Cour suprême du Canada
Imperial Oil Ltd. c. Nadeau, [1965] S.C.R. 534
Date: 1965-05-17
Imperial Oil Limited (Défenderesse) Appelante;
Et
Jean-Louis Nadeau Et Al. (Demandeurs) Intimés.
1965: 10 mars; 1965: 17 mai.
Coram: Le Juge en Chef Taschereau et les Juges Fauteux, Abbott, Ritchie et Hall.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement du Juge Cousineau. Appel rejeté.
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L. P. de Grandpré, C.R., pour la défenderesse, appelante.
Jacques Leduc, C.R., et Paul-Émile Ally, C.R., pour les demandeurs, intimés.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE EN CHEF: — Il s'agit d'appels de jugements rendus par M. le Juge Cousineau de la Cour supérieure de Québec, District de Québec. La Cour d'Appel[2] a confirmé ces jugements en vertu desquels Imperial Oil Limited a été condamnée à payer les montants suivants:
Jean-Louis Nadeau
$45,000
Federated Mutual Implement & Hardware Insurance Co
60,000
René Nadeau
23,000
Léo Boisclair
9,000
Tous ces montants sont suffisants pour donner juridiction à la Cour suprême du Canada d'entendre le présent appel, mais, en ce qui concerne Léo Boisclair, comme il ne s'agit que d'un montant de $9,000, une permission spéciale d'appeler a été accordée à Imperial Oil Limited.
Les faits sont les suivants: Le 6 janvier 1959, un camion-citerne, propriété de l'appelante, et conduit par son employé, Marcel Lefebvre, a livré de la gazoline au garage Nadeau, à Pierreville, dans la province de Québec. A son arrivée au garage, Lefebvre a mesuré le nombre de gallons de gazoline qui étaient contenus dans les réservoirs du garage, et il trouva que dans les réservoirs nos 1 et 2 il pouvait livrer 2,500 gallons de gazoline nouvelle.
Le remplissage n° 1 du garage fut fait avec un boyau auquel était attaché un joint automatique, connu sous le nom de "fast filling", qui ne permettait pas à un surplus de gazoline de pénétrer dans le réservoir. Le boyau destiné à remplir le réservoir n° 2 du garage était équipé de façon différente. II n'y avait pas de "fast filling joint" et pouvait permettre à un surplus de gazoline de pénétrer dans le réservoir, dans certains cas, à moins que ne se présente l'intervention d'une personne pour discontinuer son opération.
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A un certain moment, pendant que le réservoir n° 1 recevait la gazoline venant du camion, la gazoline destinée au réservoir n° 2 a refoulé et s'est répandue dans la neige qui se trouvait dans les environs, à côté du garage, et a évidemment pénétré dans la cave du garage où une explosion s'est produite. On évalue la quantité de gazoline ainsi entrée dans la cave entre 50 et 75 gallons.
Cette quantité de gazoline qui s'est ainsi répandue occasionna la mise en opération d'une pompe automatique située dans un puits pratiqué dans le plancher. Cette pompe servait à déverser l'eau qui pouvait, à l'occasion, pénétrer dans la cave, et, évidemment, dans ce puits s'est infiltrée la gazoline qui s'est échappée. Lorsque la pompe électrique, à cause de l'infiltration de cette gazoline et l'élèvement du niveau liquide dans le puits, s'est mise à fonctionner automatiquement, une étincelle s'est produite et c'est ce qui provoqua apparemment une explosion et causa les dommages mentionnés ci-dessus et qui ne sont pas contestés.
L'honorable Juge Cousineau, qui a entendu la cause en première instance, est arrivé à la conclusion que le préposé de l'appelante, Lefebvre, s'est trompé quand il a mesuré quelle quantité additionnelle d'essence le réservoir pourrait contenir. Comme il l'a dit lui-même dans son témoignage:
Q. Le réservoir n° 2, dans votre opinion, il s'est rempli?
R. Oui, pour que ça renverse il faut qu'il soit rempli. II renversait parce qu'il était trop plein.
Ceci est la première faute que le juge de première instance a retenue pour établir la responsabilité de l'appelante, et, en second lieu, le juge ajoute que Lefebvre n'était pas prés des valves de son camion au moment où la gazoline a commencé à se déverser.
Le Cour d'Appel n'a pas trouvé que Lefebvre s'était trompé en prenant les mesures, mais a été d'avis, avec le juge au procès, que Lefebvre aurait dû être en position de fermer immédiatement les valves quand le surplus s'est déversé dans la neige, et a pénétré dans le sous-sol du garage.
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Je n'ai pas d'hésitation à retenir l'imprudence de Lefebvre. Et, parce qu'il était dans l'exercice de ses fonctions, sa négligence entraîne la responsabilité de l'appelante.
II est évident que les employés des compagnies d'huile, qui livrent ainsi de l'essence à leurs clients, doivent être vigilants, attentifs et exercer une prudence qui élimine autant que possible tout risque d'accident comme celui qui s'est produit dans le cas qui nous occupe. La Cour a été saisie à maintes reprises de causes de cette nature et la règle est toujours demeurée invariable. Ainsi, dans Larocque v. Côté[3] , cette Cour a confirmé la décision de la Cour du banc, de la Reine[4] , où l'honorable Juge Owen s'exprimait de la façon suivante:
In my opinion the ordinary rule of prudence required that Larocque (le livreur) remain at the connection to watch that the delivery proceeded normally and in the event of any blockage or overflow to be in a position to close the valve promptly. Larocque's failure to stay at the valve during delivery constituted negligence.
Ainsi, également, dans une cause assez récente, The Great Eastern Oil and Import Co., Ltd. v. Frederick Best Motor Assessories Co., Ltd.[5] , (1962) R.C.S. 118, cette Cour a décidé que le livreur d'huile ne demeurant pas auprès du tuyau des réservoirs et de la soupape du boyau conduisant au camion-citerne constituait une négligence. Les faits de cette cause sont très identiques à ceux du présent litige.
Je ne vois aucune raison de décider autrement. Je pense que l'explosion a résulté de la faute unique du préposé de la défenderesse-appelante et que les causes de cette explosion, qui a causé les dommages réclamés, sont le renversement de l'essence et le défaut de fermer la soupape des réservoirs.
II s'agit d'une question de faits. Le juge au procès et la Cour d'Appel unanimement ont trouvé qu'il y a eu négligence de la part de Lefebvre et je ne vois pas comment cette Cour peut intervenir. Je ne trouve rien dans la preuve qui pourrait justifier l'argument de l'appelante que le lien de causalité a été brisé par l'inaction du demandeur Nadeau.
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Je suis d'opinion que les appels doivent être rejetés avec dépens.
Appels rejetés avec dépens.
Procureurs de la défenderesse, appelante: Tansey, de Grandpré, de Grandpré, Bergeron & Monet, Montréal.
Procureurs des demandeurs, intimés, J. L. Nadeau et L. Boisclair: P. E. Ally, Sorel.
Procureurs des demandeurs, intimés, Federated Mutual Implement et Hardware Insurance Co.: Birtz, Leduc & Durand, Montréal.
Procureurs du demandeur, intimé, R. Nadeau: Nantel, Mercure, Surprenant & Poliquin, Montréal.
[1] [1964] B.R. 834.
[2] [1964] B.R. 834.
[3] [1962] R.C.S. 632, 36 D.L.R. (2d) 228.
[4] [1961] B.R. 583.
[5] [1962] R.C.S. 118, 46 M.P.R. 229, 31 D.L.R. (2d) 153.