N° P.24.0560.F
J. C.,
partie civile,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Bonté, 5, où il est fait élection de domicile,
contre
AIG EUROPE, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 35, D,
partie intervenue volontairement,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul-Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,
en présence de
M. S.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 18 mars 2024 par le tribunal correctionnel du Luxembourg, division Arlon, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président de section chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée contre la défenderesse :
Sur le premier moyen :
Il est reproché au jugement de rejeter la méthode de la capitalisation au profit d’une indemnisation forfaitaire par point d’incapacité, pour réparer les dommages personnel, économique et ménager permanents subis par le demandeur.
En vertu de l’article 1382 de l’ancien Code civil, celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer et la victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi.
Le juge du fond apprécie en fait l’existence d’un dommage causé par un acte illicite et le montant destiné à le réparer intégralement. Il peut recourir à une évaluation en équité s’il indique la raison pour laquelle le mode de calcul proposé par la victime ne peut être admis et s’il constate en outre l’impossibilité de déterminer autrement le dommage tel qu’il l’a caractérisé.
En tant que méthode d’indemnisation d’un préjudice futur, la capitalisation se définit comme un calcul actuariel consistant à convertir en une somme l’ensemble des indemnités à échoir. Cette méthode suppose donc un minimum d’équivalence entre les échéances de la rente due et le préjudice annuel se manifestant jusqu’à la fin de la durée déterminée par le calcul.
Sans contester la linéarité de la manifestation des trois préjudices permanents, le jugement relève que les expertises médicales amiables ne permettent pas de déterminer la mesure dans laquelle les douleurs décrites par la victime se rattachent à la fracture des vertèbres sacrée et coccygienne causée par l’accident, ou à des discopathies lombaires non imputables à celui-ci.
Il en résulte, selon le juge d’appel, qu’il n’est pas possible de retenir une base forfaitaire journalière invariable, dès lors que la manifestation des séquelles en relation avec l’accident ne présente pas un caractère suffisamment constant et récurrent.
Par ces motifs, qui ne sont pas étrangers au mode d’évaluation des trois préjudices permanents à indemniser, soit les préjudices personnel, économique et ménager, le jugement indique les circonstances concrètes de la cause empêchant le tribunal d’asseoir le calcul sur l’équivalence minimale requise.
Le juge d’appel a, ainsi, régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Il est reproché au jugement, pour réparer le dommage ménager temporaire et permanent, de considérer que la quote-part du demandeur dans les charges du ménage doit être évaluée à trente-cinq pourcents, contre soixante-cinq pourcents réputés accomplis par sa compagne.
Le jugement attaqué emprunte cette ventilation à la répartition recommandée par le tableau indicatif. Il ajoute qu’il n’existe pas d’élément objectif permettant d’attribuer au demandeur une contribution s’élevant à cinquante pourcents des charges du ménage. Il précise que l’idéal d’un partage égalitaire de ces charges au sein du couple n’a pas encore reçu une consécration suffisante pour pouvoir être retenue au titre d’un critère uniformément applicable au calcul du préjudice ménager.
Selon le demandeur, pareille considération viole les articles 10, alinéas 2 et 3, 11 et 11bis, alinéa 1er, de la Constitution, 8, § 1er, et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 21, § 1er, et 23, alinéa 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 3, dernier alinéa, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, 1382 de l’ancien Code civil, 4, 6, 8, 10 et 19 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.
Le moyen fait valoir, en substance, que ces dispositions interdisent au juge d’évaluer le préjudice causé par un fait illicite, sur la base d’une présomption à caractère général qui, fondée sur le sexe de la victime, établit une discrimination au préjudice des hommes.
Il appartient à celui qui se prévaut d’un dommage d’en prouver l’étendue.
Aucune des dispositions visées au moyen n’impose au juge de tenir pour argent comptant l’affirmation d’une personne qui, vivant en couple, prétend assumer dans les tâches domestiques une part égale à celle de son partenaire.
Ne méconnaît pas le principe d’égalité invoqué par le demandeur l’énonciation du juge qui, ne pouvant se satisfaire de l’affirmation unilatérale du préjudicié, constate que l’égalité dont il affirme l’existence n’est pas encore réalisée partout et en tout temps.
Le motif critiqué n’a pas pour objet ou pour effet de discriminer les hommes par rapport aux femmes dans l’évaluation du préjudice ménager. Ce motif n’a pas d’autre portée que d’indiquer, en se référant à une donnée d’expérience commune, pourquoi l’égalité juridique que le demandeur met en avant ne prouve pas l’égalité de fait justifiant sa prétention.
Le moyen ne peut être accueilli.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre M. S. :
Le demandeur n’a pas eu d’instance liée avec M. S., lequel n’a pas relevé appel du jugement rendu par le tribunal de police et n’a été intimé ni par l’appel principal de l’assureur ni par l’appel incident de la partie civile. Le jugement attaqué, pas plus que celui du tribunal de police, ne prononce aucune condamnation à charge de M. S. au profit de J. C..
Le pourvoi est irrecevable.
Toutefois, la signification du pourvoi à M. S. vaut appel en déclaration d’arrêt commun.
Mais en raison du rejet du pourvoi, il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de cent dix-sept euros un centime dont quatre-vingt-deux euros un centime dus et trente-cinq euros payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.