Cour suprême du Canada
Canadian Imperial Bank of Commerce c. General Factors Limited et al., [1968] R.C.S. 435
Date: 1968-03-13
Canadian Imperial Bank of Commerce Appelante;
et
General Factors Limited Intimée;
et
Samuel Druker et Larry Smith Mis-en-Cause.
1967: Décembre 6; 1968: Mars 13.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[2], confirmant un jugement du Juge Meunier. Appel rejeté.
L.P. De Grandpré, c.r., et A.M. Boulton, c.r., pour l’appelante.
J.P. Bergeron, c.r., et P.E. Blain, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — Dans cette affaire l’intimée, General Factors Ltd., (ci-après désignée «Factors») a réclamé du syndic de la faillite d’Aluminum Door and Window Co. Ltd. (ci-après désignée «Aldor») une série de comptes recevables décrits dans deux listes formant un total de $122,341.94 et $8,452.18 respectivement. Le syndic a donné un avis de rejet de la réclamation au motif que la débitrice avait, le 26 juillet 1958, cédé tous ses comptes recevables, présents et à venir, à la Banque Canadienne de Commerce, maintenant la Banque Canadienne Impériale de Commerce, (ci-après désignée «la Banque»).
Là-dessus, Factors a interjeté appel à la Cour supérieure siégeant en matière de faillite. Le syndic n’a pas contesté la requête par laquelle cet appel a été formé mais une contestation a été produite par la Banque qui était mise en cause. La Cour supérieure a fait droit à la requête et la Banque seule a interjeté appel à la Cour du banc de la reine2. Celle-ci ayant confirmé par un arrêt majoritaire, la Banque a formé le pourvoi devant cette Cour avec la permission prévue par la Loi sur la faillite. Les deux mis-en-cause sont le syndic et l’agent chargé de la perception des comptes en litige.
Il est constant que la débitrice a, dès 1958, transporté à la Banque tous ses comptes recevables et que ce transport a été fait, enregistré et publié conformément à l’art. 1571d du Code civil. De plus, le 30 novembre 1959, un préavis a été donné et publié en vertu de l’art. 88 de la Loi sur les banques et le 2 décembre un contrat relatif à ce genre de garantie a été signé, suivi ultérieurement de garanties visant toute la marchandise.
Quant à Factors, elle s’est fait consentir par Aldor en diverses circonstances des transports particuliers des
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créances en litige. Ces transports ont tous été faits moyennant le paiement comptant par Factors du montant des créances moins un escompte de 15 pour cent ou de 20 pour cent. Dans tous les cas, le paiement a été fait par chèque à l’ordre d’Aldor et de la Banque conjointement. La preuve démontre également qu’Aldor a régulièrement fourni à la Banque, en même temps qu’elle déposait chaque chèque de Factors ou peu après, une liste des comptes faisant l’objet de l’opération. Il est également démontré que les préposés de la Banque vérifiaient ces listes et retranchaient le montant des comptes qui y étaient inscrits du montant des comptes recevables déclarés par Aldor. Dans ces conditions, la Banque peut‑elle envers Factors soutenir que les comptes lui appartiennent?
En premier lieu, on prétend que Factors n’a pas fait de paiement à la Banque parce que les chèques dont il s’agit ont été déposés au crédit du compte courant d’Aldor et non pas au crédit de son compte d’emprunt. Pour juger du bien fondé de cette prétention, il suffit de se demander si la Banque serait recevable à l’invoquer envers un débiteur d’Aldor qui aurait acquitté sa dette au moyen d’un chèque fait de cette façon. La Banque pourrait-elle dire à ce débiteur «la créance m’appartient et ce n’est pas à moi mais à Aldor que vous avez fait remise». Le procureur de l’appelante n’a pas osé le soutenir devant nous. En effet, il est évident que la Banque étant l’une des bénéficiaires du chèque celui-ci ne peut être valablement négocié sans son concours. En permettant qu’il soit déposé au crédit de l’autre bénéficiaire, elle en dispose tout aussi effectivement que si elle jugeait à propos de l’encaisser à son profit avec l’endossement de l’autre bénéficiaire. Autrement dit, lorsque les deux personnes à l’ordre desquelles un effet de commerce a été émis s’entendent pour l’endosser et en disposer, chacune d’elles participe à l’opération. Si ce principe doit recevoir son application dans le cas où le chèque est donné par le débiteur d’une créance qui a fait l’objet d’un transport en garantie, où est la raison d’en décider autrement dans le cas où l’effet de commerce est donné par le cessionnaire de la créance au lieu de l’être par le débiteur? En négociant les chèques de Factors sachant pertinemment qu’ils étaient la considération du transport de créances d’Aldor, la Banque acceptait implicitement qu’elles soient cédées à Factors, tout comme
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dans Hurly c. Bank of Nova Scotia[3] cette banque prenant au crédit de son client le chèque donné en paiement d’un certain nombre de têtes de bétail à elle transportées, consentait implicitement que la vente lui en soit opposable.
En second lieu, on affirme que la Banque ne savait pas qu’il s’agissait du transport du prix de contrats obtenus par Aldor mais croyait qu’il s’agissait de créances reconnues par billet ou par chèque postdaté. Cette prétention est fondée sur le témoignage du gérant de la Banque, mais, ni la Cour supérieure, ni la majorité en Cour d’Appel, n’y ont ajouté foi. Rien ne saurait nous justifier d’en venir à une conclusion différente car l’ensemble de la preuve démontre que la Banque avait une connaissance parfaite de chacune des opérations et vérifiait au fur et à mesure le montant de chacune des créances transportées et en déduisait la somme du total des dettes actives d’Aldor. Le gérant prétend que l’on faisait cela uniquement pour déterminer la marge de crédit et qu’il n’entendait pas permettre à Aldor d’escompter des créances qui n’étaient pas reconnues par un effet de commerce. Cette distinction ne saurait tenir. Tout d’abord les droits de la Banque étaient les mêmes à l’égard des deux catégories de créances. Le transport de 1958 vise explicitement non seulement les créances, mais aussi les effets de commerce ou billets donnés pour ces créances. En supposant que le gérant de la Banque aurait cru erronément que les transports consentis à Factors visaient des créances reconnues par effets négociables alors qu’il n’en était pas ainsi, cette erreur ne saurait invalider l’effet du consentement implicitement donné à l’opération en permettant que les chèques de Factors soient encaissés.
Il faut faire une semblable observation en réponse à l’argument que l’on tire de la réponse adressée par le gérant de la Banque à une lettre de Factors en date du 25 juillet 1962. Dans cette lettre, on lui demandait de reconnaître qu’à la condition de faire les chèques à l’ordre d’Aldor et de la Banque conjointement, Factors obtenait un bon titre aux créances négociées, nonobstant le transport général de créances et la garantie sous l’art. 88 de la Loi sur les banques antérieurement consentis en faveur de la Banque. Dans sa réponse, le gérant tout en refusant de donner l’assurance sollicitée, déclare que ses conversations avec M.
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Galet, l’administrateur de Factors, avaient eu trait à la manière dont l’appui accordé par Factors à Aldor pouvait continuer à alléger les difficultés de cette dernière. Il est bien évident que Factors ne pouvait pas continuer à aider Aldor autrement qu’en continuant à escompter des créances; nulle part le gérant de la Banque ne suggère que Factors faisait d’autres opérations que celle-là. Malgré l’équivoque qu’implique le refus d’une réponse claire, la lettre implique une reconnaissance par le gérant de la Banque de son consentement à la poursuite d’opérations d’escompte entre Factors et Aldor. Du reste, comme on l’a vu, ce consentement s’infère nécessairement du fait capital qu’est la participation continuelle à la négociation des chèques.
On a ensuite invoqué l’invalidité du transport général de créances consenti à Factors par Aldor le 19 juillet 1962. Il est indubitable que l’une des publications requises par l’art. 1571d du Code civil n’a pas été faite. Toutefois, même si cela rend ce transport sans effet à l’égard des tiers, cela ne saurait avoir aucune influence sur la validité des transports particuliers. De toute façon, à l’égard de la Banque, le transport général est sans valeur puisqu’il est de plusieurs années postérieur au sien. Dans la présente cause, le transport général ne saurait présenter d’intérêt que pour des créances qui n’auraient pas fait l’objet d’un transport particulier mais ce cas ne se soulève pas; toutes les créances en litige sont réclamées en vertu de transports particuliers. Il est inutile de s’interroger sur la suffisance de la preuve de la signification de ces transports par des copies de lettres adressées par Factors aux débiteurs, ni sur la validité de ce mode de signification car le litige n’est pas entre le cessionnaire et un tiers, mais entre le cessionnaire et la véritable cédante, la Banque. (Art. 1570 et 1571 c.c.).
Cela dispose également du dernier moyen invoqué par la Banque, savoir le fait qu’après la faillite d’Aldor, des marchandises d’une valeur d’environ $9,000 ont servi à compléter l’exécution de contrats dont le prix avait été transporté à Factors. Évidemment ces marchandises appartenaient à la Banque en vertu de sa garantie sous l’art. 88 de la Loi sur les banques et elle soutient qu’elle doit avoir le bénéfice des créances découlant de leur utilisation à une époque où sa débitrice avait cessé d’en avoir la possession. La réponse à cet argument, c’est que la Banque étant, par
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la négociation des chèques, devenue partie à la cession du prix des contrats avant leur exécution, devait subir la conséquence de la garantie de l’existence des créances envers Factors, si les marchandises n’avaient pas été utilisées pour parachever l’exécution des contrats, Factors aurait eu droit de réclamer de la Banque sinon le prix des contrats, du moins le remboursement du montant versé en considération du transport de créances inexistantes. (Art. 1510 et 1576 c.c.).
Pour ces motifs l’appel doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Lafleur & Brown, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Blain, Piché, Bergeron, Godbout & Emery, Montréal
[1] [1966] B.R. 994.
[2] [1966] B.R. 994.
[3] [1966] R.C.S. 83, 54 D.L.R. (2d) 1, (1965), 53 W.W.R. 627.