N° P.23.1572.F
D. D. N.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers,
contre
K. M.,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 26 octobre 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre pénale sociale.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique :
Sur le premier moyen :
L’arrêt attaqué dit la prévention de harcèlement sexuel au travail établie après avoir constaté que le comportement incriminé, qui était défini, au moment des faits, à l’article 32ter, 3°, ancien de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, est compris dans celui qui est désormais visé à ladite disposition, telle que modifiée par l’article 12, 2°, de la loi du 7 avril 2023 modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, et la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, pour ce qui concerne la protection contre les mesures préjudiciables.
Le moyen reproche à la cour d’appel d’avoir méconnu les droits de la défense dès lors qu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le demandeur a été averti de cette nouvelle qualification.
Selon lui, cette omission a pour conséquence qu’il n’a pas été mis en situation de se défendre sur l’identité, ou non, des éléments constitutifs de l’infraction, suivant qu’il s’agit de l’ancienne et de la nouvelle incrimination.
Lorsqu’il change la qualification des faits dont il est saisi, le juge est tenu, d’une part, de constater que le fait requalifié est le même que celui qui fondait la poursuite et, d’autre part, de veiller à ce que le prévenu soit mis à même de se défendre sur la qualification nouvelle.
Mais le juge ne procède pas à une telle requalification lorsque, après une modification de la loi réprimant les faits de la prévention au moment où ils ont été commis, il constate qu’à la date de la prononciation de la décision, la loi nouvelle punit encore les faits constituant l’infraction dans les mêmes conditions, et applique la loi ancienne.
L’arrêt constate que la nouvelle définition du harcèlement sexuel englobe les mêmes comportements que précédemment, et il relève que les faits visés à la prévention étaient, au moment de leur commission, réprimés par l’article 32ter, 3°, de la loi du 4 août 1996 et le sont encore de la même façon après la modification de cette disposition par la loi du 7 avril 2023.
Ayant ainsi constaté que la modification légale n’a pas eu d’incidence sur la qualification des faits, les juges d’appel n’étaient pas tenus d’inviter le demandeur à se défendre sur ce point.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 2 du Code pénal et 12, 2°, de la loi du 7 avril 2023 modifiant la loi du 10 mai 2007.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de considérer que la nouvelle définition du harcèlement sexuel englobe les mêmes comportements que ceux réprimés précédemment.
Selon le demandeur, l’article 32ter, 3°, dans sa version issue de la loi du 7 avril 2023, est une norme plus douce dès lors qu’elle exige désormais le cumul entre le comportement qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et celui qui crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, alors que l’ancienne version de cette disposition se satisfaisait d’une alternative quant aux effets du comportement du prévenu.
Le moyen soutient qu’en ne percevant pas de différence de répression entre ces deux versions, l’arrêt viole les dispositions légales invoquées. Il allègue également qu’à la suite de cette confusion, il est incertain si la cour d’appel a vérifié la présence de tous les éléments constitutifs de l’infraction, tels que prévus dans la nouvelle version.
L’article 32ter, 3°, précité, tel que modifié, dispose que, pour l’application de la loi, on entend par harcèlement sexuel au travail tout comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, et qui a pour objet et pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne, et en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
En désignant, en particulier, la création d’un tel environnement, l’article 32ter, 3°, nouveau se borne à énoncer, sur le mode exemplatif, plusieurs hypothèses d’atteinte à la dignité humaine.
En tant qu’il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Il ressort du jugement entrepris, aux motifs duquel l’arrêt se réfère, que les comportements reprochés au demandeur consistent, notamment, à
- s’être régulièrement positionné de façon à limiter fortement la largeur du passage dans son bureau lorsque la plaignante quittait ce lieu, ce qui l’obligeait à frôler le demandeur ;
- avoir insisté pour que la plaignante lui montre un piercing sur la langue en la prévenant qu’il la harcèlerait tant qu’il ne l’aurait pas vu ;
- avoir répondu, à la gêne exprimée par la plaignante lorsqu’il se trouvait derrière elle, que c’était bien pour cela qu’il le faisait et qu’il continuerait à le faire ;
- avoir mimé un acte sexuel derrière la plaignante qui s’était baissée pour déposer une poubelle, le pantalon du demandeur touchant celui de la plaignante ;
- avoir profité du moment où la défenderesse le saluait pour toucher ses fesses.
L’arrêt énonce que la nouvelle définition du harcèlement sexuel englobe les mêmes comportements que ceux visés précédemment.
Par adoption des motifs du premier juge, l’arrêt considère que le harcèlement sexuel comprend des remarques équivoques ou insinuantes et des frôlements présentés comme accidentels, et il décide que les agissements rapportés par la défenderesse sont constitutifs de ladite infraction. Il ajoute que le récit de la défenderesse est crédible dès lors qu’il est corroboré par les éléments du dossier et que le caractère volontaire du comportement harcelant du demandeur est conforté par la circonstance qu’il a donné l’impression de disposer, en tant que juriste, d’un pouvoir de décision au sein de la clinique où la défenderesse travaillait.
Par ces considérations, qui constatent les éléments constitutifs de l’infraction, l’arrêt justifie légalement sa décision.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen soutient qu’en se bornant à confirmer le jugement entrepris qui déclare la prévention établie telle qu’elle est libellée à la citation, l’arrêt viole l’article 2, alinéa 2, du Code pénal qui impose l’application rétroactive de la loi nouvelle plus douce.
Réitérant le grief vainement invoqué à la première branche, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par la défenderesse contre le demandeur, statue sur
1. le principe de la responsabilité :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
2. l’étendue du dommage :
L’arrêt confirme le jugement entrepris qui alloue à la défenderesse un montant provisionnel de mille euros et ordonne une expertise, et il renvoie la cause au premier juge.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et elle est étrangère aux cas visés à l’alinéa 2.
Le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent sept euros trente et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.