Cour suprême du Canada
Komo Construction Inc. et al. c. Commission des Relations de Travail du Québec et al., [1968] R.C.S. 172
Date: 1967-12-18
Komo Construction Inc. et Les Constructions Du Stlaurent Limitée Appelantes;
et
Commission Des Relations De Travail Du Québec Intimée;
et
Les Métallurgistes Unis D’amérique Local 6861 Mise-en-Cause.
1967: Novembre 23; 1967: Décembre 18.
Coram: Les Juges Fauteux, Martland, Judson, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, annulant un bref de prohibition. Appel rejeté.
Guy Letarte et Jean-Claude Royer, pour les appelantes.
Raynold Bélanger, c.r., pour l’intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — Dans cette affaire il s’agit d’une demande d’accréditation adressée par la mise-en-cause à
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l’intimée. A l’encontre de cette demande dont elle a été dûment prévenue par l’intimée, l’appelante lui a transmis une contestation intitulée «inscription en droit» et par laquelle elle conclut au rejet pour l’unique motif que la requête de la mise-en-cause «n’était pas accompagnée d’une copie certifiée de sa constitution et de ses règlements ni d’un état des conditions d’admission, droits d’entrée et cotisations exigés de ses membres». Là-dessus l’intimée a accordé l’accréditation sans audition par les motifs suivants.
CONSIDÉRANT que la Commission a pris connaissance de la contestation soumise par les procureurs de l’intimé, en date du 22 mars 1966;
CONSIDÉRANT que la Commission a constaté que les faits allégués dans ladite contestation sont contredits par le rapport d’enquête de son service d’inspection;
CONSIDÉRANT que l’association requérante a satisfait aux conditions prévues par le Code du Travail et par les règlements de la Commission pour avoir droit à l’accréditation.
A l’encontre de cette décision, l’appelante a demandé un bref de prohibition en invoquant deux moyens:
1° inexécution de l’obligation imposée par le Code du travail de produire avec la requête les pièces sus-mentionnées;
2° violation de la règle audi alteram partem.
Là Cour supérieure a ordonné la délivrance du bref de prohibition comme suit:
CONSIDÉRANT que, d’après les faits mentionnés dans la requête, le Tribunal se croit justifié d’autoriser l’émission d’un bref de prohibition.
En vertue de l’art. 122 du Code du travail, deux juges de la Cour du banc de la reine ont annulé le bref par les motifs suivants.
CONSIDÉRANT que la Commission avait seule le pouvoir de prononcer sur le point soulevé par la K S L;
CONSIDÉRANT que même si les affirmations contenues dans les considérants attaqués par la K S L étaient fausses, — ce qui n’est pas établi, — la décision de la Commission n’en resterait pas moins un acte se rapportant à «l’exercice de ses fonctions» (art. 121).
Les motifs de cet arrêt sont inattaquables. A moins de voir dans chacune des prescriptions, législatives à l’adresse de la Commisssion des relations de travail une restriction à sa juridiction, on ne saurait prétendre qu’elle a outrepassé sa compétence en décidant qu’une disposition législative a
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été observée. Une pareille interprétation irait à l’encontre d’un principe fondamental du Code du travail qui est de confier exclusivement à la Commission le soin de statuer sur les demandes d’accréditation ce qui implique que c’est à elle qu’il appartient de juger dans chaque cas si l’on s’est conformé aux prescriptions du Code du travail à cet égard.
Le principe qu’il faut appliquer est celui de l’arrêt Bakery and Confectionery Workers v. White Lunch[1], cette Cour y a refusé d’intervenir dans l’exercice du pouvoir de reviser ou annuler toute décision accordée par la loi à la Commission des relations de travail de la Colombie‑Britannique. En son nom, M. le Juge Hall a dit:
Nothing shows that it lost jurisdiction for any of the reasons which the law recognizes as ousting jurisdiction, i.e., bias, interest, fraud, denial of natural justice or want of qualification.
Un organisme comme la Commission ne perd pas sa compétence parce qu’il applique mal une disposition législative mais seulement lorsqu’il sort de son champ d’activité ou omet de se conformer aux conditions essentielles à l’exercice de sa juridiction. Il est tout à fait évident que l’article du Code du travail invoqué par l’appelante n’est pas destiné à circonscrire le champ d’activité de la Commission mais au contraire une disposition qu’elle est chargée d’appliquer par des décisions finales et sans appel. Comme cette Cour l’a décidé dans Galloway Lumber c. La Commission des Relations de travail de la Colombie-Britannique[2], l’exercice valable de la juridiction d’une telle commission ne dépend pas du bien ou mal fondé de sa décision. La seule question à examiner est de savoir si elle entre dans le domaine de sa compétence («the assigned area of the exercise of the power»).
Pour ce qui est de l’application de la règle audi alteram partem, il importe de noter qu’elle n’implique pas qu’il doit toujours être accordé une audition. L’obligation est de fournir à la partie l’occasion de faire valoir ses moyens. Dans le cas présent, en face d’une contestation qui soulève uniquement un moyen de droit, la Commission n’abusa pas de sa discrétion en décidant qu’elle n’avait pas besoin d’en entendre davantage avant de rendre sa décision. Comme cette Cour l’a décidé dans Forest Industrial Relations Ltd.
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c. International Union of Operating Engineers[3], une commission n’est pas obligée d’accorder une audition sur toutes les prétentions soulevées dans une affaire dont elle est saisie. Lorsqu’elle a eu un exposé qu’elle juge suffisant, elle a le pouvoir de statuer sans plus tarder. Il ne faut pas oublier que la Commission exerce sa juridiction dans une matière où généralement tout retard est susceptible de causer un préjudice grave et irrémédiable. Tout en maintenant le principe que les règles fondamentales de justice doivent être respectées, il faut se garder d’imposer un code de procédure à un organisme que la loi a voulu rendre maître de sa procédure.
Vu les conclusions ci-dessus sur les deux motifs invoqués par rappelante, il n’est pas nécessaire de statuer sur le sens à donner à l’article qui interdit les recours aux tribunaux «en raison d’actes, procédures ou décisions se rapportant à l’exercice» des fonctions de la Commission. Lorsqu’il y aura lieu de le faire, on devra tenir compte non seulement de l’arrêt rendu dans Jarvis c. Associated Medical Services[4] et les autres causes qui y sont mentionnées, mais aussi de ce que dans Board of Health of Saltfleet c. Knapman[5] cette Cour a statué qu’elle n’était pas empêchée d’annuler pour violation de la règle audi alteram partem une décision rendue en exécution du Public Health Act d’Ontario (R.S.O. 1950, c. 306) par une disposition (art. 143) se lisant comme suit:
No order or other proceeding, matter or thing, done or transacted in or relating to the execution of this Act, shall be vacated, quashed or set aside for want of form, or be removed or removable by certiorari or otherwise into the Supreme Court.
J’ai souligné les mots «relating to» parce qu’ils sont ceux-là mêmes que l’on trouve dans la version anglaise de l’art. 121 du Code du travail.
Je suis d’avis que l’appel doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des appelantes: Gagné, Trottier, Letarte, Larue & Rioux, Québec.
Procureur de l’intimée: R. Bélanger, Québec.
[1] [1966] R.C.S. 282, 55 W.W.R. 129, 56 D.L.R. (2d) 193.
[2] [1965] R.C.S. 222, 51 W.W.R. 90, 48 D.L.R. (2d) 587.
[3] [1962] R.C.S. 80, 37 W.W.R. 43, 31 D.L.R. (2d) 319.
[4] [1964] R.C.S. 497, 44 D.L.R. (2d) 407.
[5] [1956] R.C.S. 877, 6 D.L.R. (2d) 81.