La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/08/2024 | BELGIQUE | N°P.24.1221.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 13 août 2024, P.24.1221.F


N° P.24.1221.F
N. F-Cr.
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nathalie Gallant, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre l’arrêt rendu le 26 juillet 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a co

nclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Dirigé contre la décision de l’arrêt...

N° P.24.1221.F
N. F-Cr.
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nathalie Gallant, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre l’arrêt rendu le 26 juillet 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Dirigé contre la décision de l’arrêt de remettre le demandeur aux autorités judiciaires roumaines en exécution du mandat d’arrêt européen que celles-ci ont décerné le 21 août 2023 en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement, le moyen, en chacune de ses branches, est pris de la violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 6.1 à 6.3 du Traité sur l’Union européenne, 149 de la Constitution et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, ainsi que de la méconnaissance de l’obligation de motivation des décisions judiciaires et de la notion de présomption de fait.
La décision d'une juridiction d'instruction déclarant exécutoire un mandat d'arrêt émis par une autorité étrangère ne constitue pas un jugement au sens de l'article 149 de la Constitution.
En tant qu’il invoque la violation de cette disposition, le moyen manque en droit.
L'obligation, pour les juridictions d'instruction, de motiver leur décision relative à l'exécution du mandat d'arrêt européen découle de l'article 16, § 1er, de la loi du 19 décembre 2003 précitée.
Quant à la première branche :
Devant la chambre des mises en accusation, le demandeur avait fait valoir des conditions de détention dans les prisons roumaines incompatibles avec l’interdiction de traitements inhumains.
Le moyen reproche à l’arrêt d’ordonner l’exequatur du mandat d’arrêt européen au terme d’un examen se fondant sur la simple hypothèse d’une détention dans une prison respectueuse des droits humains, dès lors que les autorités roumaines n’ont évoqué qu’une probable attribution du lieu de détention du demandeur.
Selon le demandeur, dès lors que les juges d’appel ont admis l’existence d’un risque concret de traitements inhumains ou dégradants dans le système carcéral roumain et que les informations fournies par la Roumanie font état d’un aléa non quantifiable, les juges d’appel ont admis le risque, pour le demandeur, d’être exposé à un tel traitement.
Dans la mesure où il n’indique pas à quelle demande, défense ou exception l’arrêt n’aurait pas répondu et en quoi il aurait méconnu la notion de présomption de fait, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
Pour le surplus, l’arrêt attaqué déduit des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qu’il cite que, si « des défaillances, voire des traitements inhumains ou dégradants existent bel et bien dans le système carcéral roumain, en revanche, il ne ressort pas de l’examen du dossier qui est soumis [à la cour d’appel], qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de nature à démontrer un risque concret et précis de traitements inhumains ou dégradants pour [le demandeur] résultant de sa future incarcération dans telle ou telle prison précisément identifiée comme étant problématique ; qu’en effet, compte tenu du principe de confiance mutuelle entre les États membres, le refus de remise doit être justifié par des éléments circonstanciés indiquant un danger manifeste pour les droits de la personne et aptes à renverser la présomption de respect de ces droits dont l’État d’émission bénéficie ».
Il énonce que, « bien qu’il existe, in abstracto, un risque de défaillances, voire de traitements inhumains ou dégradants, dans les prisons roumaines, la cour [d’appel] ne peut considérer, sur la base des éléments soumis à son appréciation, que ce risque existerait in concreto pour [le demandeur] ».
Il fonde cette appréciation sur la considération qu’« il ressort des explications fournies par les autorités roumaines que [le demandeur] devrait disposer durant toute sa détention (période de quarantaine de 21 jours puis régime fermé) d’un espace minimal de 3 m², voire d’un espace minimal de 4 m² en régime ouvert » ; que « ces explications précisent en outre les services accordés aux détenus durant la période de quarantaine, le détail de l’aération des cellules et de leur éclairage, de la présence d’un lit individuel pour chaque détenu, du mobilier, de l’existence de sanitaires séparés et la température minimale suite à la modernisation de la centrale thermique de l’établissement dans lequel [le demandeur] devrait être admis » ; que « ce même document apporte également toutes les précisions à propos des conditions de détention [du demandeur] dans l’établissement pénitentiaire qui devrait être le sien après la période de quarantaine et leur évolution selon que le régime d’incarcération soit fermé, semi-fermé ou ouvert ».
L’arrêt précise examiner ainsi « les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires dans lesquels il est probable, selon les informations dont [la cour d’appel] dispose, que [le demandeur] sera détenu, y compris à titre temporaire ou transitoire ».
L’ordonnance entreprise constate « qu’il ressort de la réponse des autorités roumaines » que le demandeur devrait exécuter « une période de quarantaine d’une durée de 21 jours à la prison de Bucarest Rahova » et qu’après celle-ci, « vu le quantum de la peine » et « le domicile » du demandeur, « le plus probable [est qu’]il va exécuter la peine dans l’établissement pénitentiaire Craiova », « ce lieu devant être déterminé par l’Administration nationale des établissements pénitentiaires ».
Il suit de ces énonciations que l’arrêt ne spécule pas sur le lieu de détention du demandeur en favorisant une simple hypothèse mais évalue concrètement si l’exécution du mandat d’arrêt européen exposerait le demandeur à un traitement inhumain ou dégradant.
Ainsi, l’arrêt justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen allègue que, dans ses conclusions d’appel, le demandeur a critiqué les conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire de Craiova-Pelendava dans lequel il devrait être incarcéré selon les informations fournies par les autorités roumaines, par référence à un arrêt rendu le 20 juin 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme qui constate une violation de l’article 3 de la Convention en raison du manque d’espace dans les cellules de cette prison, pris comme critère autonome ou comme critère combiné à un autre manquement.
Le moyen reproche à l’arrêt, d’une part, de ne tirer aucune conséquence de cette insuffisance et, d’autre part, de ne pas indiquer en quoi les informations relatives aux aménagements des cellules, fournies par les autorités roumaines, seraient susceptibles d’atténuer les souffrances induites de la superficie réduite des cellules, et ce d’autant plus qu’il n’en ressort pas si le mobilier est, ou non, pris en compte dans le calcul de la superficie.
Dans la mesure où il n’indique pas en quoi l’arrêt aurait méconnu la notion de présomption de fait, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
Dans ses conclusions d’appel, le demandeur se bornait à faire valoir que les conditions de détention en Roumanie ne répondent pas aux garanties consacrées par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A cet égard, il se référait à l’arrêt Polgar c. Roumanie de la Cour européenne des droits de l’homme qui dénonce une surpopulation, de mauvaises conditions d’hygiène, l’absence de salle de bains, une mauvaise ventilation et la taille de l’espace minimal requis, et il invoquait également l’arrêt Buzdugan et autres contre Roumanie, rendu par cette juridiction le 20 juin 2024, en précisant que celui-ci constate une violation de l’article 3 de la Convention. Le demandeur relevait ensuite que, selon les documents produits par les autorités roumaines, il effectuerait une période de quarantaine de vingt et un jours dans un espace minimal de 3 m² et qu’il purgerait ensuite, très probablement, sa peine au centre pénitentiaire de Craiova-Pelendava. Enfin, il soulignait que, dans des cas similaires, les juridictions d’instruction avaient admis la cause de refus obligatoire en raison du risque de violation de l’interdiction d’un traitement inhumain ou dégradant.

Par les énonciations relatives aux conditions de détention du demandeur dans les prisons devant l’accueillir, reproduites en réponse à la première branche du moyen, l’arrêt donne à connaître que les conditions de détention susdites, combinées à la superficie de la cellule, permettent de considérer qu’il n’est pas établi que l’exécution du mandat d’arrêt européen exposerait le demandeur à un traitement inhumain ou dégradant.
Ainsi, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le moyen fait également grief à l’arrêt de considérer qu’aucun élément concret ne laisse penser que le demandeur serait en danger en Roumanie.
Le moyen soutient que, par cette énonciation, l’arrêt ne motive pas valablement le rejet de la défense selon laquelle le demandeur devait craindre pour sa vie en cas d’exécution de la peine dans la prison précitée, dès lors que ledit risque était corroboré par une pièce déposée devant la chambre du conseil.
Il n’apparaît pas des conclusions d’appel qu’à l’appui de ces allégations, le demandeur ait renvoyé à une pièce déposée devant le premier juge.
Par l’énonciation critiquée, l’arrêt répond régulièrement à la défense proposée.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Pris de la violation de l’article 6, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen et de la violation de la notion de présomption de fait, le moyen fait grief à l'arrêt de ne pas justifier légalement sa décision de refuser au demandeur la possibilité d’exécuter sa peine en Belgique et, partant, de ne pas la motiver de manière précise.
Selon le demandeur, dès lors que l’arrêt constate que lui-même et sa famille étaient tous régulièrement domiciliés à la même adresse en Belgique, cet arrêt ne pouvait refuser sa demande au seul motif qu’il ne vivait pas, jusqu’il y a peu, en Belgique avec son épouse et son enfant sans ajouter une condition supplémentaire à l’article 6, 4°, de la loi, et, partant, sans violer cette disposition.
Dans la mesure où il n’indique pas en quoi l’arrêt violerait la notion de présomption de fait, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
L’article 4.6 de la Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres dispose, au titre des motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen si celui-ci a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne.
L’article 6, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 dispose que l’exécution peut être refusée si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté, lorsque la personne concernée est belge, demeure ou réside en Belgique et que les autorités belges compétentes s’engagent à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à la loi belge.
Ces dispositions ont la même portée.
Contrairement à ce que le moyen revient à soutenir, il ne suffit pas, pour appliquer l’article 4.6 de la Décision-cadre précitée, tel qu’interprété par l’arrêt C-66/08 du 17 juillet 2008 de la Cour de justice de l’Union européenne, que la personne faisant l’objet d’une demande de remise soit domiciliée dans l’État membre d’exécution.
L’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier si, dans une situation concrète, il existe entre la personne concernée et l’État membre d’exécution des liens de rattachement permettant de constater que celle-ci relève du terme « demeurer » au sens dudit article 4.6. Le juge doit vérifier cette condition sur la base d’une appréciation globale de plusieurs éléments objectifs caractérisant sa situation, au nombre desquels figurent, notamment, la durée, la nature et les conditions de son séjour ainsi que les liens familiaux et économiques qu’elle entretient avec l’État membre d’exécution.
Pour refuser au demandeur la possibilité d’exécuter sa peine en Belgique, l’arrêt relève que celui-ci n’est pas belge, que, s’il « est domicilié en Belgique, sa présence dans le Royaume est récente, depuis juin 2023 selon sa déclaration au juge d’instruction, [qu’]il ne travaille apparemment que depuis mars 2024, selon l’attestation qu’il dépose, [qu’]il ne vit pas en Belgique avec son épouse mais avec [un tiers], qui a ouvert la porte aux policiers le 27 juin 2024, personne que [le demandeur] qualifie de ‘collègue d’appartement’ devant le juge d’instruction, [qu’il] a indiqué au juge d’instruction que sa femme et leur bébé se trouvent en Roumanie [et que] son épouse n’a ensuite sollicité son inscription en Belgique que très récemment, en cours de procédure d’appel, le 23 juillet dernier ».
L’arrêt en déduit que le demandeur « ne présente pas les liens sérieux et effectifs qu’il indique avec la Belgique ».
Par ces motifs, l’arrêt n’ajoute pas à l’article 6, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 une condition qu’il ne contient pas mais vérifie, comme il y est tenu, si, eu égard à la situation concrète du demandeur, il existe un lien entre celui-ci et la Belgique qui permet d’établir que la notion de « résidence » au sens de la disposition précitée lui est applicable et donne à connaître, sur la base d’une appréciation en fait qu’il n’appartient pas à la Cour de censurer, que tel n’est pas le cas.
Ainsi, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante-sept euros soixante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient Michel Lemal, président de section, Françoise Roggen, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du treize août deux mille vingt-quatre par Michel Lemal, président de section, en présence de Dirk Schoeters, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.24.1221.F
Date de la décision : 13/08/2024
Type d'affaire : Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 22/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-08-13;p.24.1221.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award