N° F.22.0091.F
PROXIMUS, société anonyme de droit public, dont le siège est établi à Schaerbeek, boulevard du Roi Albert II, 27, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0202.239.951,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Bonté, 5, où il est fait élection de domicile,
contre
VILLE DE SERAING, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Seraing, en l’hôtel de ville, place communale, 8,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch et Maître Gilles Genicot, avocats à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 19 mai 2021 et 22 septembre 2021 par la cour d’appel de Liège.
Le 6 septembre 2024, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marielle Moris a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Après avoir constaté que « le litige concerne des taxes sur les stations-relais de téléphonie mobile, enrôlées à [la] charge de la [demanderesse], pour l’exercice 2016, sous les articles 000001 à 000026, sur la base d’un règlement adopté le 12 novembre 2013 par [la défenderesse] » et que les avertissements-extraits de rôle relatifs à certaines de ces taxes n’ont pas été déposés, l’arrêt attaqué du 19 mai 2021 ordonne, avant dire droit, la réouverture des débats afin que les parties produisent les avertissements-extraits de rôle manquants.
Cette décision, qui ne prive pas la demanderesse du droit de soulever l’illégalité dudit règlement en raison de la violation alléguée de l’article L3321-6 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, et qui n’empêche pas la cour d’appel de procéder d’office au contrôle de la légalité de ce règlement, ne cause pas grief à la demanderesse.
Le moyen, qui reproche à l’arrêt attaqué de violer l’article 159 de la Constitution et de méconnaître le principe général du droit de la légalité et de la hiérarchie des normes, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
En vertu de l’article L3321-6, alinéa 1er, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, lorsque le règlement de taxation prévoit une obligation de déclaration, la non-déclaration dans les délais prévus par ce même règlement ou la déclaration incorrecte, incomplète ou imprécise de la part du redevable entraîne l’enrôlement d’office de la taxe.
L’article 5 du règlement du 12 novembre 2013 ayant pour objet la taxe sur les stations-relais de téléphonie mobile établies sur le territoire de la défenderesse prévoit que la ville adresse au contribuable une formule de déclaration, dont le modèle est arrêté par le collège communal, qu’il est tenu de renvoyer, dûment remplie et signée, avant l’échéance mentionnée sur ladite formule.
Suivant l’article 6 du même règlement, conformément à l’article L3321-6 du code précité, la non-déclaration dans les délais prévus ou la déclaration incorrecte, incomplète ou imprécise de la part du contribuable, entraîne l’enrôlement d’office de la taxe.
Il suit de l’arrêt attaqué du 22 septembre 2021 que, hormis la taxe enrôlée sous l’article 000026 pour laquelle la cour d’appel a ordonné la réouverture des débats, les taxes litigieuses n’ont pas été enrôlées d’office.
Dès lors que l’article L3321-6 précité, concernant l’enrôlement d’office de la taxe, n’est pas applicable aux taxes sur lesquelles statue ledit arrêt, le moyen, qui fait grief à cet arrêt de violer l’article 159 de la Constitution en n’annulant pas ces taxes en raison de la violation alléguée dudit article L3321-6 par les articles 5 et 6 du règlement du 12 novembre 2013, en ce qu’ils ne prévoient pas les délais dans lesquels la déclaration doit être remise, ne saurait entraîner la cassation, partant, dénué d’intérêt, est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Quant à la première branche et à la deuxième branche, en ses trois rameaux :
La règle de l’égalité des Belges devant la loi contenue dans l’article 10 de la Constitution, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges inscrite dans l’article 11 de la Constitution ainsi que celle de l’égalité devant l’impôt exprimée dans l’article 172 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n’excluent pas qu’une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l’impôt instauré ; le principe d’égalité est également violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Une justification objective et raisonnable n’implique pas que l’autorité publique qui opère une distinction entre des catégories de contribuables comparables doive apporter la preuve que la distinction ou l’absence de distinction aurait nécessairement des effets déterminés.
Il suffit qu’il apparaisse qu’existe ou que peut exister une justification objective et raisonnable de la distinction faite entre ces différentes catégories.
L’arrêt attaqué du 22 septembre 2021 constate que le règlement précité établit une taxe sur les stations-relais de téléphonie mobile installées sur le territoire de la défenderesse, que « le but du règlement […] est, selon son préambule, de procurer à la [défenderesse] ‘les moyens financiers nécessaires à l’exercice de ses missions’ » et que ce dernier exprime « la volonté du législateur communal de créer une taxe à charge de contribuables disposant d’une capacité contributive importante puisqu’il rappelle que le Conseil d’État a déjà jugé que celle-ci était de notoriété publique et que celle-ci ressort par ailleurs des montants payés par les opérateurs pour obtenir leurs licences d’exploitation et des résultats annoncés par l’I.B.P.T. de la mise aux enchères des réseaux 4G, ainsi que des résultats d’exploitation très élevés des opérateurs de téléphonie mobile ».
Il considère que la capacité contributive importante des opérateurs de téléphonie mobile constitue « une justification raisonnable [de la différence de traitement entre les stations-relais de téléphonie mobile et les autres infrastructures similaires] dont la validité n’est pas subordonnée à la démonstration par [la défenderesse] que d’autres opérateurs économiques n’auraient pas une capacité contributive équivalente » et qu’« il n’appartient pas aux juridictions de l’ordre judiciaire de censurer les choix financiers et budgétaires des collectivités politiques, lesquels relèvent de leur pouvoir d’appréciation souverain ».
Par ces énonciations, l’arrêt attaqué justifie légalement et motive régulièrement sa décision que « les motifs repris au préambule [du règlement en cause] justifient la différence de traitement entre les personnes soumises à la taxe et celles qui ne le sont pas et [que] lesdits motifs sont incontestablement exacts, adéquats et pertinents ».
Le moyen, en aucune de ces branches, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Quant aux trois rameaux réunis :
Ainsi qu’il a été dit en réponse aux première et deuxième branches du moyen, l’arrêt attaqué du 22 septembre 2021 considère que la capacité contributive importante des exploitants de stations-relais de téléphonie mobile constitue une justification raisonnable de la différence de traitement entre ceux-ci et les exploitants d’infrastructures similaires.
Il ne considère pas que cette justification raisonnable résulte de la volonté de la défenderesse de limiter la prolifération de stations-relais de téléphonie mobile mais, citant le préambule du règlement-taxe, constate que « le taux de la taxe vise à encourager l’utilisation de structures existantes pour placer » de telles stations-relais.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur la lecture inexacte de l’arrêt attaqué que la volonté de limiter la prolifération de stations-relais de téléphonie mobile constitue une justification objective et raisonnable de la différence de traitement entre ces stations-relais et d’autres infrastructures similaires, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de neuf cents euros soixante et un centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.