, par des motifs propres et par référence aux motifs du premier juge, la reconnaissance par le demandeur de certains gestes.

Toutefois, s’agissant des faits du 21 novembre 2020, aux conclusions du demandeur qui invoquait l’incertitude des souvenirs de la défenderesse, l’arrêt répond que le demandeur perd de vue les « aveux » qu’il a faits à son épouse. A ce sujet, les juges d’appel ont considéré qu’il n’y avait pas de raison de remettre ce témoignage en cause.
S’agissant de l’appréciation de l’existence d’un consentement de la défenderesse relativement à ces faits du 21 novembre 2020, la cour d’appel a jugé que « dans la mesure où le prévenu a déclaré à son épouse qu’il avait trouvé la plaignante aguicheuse et l’avait embrassée avant de lui sentir les seins, le prévenu n’a nullement obtenu de consentement ».
9. D’une part, il résulte des motifs précités que, après avoir considéré les dépositions du témoin comme non déterminantes de la culpabilité du demandeur, les juges d’appel les ont néanmoins retenues à titre d’éléments de preuve de celle-ci.
D’autre part, l’arrêt n’examine ni le premier critère énoncé ci-dessus, à savoir l’existence d’un motif sérieux justifiant la non comparution du témoin, ni le troisième critère, relatif à l’existence d’éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission de l’audition du témoin à titre de preuve.
Ainsi, les juges d'appel n’ont pas légalement justifié leur décision de refuser d’entendre le témoin à l’audience.
Le moyen est fondé.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée par la défenderesse contre le demandeur :
La cassation, sur le pourvoi non limité du prévenu, de la décision rendue sur l’action publique exercée à sa charge entraîne l’annulation des décisions rendues sur l’action civile exercée contre lui par la défenderesse, qui sont la conséquence de la première.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les frais pour qu'il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause à la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, autrement composée.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, Françoise Roggen, François Stévenart Meeûs, Ignacio de la Serna, conseillers, et Sidney Berneman, conseiller honoraire, magistrat suppléant, et prononcé en audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Lutgarde Body, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.0554.F
Date de la décision : 26/06/2024
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-06-26;p.24.0554.f ?

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