N° P.24.1367.F
E. D.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Julien Hardy et Justine Doigni, avocats au barreau de Bruxelles, le premier ayant son cabinet à Schaerbeek, rue Général Eenens, 15, où il est fait élection de domicile,
contre
ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d’Etat à l’Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 13 septembre 2024 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
Le premier avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen reproche à l’arrêt de violer l’article 149 de la Constitution parce qu’il ne répond pas aux conclusions du demandeur dans lesquelles il soutenait que l’ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d’éloignement du 21 août 2024 ne respecte pas l’article 51/4, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, au motif qu’il est rédigé en néerlandais et non dans la langue qui a été employée pour l’examen de la demande de protection internationale, en l’espèce le français. Le demandeur fait valoir que la motivation de l’arrêt attaqué, qui énonce, en se référant à l’arrêt de la Cour numéro P.21.0819.F ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210630.2F.11 du 30 juin 2021, que l’obligation de rédiger l’ordre de quitter le territoire dans la même langue que celle de la décision de refus de séjour ne s’applique pas lorsque l’étranger persiste à demeurer irrégulièrement sur le territoire, ne répond pas à ses conclusions puisque cet arrêt de la Cour se prononce sur l’application d’une autre disposition légale, à savoir l’article 41, § 1er, de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Selon le moyen, les juges d’appel devaient répondre au moyen fondé sur l’article 51/4, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980, lequel prescrit spécifiquement en ce qui concerne la procédure d’octroi de la protection internationale que la langue de l’examen de la demande de cette protection doit également être celle des « éventuelles décisions subséquentes d’éloignement du territoire ». Selon le demandeur, cette disposition impose que toute décision d’éloignement subséquente à celle de refus de la demande de protection internationale soit rédigée dans la même langue que celle dans laquelle cette décision de refus a été établie.
A titre subsidiaire, le moyen fait valoir que, dans la mesure où les motifs précités de l’arrêt répondent implicitement à l’argumentation fondée sur la violation de l’article 51/4, § 1er, précité, les juges d’appel ont, en toute hypothèse, violé cette disposition puisque le demandeur a choisi le français pour l’examen de sa demande de protection internationale et que l’actuelle décision d’éloignement avec maintien, qui se réfère à la décision de refus de la protection internationale et à la précédente décision d’éloignement prise à la suite de celle-ci, est bien, contrairement à ce que l’arrêt attaqué affirme, une « décision subséquente » au sens dudit article et qu’elle devait par conséquent être établie en français.
2. L’article 51/4, § 1er, de la loi 15 décembre 1980 dispose :
« L'examen de la demande de protection internationale a lieu en français ou en néerlandais.
La langue de l'examen est également celle de la décision à laquelle il donne lieu ainsi que des éventuelles décisions subséquentes d'éloignement du territoire. »
3. Cette disposition légale a été insérée dans la loi du 15 décembre 1980 par l’article 2 de la loi du 10 juillet 1996 modifiant cette loi.
Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 10 juillet 1996 que, en visant les « décisions subséquentes d’éloignement du territoire », le législateur a entendu régler l’emploi des langues pour les décisions d’éloignement qui sont la conséquence directe du refus d’octroi de la protection internationale, et non pour toutes les décisions d’éloignement qui sont simplement postérieures à ce refus.
Lorsque l’autorité compétente constate que l’étranger, après s’être vu refuser le statut de protection internationale et avoir fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire subséquent à ce refus, persiste à demeurer irrégulièrement sur le territoire, la décision d’éloignement prise par cette autorité n’est pas la conséquence directe du refus d’octroi de la protection internationale mais résulte de la persévérance de l’étranger à séjourner illégalement dans le Royaume.
Dans ce cas, la disposition légale précitée n’impose pas à l’autorité administrative d’établir la nouvelle décision d’éloignement dans la même langue que celle qui a été employée pour la procédure d’examen de la demande de protection internationale et pour la décision d’éloignement prise à la suite du refus de celle-ci.
En tant que, à titre subsidiaire, il soutient que toute décision d’éloignement postérieure au rejet de la demande de protection internationale doit être rédigée dans la même langue que celle dans laquelle cette décision de rejet et la décision d’éloignement subséquente ont été établies, même lorsque la décision d’éloignement postérieure n’en est que la conséquence indirecte parce que l’étranger persiste à demeurer illégalement sur le territoire, le moyen manque en droit.
4. Il ressort de l’arrêt, et le demandeur expose dans son mémoire, que
- le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté, le 14 septembre 2021, le recours du demandeur contre la décision, établie en français, de refus d’octroi de la protection internationale par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides,
- le demandeur a introduit le 14 octobre 2021, en français, une demande de séjour en application de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 ; cette demande a été définitivement rejetée par un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers, rendu en français le 5 septembre 2023,
- le 25 octobre 2023, le demandeur a fait l’objet d’un « ordre de quitter le territoire - demandeur de protection internationale » rédigé en français, suivi d’un arrêt du 21 mai 2024 de la juridiction administrative précitée rejetant le recours introduit contre cette décision,
- le 20 août 2024, le demandeur a été interpellé à l’occasion d’un contrôle routier, et l’Office des étrangers a pris à son égard, le 21 août 2024, un ordre de quitter le territoire assorti d’une décision de rétention au centre fermé pour illégaux de Bruges ; cette décision est rédigée en néerlandais.
5. A supposer que le moyen, en tant qu’il invoque la violation de l’article 149 de la Constitution, soit fondé parce que, en s’étant référée à un arrêt de la Cour qui se prononce sur la violation alléguée d’une autre disposition légale que celle invoquée par le demandeur, la chambre des mises en accusation n’aurait pas répondu aux conclusions du demandeur, celle-ci a légalement justifié sa décision en ayant considéré que « en l’espèce, l’ordre de quitter le territoire assorti d’une mesure de rétention fait suite au constat que l’étranger persiste à demeurer irrégulièrement sur le territoire malgré un refus de séjour », que « dans semblable hypothèse, la césure chronologique ainsi inférée par cette persévérance illicite confère une autonomie suffisante à la nouvelle mesure de maintien pour ne pas exiger l’emploi de la même langue que celle de la procédure administrative qui a été clôturée », que « la consultation du dossier permet de constater que la dernière procédure administrative tendant à l’octroi d’un droit de séjour a pris fin suite à l’ordre de quitter le territoire du 25 octobre 2023 » et qu’« il s’ensuit que la nouvelle mesure de maintien, prise le 21 août 2024, ne devait pas respecter l’usage de la langue choisie pour la procédure administrative définitivement close ».
Dans cette mesure, dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Sur le second moyen :
6. Le moyen invoque la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 149 de la Constitution.
Le demandeur soutient que, en ayant considéré que, « hormis renseigner l’existence de membres de sa famille (voir notamment le formulaire d’audition, question 8 et sa réponse), aucune information particulière ne permet de considérer que des circonstances exceptionnelles seraient susceptibles d’interdire la mise en œuvre de l’éloignement de l’étranger, celui-ci ayant épuisé les différentes procédures administratives qu’il a initiées », les juges d’appel n’ont pas pris en compte tous les éléments relatifs à sa vie privée et familiale et aux liens de dépendance renforcés avec sa mère et sa sœur, éléments qui sont repris dans le dossier administratif et ont été invoqués dans les conclusions d’appel.
Le moyen critique l’appréciation en fait des juges d’appel et exige, pour son examen, une vérification des éléments de fait de la cause pour laquelle la Cour est sans pouvoir.
Le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante et un euros un centime dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs, Ignacio de la Serna, conseillers, et Sidney Berneman, conseiller honoraire, magistrat suppléant, et prononcé en audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, premier avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.