Cour suprême du Canada
Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier, [1969] R.C.S. 745
Date: 1969-06-10
Charles-Eugène Martel (Demandeur) Appelant;
et
Hôtel-Dieu St-Vallier (Défendeur) Intimé.
Patrick Vigneault (Défendeur) Appelant;
et
Charles-Eugène Martel (Demandeur) Intimé.
1969: Mars 17, 18, 19; 1969: Juin 10.
Coram: Les Juges Fauteux, Abbott, Judson, Ritchie et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPELS d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[2], infirmant en partie un jugement du Juge Miquelon. Appel du demandeur accueilli et appel de l’anesthésiste rejeté.
Richard Dufour, pour l’appelant Charles-Eugène Martel.
Michael Cain, pour l’intimé Hôtel-Dieu St-Vallier.
Preston B. Lamb, c.r., et Pierre S. Sébastien, pour l’appelant Patrick Vigneault.
Richard Dufour, pour l’intimé Charles-Eugène Martel.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE PIGEON: — Au début de janvier 1960, en vue d’une hémorroïdectomie, l’appelant Charles-Eugène Martel («le demandeur») alors âgé de 49 ans a été hospitalisé chez l’intimé, l’Hôtel-Dieu St-Vallier de Chicoutimi («l’hôpital»). Après quelques jours de traitement pour hypertension et de multiples examens avec radiographies, etc., on l’a conduit à une salle d’opération où une anesthésie caudale a été pratiquée par l’appelant Patrick Vigneault («l’anesthésiste»), un médecin résident qui, le mois précédent, avait reçu du Collège des Médecins son certificat de spécialiste en anesthésie. L’opération a ensuite été faite par le docteur Émile Simard, chirurgien choisi par le patient. Cette opération classée comme chirurgie mineure a parfaitement réussi mais dès le lendemain, 12 janvier, on constatait une espèce de paralysie des membres inférieurs particulièrement du côté droit. En tentant de se lever le matin, le demandeur faisait une chute. Le surlendemain, il présentait en outre ce que le docteur Gaston Comtois, chef du service d’anesthésie, a appelé «des phénomènes assez étranges», savoir des contractions musculaires douloureuses.
Le 23 janvier, un examen neurologique pratiqué par le docteur Claude Bélanger révélait une «paraparésie» des membres inférieurs beaucoup plus marquée à droite qu’à gauche attribuée à une «arachnoïdite de la queue de cheval, vraisemblablement par inflammation d’étiologie chimique». A ce moment-là le docteur Bélanger ajoutait à ce diagnostic les mots «sans évidence de myélite». Toutefois, à l’enquête, il a admis que les signes observés démontraient l’existence
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d’une lésion au niveau de la moelle épinière appuyant ainsi l’opinion du docteur Lionel Lemieux, expert en neurologie, à l’effet qu’il y avait des indices certains d’atteinte de la moelle.
Malgré tous les traitements, le demandeur est resté invalide. On a même constaté lors de l’enquête en 1964 que son degré d’invalidité était plus prononcé qu’à la fin de septembre 1960, et ne pourrait que s’aggraver davantage.
Saisie d’une poursuite contre l’hôpital et l’anesthésiste, la Cour supérieure (Paul Miquelon J.) les a condamnés solidairement à payer une indemnité de $58,216.33.
En Cour d’appel la majorité (Brossard et Salvas JJ.) a infirmé la condamnation contre l’hôpital. Taschereau J. dissident, aurait au contraire annulé la condamnation contre l’anesthésiste.
A l’encontre de cet arrêt, les deux parties se sont pourvues devant nous, le demandeur pour faire rétablir la condamnation prononcée contre l’hôpital, l’anesthésiste pour faire annuler la sienne.
Disons d’abord en ce qui concerne la responsabilité de l’anesthésiste, qu’il y a sur l’existence d’une faute présumée contre lui identité d’opinion entre le juge de première instance et tous ceux de la Cour d’Appel. Ceux de la majorité ont conclu à l’irresponsabilité de l’hôpital uniquement parce qu’ils n’ont pas voulu admettre que l’anesthésiste devait être considéré comme un préposé de l’hôpital. Quant au dissident, c’est seulement pour cause de prescription qu’il aurait rejeté la poursuite contre l’anesthésiste.
Ensuite, il faut noter que les défendeurs ont admis au procès que le préjudice subi par le demandeur avait été causé par l’anesthésie caudale qui lui a été administrée. Ils contestent cependant le bien-fondé de la conclusion que l’on en a tirée à l’existence d’une faute dans l’administration de l’anesthésie. Le principe sur lequel on s’est fondé pour conclure ainsi a été énoncé comme suit par le juge Taschereau (avant de devenir juge en chef) dans un arrêt sans dissidence de cette Cour, Parent c. Lapointe[3]:
Quand, dans le cours normal des choses, un événement ne doit pas se produire, mais arrive tout de même, et cause un dommage à autrui, et quand il est évident qu’il ne serait pas arrivé s’il n’y avait pas eu de négligence, alors, c’est à l’auteur de ce fait à démontrer qu’il y a une cause étrangère, dont il ne peut être tenu responsable et qui est la source de ce
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dommage. Si celui qui avait le contrôle de la chose réussit à établir à la satisfaction de la Cour, l’existence du fait extrinsèque, il aura droit au bénéfice de l’exonération.
Ces phrases écrites dans une affaire d’accident d’automobile ont été déclarées applicables à la responsabilité médicale: Cardin c. Cité de Montréal[4], un arrêt unanime de cette Cour. C’est à bon droit que les tribunaux du Québec à l’instar de ceux des autres provinces et de Grande‑Bretagne ont depuis assez longtemps rejeté une certaine théorie d’après laquelle en matière de responsabilité médicale, une preuve directe de la faute aurait été nécessaire. Les textes qui admettent la preuve par présomption de fait (art. 1238, 1242, C.C.) ne font aucune distinction et il n’y a pas lieu d’en introduire arbitrairement.
Il faut donc uniquement rechercher si la preuve faite était suffisante pour permettre de conclure qu’en toute probabilité ce qui s’est produit ne serait pas arrivé en l’absence de faute. Je dis «en toute probabilité» car il est clair que lorsque dans le texte ci-dessus cité le juge Taschereau dit «il est évident», il n’entend pas exiger un degré de certitude autre que celui qui doit servir à juger les causes civiles, soit une probabilité raisonnable. Il ne s’agit pas d’une certitude hors de tout doute raisonnable qui est exigée en matière criminelle seulement. Encore moins peut-on exiger une certitude mathématique, une démonstration qui exclut toute autre probabilité. Dans Montreal Tramways c. Léveillé[5], cette Cour a admis une présomption de fait comme preuve suffisante de la relation de cause à effet entre une chute faite par une femme enceinte et la difformité de son enfant.
Ici, il y a sûrement une preuve suffisante pour démontrer que la paralysie ne devait pas normalement se produire comme conséquence d’une anesthésie caudale bien administrée. Le docteur Comtois, chef du service d’anesthésie de l’hôpital, a témoigné qu’on y avait pratiqué plus de 10,000 anesthésies de ce genre sans qu’un pareil résultat se produise. Quant au témoin expert de la défense en matière d’anesthésie, le Docteur Dubeau, il a parlé d’un seul autre cas sans d’aucune manière affirmer qu’il avait été démontré qu’il s’agissait d’un accident inévitable. Certains anesthésistes ont témoigné qu’à leur avis il était possible qu’une
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sensibilité particulière à l’anesthésique employé, la «xilocaïne» additionnée d’adrénaline, ait causé l’inflammation grave qui s’est produite, mais d’autres l’ont nié catégoriquement, et parmi ces derniers on trouve le chef du service d’anesthésie de l’hôpital, le docteur Comtois. Après avoir mentionné diverses réactions possibles telles qu’une chute de pression, il a dit:
Alors ça, ce sont des choses qu’on rencontre assez souvent, mais de là à avoir des paraplégies, et des paralysies, non.
Il faut dire que la seule explication suggérée par la défense pour expliquer l’accident en excluant une faute, savoir une susceptibilité particulière à l’anesthésique utilisé, est une pure hypothèse qui n’est aucunement démontrée et que la preuve tend fortement à exclure. Au reste, tous les témoignages médicaux sont unanimes à constater l’absence de toute contre‑indication pour le genre d’anesthésie employée.
Il faut maintenant observer que l’on n’a aucunement démontré que la Cour supérieure et la Cour d’appel avaient fait erreur en jugeant que la présomption n’avait pas été repoussée. Il est bien vrai que l’anesthésiste a juré être certain d’avoir fait correctement l’injection de l’anesthésique et d’avoir bien vérifié en lisant l’étiquette sur les deux fioles qu’il avait injecté la solution voulue. Cela ne suffisait pas pour obliger le tribunal à conclure à l’absence de faute surtout lorsque l’accident n’était pas expliqué. Dans Parent c. Lapointe, le conducteur de l’automobile avait bien juré qu’il n’avait aucunement senti venir le sommeil. On a cependant refusé de le croire et on l’a jugé coupable d’avoir commis la faute de conduire une automobile alors qu’il avait sommeil.
Ici, pour justifier le tribunal de ne pas accepter l’affirmation de l’anesthésiste, il y a plus que le résultat inexpliqué de l’injection. Il y a également le fait que son témoignage malgré sa sincérité n’est pas convaincant parce qu’il n’a aucun souvenir précis de ce cas particulier. Ce n’est pas parce qu’il se souvient exactement de ce qu’il a fait qu’il affirme ne pas avoir commis d’erreur mais uniquement parce qu’il est convaincu d’avoir fait comme il fait toujours. Il se souvient si peu de ce qui s’est passé que jusqu’à ce qu’on lui montre que l’infirmière en charge de la salle de réveil y avait noté une visite de sa part, il affirme ne pas y avoir été. A cela, il faut ajouter que la technique décrite par
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l’anesthésiste et qui consiste à mélanger dans un petit bocal deux solutions d’anesthésique dont une seule devait renfermer de l’adrénaline, ne permet aucunement d’exclure l’hypothèse de toutes sortes d’erreurs conciliables avec les effets observés.
Il faut maintenant rechercher si la majorité en Cour d’appel a eu raison de statuer que «le contrat conclu entre l’hôpital et le docteur Vigneault n’a pas créé entre eux les liens de préposition de maître à domestique ou de mandant à mandataire envisagés par le dernier alinéa de l’article 1054 C.C. ou par les articles 1720 et 1731 C.C.». Le juge Brossard dit à ce sujet:
Avec déférence pour les opinions contraires, il ne m’est pas possible, même de faire un rapprochement, juridiquement ou autrement, entre le contrat qui intervient entre une institution d’hospitalisation et le malade qu’elle reçoit et le contrat d’entreprise auquel sont parties des entrepreneurs en travaux de plomberie ou d’électricité ou en enlèvement de vidanges, ni surtout d’assimiler juridiquement le contrat qui intervient entre une institution hospitalière et un médecin au contrat de travail liant les entrepreneurs susdits à un plombier, un électricien ou un boueur; sans transformer l’obligation née du premier contrat en obligation de résultat ou modifier celle née du second contrat en obligation de moyens.
Avec respect, ce raisonnement me paraît aller à l’encontre de la décision unanime rendue dans Cardin c. Cité de Montréal[6]. Depuis l’arrêt de cette Cour dans Sœurs de St-Joseph c. Fleming[7], personne ne soutient que les techniciens, infirmières et infirmiers ne doivent pas être considérés comme des préposés. Il est cependant indubitable qu’ils sont susceptibles de commettre des fautes professionnelles dans l’administration de traitements ou autres soins médicaux. Nul ne prétend qu’on impose à un hôpital une obligation de résultat en le tenant pour responsable du préjudice découlant de fautes commises par eux dans l’exécution de leurs fonctions. En effet, leur responsabilité s’apprécie d’après le même critère que celle des médecins, on ne les juge pas en faute du seul fait qu’un traitement ne procure pas la guérison. Cependant, lorsqu’il y a lieu de le faire, on leur applique comme aux médecins la présomption que la Cour d’appel est unanime à admettre contre ces derniers. Puisque l’on rejette à bon droit une théorie de la responsabilité médicale impliquant une règle de preuve autre que le principe ordinaire acceptant les présomptions de fait, je ne vois
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pas comment on peut considérer que l’application aux médecins de la règle ordinaire sur la relation de préposition est inconciliable avec une conception exacte de la responsabilité dont il s’agit.
Ici, l’anesthésiste était l’employé salarié de l’hôpital En outre de son salaire à titre de résident en anesthésie, il recevait un montant mensuel fixe prélevé sur les honoraires perçus par l’hôpital comme frais d’anesthésie chargés aux patients. Le demandeur n’a eu rien à voir dans le choix de son anesthésiste. Celui-ci a été désigné par le chef du service d’anesthésie de l’hôpital. On ne saurait prétendre qu’il soit ensuite passé sous la direction du chirurgien car l’anesthésie était faite quand celui-ci est arrivé à la salle d’opération. De plus, il faut souligner que le service d’anesthésie était à ce moment-là un service de l’hôpital et non une entreprise distincte. Certains témoins ont prétendu que le patient avait toujours le droit de choisir son anesthésiste. Considérant l’ensemble de la preuve sur ce point, la seule conclusion possible c’est qu’il pouvait être apporté des exceptions à la règle d’après laquelle l’anesthésie était pratiquée par un médecin du service d’anesthésie désigné par le chef de ce service.
On a fait état d’un document signé par le demandeur lors de son entrée à l’hôpital et qui se lit comme suit:
Par la présente j’autorise le médecin ou les médecins en charge du soin de M. Charles‑Eugène Martel, à administrer tout traitement ou à administrer tels
Nom du patient.
anesthésiques et à accomplir telles opérations jugées nécessaires ou recommandables dans le diagnostic, et le traitement de ce patient.
On ne saurait voir là autre chose qu’un consentement aux interventions. Il ne s’y trouve rien qui modifie la nature juridique du contrat entre le demandeur et l’hôpital. Celui-ci est clairement une convention par laquelle l’établissement s’est engagé à fournir des soins au demandeur. C’est en exécution de ce contrat que l’anesthésie a été pratiquée sans qu’intervienne aucune relation contractuelle entre l’anesthésiste et le demandeur: ni lui, ni son médecin traitant, ni son chirurgien n’ont été consultés à ce sujet. L’anesthésiste en l’occurrence a donné ses soins comme l’y obligeait son contrat d’emploi avec l’hôpital et comme l’ont fait les autres membres du personnel: radiologistes, techniciens de laboratoire, infirmières, infirmiers, etc. Sa qualité de médecin spécialiste n’y change rien. Il serait contraire aux faits
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prouvés que de considérer l’hôpital comme un mandataire ayant requis pour le compte du demandeur les services professionnels de l’anesthésiste. Ce n’est pas ce qui s’est produit.
Le préjudice subi par le demandeur ayant donc été causé par une faute présumée de l’anesthésiste au cours de l’exécution des fonctions auxquelles il était préposé par l’hôpital, il faut conclure à la responsabilité quasi-délictuelle de l’institution.
Cette conclusion suffit à disposer du plaidoyer de prescription invoqué par l’anesthésiste. Quand le demandeur a intenté son action en décembre 1960, il croyait que c’était le docteur Gaston Comtois qui avait pratiqué l’anesthésie. En effet, le rapport d’anesthésie porte sur la dernière ligne en regard du mot «Anesthésiste» la signature suivante: «Vigneault Comtois». Il a donc dirigé sa poursuite contre l’hôpital et le docteur Comtois et ce n’est qu’au cours d’un interrogatoire préalable de ce dernier, le 25 avril 1962, qu’il a appris que ce n’était pas lui qui l’avait anesthésié. Après cette révélation inattendue, le demandeur s’est désisté de sa poursuite contre le docteur Comtois et, avec l’autorisation du tribunal, il l’a amendée pour assigner comme défendeur solidaire avec l’hôpital le véritable anesthésiste, le docteur Vigneault. Si la demande n’était pas accueillie contre l’hôpital, il faudrait rechercher si la prescription d’un an «pour lésions ou blessures corporelles» devrait être écartée parce qu’il s’agirait d’une responsabilité contractuelle ou parce qu’il y aurait eu impossibilité d’agir. Mais vu que l’on doit conclure à la responsabilité de l’hôpital, il me semble évident que la prescription interrompue par la signification de l’action à l’hôpital a été également interrompue contre l’anesthésiste, art. 2231 C.C., premier alinéa:
2231. Tout acte qui interrompt la prescription contre l’un des débiteurs solidaires, l’interrompt contre tous.
D’après une jurisprudence bien établie, il y a solidarité entre tous les responsables d’un même dommage délictuel ou quasi-délictuel. Dans The Grand Trunk Railway et la Cité de Montréal c. McDonald,[8] cette Cour a statué à l’unanimité qu’il y a solidarité entre deux employeurs à l’égard de l’obligation découlant des fautes distinctes commises par leurs préposés respectifs et ayant causé le préjudice. Vu
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qu’en l’occurrence, il fallait pour justifier la condamnation contre le second employeur, la municipalité, statuer que la prescription avait été interrompue par la poursuite contre le premier, la conclusion à l’existence de la solidarité est un motif essentiel de l’arrêt. Il va de soi que si l’on reconnaît la solidarité entre deux commettants pour un dommage découlant de la faute commune de leurs préposés, à plus forte raison faut-il l’admettre entre le commettant et le préposé. Parmi les nombreux arrêts en ce sens on peut citer: Beaubien c. Laframboise[9], Cité de Montréal c. Beauvais[10].
Je ne puis cependant méconnaître la difficulté qui est signalée par les juges Taschereau et Fauteux dans Modern Motor Sales Ltd. c. Masoud[11], et qui découle de l’art. 1106 C.C. Ce texte ajouté après la première rédaction du titre des obligations se lit comme suit:
1106. L’obligation résultant d’un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire.
1106. The obligation arising from the common offence or quasi-offence of two or more persons is joint and several.
On ne saurait nier qu’à proprement dire le commettant est responsable du délit ou quasi-délit commis par son préposé dans l’exécution de ses fonctions sans l’avoir commis lui-même. D’après les dictionnaires, le délit ou quasi-délit c’est le fait fautif, non la responsabilité qui en découle.
A ce sujet il faut observer que dans l’affaire McDonald le juge en chef et le juge Brodeur, les seuls à étudier la question de solidarité, se sont largement appuyés sur la jurisprudence de la Cour de Cassation, Or, au Code Napoléon, après les art. 1200, 1201 et 1202 correspondant substantiellement aux art. 1103, 1104 et 1105 C.C. (sauf le dernier alinéa), on ne trouve aucune disposition analogue à l’art. 1106. Au Code pénal, l’art. 55 vise seulement «les individus condamnés pour un même crime ou un même délit». En France, on ne peut donc se fonder que sur l’art. 1200 C.N. pour conclure à la solidarité entre personnes civilement responsables d’un même dommage. C’est bien ce que décidait autrefois la Cour de Cassation, ainsi dans un arrêt du 17 mars 1902 (Hayem et comp. c. Nico D.P. 1902, 1, 541), on lit:
Attendu qu’il était constant et reconnu par toutes les parties, que Nico et Christmann se trouvaient obligés, envers Hayem et comp., à la réparation
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intégrale du préjudice résultant pour ces derniers de quasi-délits auxquels tous deux avaient participé, de manière que chacun des débiteurs pouvait y être contraint pour la totalité, et que le payement, fait par un seul aurait eu pour effet de libérer l’autre; — Attendu que ces conditions, qui sont celles déterminant, d’après l’art. 1200 c. civ., l’existence de la solidarité entre les débiteurs, leur rendaient applicable l’art. 1285 c. civ., d’après lequel la remise ou décharge conventionnelle au profit de l’un des codébiteurs solidaires libère tous les autres, à moins que le créancier n’ait expressément réservé ses droits contre ces derniers;
Invariablement, l’objection à la solidarité dans des cas semblables a été fondée sur l’art. 1202 C.N., qui correspond aux deux premiers alinéas de l’art. 1105 C.C. Quoique le Code décrète à l’art. 1200: «Il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le payement fait par un seul libère les autres envers le créancier», on soutient qu’il n’y a qu’une obligation in solidum si la loi ou la convention ne l’a pas qualifiée «solidaire» et cela parce qu’à l’art. 1202 on dit ensuite: «La solidarité ne se présume point; il faut qu’elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi». Cette manière de voir sur laquelle les auteurs sont divisés, semble prévaloir actuellement en jurisprudence française. Les juges Bissonnette et Rinfret y ont fait écho dans Blumberg c. Wawanesa Mutual Ins. Co.[12] sans que ce motif soit retenu par une majorité. Cette Cour[13] a confirmé l’arrêt sans se prononcer sur cette question. C’est aussi ce qu’il semble à propos de faire dans le cas présent. Comme il s’agit ici d’une obligation quasi-délictuelle il n’est pas nécessaire de décider si la solidarité découle de l’art. 1103 ou de l’art. 1106 du Code civil
Il convient d’observer qu’il n’est aucunement contraire à la notion de solidarité que de considérer solidaires à l’égard du créancier deux débiteurs dont l’un est, envers l’autre, responsable du tout. Cette éventualité est prévue à l’art. 1120.
1120. Si l’affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concerne que l’un des codébiteurs, celui-ci est tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne sont considérés par rapport à lui que comme ses cautions.
Le fait que dans la poursuite à l’origine on ait mentionné le docteur Comtois et non le docteur Vigneault comme codé-
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biteur ne saurait empêcher l’effet interruptif de la demande. L’amendement apporté ultérieurement est admis par la jurisprudence: Lefaivre c. Fontaine[14]. De toute façon, la demande initiale était suffisamment libellée contre l’hôpital en alléguant le fait cause du dommage, malgré l’erreur dans le nom de l’auteur et il faut appliquer le second alinéa de l’art. 2224 C.C.:
Cette interruption se continue jusqu’au jugement définitif et elle vaut pour tout droit et recours résultant de la même source que la demande.
Pour ces raisons, je suis d’avis d’accueillir avec dépens l’appel de Charles-Eugène Martel contre l’Hôtel-Dieu St-Vallier; d’infirmer le jugement de la Cour du banc de la reine afin de rejeter avec dépens l’appel de l’hôpital contre le jugement de la Cour supérieure en date du 18 juin 1965, et de rétablir la condamnation solidaire prononcée contre lui et contre le défendeur Patrick Vigneault au montant de $58,216.33 avec intérêt depuis l’assignation et les dépens. Quant à l’appel de Patrick Vigneault, je suis d’avis de le rejeter avec dépens.
Appel du demandeur C.E. Martel accueilli et appel du défendeur P. Vigneault rejeté.
Procureurs de C.E. Martel: Dufour, Tremblay et Larouche, Chicoutimi.
Procureurs de P. Vigneault: Lafleur et Brown, Montréal.
Procureurs de l’Hôtel-Dieu St-Vallier: Fradette, Bergeron, Cain, Lamarre, Bouchard et Wells, Chicoutimi.
[1] [1968] B.R. 389.
[2] [1968] B.R. 389.
[3] [1952] 1 R.C.S. 376 à 381, [1952] 3 D.L.R. 18.
[4] [1961] R.C.S. 655, 29 D.L.R. (2d) 492.
[5] [1933] R.C.S. 456, 41 C.R.C. 291, [1933] 4 D.L.R. 337.
[6] [1961] R.C.S. 655, 29 D.L.R. (2d) 492.
[7] [1938] R.C.S. 172.
[8] (1918), 57 R.C.S. 268, 23 C.R.C. 361, 44 D.L.R. 189.
[9] (1926), 40 B.R. 194.
[10] [1944] B.R. 215.
[11] [1953] 1 R.C.S. 149 à 156.
[12] [1960] B.R. 1165.
[13] [1962] R.C.S. 21.
[14] [1962] B.R. 483.