Cour suprême du Canada
Kungl c. Great Lakes Reinsurance Company et al., [1969] R.C.S. 342
Date: 1968-12-20
Renate Kungl (Demanderesse) Appelante;
et
The Great Lakes Reinsurance Company et Malcolm Herbert Blakely (Tiers-saisis) Intimés;
et
Jean Marien (Intervenant) Intimé;
et
Laurier Cyr et Laurent Langevin (Défendeurs).
1968: Mai 23, 24; 1968: Décembre 20.
Coram: Les Juges Fauteux, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du Banc de la reine, province de Québec1, rejetant un appel d’un jugement du Juge Collins. Appel rejeté.
Roger Lacoste, c.r., et Melville W. Smith, pour la demanderesse, appelante.
Alastair M. Watt, c.r., pour les tiers-saisis, intimés.
Jean-Bernard Carisse, pour l’intervenant Marien, intimé.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — Le 21 décembre 1956, Renate Kungl, l’appelante, alors mineure, a été victime d’un accident d’automobile causé par Laurier Cyr. Le 8 novembre 1963, un jugement a été rendu contre ce dernier à la poursuite de son tuteur pour la somme de $14,652.67 avec intérêts et dépens. Cyr se mit en faillite et Jean Marien fut nommé syndic. Il était assuré de la compagnie d’assurance La Protection Nationale mais celle-ci était devenue insolvable en 1958. Une ordonnance de mise en liquidation avait été rendue contre elle le 8 avril 1958 et le 22 juillet, Jean Marien avait été nommé liquidateur définitif.
La Protection Nationale avait trois traités de réassurance. Le premier avec la Great Lakes Reinsurance Company (Great Lakes), les deux autres avec les Lloyd’s de Londres qui sont ici représentés par l’intimé Blakely. Le premier traité visait 75 pour cent de la responsabilité totale mais il était convenu que toutes pertes excédant $12,500 dans un même accident seraient réassurées jusqu’à concurrence de $287,500 et c’est ce qui faisait l’objet du premier traité avec les Lloyd’s. L’autre ne nous intéresse pas.
Nonobstant la faillite de Cyr et la mise en liquidation de la Protection Nationale, une saisie‑arrêt fut requise en exécution du jugement entre les mains de Great Lakes et du représentant autorisé des Lloyd’s.
[Page 345]
Les tiers-saisis firent une déclaration négative. Celle-ci ayant été contestée, le liquidateur intervint pour soutenir qu’il lui appartenait de toucher, pour le bénéfice de la masse des créanciers, tous montants dont les tiers-saisis pouvaient être redevables en vertu des traités de réassurance.
La Cour supérieure a rejeté la contestation de la déclaration des tiers-saisis et ce jugement a été confirmé par un arrêt unanime de la Cour d’Appel[2].
Le premier moyen de l’appelante consiste à soutenir que Great Lakes est en réalité un coassureur et non pas un réassureur. Dans son factum elle cite le passage suivant d’un ouvrage américain intitulé «Reinsurance» par Kenneth R. Thompson (3e éd., p. 9):
Coinsurance, as between insurers, approaches the practice of reinsurance. Several companies may issue a policy under a single name and each company under the policy is liable for a proportion of the loss. An agency may write the policy and the risk is then distributed automatically in several companies. The several insurers therefore take part by agreement in carrying the same risk.
When one insurer obligates itself to a single insured, and then splits the risk among several insurers who are obligated only to the first insurer, we have a case of internal coinsurance.
Where several insurers, through a single contract, are obligated directly to one insured, but the contract does not obligate the insurers to each other, then there exists a case of external coinsurance.
Ce texte est purement descriptif. Il ne dit rien des conséquences juridiques du cas qui nous intéresse et qui y est décrit comme «internal coinsurance».
Beaucoup plus intéressant est un arrêt de la Cour de Cassation du 9 juilet 1943: Le Loyd’s de Londres et Société Toplis and Harding c. Ruffié, Ragot et Piot (Revue générale des Assurances terrestres, T. 14, pp. 234-236). Pour en apprécier la portée, il faut savoir qu’en France la Loi du 13 juillet 1930 décrète à l’article 4 ce qui suit:
Dans tous les cas où l’assureur se réassure contre les risques qu’il a assurés, il reste seul responsable vis-à-vis de l’assuré.
Le pourvoi invoquant ce texte a été rejeté par le raisonnement suivant:
Attendu que le pourvoi fait encore grief à l’arrêt attaqué de décider que la police litigieuse ne pouvait pas, malgré sa qualification expresse, être considérée comme un contrat de réassurance, mais qu’elle devait l’être comme un contrat comportant une stipulation pour autrui, conférant une action
[Page 346]
directe au bénéficiaire de cette stipulation prétendue et de condamner en conséquence les Lloyd’s de Londres à payer directement à Ruffié, assuré de la Compagnie La Bourgogne, le montant des condamnations prononcées contre ce dernier au profit de la veuve Barthier en raison de responsabilité civile; alors qu’il résulte des dispositions des articles 2 et 5 de la police litigieuse formellement invoquées dans les conclusions des demandeurs au pourvoi, auxquelles aucune réponse n’a été donnée, que des sommes, dues en vertu de la dite police, devaient être payées entre les mains de la Compagnie La Bourgogne et non pas entre celles de Ruffié, ce qui exclut juridiquement une stipulation pour autrui au profit de ce dernier;
Mais attendu que l’arrêt attaqué relève que la police Lloyd’s fait siennes les clauses de la police qui lie La Bourgogne à Ruffié; qu’elle précise que la couverture des réassurances sera engagée en même temps que celle de La Bourgogne; que les conditions générales et spéciales de la police de La Bourgogne seront prises comme base en ce qui concerne le réassuré ou les personnes blessées; qu’elle donne compétence au Tribunal de la Seine et désigne des mandataires pour suivre la procédure en France;
Attendu que l’arrêt constate en fait que les Lloyd’s se sont occupés directement des règlements relatifs à l’accident du 23 septembre 1934, en assurant même la défense de Ruffié et de son chauffeur devant la juridiction correctionnelle; que dès lors la Cour d’Appel a pu, par une interprétation de la police litigieuse qui n’en dénature pas les termes, lui reconnaître le caractère d’une coassurance et décider qu’une stipulation en faveur de Ruffié y était incluse sans qu’on puisse lui reprocher de n’avoir pas répondu aux arguments tirés par les Lloyd’s des articles 2 et 5 de la police dont, d’ailleurs, l’un implique en opposition à la thèse du moyen une condamnation directement obtenue par la victime et l’autre est ambigu;
Ajoutons maintenant que le jugement de la Cour d’Appel d’Alger (Revue générale des Assurances terrestres, T. 10, 1939, pp. 253-8) fait voir qu’alors que la police avait été souscrite pour 2,000,000 de francs, la réassurance en couvrait 1,900,000. Que doit-on dire de ce précédent?
Notons tout d’abord que l’article 4 de la Loi de 1930 ne semble pas avoir été destiné à modifier l’état antérieur du droit. Les travaux préparatoires, dont on tient compte en France, le démontrent clairement. Le rapport de la Commission chargée de préparer l’avant-projet et celui de la Commission chargée de l’examiner disent tous deux au sujet de cet article:
La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que la réassurance ne crée aucun lien de droit entre l’assuré et le réassureur: l’article 36 du décret du 8 mars 1922 énonce d’ailleurs formellement ce principe, que notre article se borne à reproduire.
On lit dans Émérigon (Traité des Assurances et des Contrats à la grosse, T. 1, pp. 247-8, publié en 1782):
La Réassurance est absolument étrangère à l’Assuré primitif, avec lequel le Réassureur ne contracte aucune sorte d’obligation.
[Page 347]
La chose ne concerne en rien l’Assuré primitif, lequel n’est point intervenu dans ce nouveau contrat.
Il suit de ce principe, que l’Assuré primitif ne peut exercer ni action directe, ni privilège sur la Réassurance.
La Cour de Cassation a cependant considéré que, bien qu’en principe le contrat de réassurance soit à l’égard de l’assuré un acte entre des tiers qui ne le concerne pas, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas en être différemment dans des circonstances spéciales. Autrement dit, le contrat de réassurance est en principe l’affaire de l’assureur et du réassureur exclusivement, cependant, il n’est pas exclu qu’un lien de droit puisse être établi envers l’assuré. Comment cela peut-il se produire? Comment celui que l’on appelle réassureur peut-il être placé dans la situation de coassureur? C’est ce qu’il faut rechercher.
Il est bien évident que la première façon de constituer quelqu’un coassureur c’est de le rendre partie au contrat. Si la police d’assurance délivrée à Laurier Cyr au lieu de mentionner la Protection Nationale seule comme assureur avait également mentionné la Great Lakes, il y aurait clairement coassurance. Ce n’est évidemment pas notre cas. Il est clair que Laurier Cyr a contracté avec la Protection Nationale seule. Rien ne révèle qu’il ait entendu contracter avec la Great Lakes et on ne peut pas le présumer.
En droit français une relation contractuelle avec un tiers peut également se former par l’effet d’une stipulation pour autrui: Code Napoléon, article 1121, texte identique à l’article 1029 du Code civil du Québec:
1121. On peut pareillement stipuler au profit d’un tiers, lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation, ne peut plus la révoquer, si le tiers a déclaré vouloir en profiter.
C’est en croyant pouvoir trouver une stipulation pour autrui dans le contrat de réassurance intervenu avec les Lloyd’s que la Cour d’Appel d’Alger a conclu à l’existence d’un lien de droit. Quant à la Cour de Cassation, il lui a suffi de dire que ce n’était pas dénaturer les termes du contrat que de l’interpréter ainsi.
Pour donner raison à l’appelante par application de la théorie de la stipulation pour autrui, il nous faudrait
[Page 348]
trouver dans les traités de réassurance un texte que nous puissions interpréter comme une stipulation en faveur des assurés. Cela nous est clairement impossible. On ne nous a rien signalé qui puisse révéler l’intention de stipuler un avantage envers les assurés de la Protection Nationale. Il faut donc dire qu’il est impossible d’appliquer dans la présente cause les principes de droit énoncés par la Cour de Cassation dans l’arrêt ci-dessus mentionné.
Les avocats de l’appelante nous ont également signalé deux décisions de la Cour d’Appel du Missouri. La plus récente est O’Hare v. Purcell[3]. Il s’agissait d’un contrat de réassurance par lequel la totalité des obligations d’un assureur était cédée à une autre compagnie désignée comme réassureur. Celle-ci ne s’engageait pas, comme les tiers-saisis dans la présente cause, à faire des paiements à l’assureur primitif mais bien à remplir toutes ses obligations envers ses assurés. Il y avait donc clairement stipulation pour autrui et on a jugé que la loi de cet État en faisait découler un lien de droit.
The law supplies the privity necessary for the insureds to maintain a direct action upon the contract of reinsurance. The bringing of suit is sufficient evidence of assent by the insureds to the Treaty.
On ne conclurait pas autrement dans le droit du Québec suivant l’article 1029 C.C. ainsi que cette Cour l’a fait dans Hallé c. Canadian Indemnity Co.[4], mais ce n’est pas notre cas.
On nous a également signalé un autre arrêt de la même Cour d’Appel dans une affaire qui présente beaucoup plus d’analogie. Il s’agit de Homan v. Employers Reinsurance Corporation[5]. Dans cette cause-là, les victimes d’un accident d’autobus ont été admises à recouvrer du réassureur de l’assureur de la compagnie propriétaire de l’autobus une partie de leur indemnité. Ce réassureur s’était obligé par traité à indemniser l’assureur de toutes pertes excédant $5,000 à l’égard d’une seule personne et de toutes pertes excédant $10,000 dans un même accident. Tout en admettant qu’en principe le contrat de réassurance ne fait pas
[Page 349]
naître de lien de droit entre l’assuré et le réassureur, on a conclu que la législation particulière de l’État avait pour effet non seulement de donner un recours direct à la victime d’accident contre l’assureur de l’auteur du dommage, mais aussi contre le réassureur de ce dernier. La décision repose donc uniquement sur l’interprétation d’un texte de loi dont on ne trouvait pas l’équivalent dans la législation du Québec à l’époque où l’accident qui a donné lieu au présent litige est survenu. Il est inutile de rechercher si ce texte avait bien la portée qu’on lui a donnée.
Pour les raisons ci-dessus indiquées il faut donc dire que l’appelante ne peut pas fonder un recours sur l’article 1029 C.C.
Pourrait-elle, toutefois, se prévaloir de l’article 1031 C.C.:
1031. Les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à sa personne, lorsque, à leur préjudice, il refuse ou néglige de le faire.
Il semble évident que l’ordonnance de liquidation fait obstacle à l’application de ce texte dans le cas présent. C’est au liquidateur qu’il appartient d’exercer les recours de la Protection Nationale contre les réassureurs. Rien ne démontre qu’il néglige de le faire. Même s’il en était ainsi, un créancier individuellement ne saurait se substituer à lui de sa propre initiative. Il faudrait indubitablement qu’il soit préalablement autorisé par le tribunal à le faire. Inutile de rechercher si cela est possible sous la Loi de liquidation comme sous la Loi de faillite car le dossier fait voir que le tribunal chargé de surveiller la liquidation, loin d’autoriser un créancier à exercer les recours du liquidateur envers les tiers-saisis, a autorisé ce dernier à intervenir pour s’y opposer.
Il ne reste donc, en dernière analyse, qu’un seul fondement possible du recours de l’appelante contre les tiers-saisis ou l’un d’entre eux. Il consisterait à voir dans les traités de réassurance un contrat de société. Cela paraît clairement impossible à l’égard des traités avec les Lloyd’s. En effet, il n’y est pas prévu de partage de profits. Bien différente est la situation de la Great Lakes. Le traité qu’elle a conclu fait d’elle en réalité le principal assureur.
[Page 350]
Elle supporte les trois-quarts des risques et reçoit les trois-quarts des primes sauf le pourcentage alloué à la Protection Nationale pour couvrir les frais d’acquisition et d’administration qui sont à sa charge. De plus un partage de profits est stipulé. Enfin, les deux compagnies sont à ce point associées dans les affaires traitées au nom de la Protection Nationale que la réassurance des pertes excédant $12,500 a été obtenue pour elles conjointement. Les deux traités décrivent de la façon suivante la partie de première part:
NATIONAL PROTECTION ASSURANCE COMPANY, Magog, Quebec, Canada, together with its Quota Share Reinsurer (hereinafter collectively called the “Company”)
La Protection Nationale a donc signé ces deux contrats de la même façon que le ferait un associé, savoir pour le compte des deux intéressés. Cela cependant ne suffit point à démontrer l’existence d’un contrat de société car si un mandat découle du contrat de société, rien n’empêche qu’il existe en son absence. Les copropriétaires d’un immeuble peuvent, par exemple, confier un mandat d’administration à l’un d’eux sans que pour autant il en résulte nécessairement une société entre eux et non une simple indivision.
Contrairement au Code Napoléon, le Code civil du Québec ne définit pas le contrat de société. Les deux premiers articles de son titre de la Société se lisent comme suit:
1830. Il est de l’essence du contrat de société qu’elle soit pour le bénéfice commun des associés et que chacun d’eux y contribue en y apportant des biens, son crédit, son habileté ou son industrie.
1831. La participation dans les profits d’une société entraîne avec elle l’obligation de partager dans les pertes.
Toute convention par laquelle l’un des associés est exclu de la participation dans les profits est nulle.
La convention qui exempte quelqu’un des associés de participer dans les pertes est nulle quant aux tiers seulement.
Ces textes obligent à se demander si l’on doit conclure à l’existence d’une société dès que quelqu’un apporte une contribution à une entreprise en vue de participer dans les bénéfices. Mignault, Droit civil canadien, t. 8 (pp. 184-5), dit à ce sujet:
L’article 1831 suppose nécessairement une société existante, car il parle de la participation dans les profits d’une société. Il faut donc qu’il y ait convention expresse ou implicite de société. Et alors celui qui participe aux profits de telle société ne peut s’exempter de contribuer au paiement des pertes qu’elle a encourues.
[Page 351]
En dehors de convention de société, la règle de l’article 1831 ne s’applique pas. Ainsi le commis qui engage ses services ou le bailleur de fonds qui prête ses deniers moyennant une part dans les bénéfices d’une entreprise commerciale, ne devient pas associé, car ni l’un ni l’autre n’a entendu contracter une société. Naturellement, les tribunaux scruteront attentivement des conventions de ce genre afin de déterminer si les parties n’ont pas voulu cacher une société sous le couvert d’un prêt ou d’un louage de services. Mais s’il n’y a pas eu d’intention de former une société, on ne saurait en présumer l’existence.
Il y a eu quelques hésitations dans notre jurisprudence sur ces questions. Après avoir énoncé, du moins implicitement, la véritable doctrine dans quelques arrêts (Pratt v. Berger, 28 L.C.J., p. 192; Préfontaine v. Barrie, 13 Q.L.R., 312), la cour d’appel, croyant à tort que le conseil privé avait admis la doctrine contraire dans la cause de Singleton v. Knight (13 App. Cas., p. 788), a, dans deux causes (Davie v. Sylvestre, M.L.R., 6 Q.B., p. 143; McFarlane v. Fatt, M.L.R., 6 Q.B., p. 251), jugé que le seul fait de participer dans les profits d’une société ou d’une opération commerciale entraîne présomption de société. Elle est cependant revenue sur cette erreur dans la cause de Reid v. McFarlane (R.J.Q., 2 B.R., p. 130), qui fixe définitivement la jurisprudence dans le sens que j’ai indiqué.
Il convient d’ajouter que la jurisprudence du Québec ne paraît pas s’être modifiée depuis l’époque où ce texte a été écrit. Au contraire, on a expressément réaffirmé cette interprétation du Code civil du Québec dans Bourboin c. Savard[6].
Si l’on applique ces principes au cas qui nous concerne il est impossible de trouver dans le traité de réassurance souscrit par la Great Lakes une convention de société. En effet, tout démontre que l’intention était de faire une Convention de réassurance et non pas une convention de société car il est évident que la Great Lakes n’entendait pas se rendre responsable de la totalité des obligations de la Protection Nationale, mais uniquement de sa quote-part. Il est également évident qu’elle entendait se lier uniquement envers la compagnie avec laquelle elle traitait et non envers les assurés de cette dernière. En principe, il ne faut pas l’oublier, le traité prévoit la compensation entre la part de primes et la part de pertes. C’est le solde seul qui fait l’objet d’une remise. (Article IV):
The Company shall furnish to the Reinsurer monthly accounts as soon as practicable after the close of each month in which the business
[Page 352]
was written. Such accounts shall be examined by the Reinsurer as early as possible and the balance due by either party shall be paid within 90 days after the close of the month for which the accounts have been rendered.
Il est vrai qu’ensuite on trouve la disposition suivante pour le cas d’une perte excédant $1,000. (Article V, para. 3):
The amounts due from the Reinsurer shall be charged in the monthly account, unless the loss or aggregate of losses in one casualty is in excess of $1,000 in which event the Reinsurer will, upon demand, forthwith remit its proportion thereof.
Cette modalité particulière de règlement ne signifie pas que la nature du contrat est différente lorsque la perte dépasse $1,000 et il faut rejeter l’argument que l’appelante prétend en tirer.
On trouve dans le rapport des codificateurs sur le titre de la Société la phrase suivante:
Ce chapitre se compose de neuf articles dont les quatre premiers contiennent des règles communes à tous les systèmes de droit commercial.
Et sous les articles 1830 et 1831 sont cités, outre Pothier, Domat, Vinnius et les Institutes, les ouvrages suivants fondés sur la Common Law: Partnership de Collyer, Partnership de Gow et Commentaries de Kent.
Il ne semble donc pas hors de propos d’examiner la jurisprudence fondée sur les principes de la Common Law dont les règles sur la formation du contrat de société semblent identiques à celles du droit québecois. Cette jurisprudence paraît fixée par un arrêt unanime de la Chambre des Lords dans le sens qu’un traité de réassurance avec participation aux profits ne constitue pas un contrat de société: English Insurance Co. v. National Benefit Assurance Co. Official Receiver[7]. Dans cette cause-là l’appelante avait conclu avec la National Benefit Assurance Co. un traité de réassurance par lequel celle-ci acceptait une participation d’un huitième dans tous risques d’assurance maritime («a quota participation equal to a one-eighth share»). Les conditions du traité étaient essentiellement de même nature que celles du contrat conclu par la Great Lakes, y compris une stipulation de partage de profits.
[Page 353]
La National Benefit Assurance Co. étant en liquidation, on a jugé que la English Insurance Co. ne pouvait être admise à produire une réclamation pour ce qui lui était dû en vertu du traité parce que la réassurance de chaque risque n’avait pas été constatée par une police timbrée, la loi du Royaume-Uni exigeant le timbre à peine de nullité. On a rejeté la prétention que le contrat était en réalité un acte de société et non pas une convention donnant naissance à autant de contrats de réassurance qu’il y avait de risques distincts faisant l’objet de la couverture, et cela quoique le traité eût décrit l’opération comme une participation et non comme une réassurance et le réassureur comme un «participant» («participator»). On a signalé que, comme dans notre cas, toutes les polices étaient au nom de l’assureur seul sans aucune allusion au réassureur et que ce dernier n’avait pas eu l’intention de s’en rendre responsable envers les assurés.
A l’encontre de ce raisonnement on peut invoquer un bon nombre d’arrêts où une personne qui n’avait pas eu l’intention de contracter d’obligations envers les tiers a cependant été déclarée associée parce que ses actes l’avaient placée dans cette situation. Il y a, en particulier, une décision récente de notre Cour: Ministre du Revenu National c. Sedgwick[8], où l’on a confirmé un jugement de la Cour de l’Échiquier[9] par lequel il a été statué que des personnes désignées comme «prêteurs» qui avaient avancé à un agent de change la somme requise pour acheter un «siège» à la Bourse et financer ses opérations étaient en réalité des associés bien que l’on eût expressément stipulé que l’on n’avait pas l’intention d’établir une société. Il est évident que ces soi-disant prêteurs n’avaient aucunement l’intention de se rendre responsables envers les tiers des dettes contractées par l’agent de change en son nom et non au leur. Cependant, l’arrêt qui les déclare imposables comme associés implique qu’ils se trouvaient obligés à ce titre envers les tiers comme envers le fisc malgré leur intention déclarée d’éviter de telles obligations.
[Page 354]
A là réflexion, je suis cependant venu à la conclusion qu’il y a une distinction à faire entre les, deux situations. Dans l’affaire Sedgwick, le contrat avait comme conséquence que les soi‑disant prêteurs étaient en réalité propriétaires du commerce. Au contraire, dans la cause de la English Insurance comme dans celle-ci, le réassureur n’avait aucun droit au portefeuille réassuré. Le commerce restait le sien. Tout comme la Protection Nationale, elle faisait affaires pour son compte et non pour le compte du réassureur. Il me paraît qu’il faut décider que le traité de réassurance avec la Great Lakes n’a pas donné naissance à une société non déclarée.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Lacoste, Savoie, Laniel & Joncas, Montréal.
Procureurs des tiers-saisis, intimés: Foster, Watt, Leggat, Colby, Rioux & Malcolm, Montréal.
Procureurs de l’intervenant Marien, intimé: Gagnon, Beaulieu, Jurisic, Carisse, Szemenyei & Di Clementi, Montréal.
[1] [1967] B.R. 717.
[2] [1967] B.R. 717.
[3] (1960), 329 S.W. 2d 614.
[4] [1937] R.C.S. 368, 4 I.L.R. 259, [1937] 3 D.L.R. 320.
[5] (1940), 136 S.W. 2d 289.
[6] (1926), 40 B.R. 68.
[7] [1929] A.C. 114, [1928] All E.R. 441.
[8] [1964] R.C.S. 177, [1963] C.T.C. 571, 63 D.T.C. 1378, 42 D.L.R. (2d) 492.
[9] [1962] R.C. de l’É. 337, 62 D.T.C. 1253, 36 D.L.R. (2d) 97.