N° P.24.0567.F
I. S. B.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Laura Danneau, avocat au barreau de Mons, et Jean-Philippe Mayence et Ricardo Bruno, avocats au barreau de Charleroi,
contre
1. C. L. B.,
2. M. N. M.,
3. O. H.,
4. M. A.,
5. J-F P.,
6. M. C.,
7. Th. M.,
8. H. K.,
9. MEDI-KHROUZ-MANDIEAU, société à responsabilité limitée,
les demandeurs sub 8 et sub 9 ayant pour conseils Maîtres Pierre Lothe et Nicolas Devaux, avocats au barreau de Namur, Simon Saelens, avocat au barreau du Brabant wallon, et Pierre Grégoire, avocat au barreau de Bruxelles,
10. M. S.,
parties civiles,
défendeurs en cassation,
II. 1. H. D.,
2. L. C.,
3. J-F. P., mieux qualifié ci-dessus,
4. M. C., mieux qualifié ci-dessus,
5. Th. M., mieux qualifié ci-dessus,
6. M. S., mieux qualifié ci-dessus,
parties civiles,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître David Gelay, avocat au barreau de Charleroi,
contre
S. B., mieux qualifié ci-dessus,
prévenu,
défendeur en cassation,
III. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE MONS,
demandeur en cassation,
contre
1. K.-NK.
2. S. B., mieux qualifié ci-dessus,
prévenus,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 19 mars 2024 par la cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
Les demandeurs sub I et sub III invoquent deux moyens, les demandeurs sub II en invoquent un, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de S. B. :
Le demandeur se désiste de son pourvoi en tant qu’il est dirigé contre la décision qui l’acquitte de certaines préventions.
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur :
Sur le premier moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 149 et 150 de la Constitution, 1138, 4°, du Code judiciaire, 3, alinéa 3, de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, 179 et 182, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et 193 et 196 du Code pénal, ainsi que la méconnaissance du principe général du droit relatif à la motivation des décisions rendues en matière pénale.
Le demandeur soutient qu’en l’absence dans l’arrêt d’une décision régulière admettant des circonstances atténuantes, la cour d’appel n’était pas compétente pour statuer sur les crimes de faux en écritures et d’usage de ces faux, mis à sa charge. Le moyen ajoute que dans la mesure où ils ont annulé le jugement entrepris, les juges d’appel n’ont pu, sauf à se contredire, justifier leur compétence pour connaître de ces faits en ayant cependant égard aux motifs du premier juge, qui avait admis de telles circonstances atténuantes.
Mais il ressort des pièces de la procédure que l’appel dirigé par le demandeur contre le jugement entrepris n’a pas déféré à la cour d’appel la décision concernant la correctionnalisation des crimes de faux et d’usage de faux visés aux préventions D, E, F, G, H et I.
L’annulation du jugement entrepris n’a, dès lors, pu atteindre cette décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 2, alinéa 2, et 3, alinéa 2, de la loi du 4 octobre 1867 sur les circonstances atténuantes, et 65 et 496 du Code pénal, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Le demandeur fait grief à l’arrêt attaqué de déclarer recevables les poursuites du chef des préventions D, E, F, G, H et I, de faux et usage de faux, qui faisaient l’objet de la citation directe complémentaire du ministère public, alors que, selon le demandeur, ces faits faisaient déjà partie de la saisine du juge d’instruction et, partant, étaient visés à l’ordonnance de renvoi, et que ces deux modes de saisine des juridictions de fond n’ont pas vocation à se cumuler dans une même cause, les procédures respectives d’information et d’instruction ne présentant pas des garanties équivalentes. Il soutient que cette façon de procéder méconnaît ses droits fondamentaux et son droit à un procès équitable.
Dans la mesure où il soutient que le juge d’instruction avait été saisi de l’ensemble des faux repris dans la citation complémentaire du ministère public, alors que les juges d’appel ont estimé que les faits des préventions D.1 à D.4, D.6 à D.24, D.26 à D.38, E, F, H et I, de faux et d’usage de faux, repris dans la citation directe complémentaire ne faisaient pas partie de la saisine du magistrat instructeur, dès lors qu’ils ne concernaient pas les deux parties civiles qui s’étaient constituées entre les mains de ce dernier, le moyen requiert la vérification d’éléments de fait, laquelle échappe au pouvoir de la Cour, et se heurte à l’appréciation souveraine en fait des juges d’appel.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Lorsque la partie poursuivante considère que des faits supplémentaires ou d'autres personnes doivent être jugés en même temps que les faits dont est déjà saisie une juridiction de fond statuant en première instance, elle peut, dans le respect des droits de la défense, faire signifier une citation complémentaire qui étendra la saisine originaire du juge.
En tant qu’il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Par ailleurs, en matière correctionnelle, l'ordonnance de renvoi ou la citation à comparaître devant la juridiction de jugement saisissent cette dernière non de la qualification qui y figure, mais des faits tels qu'ils ressortent des pièces de l’enquête et qui fondent ladite ordonnance de renvoi ou citation. Cette première qualification est provisoire et la juridiction de jugement, même en degré d'appel, a le droit et le devoir, moyennant le respect des droits de la défense, de donner aux faits leur qualification exacte. À cet effet, elle peut adapter, rectifier ou remplacer l'énoncé de la prévention, à condition, ce faisant, de s'en tenir au fait commis, tel qu'il a été déterminé ou visé dans l'acte qui est à l'origine de sa saisine.
D’où il suit qu’une ordonnance renvoyant un inculpé du chef de faits sous une qualification n’équivaut pas à une décision de non-lieu pour les mêmes faits sous une autre qualification.
À cet égard, le moyen manque également en droit.
Et dès lors que, d’une part, la juridiction de fond doit statuer sur tous les faits dont elle est valablement saisie, quels que soient le mode de saisine et la qualification donnée à ceux-ci dans l’acte de saisine, et que, d’autre part, elle ne peut connaître d’autres faits, l’existence d’une double saisine relative aux mêmes faits n’est pas susceptible de causer préjudice au demandeur.
Dans cette mesure, dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les défendeurs contre le demandeur :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
B. Sur les pourvois de H. D., L. C., J-F. P., M. C., Th. M. et M. S. :
En tant qu’ils sont dirigés contre les dispositions de l’arrêt relatives à l’action publique, les pourvois sont irrecevables.
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 1138, 4°, du Code judiciaire, et 193, 196, 213 et 214 du Code pénal, ainsi que de la violation de la foi due aux actes.
Les demandeurs reprochent à l’arrêt de se contredire en relevant, d’une part, que les bordereaux de souscription de parts sociales à partir du 1er octobre 2010, repris aux préventions E, F, G, H et I, sont manifestement des faux et que l'auteur était animé d'une intention frauduleuse qui découle à suffisance du contexte dans lequel ces actes ont été rédigés et de la situation dans laquelle se trouvait la société, incapable d'obtenir des financements bancaires et, d'autre part, que, dans les mêmes période délictueuse, contexte et circonstances, en ce qui concerne les bulletins de souscription de placement et de partenariat financier cette fois (prévention D), les auteurs auraient été de bonne foi. Ils soutiennent également que, de leurs constatations, les juges d’appel n’ont pas pu retenir pareille bonne foi élisive de l’élément moral de l’infraction.
Le moyen critique la décision des juges d’appel d’acquitter le défendeur des faits de la prévention D au motif qu’il existe un doute quant à l’intention frauduleuse qui l’aurait animé.
Mais sans être critiqués sur ce point, les juges d’appel ont estimé qu’il existait également un doute quant à l’existence d’une altération de la vérité dans les bulletins de souscription visés à la prévention.
Ce motif suffisant à justifier la décision d’acquittement du défendeur, le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt.
C. Sur le pourvoi du procureur général :
Sur le premier moyen :
Le demandeur soutient que les juges d’appel ont méconnu l’article 496 du Code pénal, en acquittant les défendeurs des préventions d’escroquerie liées aux bulletins de souscription au partenariat financier de la société B. & Associates, aux motifs, d’une part, que certains intérêts promis ont été payés après la remise des fonds, et, d’autre part, qu’en raison de leur bagage universitaire ou par le recours à leur réseau social, les victimes étaient en mesure d’analyser de manière critique l’offre litigieuse avant d’investir.
Le demandeur estime d’abord que le paiement de certains intérêts, même s’il a lieu postérieurement à la remise des fonds, constituerait, comme cela ressort de déclarations de victimes, des manœuvres visant à les persuader de la sincérité des actes accomplis. Il soutient ensuite que si les manœuvres frauduleuses peuvent perdre leur caractère répréhensible lorsque la victime de l’escroquerie a négligé toute précaution ou vérification utile, il résulte des termes de l’arrêt attaqué qu’en l’espèce, pareil reproche ne pouvait être adressé aux parties civiles. Le demandeur fait ensuite valoir plusieurs circonstances qui, à son estime, auraient dû convaincre les juges d’appel de la prudence des futures victimes.
En tant qu’il critique l’appréciation en fait des juges d’appel ou exige, pour son examen, la vérification d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
Par les motifs rappelés en réponse au moyen des demandeurs II et relatifs à la prévention D de faux et d’usage de faux, les juges d’appel ont estimé qu’il découlait de plusieurs circonstances, énumérées par l’arrêt, que les défendeurs avaient agi de bonne foi.
Renvoyant à ces motifs, les juges d’appel, à la page 61 de l’arrêt, en ont déduit que la bonne foi des défendeurs excluait également l’intention frauduleuse en ce qui concerne les préventions d’escroquerie associées auxdits faux.
Partant, le moyen qui critique les considérations des juges d’appel relatives à l’attitude ou au profil supposé avisé des victimes est dirigé contre des motifs surabondants de l’arrêt.
À cet égard, le moyen est irrecevable.
Sur le second moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 193 et 196 du Code pénal. Il soutient que dans le respect de la sincérité des écrits, les défendeurs n’auraient pu prétendre offrir aux victimes des faux ayant donné lieu à un acquittement les avantages promis.
Ainsi qu’il a été précisé en réponse au moyen des parties civiles, les juges d’appel ont écarté la prévention D relative à ces faux et à leur usage au motif que l’altération de la vérité n’était pas établie.
Dès lors, le moyen qui se borne à critiquer un motif relatif au risque de préjudice découlant des faux imputés aux défendeurs, ne saurait entraîner la cassation.
Dépourvu d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi de S. B. en tant qu’il est dirigé contre la décision qui l’acquitte de certaines préventions ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi et laisse les frais du pourvoi du demandeur sub III à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de mille quatre cent cinquante euros cinquante-huit centimes dont I) sur le pourvoi de S. B. : mille cent vingt-cinq euros soixante-deux centimes dont quarante-huit euros quinze centimes dus et mille septante-sept euros quarante-sept centimes payés par ce demandeur ; II) sur le pourvoi d’H. D. et consorts : deux cent quatre-vingt-deux euros dix-neuf centimes dont neuf euros soixante-cinq centimes dus et deux cent septante-deux euros cinquante-quatre euros payés par ces demandeurs et III) sur le pourvoi du procureur général près la cour d’appel de Mons : quarante-deux euros septante-huit centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, le chevalier Jean de Codt, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Véronique Truillet, avocat général délégué, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.