Cour suprême du Canada
François Nolin Limitée c. Commission des Relations de Travail du Québec et al., [1968] R.C.S. 168
Date: 1967-12-18
François Nolin Limitée Appelante;
et
Commission Des Relations De Travail Du Québec Intimée;
et
François Asselin Mis-en-Cause.
1967: Novembre 23; 1967: Décembre 18.
CORAM: Les Juges Fauteux, Martland, Judson, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, annulant un bref de prohibition. Appel rejeté.
Guy Letarte et Jean-Claude Royer, pour l’appelante.
Jean Turgeon, c.r., pour l’intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — Dans cette affaire, la Commission des relations de travail du Québec a tout d’abord statué, sur une plainte de congédiement, que le mis-en-cause avait été congédié le 22 janvier 1964 en violation de la loi et devait être réintégré dans son emploi. Quant à l’indemnité payable en vertu de l’art. 14 du Code du travail, ou du texte antérieur qu’il a remplacé, la décision rendue le 3 novembre 1964 comporte le passage suivant:
En ce qui concerne l’indemnité, la Commission se croit justifiable, à raison des retards apportés à la rédaction de la présente décision, pour des motifs qui échappent aux parties en cause, de procéder à sa réduction.
Là-dessus le mis-en-cause adressa à la Commission une requête en revision, alléguant que la restriction apportée à l’indemnité payable en vertu de l’ordonnance de réintégration était contraire à une prescription de la loi, l’article précité prévoyant le paiement au salarié de «l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement».
Sur cette requête, la Commission entendit les parties à la suite d’une objection préliminaire formulée par l’appelante. Le 2 mai 1966, la Commission rendait une décision élabo-
[Page 170]
rée en conclusion de laquelle l’objection préliminaire était rejetée, et il était déclaré que la Commission a juridiction pour entendre les parties sur la requête en revision.
C’est à l’encontre de cette dernière décision que l’appelante a demandé à la Cour supérieure la délivrance d’un bref de prohibition. Cette demande lui a été accordée par un jugement du 26 mai 1966 dans lequel il est seulement déclaré «que le Tribunal se croit justifié d’autoriser l’émission d’un bref de prohibition». Ce jugement a été annulé sommairement par deux juges de la Cour du banc de la reine sur requête «Vu les articles 117, 121 et 122 du Code du Travail». C’est à l’encontre de ce dernier jugement que l’appelante s’est pourvue devant cette Cour.
Il convient tout d’abord de faire observer que par l’art. 847 du nouveau Code de procédure civile, on a consacré législativement la règle formulée dans Ville de Montréal c. Benjamin News[1], à l’effet qu’avant d’autoriser la délivrance d’un bref de prohibition le juge doit statuer sur le droit. Il ne suffit pas qu’il lui paraisse que les prétentions du requérant sont soutenables, il faut qu’il en vienne à la conclusion ferme qu’elles sont, à son avis, bien fondées en droit en regard des faits allégués. Et pour qu’on ne puisse obtenir la délivrance du bref par des allégations fantaisistes, le nouveau Code a permis de contre-interroger le requérant sur son affidavit (art. 93). C’est en regard de ces règles-relatives à la délivrance du bref qu’il faut examiner l’arrêt qui l’a annulé.
Pour rendre la décision contestée, la Commission des relations de travail du Québec s’est fondée sur l’art. 117 du Code du travail:
117. La Commission peut, pour cause, reviser ou révoquer toute décision et tout ordre rendus par elle et tout certificat qu’elle a émis.
La première question à examiner est la suivante: le fait d’avoir, contrairement au Code du ‘ travail, accordé au requérant pour un motif susceptible d’être jugé mal fondé en droit, une indemnité inférieure à celle que ce Code prescrit, peut-il constituer une «cause» de revision?
Pour soutenir qu’il n’en est pas ainsi l’appelante prétend que le pouvoir de revision accordé à la Commission doit être interprété de la même manière que le pouvoir de revision accordé à la Cour de faillite (Loi sur la faillite, art.
[Page 171]
144, para. 5) et elle cite les arrêts où l’on a jugé que celui-ci ne peut s’exercer que lorsque des faits nouveaux sont invoqués. Le défaut de cet argument c’est que l’analogie entre la Cour de faillite et la Commission des relations de travail est inexacte: dans le premier cas il y a droit d’appel et non dans le second. En matière de faillite la restriction à l’exercice du pouvoir de revision découle du principe qu’un tel pouvoir ne doit pas être utilisé dans les cas où l’appel est le recours approprié. Or, l’appel est le recours tout indiqué au cas d’erreur de droit. Dans le cas de la Commission des relations de travail, comme ses décisions sont sans appel, rien ne permet de soutenir que l’erreur de droit ne saurait constituer une «cause» de revision. Il n’est peut-être pas sans intérêt d’observer que dans un cas où aucun pouvoir de revision n’était prévu par la loi, cette Cour a cependant reconnu à un organisme investi du pouvoir d’attribuer un prix, le droit de rectifier la décision du jury d’un concours afin de la rendre conforme au véritable résultat au lieu de laisser substituer une injustice fondée sur des erreurs de calcul. (L’Académie de Musique c. Payment[2]).
En étant venu à la conclusion qu’une erreur de droit peut constituer une cause valable de revision d’une décision de la Commission des relations de travail, il n’est pas indispensable d’examiner les autres questions qui ont été débattues. Cependant, il paraît utile de préciser que cela ne signifie pas que chaque fois que l’on voudra prétendre qu’il n’y a pas erreur de droit ou autre cause suffisante en droit pour motiver la revision d’une décision de la Commission, l’on pourra soutenir devant les tribunaux qu’elle a, en le faisant, excédé sa juridiction. En général, le pouvoir qui lui est attribué comprend le droit d’appliquer toutes les dispositions législatives touchant des matières de sa compétence.
Pour ces raisons, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelante: Gagné, Trottier, Letarte, Larue & Royer, Québec.
Procureurs de l’intimée: Turgeon, Amyot, Choquette & Lesage, Québec.
[1] [1965] B.R. 376.
[2] [1936] R.C.S. 323, 4 D.L.R. 279.