Cour Suprême du Canada
Commission des Écoles Catholiques de Montréal c. Ville de Montréal-Est, [1970] R.C.S. 393
Date: 1970-01-27
La Commission des Écoles Catholiques de Montréal (Demanderesse) Appelante;
et
La Ville de Montréal-Est (Défenderesse) Intimée.
1969: le 25 novembre; 1970: le 27 janvier.
Présents: Les Juges Fauteux, Abbott, Ritchie, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement du Juge Gold. Appel rejeté.
C. Vermette, pour la demanderesse, appelante.
Jules Deschênes, c.r., et Thomas Vien, c.r., pour la défenderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Un abrégé historique de la législation spéciale qui a donné naissance à ce litige paraît indispensable.
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Depuis 1869 il existe à Montréal, en vertu de la loi 32 Vict., c. 16, un régime spécial de taxation pour fins scolaires. Les biens imposables sont inscrits sur trois listes:
Liste numéro un: immeubles appartenant à des propriétaires catholiques romains.
Liste numéro deux: immeubles appartenant à des protestants.
Liste numéro trois: immeubles appartenant à des «corporations, compagnies incorporées» ou autres contribuables qui ne sont pas classés catholiques romains ou protestants.
Le produit de la taxe prélevée sur les immeubles de la liste numéro trois, ordinairement appelée «liste neutre», était partagé entre les bureaux de commissaires d’écoles catholiques romains et protestants.
En 1925, une loi spéciale (15 George V, c. 45) a constitué pour Montréal et une dizaine de villes de banlieue, le Bureau central des écoles protestantes de Montréal qui, avec l’extension de son territoire, est plus tard devenu le Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal. L’article 16 de cette loi, que j’appellerai «la Loi de 1925», a profondément modifié non seulement le régime de taxation des immeubles appartenant à des protestants dans la ville de Montréal et les autres municipalités assujetties à cette loi d’exception mais aussi le régime de taxation des immeubles inscrits sur la «liste neutre». Au lieu de la taxe prévue par la législation applicable à chaque municipalité, le paragraphe 1 de cet article a imposé sur les immeubles appartenant à des protestants une «taxe scolaire protestante» tandis que le paragraphe 2 imposait sur les immeubles «inscrits sur la liste neutre» une autre taxe à un taux uniforme pour tout le territoire et en prévoyait la répartition comme suit:
2. Dès le 1er juillet 1925, dans les diverses cités, villes ou autres municipalités locales mentionnées dans le paragraphe 1 du présent article, il est, par la présente loi, imposé une taxe uniforme, au taux de douze millièmes dans la piastre, sur tous les immeubles inscrits sur la liste neutre de chacune de ces cités. villes ou municipalités locales, pour être répartie entre les protestants et les catholiques, aux fins de l’éducation, tel que prescrit par la loi.
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Le paragraphe 4 a décrété qu’à défaut d’autres dispositions applicables, «la liste neutre» serait formée des propriétés qui seraient sur la «liste numéro trois» suivant la loi applicable à la Ville de Montréal. Ensuite le paragraphe 5 a édicté que les taxes ainsi imposées seraient prélevées et perçues par «les autorités municipales compétentes en même temps que les taxes municipales», chaque municipalité devant remettre au Bureau central la taxe scolaire protestante et la part de la taxe sur la «liste neutre» destinée à l’éducation protestante.
Dès l’année suivante, la Législature apportait plusieurs modifications à l’art. 16. La plus importante était motivée par le fait suivant. La Loi de 1925, comme l’indique son titre, «Loi concernant les écoles protestantes de la cité de Montréal et de ses environs», avait été préparée du seul point de vue protestant d’après le rapport d’une commission nommée à cette fin et mentionnée au préambule. Le Bureau central protestant touchant tout le revenu destiné aux écoles protestantes n’avait pas à se préoccuper du fait que dans certaines municipalités où la «liste neutre» était particulièrement bien garnie, la perception dépassait les dépenses à prévoir. Il en était tout autrement du côté catholique où les commissions scolaires restaient indépendantes les unes des autres. La solution apportée a consisté à decréter en substance, avec effet rétroactif à compter du jour où l’art. 16 avait pris effet, qu’une commission scolaire catholique ne pourrait pas toucher une part du produit de la taxe sur la «liste neutre» supérieure à celle qu’elle aurait si cette taxe était imposée au taux applicable aux immeubles appartenant à des contribuables catholiques dans son territoire. Le texte ajoute: «le surplus, s’il y en a, doit être immédiatement remboursé aux contribuables inscrits sur la «liste neutre», dans la même proportion que celle qu’ils ont payée» (16 Geo. V, c. 47, art. 1).
La ville de Montréal-Est, l’intimée, était une municipalité où, par suite de l’importance de la «liste neutre» et du petit nombre d’enfants inscrits dans les écoles catholiques, le remboursement prévu par la disposition ajoutée à Fart. 16 en 1926, la «ristourne», était important. Comme
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l’administration municipale en connaissait d’avance le montant en ayant en main toutes les données nécessaires pour en effectuer le calcul, elle ne prélevait que le montant net payable par les contribuables inscrits sur la «liste neutre» au lieu de prélever le plein montant et d’en rembourser l’excédent.
Il n’est pas nécessaire de passer en revue les nombreuses modifications apportées à ce régime spécial. Il suffit pour l’instant de constater que la Législature supprima la «ristourne» par la loi 11-12 Eliz. II, chapitre 74, sanctionnée le 11 juillet 1963. Dans le nouveau texte de l’art. 16, la disposition relative au surplus de la taxe de la «liste neutre» (deuxième alinéa du paragraphe 2) est la suivante:
Le surplus de la taxe de la liste des neutres, s’il y en a, doit être immédiatement remis aux commissions scolaires catholiques dont le territoire est situé dans le territoire du bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal de la façon suivante: les commissions dont le revenu de l’année précédente par élève inscrit dans leurs écoles est inférieur à trois cents dollars reçoivent un dollar par élève inscrit au 30 septembre de l’année courante pour chaque cent mille dollars ou fraction de cent mille dollars de ce surplus; le solde de ce surplus, le cas échéant, est remis à la Commission des écoles catholiques de Montréal et aux commissions ayant un revenu par élève de trois cents dollars ou plus, mais inférieur au revenu par élève de la Commission des écoles catholiques de Montréal, et ce, au prorata des élèves inscrits respectivement dans les écoles de ces commissions au 30 septembre de l’année courante.
Pour fonder une réclamation sur ce texte, l’appelante invoque l’art. 9 de la loi précitée de 1963 qui se lit comme suit:
9. L’article 1 de la présente loi ne s’applique pas aux taxes qui doivent être prélevées pour l’année scolaire 1963-1964, sauf quant aux dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l’article 16 de la loi 15 George V, chapitre 45 et ses amendements.
La défense de l’intimée qui a été accueillie par la Cour provinciale dans un jugement confirmé unanimement par la Cour d’appel[2], c’est qu’en vertu de sa charte les taxes scolaires dans son
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territoire ne sont pas imposées pour l’année scolaire mais pour l’année de calendrier. Quand elle a, en décembre 1962, prélevé les taxes scolaires en même temps que les taxes municipales pour l’année 1963, elle a déduit la «ristourne» et prélevé seulement le montant net dû par les contribuables de la «liste neutre» d’après la loi alors en vigueur. Ce n’est que lorsqu’elle a prélevé les taxes municipales et scolaires pour l’année 1964 qu’elle a pu tenir compte du changement et c’est donc uniquement pour la seconde moitié de l’année scolaire 1963-1964 que l’appelante et les autres commissions scolaires intéressées ont touché la «ristourne» au lieu des contribuables. En effet, suivant la Loi de l’Instruction publique, S.R.Q. 1964, c. 235, art. 1, par. 26°, «les mots «année scolaire» désignent les douze mois compris entre le 1er juillet d’une année et le 30 juin, inclusivement, de l’année suivante».
Tout le litige repose donc sur l’interprétation qu’il faut donner à l’art. 9 de la loi spéciale de 1963 en regard de ses autres dispositions, du texte précité de la Loi de l’Instruction publique et de la charte de l’intimée. La thèse de l’appelante consiste essentiellement à soutenir que la taxe scolaire est imposée par l’art. 16 de la Loi de 1925 avec les modifications apportées ultérieurement, notamment par la loi de 1963, et que la charte de l’intimée n’en fixe qu’un mode de perception. Cet argument n’a été retenu par aucun des juges qui ont antérieurement examiné cette affaire.
Au sujet de la charte de l’intimée, il convient de faire les observations suivantes. Elle est régie par la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, dans la mesure où il n’y est pas dérogé. Par conséquent, son année financière est l’année de calendrier (art. 483). Par contre, suivant l’art. 16 de la Loi de 1925 l’année d’imposition est l’année scolaire, soit la période qui commence le 1er juillet et se termine le 30 juin de l’année suivante, pour la taxe scolaire.
Après l’adoption de la Loi de 1925, l’intimée refusa de s’y conformer sous prétexte que le prélèvement sur la «liste neutre» au taux fixé rapporterait aux commissaires d’écoles catholiques un montant dépassant les besoins. Dès le 1er décembre elle se faisait dire par la Cour supérieure que c’était une objection à faire valoir
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devant la Législature et non devant les tribunaux mais qu’en attendant, elle devait se conformer à la loi comme elle était (Le Bureau central des écoles protestantes c. La Ville de Montréal-Est[3]).
Pour obéir au mandamus, l’intimée dut donc prélever la taxe scolaire au mois de décembre 1925 en attendant que la Législature règle le problème du surplus de la façon que l’on sait en instituant la «ristourne». Il semble qu’après cela l’intimée continua à ne prélever qu’au mois de décembre la taxe scolaire pour l’année scolaire commençant le 1er juillet. En 1935, elle obtint de la Législature l’addition à sa charte de la disposition suivante (25-26 Geo. V, c. 131, art. 4):
4. Nonobstant toute loi générale ou spéciale à ce contraire, l’exercice financier de la ville commence le premier janvier et finit le 31 décembre de chaque année, et les taxes et contributions foncières annuelles, y compris toutes taxes scolaires que la ville est tenue de percevoir, sont censées être imposées, prélevées et dues pour le même exercice, et à cette fin, la ville est autorisée à faire un rôle spécial de perception desdites taxes scolaires, pour la période courant du premier juillet au 31 décembre, 1935, au taux établi par la loi ou l’autorité compétente relativement auxdites taxes scolaires pour l’année finissant le 30 juin, 1935, et à fixer par règlement, la date de l’exigibilité des dites taxes.
Comme on le voit, ce texte comporte plusieurs choses. Il ne décrète pas seulement que toutes les taxes foncières «y compris toutes taxes scolaires que la ville est tenue de percevoir sont censées être imposées, prélevées et dues pour le même exercice», l’année de calendrier, il prévoit aussi pour les taxes scolaires un rôle spécial «pour la période courant du premier juillet au 31 décembre 1935, au taux établi… pour l’année finissant le 30 juin, 1935». Cette dernière partie du texte démontre clairement qu’à Montréal-Est, depuis 1935, les taxes scolaires sont imposées pour chaque année de calendrier au taux fixé pour l’année scolaire qui commence le premier juillet précédent. En effet, pour produire le changement de l’année scolaire à l’année de calendrier, la Législature se trouve à avoir décrété explicitement qu’après avoir imposé pour l’année
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scolaire 1934-1935 les taxes prévues par la loi, l’intimée percevrait, pour le dernier semestre de l’année de calendrier 1935, les taxes scolaires non pas au taux fixé pour l’année scolaire en cours, mais au taux fixé pour l’année scolaire précédente. Il est donc clair que, pour l’année de calendrier 1936, c’est le taux fixé pour l’année scolaire 1935-1936 qui doit servir de base et ainsi de suite. La preuve a démontré que la loi a toujours été appliquée de cette façon-là.
Peut-on, dans ces circonstances, considérer que la moitié des taxes scolaires prélevées par l’intimée pour l’année de calendrier 1963 est une taxe prélevée pour l’année scolaire 1963-1964? Je ne le crois pas. Comme nous venons de le voir, l’effet de la Loi de 1935, c’est que dans le territoire de l’intimée la taxe scolaire n’est pas imposée pour l’année scolaire, mais bien pour l’année de calendrier. Elle est ainsi imposée au taux fixé pour l’année scolaire qui est en cours au début de l’année de calendrier. Par la volonté expresse du législateur, en vertu d’une disposition décrétée plusieurs années après l’adoption de la Loi de 1925, ce n’est qu’avec un décalage de six mois qu’une modification dans le taux d’imposition de la taxe scolaire prend effet dans le territoire de l’intimée.
En Cour d’appel, le juge Hyde, avec lequel le juge Casey est d’accord, a dit:
[TRADUCTION] La modification de 1935 à la charte de la ville (art. 4 précité) en déterminant que l’exercice financier coïnciderait avec l’année de calendrier édicte que toutes les taxes «y compris toutes taxes scolaires… sont censées être imposées, prélevées et dues pour le même exercice.» Cette loi a été sanctionnée le 11 avril 1935. A la différence de la loi de 1963, le législateur y prévoit une période de transition, en autorisant la ville à dresser un rôle spécial de perception pour la première moitié de ce qui aurait été l’exercice financier suivant (1935-1936), c’est-à-dire, du 1er juillet au 31 décembre 1935.
Faute d’une disposition semblable ou d’un autre moyen de régler la question dans la Loi de 1963, je ne vois rien qui permette à la ville de dresser un autre rôle pour les six derniers mois de l’année 1963, lesquels sont déjà visés par le rôle de l’année de calendrier 1963 ou d’imposer une taxe spéciale pour cette période, solution que nécessiterait le recouvrement de la «ristourne» sur la «liste neutre».
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Les taxes scolaires que la ville a prélevées en décembre 1962 pour l’année de calendrier 1963 répondaient aux exigences de la loi. Je suis d’accord avec le savant Juge de première instance que la remise de la partie remboursable du montant des taxes était une méthode raisonnable, en regard des dispositions de la Loi de 1925 à l’effet que «le surplus, s’il y en a, doit être immédiatement remboursé aux contribuables inscrits sur la «liste neutre», dans la même porportion que celle qu’ils ont payée». Comme on peut le voir par le compte de taxes d’Imperial Oil Limited, reproduit ci-haut, il s’agissait de sommes importantes et cette méthode évitait des écritures inutiles et le paiement d’intérêts.
La perception par la ville du plein montant de la taxe pour en rembourser le surplus par la suite n’aurait rien changé aux droits des parties. Qu’à la fin de l’année, la ville n’ait pas suffisamment d’argent pour faire face aux dépenses plutôt modestes signalées par la Commission des écoles catholiques ne regardait pas la Commission, mais bien la ville elle‑même.
Je suis également d’accord avec le Juge de première instance que la Loi de 1963 ne peut avoir d’effet rétroactif au-delà du 1er juillet 1963, et que pour accueillir la demande de la Commission il faudrait lui donner un tel effet.
Ce raisonnement me paraît bien fondé et, sauf ce qui précède, je ne vois rien qui puisse utilement y être ajouté. Il s’ensuit que le pourvoi à cette Cour doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Riel, Bissonnette, Vermette & Ryan, Montréal.
Procureur de la défenderesse, intimée: T. Vien, Montréal.
[1] [1969] B.R. 281.
[2] [1969] B.R. 281.
[3] (1925), 64 C.S. 38.