Cour supreme du Canada
Jutras v. Ministre de la Voirie de Québec, [1966] S.C.R. 732
Date: 1966-06-28
Lorenzo Jutras Appelant;
et
Le Ministre de la Voirie de la province de Québec et le Procureur Général de la province de Québec Intimés.
1966: 14 février; 1966: 28 juin.
Coram: Le Juge en chef Taschereau et les Juges Fauteux, Abbott, Judson et Spence.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[2], confirmant un jugement de la Cour supérieure homologant une décision de la Régie des Services publics. Appel rejeté, le juge en chef Taschereau et le Juge Spence étant dissidents.
Jacques Marquis et Cyrille H. Goulet, pour l'appelant.
André Vigeant et Marcel Nichols, pour les intimés.
Le jugement du Juge en chef Taschereau et du Juge Spence fut rendu par
LE JUGE EN CHEF (dissident): — Il s'agit dans cette cause de procédures en expropriation intentées par le Ministre de la Voirie de la province de Québec. Ce dernier, représentant Sa Majesté au droit de la province, veut faire déterminer par les tribunaux le montant auquel a droit l'exproprié pour la partie de terrain dont s'est emparé le Gouvernement, et les dommages qui résultent de cette expropriation.
Lorenzo Jutras, l'appelant, dont une partie de la terre fut ainsi expropriée, est un cultivateur de Ste-Eulalie, cté de Nicolet, où il est propriétaire d'une ferme portant le n° P-92 de la paroisse ci-dessus mentionnée. M. Jutras a acquis cette terre avec tous ses bâtiments vers 1960, pour une somme d'environ $6,000. Ce prix ne comprenait pas le roulant, mais l'acquéreur a fait des améliorations dont la valeur ne nous est pas révélée. Le vendeur était un M. Armand Désilets qui, malade, était incapable de cultiver la terre depuis quatre ou cinq ans, c'est-à-dire depuis 1954 ou 1955. Au cours du mois de septembre 1961, le Ministre de la Voirie, pour les fins de la construction de la Route transcanadienne de Québec à Montréal, a donné avis à l'appelant qu'il voulait acquérir une partie de son terrain, soit 43,120 pieds carrés, équivalent à un arpent et cent soixante-douze (1.172) millièmes carrés plus ou moins, mesure
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anglaise. La nouvelle route 9, pour la construction de laquelle était requise une partie de la terre de l'appelant, était grevée d'une servitude de « sans accès », mais on accordait à la partie restante du lot 92 une servitude réelle de passage sur le chemin de desserte longeant parallèlement la ligne de « sans accès ».
La maison de l'appelant est située sur le terrain exproprié, mais la grange, la porcherie et le hangar sont situés au sud de la résidence de l'appelant à une distance d'environ cinquante pieds de l'ancienne route. Il s'agit donc de déterminer la valeur du terrain dont l'appelant est privé, le coût de déplacement de la maison d'habitation et l'indemnité à laquelle l'appelant peut avoir droit pour les dommages ou inconvénients qui résultent de la désorganisation de sa ferme et du déménagement possible de certains de ses bâtiments.
Devant la Régie des Services Publics l'exproprié a réclamé la somme de $23,865.90 et le Ministre de la Voirie lui a offert $7,235, montant qui a été refusé. La Régie lui a accordé $7,490.70 en compensation de la valeur du terrain exproprié et de tous les dommages résultant de cette expropriation. Voici le détail de l'indemnité accordée:
Valeur du terrain exproprié (1.172 arpents)
$ 117.20
3,600 pieds de gazon à 0.05 cts le pied carré
180.00
Parterre, jardin et jardinage
353.00
Entretien de deux entrées
50.00
Perte de 5 érables, 4 pommiers, 3 peupliers,
2 ormes
125.00
Clôtures
100.00
Troubles et ennuis
150.00
Déplacement des bâtisses —
Maison
4,190.50
Porcherie et hangar
600.00
Grange
1,625.00
$7,490.70
Expertise
300.00
$7,790.70
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La Cour du banc de la reine[3] a confirmé cet arrêt des régisseurs. MM. les Juges Badeaux et Rivard, qui ont enregistré leur dissidence, auraient maintenu l'appel et accordé une somme additionnelle de $5,150.
La plupart des montants accordés spécifiquement par la Régie ne sont pas contestés, et ne pouvaient pas l'être sérieusement. Ainsi, les indemnités dont bénéficie l'appelant exproprié, qui ont été justement accordées et dont personne ne se plaint, sont les suivantes: Valeur du terrain exproprié; 3,600 pieds de gazon à 0.05 cts le pied carré; parterre, jardin et jardinage; entretien de deux entrées; perte de 5 érables, 4 pommiers, 3 peupliers, 2 ormes; clôtures; troubles et ennuis.
Il reste done les frais de déplacement des bâtisses, soit la maison, résidence de M. Jutras, la grange, la porcherie et le hangar. Il est important de ne pas oublier que la terre de M. Jutras était une terre bien organisée. Dans la province de Québec, comme ailleurs, l'harmonie, la coordination des constructions ne s'improvisent pas chez le cultivateur, et le hasard n'a rien à voir à la disposition des bâtiments. On ne peut pas, sans causer de graves inconvénients et de substantiels dommages, changer le site des bâtiments que l'expérience a désigné. Avant d'organiser une ferme, il faut tenir compte de bien des facteurs: on doit prendre en considération quels sont les vents dominants dans la région, afin d'éviter à la maison les odeurs fétides et nauséabondes venant des granges et des porcheries; il faut également assurer aux résidents de la ferme un accès facile à la route ainsi qu'au reste de la terre. Il faut que les animaux broutent sans être trop près des maisons, et les vaches doivent paître dans les endroits les plus favorables. Tout cela demande un plan, une vue d'ensemble, une disposition générale, qui, lorsque réussis, comme dans le cas qui nous occupe, donnent une valeur accrue à un bien rural.
A l'origine, lors de l'établissement de la ferme de M. Jutras, il a fallu tenir compte de la situation de la route, de l'endroit où devaient être placés les bâtiments, de façon à faciliter l'exploitation efficace de la terre, et lui donner un meilleur rendement.
L'expropriation cause à l'appelant de sérieux ennuis. Il est clair qu'il faudra déplacer la maison de l'appelant. Elle
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est située sur l'assiette même de la route transcanadienne, et il est nécessaire de la reculer à une distance de près de cent pieds de l'endroit où elle se trouve actuellement. Pour accomplir ce travail la régie a accordé la somme de $4,190.50, mais à l'audience et dans son factum, l'appelant a dit qu'il ne contestait pas ce montant, et il s'en est déclaré satisfait.
Sur un plan parallèle à la route, la grange, la porcherie et le hangar sont situés à l'arrière de la maison et ont été disposés rationnellement en fonction de l'exploitation agricole. La Régie a accordé à l'exproprié la somme de $1,625 pour le réaménagement de la grange. La Régie a cru que l'exproprié en dépensant ce montant offert par le ministère de la Voirie pourrait rendre sa grange et son puits aussi avantageusement utilisables avant qu'après l'expropriation. Ce montant accordé n'est pas généreux, mais, étant donné que la Cour d'Appel a unanimement (même les juges dissidents) cru que ce montant était satisfaisant, je pense qu'il n'y a pas lieu pour cette Cour d'intervenir.
Du montant total accordé par la Régie, on ne trouve que la somme de $600 pour compenser l'exproprié des dommages occasionnés par le déplacement de la porcherie et du hangar. Les régisseurs croient que ces deux bâtiments ont peu de valeur, mais je suis d'opinion que ce montant est manifestement trop bas, et sur ce point je m'accorde avec les deux juges dissidents de la Cour d'Appel, MM. les Juges Badeaux et Rivard.
Quand le Ministre de la Voirie a décidé de prendre les présentes procédures en expropriation, il s'est autorisé de l'art. 1066 du Code de Procédure civile de la province de Québec. Le paragraphe (x) de cet article dit que le Ministre peut, dans la description de l'immeuble exproprié ou par avis écrit donné à l'exproprié, déclarer qu'il n'entend pas acquérir certaines constructions se trouvant sur le terrain requis, mais obliger l'exproprié à les déplacer. L'exproprié doit, en ce cas, effectuer le déplacement dans les trente jours de l'avis qui lui est donné par lettre recommandée, à moins que sur requête, la Régie n'en ordonne autrement. Si les travaux de déplacement ne sont pas entrepris dans les quinze jours de l'avis ou terminés dans le délai voulu, le Ministre peut les faire effectuer et placer les constructions sur le terrain de l'exproprié à l'endroit le plus commode.
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Le Ministre n'a pas jugé à propos d'exproprier la terre en totalité, mais il a préféré ordonner le déplacement de certaines bâtisses, dont la maison avec annexes, et le hangar. Il doit donc payer les frais de déplacement même s'ils sont supérieurs au coût total de la terre. Ceci peut paraître un peu paradoxal, mais je n'y vois aucune contradiction. La Régie, comme la Cour d'Appel, l'ont bien compris et ont admis le principe. L'exproprié a payé pour l'ensemble de sa terre la somme d'environ $6,000 et la Régie lui a accordé au-delà de $7,500 pour les dommages causés.
Mais, dans le cas qui nous occupe, le critère qu'il faut appliquer et qui permettra de déterminer le montant qui doit être accordé, n'est pas le prix payé pour la ferme, mais bien le montant qui devra être dépensé pour la remettre dans l'état où elle était avant l'expropriation. Il est facile de voir que ce dernier chiffre peut être supérieur au premier. En effet, il faut démolir, transporter les matériaux et reconstruire de nouveau. Il faut réorganiser le système d'aqueduc, le système d'eau, niveler les terrains, déplacer les clôtures pour les replacer ailleurs, etc. Il faut pratiquement faire le travail en double. Je ne puis donc accepter l'argument que l'exproprié ne peut obtenir davantage parce qu'il a déjà obtenu plus qu'il n'a payé pour toute la terre.
L'intimé a choisi la façon dont devait s'engager et se plaider le litige. Par ses procureurs, il a, le 18 septembre 1961, fait déposer au Bureau d'enregistrement du comté de Nicolet un plan général montrant les terrains requis pour l'expropriation de la route transcanadienne à Ste-Eulalie avec un estimé global des indemnités. Cet estimé comprend le prix des terrains requis, l'achat des bâtisses ainsi que tous les dommages résultant de l'expropriation, comme le mentionne le certificat du Registrateur.
Le 27 septembre de la même année, l'officier en loi du ministère de la Voirie écrivait à l'exproprié pour l'informer que le dépôt du plan fait au bureau du Registrateur avait pour effet de transporter au Ministre la propriété de partie de l'immeuble P-92, et pour l'aviser également qu'il recevrait dans un bref délai un nouvel avis disant quel était le montant que désirait lui offrir l'intimé pour le terrain requis, ainsi que pour tous les autres dommages résultant de l'expropriation. On ajoutait dans cette lettre que s'il était nécessaire de déplacer des bâtisses, M. Jutras en serait avisé
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plus tard. Près d'un an après, soit le 19 juillet 1962, on écrivit de nouveau à l'appelant pour lui dire qu'il lui faudra déplacer la maison avec annexes et le hangar.
L'intimé, dans son factum, soutient que le Ministre ne peut être tenu de payer les frais de déplacement que des bâtiments dont il a requis le changement de site. (C.P.C. 1066x) (vide lettre du 19 juillet 1962). M. Nichols, avocat conseil du Ministre, a surtout insisté sur ce point dans sa plaidoirie.
Ceci ne pourrait affecter que la porcherie, car l'intimé a demandé seulement le déplacement de la maison et du hangar. En ce qui concerne la grange, la Régie n'a accordé que des dommages au montant de $1,625, malgré que dans son offre détaillée du 17 avril 1963, l'intimé n'offre rien pour la grange. La Régie a accordé un montant global de $600 pour la porcherie et le hangar, deux bâtiments qu'il faut nécessairement déplacer pour que cette terre soit exploitée avec profit. La raison est facile à comprendre, car si on déplace la maison, comme il est essentiel de le faire, et on la transporte au nord de la route nouvelle, il sera nécessaire de déplacer plus au nord les bâtiments qui se trouvent actuellement à vingt-cinq ou trente pieds de la route transcanadienne.
M. Dorval, expert entendu devant la Régie, dit que la situation des lieux ne permet pas le déplacement de la maison résidentielle sans envisager forcément le déplacement de l'ensemble des autres bâtisses sur une distance d'environ cent pieds, afin de remettre M. Jutras dans le même état qu'avant l'expropriation. Évidemment, à moins que ce recul ne soit effectué, il n'y a aucune place pour reculer la maison vers le nord, mais l'intimé a requis qu'on déplace le hangar seulement afin de trouver un endroit voulu pour y placer la maison. C'est bien M. Sylvio Hudon, expert de l'intimé expropriant, qui nous dit dans son témoignage que vu qu'il fallait déplacer la maison, le ministère a pensé de trouver un site convenable à l'exproprié et on a décidé de lui octroyer une indemnité pour le déplacement du hangar, et il ajoute que c'est en vue de trouver un endroit convenable pour la maison qu'il faut nécessairement déplacer le hangar.
Avec ce plan, conçu par les experts de l'intimé, la maison sera voisine de la porcherie avec ses habitants peu
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enviables et avec quarante bêtes à cornes qui logent dans l'étable. Il est clair qu'on n'y a pas pensé et qu'on n'a pas voulu suggérer à M. Jutras de violer la loi, car aucune porcherie ne peut, en vertu d'un règlement d'hygiène (Arrêté-en-conseil du 12 février 1944) être construit à moins de cent cinquante pieds d'une maison d'habitation au sous peine d'une amende de vingt dollars par jour. Il faudra donc reculer la porcherie et le hangar pour y placer la maison et pour effectuer ce travail la Régie n'a accordé que la somme de $600.
A mon avis, ce montant est manifestement insuffisant. Il s'agit d'une porcherie de bonnes dimensions, construite sur des fondations en béton et sur lesquelles repose un plancher également en béton. Si l'indemnité pour reculer le hangar est de $200 environ, comme je crois qu'elle doit l'être, il ne resterait que $400 pour reculer la porcherie. Ceci ne serait pas même suffisant pour payer le ciment nécessaire pour faire des fondations nouvelles à cent cinquante pieds de la maison d'habitation.
S'il est vrai que l'intimé n'est pas tenu de payer les frais de déplacement de la porcherie, parce que le Ministre n'a pas requis qu'elle soit déplacée, il doit tout de même payer les dommages qui résultent de l'expropriation, et ces dommages sont, à mon avis, égaux au coût du déplacement. C'est ainsi qu'on l'a compris au procès. Les experts de l'intimé ont reconnu que la porcherie subissait des dommages, de même que la Régie et la Cour d'Appel qui ont accordé pour cet item et le hangar la somme de $600.
Je crois donc que ce montant de $600 accordé pour la porcherie et le hangar n'est pas suffisant. Qu'il s'agisse de déplacer la porcherie ou de dommages causés à l'appelant par suite de l'expropriation, je suis d'opinion que le montant proposé par l'expert Lemieux et accepté par MM. les Juges Badeaux et Rivard devrait être ajouté à l'indemnité accordée par la Régie.
En conséquence, je maintiendrais l'appel et j'accorderais, en outre du montant fixé par la Régie, une somme additionnelle de $5,150. L'appelant aura droit aux frais encourus devant toutes les Cours.
Le Juge Judson souscrit au jugement rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — Le 23 mars 1960, Lorenzo Jutras acheta, dans la région de Ste-Eulalie, comté de Nicolet, une
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ferme de 158 arpents, payant, pour le terrain et les modestes bâtiments y érigés, un prix de $5,714.07. Dix-huit mois plus tard, le ministère de la Voirie expropria, aux fins de la construction de la route transcanadienne, une lisière de ce terrain, ayant une superficie de moins de un pour cent de la superficie totale de la terre. Érigée sur cette lisière, la maison de Jutras dut évidemment être déplacée et dès lors on envisagea comme conséquence la nécessité de réaménager ou déplacer les autres bâtiments de la ferme, soit grange, porcherie et petite remise, tous situés à une certaine proximité de la lisière expropriée. Pour cette parcelle de terrain, réaménagement, déplacement et autres item de peu d'importance, le ministère de la Voirie offrit à l'exproprié une indemnité de $7,235 alors que ce dernier réclamait $23,865.90. La détermination de l'indemnité fut donc référée à la Régie des Services publics. Après avoir vu et entendu les témoins de part et d'autre, s'être rendus sur les lieux et les avoir visités, les membres de la Régie accordèrent à l'appelant une indemnité de $7,490.70 « … pour lui tenir lieu de la valeur du terrain exproprié et de tous les dommages résultant de l'expropriation… ». Jutras en appela. Il demanda à la Cour d'Appel d'ajouter $5,750 à la somme de $600 accordée pour le déplacement de la porcherie et de la petite remise. Il demanda également d'ajouter $7,500 à la somme de $1,625, — somme qui lui avait été accordée pour le réaménagement de la grange, — prétendant que celle-ci devait être déplacée plutôt que d'être réaménagée. Par une décision majoritaire, — la majorité étant formée de messieurs les juges Hyde, Taschereau et Owen, — la Cour d'Appel[4] confirma l'ordonnance de la Régie. Dissidents, messieurs les juges Badeaux et Rivard furent d'avis que la réclamation de l'appelant relative à la porcherie était justifiée; ils auraient, quant à cet item seulement, modifié l'ordonnance et accordé un montant additionnel de $5,150. Jutras en appelle maintenant à cette Cour.
C'est la prétention de Jutras, basée particulièrement sur l'opinion de son témoin, Guy Hamel, qu'il ne suffit pas de faire des modifications à la grange, mais qu'il faut la déplacer comme les autres bâtiments. Et il invoque le témoignage d'un autre de ses témoins, soit George
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Lemieux, qui se décrit comme « entrepreneur et spécialiste en déménagement de maisons », suivant qui, le coût de déplacement de tous ces bâtiments s'élèverait à $14,575 détaillé comme suit:
Pour la grange
$ 7,500.00
Pour la porcherie
5,300.00
Pour la remise
450.00
Imprévus (10%)
1,325.00
Total
14,575.00
Une lecture attentive des témoignages de Guy Hamel et de Georges Lemieux justifie, je crois, le bien-fondé des commentaires défavorables faits à leur égard par les juges de la majorité en Cour d'Appel. A l'instar de ces derniers, je ne m'étonne aucunement que les membres de la Régie, qui, outre d'avoir eu l'avantage d'observer ces témoins, ont subséquemment visité les lieux, n'aient prêté peu d'attention, si aucune, à leurs témoignages. A cela on peut ajouter que les juges dissidents, eux-mêmes, ont refusé d'accepter l'opinion du témoin Hamel, jugeant contrairement à celui-ci, qu'il n'était pas nécessaire de déplacer la grange. Comme leurs collègues de la majorité, ils furent d'avis qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir pour augmenter le montant accordé par la Régie pour y faire les changements requis et compenser l'exproprié des inconvénients qu'il pouvait subir quant à ce chef de la réclamation. Il est aussi remarquable, en ce qui concerne les frais de déplacement de la porcherie et de la petite remise, que le montant suggéré par Lemieux, simplement pour déplacer la porcherie, soit presque neuf fois celui estimé par la Régie pour le déplacement de la porcherie et de la petite remise. C'est là un écart considérable et, en soi, assez inexplicable. L'appelant, dans son factum, argumente que la porcherie est un bâtiment important, construit sur une base de béton et possédant un plancher en béton. Cependant, le seul élément de preuve auquel il nous réfère dans son factum pour justifier cette affirmation, — et je n'en ai trouvé aucun autre relatif à ce point, — est une photo montrant uniquement l'extérieur de ce bâtiment et ne permettant, en conséquence, d'en apercevoir le plancher. En tout respect pour les juges dissidents, qui font état du fait que la preuve établirait que la porcherie possède un plancher en béton, je dois dire qu'il y a là une
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méprise car il n'y a aucune preuve au dossier à cet effet. De plus et en ce qui a trait à la porcherie et au hangar, voici ce qu'en disent les membres de la Régie, en exprimant l'opinion qu'ils se sont formée, sur l'aménagement et le déplacement des bâtiments, après avoir entendu les témoignages et visité les lieux:
Après avoir entendu les témoignages, étudié les plans et visité les lieux, la Régie croit que l'intéressé, en déplaçant sa porcherie et son hangar, qui, incidemment, ont peu de valeur, pourra trouver un site convenable pour sa maison par rapport au chemin de service qui sera éventuellement construit et qu'en effectuant certaines modifications à sa grange, il placera sa ferme dans une position aussi avantageuse après qu'avant l'expropriation.
Tenant compte de toute la preuve au dossier et des observations qui précèdent, aussi bien que des principes qui doivent guider les tribunaux d'appel appelés à reviser les décisions rendues par la Régie dans l'exercice de sa juridiction arbitrale en matière d'expropriation, je dirais, qu'à mon avis et en tout respect pour l'opinion contraire, il n'y a aucune raison de droit ou de fait justifiant, en l'espèce, de modifier l'ordonnance de la Régie pour faire droit aux prétentions de l'appelant.
Je renverrais l'appel avec dépens.
Judson J. concurred with the judgment delivered by
ABBOTT J.: — This appeal is from a majority judgment of the Court of Queen's Bench[5], affirming a judgment of the Superior Court dated June 3, 1963, which homologated a decision of the Public Service Board awarding the appellant $7,490.70, as compensation for the expropriation of a small portion of a farm property owned by him and situated at Ste-Eulalie in the District of Nicolet.
As of September 18, 1961, the Government of the Province of Quebec notified appellant under the provisions of arts. 1066a and following of the Code of Civil Procedure that it intended to expropriate a small strip on the front of the said property (comprising 1.172 arpents out of a total area of 158 arpents) for the purpose of constructing the Trans-Canada Highway. The house in which appellant lived was located on the strip to be expropriated, but the provincial authorities notified appellant under art. 1066x C.C.P.
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that the government did not intend to acquire the house, which should be removed. Art. 1066x reads:
1066x. The Minister may, in the description of the expropriated immoveable, or by written notice to the expropriated party, declare that he does not intend to acquire certain constructions which are on the land required, but intends to oblige the expropriated party to remove them. The expropriated party must, in such case, effect the removal within thirty days from the notice given to him by registered letter, unless, upon petition, the Board order otherwise. If the work of removal be not undertaken within fifteen days from the notice nor be terminated within the required delay, the Minister may cause it to be done and the constructions to be placed on the expropriated party's land at the place deemed most convenient.
The remainder of the farm buildings, consisting of a barn, piggery and shed, were not located on the property to be expropriated but are close to the new boundary line.
On March 23, 1960, some eighteen months prior to the notice of expropriation, appellant had purchased the entire property with the buildings in question, for $5,714,07. There was evidence, based on recent sales of similar farms in the vicinity, that the market value of the appellant's farm and buildings at the date of expropriation was approximately $7,000.
The Public Service Board fixed the indemnity payable to appellant under art. 1066L of the Code of Civil Procedure at the sum of $7,490.70.
In his appeal to this Court, appellant asked that the amount of the award be increased to $19,840.70, the principal justification for the increased amount claimed, being the alleged cost of moving the farm buildings (other than the farm-house itself) to a more suitable location.
The principles to be followed by appellate tribunals in a case of this kind, were authoritatively laid down by the Judicial Committee in Cedar Rapids Manufacturing and Power Company v. Lacoste[6], as follows:
Their Lordships now have to consider the main question, viz., was the Court below justified in setting aside the present awards and remitting the matter to the arbitrators?
The law and practice of the Province of Quebec governing the procedure of the Court in such matters appear to be in all essentials the same as in this country. Although the appeal is a rehearing, a verdict of a jury or an award of an arbitrator acting within his jurisdiction is not in general set aside unless it is shown that the jury or the arbitrator
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proceeded on an erroneous view of the law, or that there was no evidence on which the verdict or the award could properly be arrived at, or that there was some manifest error leading to the result. There might also, of course, be some other matter in the conduct of the proceedings such as the wrongful admission or rejection of evidence which might vitiate the result. But as a general rule the Court does not set aside a verdict or an award merely on the ground that it is against the weight of evidence.
The question of the amount of compensation is one peculiarly for the arbitrators — in this case the Public Service Board. On such a question the arbitrators are entitled to form their own opinion and are not bound to accept any of the figures put before them in evidence; see Cedar v. Lacoste, supra, at pp. 284-285. Compensation for the relatively small portion of land taken is not in issue. So far as the damages sustained as a result of the expropriation are concerned, the appellant is entitled to be fully compensated but not enriched thereby.
I agree with the conclusion reached by the majority in the Court below that it has not been shown that the Public Service Board proceeded upon an erroneous view of the law, or that there was no evidence on which the award could properly be arrived at or any manifest error leading to the result. On the contrary I share the view expressed by Hyde J. that with the cash award of the $7,490.70 and residue of his property after the taking of less than one per cent of his land, the appellant is more than adequately compensated for what was taken and any damages resulting therefrom.
For the foregoing reasons and as well as for those given by Taschereau and Owen JJ. with which I am in agreement, I would dismiss the appeal with costs.
Appel rejeté avec dépens, le JUGE EN CHEF TASCHEREAU et le JUGE SPENCE étant dissidents.
Procureurs de l'appelant: Marquis, Marceau & Jessop, Québec.
Procureur des intimés: A. Vigeant, Nicolet.
[1] [1965] B.R. 343.
[2] [1965] B.R. 343.
[3] [1965] B.R. 343.
[4] [1965] B.R. 343.
[5] [1965] Que. Q.B. 343.
[6] (1929), 47 Que. K.B. 271 at 283, [1928] D.L.R. 1.