Cour suprême du Canada
Three Rivers Boatman Limited c. Conseil Canadien des Relations Ouvrières et al., [1969] R.C.S. 607
Date: 1969-05-13
Three Rivers Boatman Limited Appelante;
et
Conseil Canadien Des Relations Ouvrières, Roger L. Fournier, J. Lorne MacDougall et Syndicat International Des Marins Canadiens Intimés.
1968: Décembre 4; 1969: Mai 13.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Hall et Spence.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL de deux jugements de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, infirmant un jugement du Juge en Chef Dorion. Appel accueilli.
Léopold Langlois, c.r., pour l’appelante.
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Rodrigue Bédard, c.r., et Roger Thibodeau, c.r., pour les intimés, le Conseil et R.L. Fournier et J.L. MacDougall.
Phil Cutler, Ross Goodwin et Pierre Langlois, pour l’intimé, le Syndicat.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — Le Syndicat intimé a présenté une requête au Conseil canadien des relations ouvrières, ci-après appelé le Conseil canadien, pour être accrédité comme agent négociateur d’un certain groupe de salariés de l’appelante préposé aux opérations maritimes qu’elle poursuit dans les limites du port de Trois-Rivières ou ses environs immédiats sur le fleuve Saint-Laurent, dans la province de Québec. L’unité de négociation proposée par le Syndicat est ainsi décrite dans sa demande:
All boats running D.O.T. Pilots to ships belonging to the Three River Boatmen.
L’appelante a contesté cette requête. Elle a soumis principalement et avec vigueur qu’il s’agit là d’une entreprise locale, intra-provinciale qui, en raison de sa nature, n’est pas comprise dans la catégorie des entreprises ou affaires auxquelles s’applique la première partie de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, S.R.C. 1952, c. 152, ci-après désignée sous le nom de Loi sur les différends du travail. Et sans préjudice à cette objection fondamentale, l’appelante a plaidé que l’unité à l’égard de laquelle se rapporte la demande du Syndicat ne constitue pas une unité habile à négocier collectivement et que la majorité des employés de cette unité ne sont pas membres en règle du Syndicat. Après enquête et audition, le Conseil canadien rejeta l’objection principale de l’appelante en s’appuyant sur les considérations suivantes quant aux faits:
Respondent operates five boats designated as service boats or ships’ tenders at the harbour of Trois-Rivières to provide the transport of pilots from and to the Canada Department of Transport office at Trois-Rivières to be put aboard or brought ashore from ships proceeding up or down the St. Lawrence River including trans ocean, eastern coastal and domestic shipping in order to provide such ships with the pilotage services required for navigation purposes on the section of the St. Lawrence River serviced from the Trois-Rivières Canada Department of Transport station. The Respondent may be called upon also to transport on its boats customs officers and medical officers for other departments of the Government of Canada and shipping companies’ agents on ships’ business to ships pro-
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ceeding up river and may transport also ships’ officers and crewmen from shore to ship and ship to shore for ships anchored in the river in the vicinity of Trois-Rivières on request of the ship’s captain; however, the requirements for these services are irregular.
It is clear from the evidence that the primary purpose of the Respondent’s undertaking in which its service boats are engaged is the transport of pilots from shore to ship and ship to shore to ships requiring pilotage services in proceeding up and down the St. Lawrence River. For this purpose the Respondent provides a 24 hour per day service operating on a 3 shift per diem basis. These service boats operate within a radius of some 5 miles up and down stream from the harbour. The crew on each of these service boats consists of a captain and a seaman. The shore based personnel employed by the Respondent to service these boats consists of 2 marine engineers, a mechanic, a machinist, a maintenance man and a labourer. All of these employees together with a clerk who is in charge of a shop maintained by the Respondent at St. Antoine de Tilly where its boats are built and repaired comprise the proposed bargaining unit.
En droit, le Conseil canadien invoqua la décision du Conseil Privé dans Paquet et al v. Corporation of Pilots for and below the Harbour of Quebec and Attorney General for Canada[2] et la décision de cette Cour dans Eastern Canada Stevedoring Company Limited[3]. Et se résumant, le Conseil canadien disposa en ces termes de l’objection fondamentale de l’appelante:
The Board concludes on the evidence that the Respondent’s primary business involves directly an aspect of pilotage. It has been held that the subject of pilotage falls exclusively within the jurisdiction of the Parliament of Canada — see Paquet v. Pilots’ Corporation (1920) A.C. 1029. Furthermore to the limited extent that the Respondent provides services going beyond the subject of pilotage, it would appear that these services should be properly regarded as an essential part of navigation and shipping within the principles recognized by the Supreme Court of Canada in Eastern Canada Stevedoring Company Limited Reference (1955) S.C.R. 529.
Étant ainsi d’opinion que les travailleurs de l’unité de négociation proposée étaient employés à une entreprise ou affaire à laquelle s’applique la première partie de la Loi sur les différends du travail et que, de plus, cette unité était une unité habile à négocier collectivement, le Conseil canadien accorda la demande d’accréditation du Syndicat.
C’est alors que, afin de se pourvoir contre cette décision du Conseil canadien, l’appelante, en janvier 1967, s’adressa, par requête, à la Cour supérieure, district de Québec, pour obtenir la délivrance d’un bref d’assignation, adressé aux intimés, leur enjoignant de surseoir à toute procédure
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découlant de cette décision, de transmettre le dossier à la Cour supérieure et d’y comparaître pour voir statuer sur la requête et la demande d’un jugement déclarant que le Conseil canadien n’a pas juridiction pour accréditer le Syndicat comme agent négociateur de ses employés et revisant, en conséquence, la décision du Conseil canadien. Cette requête fut signifiée au Conseil canadien, à son bureau à Ottawa, en en laissant une copie à J. Lorne MacDougall, son administrateur en chef, et à son bureau à Montréal, en en laissant une copie à Roger L. Fournier, agent des relations industrielles. Les intimés comparurent devant M. le juge en chef Dorion, objectèrent à la délivrance du bref d’assignation et demandèrent qu’il y eût une enquête préalablement à la plaidoirie en droit. Cette demande fut refusée. Le savant juge rappela, par ailleurs, en rendant subséquemment jugement sur la requête, le principe voulant que sur une requête de ce genre, le juge ne soit pas appelé à décider le fond du litige, qu’il peut fort bien arriver que, à la suite d’une enquête et lorsque tous les faits relativement à la cause auront été prouvés, le Tribunal en vienne à la conclusion que le remède demandé ne peut être accordé, mais que, pour ce qui est de la requête demandant la délivrance du bref, il faut s’en rapporter aux faits qui sont allégués dans la requête.
Il convient à ce point de référer aux allégations de faits contenues dans la requête. Il n’est pas nécessaire de les relater ici textuellement. Il suffit d’indiquer l’essence des faits qui sont pertinents et que le juge, au stade de la demande de la délivrance du bref, a le droit sinon l’obligation de tenir comme avérés. Voici ces faits: l’appelante a sa principale place d’affaires à St-Antoine de Tilly, comté de Lotbinière, où elle construit, répare et entretient des bateaux. Elle a aussi sur la rive nord du Saint-Laurent à Trois-Rivières une autre place d’affaires consistant dans un terrain riverain, bâtiments y érigés, et un quai, loués d’un particulier, d’où elle conduit les opérations de quatre vedettes à moteur, une remorque de rivière et un chaland, dont le port d’attache est à cet endroit. Ces divers bateaux sont utilisés pour assister les navires qui manœuvrent dans le port de Trois-Rivières ou au transbordement de passagers entre navires et rives du Saint-Laurent, dans les limites du port de Trois-Rivières ou ses environs immédiats. Le chaland est utilisé au transport de pièces lourdes entre
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navires et les rives du Saint-Laurent, toujours dans le port de Trois-Rivières et ses environs immédiats. Ces services de l’appelante sont requis et rémunérés par les propriétaires des navires auxquels ils sont rendus ou par leurs agents. Les taux en vigueur pour ces services sont négociés et approuvés par la Shipping Federation of Canada ou la Dominion Marine Association, associations qui entre elles groupent la presque totalité des propriétaires de navires naviguant sur le fleuve Saint-Laurent. Les bateaux de l’appelante n’ont jamais navigué ailleurs que dans les limites de la province de Québec, soit toujours dans les environs immédiats de la ville de Trois-Rivières sauf lorsqu’ils ont à descendre, à l’occasion, à ses chantiers de St-Antoine de Tilly, comté de Lotbinière. Enfin, on allègue le fait que l’entreprise de l’appelante est d’un caractère exclusivement intra-provincial et que le Conseil canadien a mésinterprété la preuve faite devant lui pour rendre la décision attaquée.
Après avoir pris la requête en délibéré, le juge de première instance considéra que les faits dont il devait tenir compte étaient ceux qui étaient allégués dans la requête et non ceux qui étaient relatés dans la décision du Conseil canadien, que ces faits se rapportent exclusivement à des opérations de transport intra-provincial, que prima facie le Conseil canadien a excédé sa juridiction en appliquant les dispositions de la Loi sur les différends du travail aux activités de l’appelante et que ces allégations de faits, supportées par affidavit, justifient, en droit, les conclusions recherchées dans la demande. Il considéra de plus que la Cour supérieure a juridiction pour contrôler l’exécution d’une décision rendue par le Conseil canadien, lorsque cette exécution doit se faire dans la province de Québec. En conséquence, il accorda la requête enjoignant aux intimés de suspendre toute procédure et transmettre au greffe de la Cour supérieure le dossier complet de l’affaire afin qu’il soit déterminé si la décision du Conseil canadien est exécutoire quant aux employés de l’appelante et il ordonna la suspension de toute procédure relative à l’exécution de cette décision.
De là deux appels distincts à la Cour du banc de la reine[4], soit l’appel conjoint du Conseil canadien et ses officiers MacDougall et Fournier et l’appel du Syndicat.
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Ces appels furent entendus simultanément par un banc composé de MM. les juges Rinfret, Montgomery et Salvas. Le Syndicat, d’une part, persista à soutenir que le Conseil canadien avait juridiction en ce qui a trait aux relations entre l’appelante et ses travailleurs. Le Conseil canadien, d’autre part, adopta les arguments du Syndicat et ajouta que la Cour supérieure n’avait, en vertu de l’art. 846 du nouveau Code de procédure civile, aucun pouvoir de surveillance ou de contrôle sur ses procédures ou ses décisions. La Cour d’appel accepta cette prétention du Conseil canadien et pour cette raison jugea inopportun de se prononcer sur l’application de la Loi sur les différends du travail et la juridiction du Conseil canadien en ce qui concerne les activités précitées de l’appelante. Les appels furent maintenus et la requête de la compagnie Three Rivers Boatman Ltd. fut rejetée.
L’appelante demanda alors et obtint la permission d’appeler à cette Cour de ces jugements.
Ainsi qu’il appert des motifs donnés par M. le juge Montgomery, avec l’accord de ses collègues, la décision de la Cour d’appel se fonde sur les dispositions du premier paragraphe de l’art. 846 C.P.C., lues à la lumière de celles de l’art. 33 du nouveau Code qui était déjà en vigueur au temps de l’institution des procédures en l’espèce. Le premier paragraphe de l’art. 846 se lit comme suit:
846. La Cour supérieure peut, à la demande d’une partie, évoquer avant jugement une affaire pendante devant un tribunal soumis à son pouvoir de surveillance ou de contrôle, ou reviser le jugement déjà rendu par tel tribunal:
Ce qu’il faut entendre par tribunal soumis à son pouvoir de surveillance ou de contrôle apparaît, dit-on, aux dispositions suivantes de l’art. 33 C.P.C.
33. A l’exception de la Cour d’appel, les tribunaux relevant de la compétence de la Législature de Québec, ainsi que les corps politiques et les corporations dans la province, sont soumis au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure, en la manière et dans la forme prescrites par la loi, sauf dans les matières que la loi déclare être du ressort exclusif de ces tribunaux, ou de l’un quelconque de ceux-ci, et sauf dans les cas où la juridiction découlant du présent article est exclue par quelque disposition d’une loi générale ou particulière.
D’où l’on conclut qu’il s’agit d’un tribunal relevant de la compétence de la Législature de Québec et que tel n’étant pas le cas du Conseil canadien — que le Parlement a créé
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par la Loi sur les différends du travail, — les dispositions de l’art. 846 C.P.C. ne peuvent s’appliquer au Conseil canadien et offrir à l’appelante le moyen de se pourvoir contre l’absence ou les excès de juridiction de ce tribunal administratif fédéral. Il se peut, poursuit M. le juge Montgomery, que, en vertu d’une loi d’avant la Confédération ou en vertu du droit commun, la Cour supérieure ait retenu une certaine autorité pour restreindre un excès de juridiction de la part d’un tribunal administratif fédéral, que ce soit au moyen de certiorari ou prohibition, recours remplacés, précise-t-il, par celui qu’établit l’art. 846 du nouveau Code. Toutefois, à son avis, cette question ne saurait se présenter, vu que l’appelante a choisi d’exercer le recours établi au nouveau Code, recours inapplicable en l’espèce pour les raisons ci-dessus indiquées. Enfin, le savant juge a noté que, alors que le présent appel était en délibéré devant la Cour d’appel, un autre banc de cette Cour, composé de MM. les juges Taschereau, Owen et Choquette, avait jugé, dans une cause concernant le Conseil canadien, le même Syndicat et Agence Maritime Inc., que le Conseil canadien n’était pas soumis à la juridiction de la Cour supérieure en vertu des dispositions de l’art. 846 C.P.C. et suivants. Dissident, M. le juge Choquette aurait rejeté cet appel; il exprima l’opinion que s’il était vrai que l’art. 33 et partant l’art. 846 visent les tribunaux relevant de la compétence de la Législature de Québec et que le Conseil canadien tire son existence d’une loi fédérale, le texte de ces articles ne prive pas la Cour supérieure de l’autorité qu’elle détient en vertu de sa loi organique et des pouvoirs inhérents à sa fonction. Et M. le juge Choquette ajouta que le bref délivré en vertu de l’art. 846 et suivants vaut comme bref d’assignation ordinaire et que, par sa requête, Agence Maritime Inc. avait demandé à la Cour supérieure de déclarer que la décision du Conseil canadien était nulle et de nul effet. Cet arrêt de la Cour d’appel dans Agence Maritime Inc. est présentement l’objet d’un pourvoi devant notre Cour.
Avec le plus grand respect, je dois dire que je ne puis partager la conclusion à laquelle la Cour d’appel en est arrivée.
Au jour où elle fut créée en 1849, la Cour supérieure acquit en plénitude la juridiction civile de première instance et particulièrement la juridiction de surveillance jusqu’alors exercée par la Cour du Banc du Roi, cf 12
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Victoria, c. 38, art. VII. Au même temps, on décréta que les brefs de prérogatives, afférents à l’exercice de cette juridiction de surveillance, émaneraient désormais de la Cour supérieure, cf 12 Victoria, c. 41, art. XVI. La Cour supérieure devenait ainsi nantie du pouvoir de surveillance, basé sur la common law, qu’exerçait en Angleterre la Court of King’s Bench sur laquelle la Cour du Banc du Roi fut modelée. Cette loi du contrôle judiciaire sur les tribunaux, corps politiques ou corporations exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, nous vient du droit public anglais introduit au Québec lors et par suite de la cession. On réfère à cette juridiction de surveillance, que possédait en Angleterre la Court of B.R. (Banco Regis), dans la cause de Groenvelt v. Burwell[5]. Il s’agissait du pourvoi d’un médecin contre une décision des Censeurs du Collège des Médecins de Londres, le condamnant à une amende et à la prison. On objecta que le médecin était sans remède, le statut ne prévoyant pas de writ of error ou de certiorari. Le Juge en chef Holt déclara:
That a certiorari lies, for no court can be intended exempt from the superintendency of the king in this court of B.R. (Banco Regis). It is a consequence of every inferior jurisdiction of record that their proceedings be removable into this court, to inspect the record and see whether they keep themselves within the limits of their jurisdiction…
Et on trouve au Québec, avant 1849, une application de cette loi sur le contrôle judiciaire dans Hamilton v. Fraser[6], où, dans une décision rendue en 1811, la Cour du Banc du Roi accueillit une demande de prohibition contre la Cour de Vice-Amirauté et dans King v. Gingras[7], où, dans une décision rendue en 1833, la Cour provinciale des appels fit droit à une demande de certiorari dirigée contre les Commissaires chargés de l’érection des églises. Écartant de la considération, pour l’instant, les dispositions de l’art. 33 du nouveau Code, dont il sera question ci-après, on doit retenir que depuis 1849, la Cour supérieure a toujours conservé et exercé cette juridiction, concurremment pour un temps seulement avec la Cour de Circuit. Quant à la conservation de ce droit, on peut référer aux arts. 1031 et 1220 du premier code de procédure civile, entré en vigueur
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avant la Confédération, soit le 28 juin 1867, aux arts. 1003 et ss. et 1292 et ss. du second code de procédure civile entré en vigueur le 1er septembre 1897 et à l’art. 846, — qui sera ci‑après considéré, — du nouveau Code en vigueur depuis le 1er septembre 1966. Et quant à l’exercice de cette juridiction de surveillance à l’endroit de personnes ou organismes relevant de la compétence du Parlement et exerçant des pouvoirs quasi judiciaires, on peut référer aux décisions suivantes: Hon. G. Ouimet, Atty. Gen. v. Hon. J.H. Gray[8], cas d’un arbitre nommé par le Gouvernement du Canada en vertu de l’art. 142 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique; The United Shoe Machinery Company of Canada v. The Hon. Charles Laurendeau et al.[9], cas d’une commission siégeant en vertu de la Loi des enquêtes sur les coalitions (1910) 9-10 Ed. VII, c 9; The Montreal Street Railway Co. v. The Board of Conciliation & Investigation et al.[10], cas d’un conseil de conciliation et d’enquête nommé en vertu de la Loi des enquêtes en matière de différends industriels (1907) 6-7 Ed. VII, c. 20; Reid v. Charpentier et al.[11], cas d’arbitres nommés en vertu de l’art. 196 de l’Acte des chemins de fer du Canada, 1906, S.R.C., c. 37 The Lachine, Jacques-Cartier & Maisonneuve Railway Co.[12], encore un cas d’arbitres nommés en vertu de la même loi des chemins de fer; Goulet v. Winters et al.[13], cas d’une cour martiale siégeant en vertu de la Loi de la Milice, 1906 S.R.C., c. 41; Poulin v. Casgrain[14], cas d’un juge de la Cour supérieure agissant, comme persona designata, en matière de contestation d’élection fédérale, 1927 S.R.C., c. 50; Stanley and others v. The Canada Labour Relations Board et al.[15], où référence est faite à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Vantel Broadcasting Co. Ltd. v. Canada Labour Relations Board[16]. C’est en 1957, par la loi 5-6 Elizabeth II, c. 15, art. 1, que la Législature de Québec amenda l’art. 50 C.P.C., — reproduit à l’art. 33 du nouveau Code, — pour statuer expressément que le droit de surveillance ou de réforme de la Cour supérieure sur les tribunaux inférieurs
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serait limité aux tribunaux relevant de la compétence de la Législature de Québec. Une législature est présumée légiférer dans les limites de sa compétence. La Législature de Québec n’a pas la compétence pour modifier et rien n’indique qu’elle ait entendu modifier, par cet amendement de 1957, l’autorité de surveillance et contrôle que la Cour supérieure possède depuis avant la Confédération, tant en vertu de sa loi organique qu’en vertu des pouvoirs inhérents à sa fonction, sur les organismes qui relèvent maintenant de la compétence du Parlement et qui exercent une action judiciaire ou quasi judiciaire dans les affaires de la province et rendent des décisions qui y sont exécutoires. Seul compétent pour ce faire, depuis 1867, cf. art. 129 de la Loi impériale, 30-31 Victoria, c. 3, (Acte de l’Amérique du Nord Britannique), le Parlement n’a pas, généralement du moins, attribué, à une autre cour, ce droit de contrôle et de surveillance. Il s’ensuit que la Cour supérieure possède toujours cette autorité dont elle hérita, par statut, de la Cour du Banc du Roi en 1849, de sorte que toute personne qui se prétend lésée dans ses droits, par suite d’un excès de juridiction de la part d’un organisme fédéral, peut, afin de les faire reconnaître et en assurer le respect, recourir à cette autorité. On reconnaît d’ailleurs aux dispositions de l’art. 31 du nouveau Code de procédure civile que la Cour supérieure est le tribunal de droit commun et qu’elle connaît en première instance de toute demande qu’une disposition formelle de la loi n’a pas attribuée exclusivement à un autre tribunal. C’est là un principe de droit public, basé sur la common law, qu’on trouve exprimé en ces termes par le Vicomte Haldane, à la page 962, dans Board v. Board[17]:
If the right exists, the presumption is that there is a Court which can enforce it, for if no other mode of enforcing it is prescribed, that alone is sufficient to give jurisdiction to the King’s Court of Justice. In order to oust this jurisdiction, it is necessary, in the absence of a special law excluding it altogether, to plead that jurisdiction exists in some other court.
Et plus loin, à la page 963, le savant juriste ajoute… nothing shall be intended to be out of the jurisdiction of a superior court but that which especially appears to be so. Dans les cas où le moyen d’exercer un droit n’a pas été prévu, on peut, prescrit l’art. 20 du nouveau Code, y sup-
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pléer par toute procédure non incompatible avec les règles contenues dans ce Code ou avec quelque autre disposition de la loi. En fait et ainsi que le notent les rédacteurs de ce nouveau Code, l’art. 846 réunit les dispositions des arts. 1003 et 1292 du Code précédent, concernant respectivement la prohibition et le certiorari. Et les rédacteurs précisent que ces recours, à cause de la connexité qui existe entre eux, au point que bien souvent la distinction était difficile à établir, ont été fusionnés pour n’en former qu’un seul. Ainsi donc, et nonobstant sa double fonction, le recours mentionné à l’art. 846 n’est pas nouveau. Différent dans sa forme et non dans son essence, ce recours ne diffère pas substantiellement des recours jusqu’alors utilisés pour se pourvoir, de façon sommaire et efficace, contre les excès de juridiction des tribunaux administratifs.
Je dirais donc, à l’instar de M. le juge en chef Dorion, que la Cour supérieure a juridiction pour contrôler l’exécution d’une décision quasi judiciaire rendue par le Conseil canadien, lorsque cette exécution doit affecter les droits des justiciables de la province de Québec et y être effectuée. En l’absence de moyens prescrits pour faire appel à ce pouvoir de la Cour supérieure, les justiciables peuvent, conformément à la disposition de l’art. 20 C.P.C., recourir à la procédure applicable dans le cas des tribunaux administratifs relevant de la compétence de la Législature de Québec.
Il reste maintenant à se demander si, prima facie, le Conseil canadien a excédé sa juridiction en exerçant, en l’espèce, le pouvoir d’accréditation que lui confère la première partie de la Loi sur les différends du travail. Il nous faut donc rechercher si la première partie de ce statut s’applique à l’entreprise de l’appelante ou, plus précisément, si cette entreprise entre dans l’une des catégories d’entreprises mentionnées à l’art. 53 de ce statut, dont il convient de citer les dispositions suivantes:
53. La Partie I s’applique à l’égard des travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, ou relativement à l’exploitation de ces choses, y compris, mais non de manière à restreindre la généralité de ce qui précède:
a) les ouvrages, entreprises ou affaires exécutés ou exercés pour ou concernant la navigation et la marine marchande, intérieures ou maritimes, y compris la mise en service de navires et le transport par navires partout au Canada;
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b) les chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises, reliant une province à une ou plusieurs autres provinces, ou s’étendant au delà des limites d’une province;
c) les lignes de vapeurs et autres navires reliant une province à une ou plusieurs autres provinces, ou s’étendant au delà des limites d’une province;
d) les bacs transbordeurs entre une province et une autre, ou entre une province et tout pays autre que le Canada;
e) …
f) …
g) …
h) …
et à l’égard des patrons de ces travailleurs dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu’à l’égard des syndicats ouvriers et organisations patronales composés desdits travailleurs ou patrons.
Les faits dont il faut tenir compte pour décider du caractère juridique des opérations de l’appelante sont ceux qui sont allégués dans sa requête et non ceux que le Conseil canadien a jugé avoir été prouvés devant lui. Le Conseil ne saurait, en effet, s’attribuer une juridiction en mal interprétant la preuve qu’on lui a soumise et voilà bien précisément le fait qu’on lui reproche à la requête et que nous devons présumer, au moins pour l’instant, au stade préliminaire où en est cette requête, ainsi que le veut la disposition du second alinéa de l’art. 847 C.P.C. Ainsi donc et tenant compte des faits allégués, nous devons retenir que, rationae loci, les opérations maritimes de l’appelante sont poursuivies dans le port de Trois-Rivières ou ses environs immédiats sur le fleuve Saint-Laurent, dans la province de Québec. Quant à la nature de ces opérations, la requête ne fait pas voir dans quelle mesure elles peuvent se rattacher à du transport intra-provincial ou extra-provincial. Ce manque de précision a été noté par les juges de la Cour d’appel ainsi qu’il appert de l’extrait suivant des motifs de jugement donnés par M. le juge Montgomery, avec l’accord de ses collègues:
All parties recognize that the leading case on this question is the reference to the Supreme Court regarding the validity of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act, commonly known as the Eastern Canada Stevedoring case, 1955, S.C.R. 529. In that case a majority of the Supreme Court held that the act applied to the relations between employees and a company that performed loading and unloading services entirely within the port of Toronto, because the employer’s activities related to “navigation and shipping” within the meaning of Section 91(10) of the British
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North America Act. On the face of it, this decision is favourable to the contentions of the Appellants, but Respondent maintains that it is distinguishable on the facts. When we turn to the facts of the present case, we find that they are not clearly set forth in the petition. Respondent does not admit that the findings of fact in the Board’s judgment are correct but opposed Appellant’s attempt to make evidence at the hearing of the petition. I am therefore of the opinion that we should not attempt to decide the merits of the question on the record as it stands.
Vu que la requête fait voir que les opérations de l’appelante sont conduites à Trois-Rivières ou dans ses environs immédiats mais qu’elle ne fait pas voir que ses opérations se rattachent à du transport extra-provincial, le savant juge de première instance était justifié, à ce stade préliminaire de la procédure, d’accorder la délivrance du bref d’assignation.
Pour toutes ces raisons, j’accueillerais l’appel des jugements prononcés, le 15 mai 1968, par la Cour du banc de la reine, dans les dossiers portant les numéros 7076 et 7080 de ses dossiers, et je rétablirais le dispositif du jugement de première instance; le tout avec dépens.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Langlois & Langlois, Québec.
Procureurs des intimés, le Conseil, R.L. Fournier et J.L. MacDougall: Germain, Thibaudeau & Lesage, Québec.
Procureurs de l’intimé, le Syndicat: Culter, Lamer, Bellemare, Robert & Desaulniers, Montréal.
[1] [1968] B.R. 575.
[2] [1920] A.C. 1029, 54 D.L.R. 323.
[3] [1955] R.C.S. 529, [1955] 3 D.L.R. 721.
[4] [1968] B.R. 575.
[5] (1699), 1 Ld. Raym. 454, 3 Salk. 354, 91 E.R. 1202.
[6] (1811), Stu. K.B. 21.
[7] (1833), Stu. K.B. 560.
[8] (1871), 15 L.C.J. 306.
[9] (1911), 12 R.P. 319.
[10] (1913), 44 C.S. 350.
[11] (1913), 45 C.S. 56.
[12] (1914), 23 B.R. 373.
[13] (1919), 56 C.S. 521.
[14] [1950] R.P. 91.
[15] [1967] C.S. 104.
[16] (1962), 35 D.L.R. (2d) 620, 40 W.W.R. 95.
[17] (1919) A.C. 956, [1919] 2 W.W.R. 940, 48 D.L.R. 13.