Cour suprême du Canada
Commission des Relations de Travail du Québec c. L’Association Unie des Compagnons et des Apprentis de l’Industrie de la Plomberie et Tuyauterie des États‑Unis et du Canada et al., [1969] R.C.S. 466
Date: 1969-02-03
Commission des Relations de Travail du Québec Appelante;
et
L’association Unie des Compagnons et Apprentis de l’industrie de la Plomberie et Tuyauterie des États-Unis et du Canada et al. Intimées;
et
La Corporation des Entrepreneurs en Plomberie et Chauffage de la Province de Québec (Section Québec et District) et al. Mises-En-Cause.
1968: Décembre 3; 1969: Février 3.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Ritchie et Hall.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, infirmant un jugement du Juge Larouche. Appel rejeté.
Jean Turgeon, c.r., pour l’appelante.
Phil Cutler, Ross Goodwin et Pierre Langlois, pour les intimées.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE ABBOTT: — Le 20 janvier 1966, la Cour supérieure du District de Québec rejetait une demande en mandamus dirigée contre la Commission des Relations de Travail du Québec (ci-après désignée «la Commission»), à la suite d’une décision de cette dernière déclarant non recevable une requête pour suspension des négociations faite par les intimées devant cette Cour en vertu de l’art. 33 du Code du Travail du Québec, S.R.Q. 1964, c. 141. La Cour d’appel du Québec1, dans un jugement unanime rendu le 22 janvier 1968, a cassé ce jugement et ordonné que la requête soit retournée à la Commission pour que celle-ci la décide à son mérite. D’où le pourvoi de la Commission devant cette Cour.
Il n’est pas nécessaire, pour disposer de cet appel, de relater tous les faits à l’origine du conflit. Il suffit de rappeler qu’un groupe de syndicats affiliés à la Confédération des Syndicats nationaux était partie à une convention collective à laquelle le «Décret relatif à l’industrie et aux métiers de la construction pour la région de Québec» avait conféré l’extension juridique en vertu de la Loi de la convention collective, S.R.Q. 1941, c. 103, devenue, lors de la refonte de 1964, la Loi des décrets de convention collective, S.R.Q. 1964, c. 143.
[Page 469]
Le 25 mai 1965, soit 60 jours avant la date prévue pour l’expiration du décret, les intimées, affiliées au Congrès du Travail du Canada, déposèrent auprès de la Commission 41 requêtes en accréditation, dans le but de représenter les mêmes salariés. Quelques jours plus tard, soit le 12 juillet 1965, elles présentèrent à la Commission une requête pour faire suspendre les négociations qui avaient alors cours entre les syndicats mis-en-cause et l’Association des Constructeurs de Québec en vue du renouvellement de leur convention collective.
Le texte qui confère compétence à la Commission pour accorder une telle requête est l’art. 33 du Code du Travail que l’on retrouve d’ailleurs dans la décision de la Commission ci-après citée.
La seule question en litige est la suivante: La Commission a-t-elle refusé d’exercer une compétence que l’art. 33 du Code du Travail lui confère? L’interprétation du texte de la décision en cause est d’une importance capitale et c’est pourquoi je la cite au long:
L’article 33 du Code du Travail dont on demande l’application se lit comme suit:
«Lorsqu’elle est saisie d’une requête en accréditation, revision ou révocation d’accréditation, la Commission peut ordonner la suspension des négociations et des délais de négociations collectives et empêcher le renouvellement d’une convention collective.
En ce cas, les conditions de travail prévues dans telle convention demeurent en vigueur jusqu’à la décision de la Commission et les dispositions de l’article 48 s’appliquent.»
Les négociations visées par l’article 33 sont celles qui se rapportent à une convention collective susceptible d’avoir effet sous l’empire du Code du Travail, selon les dispositions du chapitre III du Code.
Il semble évident que la requête telle que formulée vise les négociations se rapportant à un accord entre une collectivité d’employeurs et une collectivité de groupements de salariés, en vue de réaliser sous l’empire de la Loi de la Convention Collective (S.R.Q. 1941, chap. 163), une réglementation par arrêté en conseil, dans le cadre de ladite loi, des conditions de travail devant régir les salariés d’une occupation et d’un territoire donnés.
Un tel accord vise l’industrie en général et non pas tel ou tel employeur en particulier, D’ailleurs, aucun employeur particulier visé par l’une quelconque des requêtes en accréditation alléguées n’est mise en cause sur la requête présentement soumise.
[Page 470]
La juridiction conférée à la Commission par l’article 33 du Code du Travail ne peut avoir pour objet un accord de cette nature et de cette portée.
Les dispositions d’un décret, sauf le cas exceptionnel de l’article 10a de la Loi de la Convention Collective lequel par le fait même confirme la règle, ne peuvent faire obstacle aux demandes d’accréditation sous le Code du Travail par des groupements de salariés même régis par tel décret. Voir à ce sujet la décision de la Commission des Relations Ouvrières en date du 9 mars 1964 dans l’affaire du Conseil des Métiers du Bâtiment et de la Construction de Montréal et Banlieue vs Canadian Vickers Limited.
Corrélativement, des demandes d’accréditation ne peuvent pas faire échec aux discussions d’un accord du genre de celui poursuivi par les négociations alléguées.
La structure des relations patronales-ouvrières visée par le Code du Travail et celle prévue par la Loi de la Convention Collective sont d’un ordre différent et ne peuvent être confondues ou paralysées dans leur fonctionnement l’une par l’autre.
La demande de suspension des négociations doit donc, dans l’espèce, être considérée comme non recevable.
La demande exprimée par la deuxième conclusion de la requête à l’effet d’ordonner aux intimées de «suspendre toute négociation et de surseoir à la signature de toute convention collective» dépasse la portée des allégations qui la précèdent et n’apparaît pas supportée par celles-ci, dans l’hypothèse ou une telle conclusion viserait une convention collective particulière (et destinée à valoir comme telle) entre un employeur déterminé et le groupe de ses salariés.
Quant à la conclusion à l’effet d’ordonner de cesser de percevoir ou de retenir les prestations syndicales, elle ne peut être accordée, la Commission n’ayant pas en toute hypothèse autorité pour modifier un contrat déjà passé si tel contrat existe.
POUR CES MOTIFS la Commission déclare non recevable la requête produite par les requérants le 12 juillet 1965.
(Les italiques sont de moi.)
Il me paraît évident, à la lecture de cette décision, en particulier les passages que j’ai soulignés, que la Commission a décliné une juridiction qu’elle avait en refusant de se prononcer sur le mérite de la demande de suspension.
L’article 33 confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire et, règle générale, les tribunaux ne doivent pas intervenir dans l’exercice d’un pouvoir comme celui-là. Cependant, il est bien établi que, si un tribunal comme la Commission erre en droit dans l’interprétation du texte qui lui confère compétence, les tribunaux ordinaires doivent intervenir, et le mandamus est le recours approprié pour
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forcer un tribunal inférieur à exercer une compétence que la loi lui confère. Ce recours est maintenant consigné aux art. 844 et 845 du nouveau Code de procédure civile sous le titre «Moyen de se pourvoir en cas de refus d’accomplir un devoir qui n’est pas de nature purement privée.»
Je suis entièrement d’accord avec la Cour d’appel du Québec que la Commission a erré en droit, en établissant une distinction que l’art. 33 du Code du Travail n’autorise pas, et qu’ainsi elle a refusé d’exercer une compétence que la loi lui faisait un devoir d’exercer. En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Turgeon, Amyot, Choquette & Lesage, Québec.
Procureurs des intimées: Ross Goodwin et Cutler, Larner, Bellemare, Desaulniers & Langlois, Montréal.
[1] [1968] B.R. 199.