Cour suprême du Canada
Napper c. Cité de Sherbrooke, [1968] R.C.S. 716
Date: 1968-05-22
Carl F. Napper (Demandeur) Appelant;
et
La Cité de Sherbrooke (Défenderesse) Intimée.
1968: Mars 4, 5; 1968: Mai 22.
Coram: Les Juges Fauteux, Martland, Judson, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, confirmant un jugement du Juge Mitchell. Appel accueilli.
Yvon Roberge, pour le demandeur, appelant.
Albert Rivard, c.r., pour la défenderesse, intimée.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — L’accident qui est à l’origine du présent litige est survenu pendant une course cycliste dite «Le Tour du Saint-Laurent», le 3 août 1961. L’étape du matin ce jour-là était de Granby à Sherbrooke. La ligne d’arrivée avait été tracée dans la rue Wellington Sud, en face de l’établissement commercial d’un nommé Munkittrick. Le demandeur était dans le deuxième groupe de concurrents à franchir la ligne. Ils étaient sept dans ce groupe à arriver de front et le demandeur se trouvait à l’extrême gauche. La chaussée d’environ 38 pieds de largeur était libre de véhicules à la ligne d’arrivée mais à une quarantaine de pieds plus loin il y avait, du côté gauche, deux véhicules de front: au bord du chemin une voiture utilisée par les constables municipaux et parallèlement, à une distance d’environ deux pieds de celle-ci, l’automobile d’un touriste américain, un nommé Wheeler, qui s’était arrêté là sur l’ordre d’un constable municipal. L’appelant, incapable de faire un arrêt brusque et de passer à droite de l’automobile arrêtée, a cherché à passer entre les deux véhicules. L’espace étant insuffisant, il est tombé et s’est blessé grièvement subissant une fracture de la cuisse droite et une fracture ouverte de la jambe droite qui n’ont pas nécessité moins de cinq interventions chirurgicales.
Il convient de signaler dès maintenant que deux jours auparavant l’officier en charge du service municipal de police, le capitaine Armand Genest, avait donné des instructions par écrit intitulées «Service d’ordre». Ces instructions comportaient relativement à l’arrivée des cyclistes ce qui suit:
LE TOUR DU ST-LAURENT
Jeudi le 3 août 1961
Arrivée à Sherbrooke, par la rue Wellington sud, chez Munkittrick aux environs de 12.00 hres P.M.
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DEVOIR: à 11.30 hres A.M.
A partir des limites de la ville, deux motocyclistes et un constable sur la rue Wellington sud, près de chez Munkittrick, détaillé par l’officier en charge.
Le juge de première instance a rejeté l’action et la Cour d’Appel[2] a confirmé par un arrêt majoritaire. La majorité en Cour d’Appel a essentiellement endossé les motifs du juge de première instance. Ceux-ci peuvent se ramener à trois.
En premier lieu, on dit que la municipalité n’a pas contracté l’engagement de fournir une protection spéciale par les membres de son corps de police à ceux qui participaient à la course. Il n’y a rien à redire sur ce premier point. La preuve démontre bien que les organisateurs du Tour du Saint-Laurent ont adressé des communications à l’autorité municipale et aussi que des dispositions spéciales ont été prises mais il est évident qu’aucun engagement n’a été contracté.
En second lieu, le juge de première instance considère que les constables n’ont commis aucune faute. Il est d’avis qu’ils n’avaient pas le devoir de détourner la circulation ni de libérer la rue de véhicules stationnés aux environs de la ligne d’arrivée. Les constables, dit-il de plus, ne doivent pas être considérés comme des experts en course cycliste et ce qui peut être évident pour un expert ne l’est pas nécessairement pour eux. Ensuite il accepte leur version de l’affaire à l’encontre de celle de tous les autres témoins. Il ne trouve pas que la preuve démontre que le constable posté près de la ligne d’arrivée ait fait signe à Wheeler d’avancer. Il dit que lorsque le constable l’a vu il l’a fait arrêter et il affirme que c’était la seule chose à faire dans les circonstances.
Ces conclusions du juge de première instance sur les faits ayant été acceptées par la majorité en Cour d’Appel, un motif spécial est nécessaire pour s’en écarter. Ici, il y en a plus d’un.
Tout d’abord, le dossier fait voir que le juge de première instance a permis au constable de rapporter ce que Wheeler lui avait déclaré. Objection a été faite à cette preuve et n’a pas été accueillie. De la part de l’intimée, on a soutenu que cette déclaration était admissible parce qu’elle avait été spécialement alléguée. Cette prétention est doublement
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erronée. L’allégation ne suffit pas à rendre une preuve recevable. Léon c. Dominion Square Corporation[3]. De plus, jamais, elle ne peut avoir pour effet de permettre de faire la preuve autrement que de la manière prévue par la loi. Or, il n’est pas de preuve plus irrecevable que celle de déclarations extra-judiciaires faites par un tiers. Marchand c. Héritiers Begnoche[4]. Dans le cas présent, il était particulièrement contre-indiqué de recevoir à la décharge du constable impliqué dans l’affaire la déclaration qu’il avait lui-même recueillie. Il est évident que si la municipalité voulait se prévaloir de la version de l’automobiliste Wheeler, elle devait recourir à une commission rogatoire faute de pouvoir le citer comme témoin au procès.
Ensuite le juge soutient que les constables ne doivent pas être considérés comme des experts en course cycliste et que, par conséquent, il n’y a pas faute de leur part d’avoir omis de faire ce qui peut être évident pour un expert mais pas nécessairement pour un constable. L’erreur dans ce raisonnement c’est de prendre pour acquis qu’il fallait être expert en course cycliste pour se rendre compte qu’il était souverainement imprudent et dangereux d’agir comme on l’a fait en l’occurrence. Sans demander aux constables d’être experts en la matière, on doit cependant exiger d’eux non seulement qu’ils possèdent les connaissances de citoyens ordinaires mais aussi qu’ils obtiennent les renseignements indispensables à l’exercice de leurs fonctions. Il y avait sur place plusieurs personnes auprès desquelles ils pouvaient facilement se renseigner et qui d’ailleurs leur ont spontanément offert des renseignements et des conseils dont ils ne paraissent pas avoir fait grand cas.
En effet, le juge de première instance a pour ainsi dire écarté tout ce que le commissaire de la course, Jean-Paul Hamel, un directeur, Octave Desharnais, l’organisateur, Yvon Guillou, l’épouse de celui-ci et un nommé Eugène La-pointe ont relaté des avis précis donnés aux constables pour ne retenir que le témoignage du sergent Martin et du constable Cliche, lesquels ont prétendu ne pas avoir reçu d’indications précises. Pour apprécier ainsi le preuve, il dit ne pas
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avoir de raison de ne pas ajouter foi aux constables. Il y a là une erreur manifeste. Ces constables sont les personnes accusées d’avoir commis la faute en raison de laquelle la municipalité est poursuivie. Ils seront légalement responsables de toute condamnation prononcée contre elle de ce chef. On ne peut pas prendre pour acquis qu’ils n’en subiront pas de conséquences et ne seront pas l’objet de sanctions, au contraire. Ce ne sont donc pas des témoins désintéressés. Même si l’on doit reconnaître chez les organisateurs du Tour une tendance à se disculper, leur intérêt est moins direct. De plus, il n’y a aucune cause de reproche contre ces cinq témoins. Le choix fait par le juge entre leur version et celle des constables semble essentiellement fondé sur son omission de considérer que les deux constables ne sont nullement en l’occurrence des témoins désintéressés.
Ensuite il faut dire qu’on ne voit pas pour quelle raison le juge de première instance refuse de tenir pour prouvé que c’est sur un signe fait par le constable Cliche que l’automobiliste Wheeler s’est avancé en se plaçant en position pour dépasser la voiture des constables, ainsi que les témoins Munkittrick et Medeiros l’affirment catégoriquement. De la part de la municipalité, on a suggéré que ce serait sur un ordre donné par haut-parleurs que cela se serait produit. Cette théorie est tout à fait invraisemblable. Le préposé aux haut-parleurs se préoccupait de libérer la rue pour faciliter la circulation des cyclistes. D’après Medeiros, un spectateur témoin complètement désintéressé, ce que l’on a annoncé à ce moment-là c’est l’arrivée d’un groupe de coureurs. Au surplus, les paroles que l’on rapporte sont en français. Rien ne permet de présumer que Wheeler ait compris cette langue. De plus, quand un constable en uniforme est dans la rue pour diriger la circulation, la règle universelle c’est qu’un automobiliste ne doit pas s’avancer autrement que sur son ordre. Il est tout à fait invraisemblable que l’on ne s’y soit pas conformé et c’est une raison de plus pour accepter la version des témoins désintéressés contre la dénégation imprécise du constable Cliche. De toute façon, celui-ci admet que c’est sur son ordre que l’automobiliste s’est immobilisé dans la position qui a causé l’accident. Le juge de première instance dit qu’il n’y avait pas autre chose à faire dans les circonstances. C’est ce qui n’est aucunement
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démontré car on ne voit pas pourquoi le constable n’a pas fait signe à l’automobiliste de se ranger au bord de la rue en avant de la voiture de police.
Il faut noter qu’une photographie prise presque immédiatement après l’accident fait voir que cette voiture qui était le premier véhicule à la gauche de la rue passé la ligne d’arrivée, se trouvait beaucoup moins à gauche que les autres véhicules. Elle était entièrement sur le pavage alors que l’on avait fait garer les autres voitures presque complètement en dehors de la chaussée. On comprend pourquoi lorsque l’on a permis aux automobilistes de s’avancer, Wheeler a dû se rapprocher du centre de la rue pour doubler la voiture encombrante que les constables avaient garée là. Le sergent Martin a soutenu que l’on avait été obligé d’agir ainsi par suite du manque de coopération des camionneurs qui accompagnaient le Tour. Cette excuse est on ne peut plus boiteuse. Les photographies font voir que les camionneurs n’ont pas encombré la chaussée. Elles font voir également qu’il y avait à proximité de la ligne d’arrivée au moins une voiture garée sur le trottoir du côté opposé, rien n’empêchait que celle des constables fût placée de cette manière tout comme rien n’empêchait qu’elle fût garée aussi à gauche que celles des particuliers garées de ce côté-là. Il y a plus, le Colonel Cliche, qui suivait le Tour en qualité de trésorier et est arrivé sur les lieux un instant avant l’accident, a pu garer sa voiture en dehors du chemin à moins de 300 pieds au-delà de la ligne d’arrivée. L’accident s’est malheureusement produit avant qu’il ait pu intervenir pour supprimer le danger auquel les coureurs étaient exposés.
Les constables ne devaient pas ignorer qu’il y aurait un sprint à la ligne d’arrivée et que, par conséquent, il fallait éviter soigneusement que les coureurs se trouvent en face d’un obstacle constitué par des véhicules dans la rue au-delà de cette ligne. A cette fin, en outre de libérer la chaussée aux abords immédiats de la ligne, on avait fait garer les véhicules en dehors de la chaussée le plus possible. Dans ces conditions, c’était une faute caractérisée de la part des constables que de placer leur voiture à l’endroit où elle se trouvait lors de l’accident. C’était également une faute après l’arrivée des premiers cyclistes et alors que les haut‑parleurs annonçaient l’arrivée d’un autre groupe, que de diriger la
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circulation de façon à immobiliser la voiture de Wheeler dans une position où elle constituait un obstacle à une très faible distance de la ligne d’arrivée.
Le juge de première instance soutient que le demandeur a accepté le risque de ce qui est arrivé. Pour admettre cette conclusion il faudrait dire que l’obstacle constitué par la voiture de la police et celle de Wheeler placées de front était à prévoir et constituait l’un des risques inhérents au sport d’une course cycliste dans un chemin public. Voilà ce qui n’est aucunement démontré. Au contraire, tout fait voir que dans le cours normal des choses, les abords de la ligne d’arrivée sont libérés d’obstacles sur une distance suffisante pour que le sprint final n’implique pas de risque de collision avec une automobile.
En troisième lieu, on dit que le demandeur circulait sur un chemin public et était tenu d’observer le Code de la route. Cette affirmation ne tient pas compte du fait que la municipalité, par son service de police, avait prévu une escorte policière pour faciliter l’arrivée des coureurs. Ceux-ci, depuis les limites de la ville, étaient précédés d’un motocycliste qui leur ouvrait le chemin. En matière de responsabilité civile on n’a pas à rechercher si en agissant ainsi les préposés de la municipalité se conformaient aux règlements municipaux et s’ils étaient légalement autorisés à mettre de côté les règles ordinaires de la circulation pour favoriser la course cycliste. Le demandeur avait droit de prendre pour acquis que les constables en uniforme avaient le droit de faire ce qu’ils faisaient. Ce qu’ils faisaient avec une motocyclette munie de feux spéciaux impliquait qu’ils mettaient de côté l’application des règles ordinaires de circulation pour rendre possible la compétition sportive. Celle-ci exigeait en l’occurrence que le demandeur se préoccupe uniquement de donner l’effort maximum et de respecter le règlement qui lui prescrit de ne pas nuire aux autres concurrents. Il était en droit de compter que puisque le service de police lui ouvrait le chemin, ce service verrait également à lui assurer le chemin libre jusqu’à une distance raisonnable au-delà de la ligne d’arrivée. La situation n’était pas la même qu’en dehors de la ville où, en l’absence d’une escorte policière, les coureurs se trouvaient obligés de se prémunir contre la circulation en sens inverse. A l’arrivée,
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l’escorte policière leur signifiait que des précautions suffisantes étaient prises pour leur permettre de faire la course et le sprint final de la façon usuelle.
Il ne paraît pas nécessaire de décider si, dans les circonstances, les représentants de la municipalité sont en faute de ne pas avoir détourné la circulation venant à la rencontre des coureurs. Quoi qu’on ait pu dire des difficultés que cela présentait, il est sûr que ce n’était pas impossible puisqu’on l’a fait après l’accident. Si l’on choisissait de ne pas le faire tout en tolérant et facilitant la course de la façon déjà décrite, on se devait au moins de ne pas créer une situation dangereuse pour les coureurs en stationnant une voiture du service de la police et en dirigeant la circulation comme on l’a fait.
On a continué de prétendre de la part de la municipalité que le parcours et, en particulier, la ligne d’arrivée, avaient été mal choisis par les organisateurs. C’est là une question qui ne saurait influer sur la décision du litige. Le demandeur était obligé de prendre la situation comme elle se présentait à lui. Quant à la municipalité, ses préposés n’étaient aucunement tenus de tolérer la course et de la faciliter s’ils considéraient l’emplacement de la ligne d’arrivée mal choisi. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Deux jours avant l’événement, des ordres ont été donnés par celui qui exerçait les fonctions de chef de police dans le but de faciliter la course et l’arrivée à l’endroit où le tout a effectivement eu lieu. Les coureurs auxquels on a fourni une escorte policière avaient droit de compter que les constables en charge de la circulation agiraient en conséquence avec un soin raisonnable, ce qui implique que s’ils n’étaient pas suffisamment au courant des exigences de la manifestation sportive à laquelle ils prêtaient leur concours, il leur fallait se renseigner de façon à faire ce que l’on était en droit d’attendre d’eux. Ils sont d’autant moins recevables à plaider ignorance qu’une semblable course avait eu lieu au cours de chacune de plusieurs années précédentes.
Dans les circonstances de la présente cause le demandeur ne peut être considéré en faute pour n’avoir pas regardé assez loin devant lui de façon à être en mesure d’éviter l’accident. Il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas ici d’un usage ordinaire de la voie publique mais du sprint à la fin
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d’une étape d’une course cycliste. Chaque coureur doit s’efforcer de ne pas se laisser dépasser et, si possible, de dépasser les autres. Il en résulte que ce qui serait souverainement imprudent dans la circulation normale devient la règle à suivre, la preuve le démontre clairement et sans contredit. Le demandeur avait le droit de présumer qu’il n’y avait pas d’obstacle au-delà de la ligne d’arrivée jusqu’à une distance suffisante pour lui permettre de s’arrêter. Dans des circonstances ordinaires, la prudence lui aurait commandé de ne pas rester en ligne ce qui l’aurait obligé à se laisser dépasser, de même il lui aurait fallu regarder au loin ce qui l’aurait empêché momentanément de garder la position d’effort maximum, chose incompatible avec la façon dont il devait courir à ce moment-là.
Pour ces raisons, la responsabilité de l’accident doit être imputée en entier à la municipalité du chef de la faute commise par ses constables dans l’exécution de leurs fonctions. Cette faute consiste en ce que ces derniers ayant été chargés par l’autorité municipale compétente de faciliter l’arrivée de la course cycliste et fournir à cette fin une escorte sur motocyclette pour faciliter le libre passage aux coureurs ont, au mépris des règles de la prudence, créé un obstacle dangereux à une faible distance au-delà de la ligne d’arrivée: premièrement, en stationnant dans la rue une automobile à leur usage; deuxièmement, en laissant avancer une autre voiture à côté de cette automobile au moment où un groupe de coureurs s’approchaient.
Comme le fait observer le juge Taschereau en Cour d’Appel:
Il n’est pas contesté que les officiers de police agissaient ici comme sergents de ville pour l’exécution de règlements municipaux et non comme agents de la paix. Il s’ensuit qu’ils étaient les préposés de la défenderesse et que celle-ci doit être tenue responsable de toute faute qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de leurs fonctions.
On peut ajouter qu’en l’occurrence il n’y a pas lieu de rechercher si l’officier en charge du service de police était dûment autorisé à donner les ordres qu’il a transmis aux constables. Cette autorisation doit se présumer. Si la municipalité voulait soutenir qu’il en était autrement, il lui incombait d’en fournir la preuve. Cela d’ailleurs n’aurait pu avoir pour effet d’écarter sa responsabilité car il aurait
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fallu en conclure tout au plus qu’il y avait eu abus des fonctions. Or, l’acte fait par abus des fonctions engage la responsabilité du commettant. Hudson’s Bay Co. c. Vaillancourt[5]. Ici, cependant, il est clair que les fautes génératrices de la responsabilité sont bien des actes faits par les constables dans l’exécution de leurs fonctions. En effet, il s’agit de la façon dont ils ont dirigé la circulation et garé la voiture mise à leur disposition pour se rendre au lieu où ils étaient chargés d’accomplir ce travail lequel entre manifestement dans le cadre de leurs fonctions.
On objectera peut-être qu’une municipalité n’a pas l’obligation de prendre des précautions spéciales pour permettre des courses cyclistes dans ses rues qui ne sont pas destinées à cet usage. Cet argument serait à considérer si l’on voulait fonder la responsabilité sur une faute de la municipalité elle-même. Elle pourrait alors faire valoir qu’elle n’avait pas l’obligation de veiller à la protection des coureurs et qu’on ne peut lui reprocher d’avoir pris des mesures insuffisantes à cet égard. Si le service de la police municipale avait en l’occurrence refusé de faire quoi que ce soit pour faciliter la course, ce refus n’aurait pas engagé la responsabilité de la municipalité. Évidemment, on ne doit pas supposer que les organisateurs auraient eu en ce cas la témérité de faire faire la course quand même. De toute façon, ce n’est pas ce qui s’est produit. Le service de la police municipale a pris des dispositions spéciales pour permettre la course et celle-ci a eu lieu dans les conditions que l’on sait. Nous n’avons pas à décider si l’on a commis une faute ou une illégalité en prenant ces dispositions. En effet, la source de la responsabilité de la municipalité n’est pas sa faute personnelle ou quasi-délictuelle mais celle de ses constables, et celle-ci ne consiste pas en une omission mais en deux actes imprudents faits dans l’exécution de leurs fonctions. Ce n’est pas parce que la municipalité n’avait pas l’obligation de créer la situation qui rendait ces actes imprudents que, celle-ci étant créée, ils n’étaient pas obligés d’agir avec une prudence et un soin raisonnables. Même en présence du danger créé par la faute criminelle d’un tiers un constable reste tenu d’agir avec prudence. Beim c. Goyer[6].
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Le juge de première instance ayant rejeté l’action n’a pas fait d’estimation du montant des dommages. En Cour d’appel, le juge Rivard a fait l’estimation suivante:
Perte d’un an aux études ………………… $ 5,000.00
Souffrances ……………………………….. 1,000.00
Perte des joies de la vie …………………. 1,000.00
Incapacité fixée à 15% …………………… 10,000.00
Déboursés …………………………………. 3,902.47
$20,902.47
Plus 7% pour l’échange ………………….. 1,463.18
TOTAL ……………………………...... $22,365.65
Le demandeur soutient avec raison que le montant pour incapacité est insuffisant en regard du fait établi qu’un jeune médecin qui, comme lui, se spécialise en anesthésie aux États-Unis gagne dès le début de $20,000 à $25,000 par année. Même si l’on tient compte qu’il n’avait pas terminé ses études médicales et que, par conséquent, l’élément d’incertitude à allouer est plus considérable que d’habitude, il semble impossible de fixer à moins de $30,000 l’indemnité pour incapacité partielle. D’un autre côté, une revue de la preuve et des pièces au sujet des déboursés oblige à les fixer à $3,635.21 et de ce total il faut noter qu’une somme de $1,378 représente des frais médicaux et d’hospitalisation encourus au Canada et auxquels il n’y a pas lieu d’ajouter le pourcentage de 7 pour cent admis au procès comme prime à payer sur les montants en dollars des États-Unis. Il faut traiter de la même manière les sommes accordées pour souffrances et perte des joies de la vie parce qu’elles ne sont pas une compensation pour un gain pécuniaire perdu aux États-Unis.
Pour ces raisons, l’indemnité est fixée comme suit:
Perte d’un an aux études ……….. $ 5,000.00
Incapacité partielle ………………. 30,000.00
Déboursés totaux ……………….. $3,635.21
Déboursés au Canada ………….. 1,378.00 2,257.21
$37,257.21
Plus 7% …. 2,608.00
Souffrances …………………………………….. 1,000.00
Perte des joies de la vie …………………..….. 1,000.00
Déboursés au Canada ………………………... 1,378.00
TOTAL ………………………………… $43,243.21
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En conséquence, je suis d’avis de faire droit à l’appel avec dépens dans toutes les cours et condamner l’intimée à payer au demandeur $43,243.21 avec intérêt à compter du 30 janvier 1962.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs du demandeur, appelant: Blanchette & Roberge, Sherbrooke.
Procureur de la défenderesse, intimée: A. Rivard, Sherbrooke.
[1] [1968] B.R. 81.
[2] [1968] B.R. 81.
[3] [1956] B.R. 623, [1956] R.P. 64.
[4] [1964] C.S. 369.
[5] [1923] R.C.S. 414, 2 D.L.R. 1008.
[6] [1965] R.C.S. 638, [1966] 4 C.C.C. 9, 57 D.L.R. (2d) 253.