Cour suprême du Canada
Metropolitan Life Insurance Co. c. International Union of Operating Engineers, [1970] R.C.S. 425
Date: 1970-01-27
Metropolitan Life Insurance Company (Plaignant) Appelante;
et
International Union of Operating Engineers, Local 796 (Défendeur) Intimé.
1969: les 12, 15 et 16 décembre; 1970: le 27 janvier.
Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Martland, Ritchie, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], rejetant un appel d’une ordonnance du Juge Fraser. Appel accueilli.
W.B. Williston, c.r., et B.H. Stewart, pour l’appelante.
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S.L. Robins, c.r., et R. Koskie, pour intimé.
C.L. Dubin, c.r., pour l’Ontario Labour Relations Board.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — Le pourvoi de Metropolitan Life Insurance Company (ci-après appelée la Compagnie) est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario1, rendu le 27 novembre 1968 et rejetant l’appel interjeté par la compagnie contre une ordonnance du Juge Fraser, datée du 29 février 1968 et rejetant la requête de la compagnie pour bref de certiorari en vue d’évoquer l’affaire à la Cour Suprême et de faire invalider un certificat décerné par l’Ontario Labour Relations Board (ci-après appelée la Commission), daté du 29 août 1967, et accréditant l’International Union of Operating Engineers, Local 796 (ci-après appelé le Syndicat) comme agent négociateur de tous les salariés de la compagnie à sa division des immeubles à Ottawa préposés à l’entretien et au nettoyage des édifices. Sont exclus de ce groupe les contremaîtres, les titulaires de postes supérieurs à celui de contremaître, les employés de bureau et les personnes travaillant habituellement au plus vingt-quatre heures par semaine.
L’appel est interjeté conformément à la permission d’appeler accordée par la Cour d’appel de l’Ontario, le 13 janvier 1969.
Le 20 février 1967, le syndicat demandait à la Commission de l’accréditer comme agent négociateur de certains salariés de la division des immeubles de la compagnie, à Ottawa, alléguant que l’unité de négociation projetée comprenait trente salariés et que vingt et un d’entre eux étaient membres du syndicat.
La compagnie a fait opposition à cette demande en s’appuyant sur le motif que ses avocats invoquaient dans une lettre à la Commission, datée du 9 mai 1967, savoir:
[TRADUCTION] L’intimée soutient que la seule interprétation possible des statuts du requérant, notamment des articles X et XIII, défend d’admettre comme membres du Syndicat les personnes dont se réclame le requérant en l’instance; elle allègue donc que, pour la Commission, agréer une telle demande
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impliquerait non seulement l’admission d’adhérents autres que ceux que prévoient spécifiquement les statuts du requérant, mais encore aller carrément en conflit avec eux.
La contestation de l’accréditation accordée par la Commission se fonde sur la façon dont on a disposé de cette opposition.
La Commission a exposé longuement et de façon détaillée les motifs de son rejet de l’allégation de la compagnie. Elle a déclaré que cette dernière avait fondé son argumentation sur la fausse prémisse que les dispositions des statuts d’un syndicat ouvrier lient la Commission lorsque, en vertu de l’article 7 de la loi intitulée Labour Relations Act (ci-après appelée la Loi), elle doit décider qui est membre du syndicat. La Commission a continué l’exposé de ses motifs par l’énoncé de la ligne de conduite qu’elle a adoptée pour déterminer si un salarié est membre d’un syndicat qui demande l’accréditation:
[TRADUCTION] Sur réception d’une demande d’accréditation, la Commission demande au requérant de fournir la preuve que chaque salarié qu’on dit être membre du syndicat requérant
(1) a demandé son adhésion au requérant,
et
(2) a indiqué qu’il accepte de devenir membre et en assume les obligations
(a) en versant, de ses propres deniers, au requérant, un montant d’au moins $1 à l’égard du droit d’entrée ou de la cotisation mensuelle que prescrit le requérant,
ou
(b) en allant en personne demander son admise sion formelle, ou en assumant les obligations de membre, ou en posant un autre acte que la Commission estime celui d’un membre du syndicat.
Après avoir déclaré que la Commission a agi en conformité de cette ligne de conduite, l’énoncé des motifs poursuit:
[TRADUCTION] A l’examen de l’article X des statuts du requérant, il est évident qu’une personne qui signe une demande d’adhésion et paie un dollar ne devient pas pour autant membre du syndicat, au sens où l’entendent les statuts. Vu la longue expérience de la Commission en ce domaine, nul ne peut mettre en doute que cela est également vrai des statuts de la plupart des autres syndicats.
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Le point à retenir est donc que la Commission a depuis longtemps adopté une ligne de conduite selon laquelle, si elle doit, pour les fins de l’article 7 de la Loi, décider si une personne est membre d’un syndicat ouvrier qui demande l’accréditation, elle se laisse guider par ses propres normes et ne tient pas compte des statuts des syndicats requérants, sauf dans les circonstances exposées plus loin.
Les «circonstances exposées plus loin» semblent être celles où les statuts renferment «une interdiction nette ou une exclusion explicite à l’égard d’une certaine classe de personnes».
Après avoir expliqué pourquoi la Commission juge cette pratique souhaitable, les motifs reprennent:
[TRADUCTION] C’est pourquoi, lorsqu’elle doit déterminer si des salariés sont des «membres» aux termes de l’article 7 de la Loi, la Commission a jugé bon d’adopter une norme uniforme plutôt que de s’attacher aux exigences des statuts des syndicats. On a soutenu, cependant, que la Commission doit tenir compte des statuts d’un syndicat pour interpréter le mot «membres» et, par conséquent, décider de l’admissibilité de celui qui veut devenir membre d’un syndicat ouvrier. A notre avis, cela irait directement à l’encontre de la ligne de conduite adoptée par la Commission en matière de conditions d’adhésion, ligne de conduite dont nous ne sommes pas prêts à dévier. En d’autres mots, soit que, dans l’article 7 de la Loi on considère le mot «membres» en fonction des conditions d’adhésion à un syndicat ouvrier imposées par ses statuts ou en fonction de leurs dispositions relatives à l’admissibilité, la Commission ne s’estime pas liée par ces conditions ou dispositions, fidèle en cela à sa tradition établie. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner l’argumentation de l’avocat de l’intimée sur ce point puisqu’elle se fonde sur le postulat que la Commission est ainsi liée.
La Commission analyse ensuite un certain nombre de décisions, et elle poursuit:
[TRADUCTION] En bref, avant de décider si un syndicat ouvrier qui demande l’accréditation est en mesure de représenter tous les salariés compris dans une unité de négociation, la Commission recherche d’abord si le syndicat accorde à chacun d’eux les pleins droits et privilèges de membre. Si la preuve vient étayer cette conclusion, la Commission est disposée à déclarer ces salariés admissibles comme membres (et, si la preuve est suffisante, qu’ils le sont en fait) aux termes de l’article 7 de la Loi, et même
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à déclarer le syndicat habile à représenter tous les salariés qui composent l’unité. Nous nous empressons cependant d’ajouter que, naturellement, la Commission réviserait sa décision advenant qu’on établisse ultérieurement que des membres de l’unité de négociation ne sont pas traités comme des membres à part entière du syndicat. Elle devrait également en tenir compte dans ses décisions subséquentes. Quoi qu’il en soit, la possibilité qu’une situation du genre se produise un jour ne constitue pas, à notre avis, un motif suffisant pour refuser le droit à la négociation collective dans un cas précis.
En s’appuyant sur les principes énoncés dans les extraits précités des motifs de sa décision, la Commission a conclu:
[TRADUCTION]…que plus de cinquante-cinq pour cent des salariés de l’intimée étaient membres de l’unité de négociation à la date de la demande d’accréditation et membres du syndicat requérant le 28 février 1967, date limite fixée pour la demande et date que la Commission, en vertu de l’article 77(2) (j) de The Labour Relations Act, a déterminée pour la vérification du nombre de membres, conformément à l’art. 7(1) de ladite Loi.
et elle a accordé l’accréditation en conséquence.
Après avoir précisé le genre de requête à lui soumise, le Juge Fraser a poursuivi:
[TRADUCTION] Un exemplaire des statuts de l’International Union of Operating Engineers a été déposé comme pièce «C» en annexe à la déclaration sous serment de M.J.W. McKinnon. Il ressort de l’étude de ces statuts qu’ils ne considèrent admissibles à titre de membres que les mécaniciens de machines fixes. Je me réfère en particulier aux articles 10(1), 13(1) et 1(2). Il est également clair que les salariés composant l’unité de négociation projetée n’étaient pas des mécaniciens de machines fixes. Les statuts du Syndicat niant à ces salariés l’admissibilité, aucun de ses dirigeants ne pouvait les agréer de façon à les lier avec le Syndicat. Personne n’a contesté ce principe que les tribunaux ont établi dans Martin v. Scottish Transport and General Workers Union, [1952] 1 All E.R. 691, Chambre des Lords, Orchard et autres c. Tunney [1957] R.C.S. 436, et Faramus v. Film Artistes’ Association [1964] 1 All E.R. 25, Chambre des Lords.
La Commission a exposé les motifs de sa décision avec beaucoup de précision et de soin. Elle n’a pas laissé entendre que les salariés compris dans l’unité de négociation sont membres du Syndicat au sens juridique et absolu du terme, de façon à y être liés. Il lui est cependant arrivé d’accréditer des syndicats,
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comme l’intimé en cette affaire, pour représenter des salariés autres que des mécaniciens de machines fixes. Elle a établi, sur ce point, une ligne de conduite qu’elle a expliquée dans ses motifs. Il est inutile d’étudier ces motifs en détail, il suffit de dire que la Commission a appliqué certaines normes qu’elle juge acceptables en pratique, et qu’elle ne s’estime pas liée par les statuts du Syndicat si ces normes sont respectées. La présente requête pose donc nettement la question de savoir si l’erreur en droit, évidente à la lecture du dossier, que la Commission a commise en déterminant quels sont les membres du Syndicat requérant, est sujette à révision par voie de certiorari.
Devant nous comme en Cour d’appel, l’avocat de l’appelante a soutenu que, vu les termes des articles 79 et 80 de la Loi, il ne pouvait s’appuyer et il ne s’appuyait pas sur la prétention que la Cour a le droit d’invalider le certificat de la Commission à cause d’une erreur de droit évidente à la lecture du dossier.
Après une étude attentive de plusieurs précédents, le Juge Fraser a exposé le motif principal de sa décision dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Je traiterai maintenant des articles de la Loi qui confèrent compétence. L’article 7(1), précité, oblige la Commission à déterminer le nombre de salariés qui adhèrent au syndicat. Le paragraphe (3) du même article prescrit à la Commission d’accréditer le syndicat ouvrier, si elle est convaincue que plus de 55 p. 100 des salariés qui composent l’unité de négociation sont membres du syndicat. Quant à l’article 79, précité, il donne à la Commission compétence exclusive d’exercer les pouvoirs que lui confère la Loi et de se prononcer sur toute question de fait ou de droit relative à toute affaire dont elle est saisie, et toute action ou décision qui en découle est définitive et péremptoire à toutes fins. Rien dans le contexte ne restreint le sens de ces articles. Par eux, le législateur a confié des pouvoirs exclusifs à l’Ontario Labour Relations Board, dans ce domaine précis. La question que la Commission avait à trancher s’insérait indéniablement dans ce cadre. Face à une clause privative qui supprime formellement le recours au certiorari et en l’absence d’abus ou de refus d’exercice de compétence, il n’y a pas lieu à certiorari en invoquant comme motif une erreur de droit sur une question ressortissant à la compétence exclusive de la Commission. Pour reprendre les termes que, dans Galloway Lumber Co. Ltd. c. The Labour Relations Board of British Columbia and International Woodworkers
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of America, Local No. 1-405, [1965] R.C.S. 222, à la p. 224, le Juge Judson citait comme relevant du vocabulaire consacré de cette branche du droit, il n’y a là rien qui soit «auxiliaire, préalable ou juridictionnel» et la question est de «l’essence même» du problème que la Commission avait à résoudre.
Après avoir examiné un certain nombre d’affaires qu’on lui avait citées et relevé les distinctions à faire, le savant Juge a conclu:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, la Commission a commis une erreur de droit. Pour les motifs énoncés, je suis d’avis que l’erreur a trait à une question relevant de la compétence exclusive de la Commission et que les dispositions privatives de l’article 80 interdisent le recours au certiorari pour la faire corriger. En conséquence, la requête doit être rejetée.
C’est le Juge Laskin qui a rédigé les motifs de la décision unanime de la Cour d’appel. La lecture complète de ces motifs s’impose évidemment, mais il me semble que l’essentiel est suffisamment indiqué dans les passages suivants:
[TRADUCTION]…On a prétendu que la Commission avait gravement outrepassé sa compétence en déterminant le nombre de salariés adhérant au syndicat, sans accepter d’être liée par les conditions d’admissibilité prescrites dans la constitution écrite du syndicat.
Il est discutable que les conditions d’admissibilité insérées dans cette constitution fassent obstacle à l’adhésion des salariés en cause. Quoi qu’il en soit, le syndicat les a invités à devenir membres, et un nombre suffisant d’entre eux y ont consenti pour satisfaire aux exigences de la Commission en matière de preuve d’adhésion et justifier l’accréditation sans la tenue d’un scrutin. L’un des principaux dirigeants du syndicat a déclaré dans son témoignage que ces salariés étaient membres à part entière, jouissant de tous les droits et privilèges afférents à ce titre, et qu’on avait, ailleurs, de la même manière, accepté comme membres des salariés qui n’avaient pas compétence de «mécanicien» ou de travailleur d’une occupation connexe stipulée dans les statuts.
* * *
A mon avis, la Commission n’a commis aucune erreur de droit sujette à révision. Dans l’exercice de ses fonctions, elle a rendu toutes les décisions voulues sur les questions qu’on lui a soumises en vertu de la loi qui la régit, et si fautives que ces décisions puissent paraître à une cour supérieure, elles sont
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indiscutables en vertu non seulement de l’article 80 mais aussi, indépendamment de cette disposition, en vertu de l’article 79 de l’Ontario Labour Relations Act.
* * *
Mon interprétation des dispositions législatives pertinentes ne laisse subsister en moi aucun doute sur la compétence de la Commission pour décider de façon définitive en matière d’adhésion syndicale, notamment, et pour rendre une ordonnance d’accréditation fondée en conséquence. Les dispositions en question ne font pas dépendre son pouvoir d’accréditation de la définition en dernier ressort par les tribunaux de l’adhésion syndicale. Certes il peut être difficile en certains cas de déterminer par l’interprétation de la loi, si certaines questions sur lesquelles un tribunal doit se prononcer doivent faire l’objet d’une décision comme condition préalable de sa compétence, et si par conséquent, cette décision doit être justifiée aux yeux d’une cour supérieure. La ligne de démarcation est parfois bien mince, comme le Juge d’appel Freedman en a franchement convenu dans Parkhill Bedding & Furniture Ltd. v. International Molders and Foundry Workers Union (1961), 26 D.L.R. (2d) 589. Dans la présente instance, je ne doute aucunement de quel côté de cette ligne tombe le présent litige.
Il m’est impossible de souscrire aux conclusions des cours de l’Ontario et je m’efforcerai d’exposer mes motifs le plus brièvement possible.
Je crois que personne ne conteste sérieusement les principes dont la Cour doit s’inspirer pour décider si elle peut et doit réviser l’arrêt d’un tribunal inférieur, lorsque la loi qui a institué ce tribunal renferme des dispositions semblables à celles des art. 79 et 80 de la Loi. La difficulté qui fait naître parfois des divergences judiciaires d’opinion réside dans l’application de ces principes aux faits particuliers de chaque affaire.
Dans celle qui nous occupe, la compétence de la Commission pour la délivrance du certificat contesté a sa source dans les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 7 de la Loi, qui précisent également la tâche qui lui est assignée. En voici le texte:
[TRADUCTION] 7. (1) Sur réception d’une demande d’accréditation, la Commission doit vérifier le nombre de salariés qui composent l’unité de négociation à la date de la demande d’accréditation et le nombre
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de salariés membres de l’unité qui adhéraient au syndicat ouvrier à la date établie conformément à l’article 77(2)(j).
(2) Si la Commission est convaincue qu’au moins 45 p. 100 et au plus 55 p. 100 des salariés qui composent l’unité de négociation sont membres du syndicat ouvrier, la Commission doit ordonner la tenue d’un scrutin de représentation et elle peut l’ordonner sans y être tenue si elle est convaincue que plus de 55 p. 100 des salariés sont membres du syndicat ouvrier.
(3) Si au cours d’un scrutin de représentation plus de 50 p. 100 des personnes admissibles au scrutin ont déposé leur bulletin en faveur du syndicat ouvrier, et dans d’autres cas, si la Commission est convaincue que plus de 55 p. 100 des salariés qui composent l’unité de négociation sont membres du syndicat ouvrier, la Commission doit accréditer le syndicat ouvrier comme agent négociateur des salariés compris dans l’unité de négociation.
Il n’y eut pas de scrutin. Comme condition préalable du pouvoir d’accorder au syndicat l’accréditation demandée la Commission devrait donc avoir la conviction que plus de cinquante-cinq pour cent des salariés compris dans l’unité de négociation étaient membres du syndicat le 28 février 1967.
Il est clair que la Commission était compétente pour examiner la preuve et que le certificat qu’elle a délivré en était un dont la délivrance, à prime abord, relevait de sa compétence.
Si la Commission s’était attaquée à la question de savoir si cinquante-cinq pour cent des salariés étaient membres du syndicat au sens de l’art. 7(3) de la Loi, la Cour ne pourrait intervenir dans sa décision même s’il lui paraissait qu’en la rendant, la Commission avait fait une erreur de fait ou de droit, ou l’un et l’autre.
Mais, à la lecture de l’ensemble des motifs de la Commission, et des extraits que j’ai cités plus haut en particulier, il est clair qu’elle n’a pas accompli la tâche que lui imposait l’art. 7. Plutôt que de se poser la question formulée au paragraphe précédent, elle a entrepris de rechercher si, en ce qui a trait au nombre de salariés requis, on avait rempli les conditions suivantes: (i) le salarié a demandé son adhésion au syndicat requérant, (ii) le salarié a indiqué qu’il accepte de devenir membre et qu’il en assume les obligations, en versant au requérant,
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de ses propres deniers, au moins un dollar à l’égard des droits ou cotisations requis, (iii) les statuts du requérant ne renferment pas une interdiction explicite d’admettre le salarié comme membre, et (iv) le syndicat accorde au salarié les pleins droits et privilèges de membre. L’exposé des motifs de la Commission indique clairement que, dès qu’elle est convaincue que ces quatre conditions ont été remplies relativement à un salarié, elle le considère comme membre du syndicat pour les fins de l’accréditation, même si les statuts du syndicat et le métier du salarié et ses fonctions démontrent clairement qu’il n’est pas membre du syndicat et ne peut pas l’être.
En agissant ainsi, la Commission a manqué de s’attaquer à la question qu’elle avait à trancher, savoir si les salariés en cause adhéraient au syndicat à la date prescrite; elle a plutôt tranché une question qu’elle n’avait pas à trancher (savoir si, dans le cas de ces salariés, les conditions énumérées plus haut avaient été remplies).
J’estime que, selon le droit bien établi, la Commission a outrepassé sa juridiction en agissant comme elle l’a fait, soit en se posant la mauvaise question, et qu’elle ne peut invoquer les art. 79 et 80 de la Loi pour protéger son certificat. Il est inutile, je pense, d’analyser les nombreuses décisions sur lesquelles les avocats ont appuyé leur exhaustive et utile plaidoirie au sujet de la compétence de la Cour et des règles qui la guident lorsqu’elle doit juger si un tribunal exerçant les pouvoirs que lui confère une loi les a outrepassés ou a autrement agi sans compétence. Je me contenterai de mentionner le récent arrêt de la Chambre des Lords dans Anisminic Ltd. v. Foreign Compensation Cornmission and Another[2], et en particulier l’allocution de Lord Reid aux pages 169, 170, 172 et 173, celle de Lord Pearce aux pages 191 et 192, et celle de Lord Wilberforce aux pages 203, 204 et 205; je rappelerai aussi l’arrêt de cette Cour confirmant la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, laquelle avait confirmé le
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jugement du Juge Gale (alors juge puîné) dans Toronto Newspaper Guild, Local 87, American Newspaper Guild (C.I.O.) c. Globe Printing Company[3].
Les derniers mots du Juge en chef Robertson, qui a rendu le jugement au nom de la majorité de la Cour d’appel de l’Ontario[4], résument bien, à mon sens, les actes posés par la Commission dans l’affaire qui nous occupe:
[TRADUCTION] En d’autres mots, la Commission s’est arrogé la compétence d’accorder l’accréditation sans s’assurer d’abord que le requérant répondait aux exigences préalables à l’accréditation; elle a ainsi méconnu une importante limitation de sa compétence.
Bien qu’exprimées différemment, les clauses privatives étudiées dans les deux dernières affaires citées avaient une portée tout aussi étendue que celles qui nous intéressent dans la présente cause.
Si l’opinion exprimée par le Juge Fraser dans le premier extrait de ses motifs que j’ai cité est juste (et je n’ai pas de raison d’en douter, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive), il se trouverait que la Commission aurait accordé l’accréditation alors qu’aucun des salariés compris dans l’unité de négociation n’était membre du syndicat requérant. C’est un singulier résultat, mais le motif de l’annulation de l’accréditation ne découle pas d’une erreur de fait ou de droit commise par la Commission en déterminant quels salariés étaient membres du syndicat au sens de l’art. 7 de la Loi, mais plutôt de son refus de se poser cette question et du fait qu’elle en a étudié une qui n’est pas celle qu’elle doit juger; en agissant ainsi, elle a outrepassé sa compétence de la façon que je viens d’indiquer.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les Cours contre le syndicat intimé, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de M. le juge Fraser, et d’ordonner la délivrance d’une ordonnance annulant le certificat de la Commission daté du 29 août 1967. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens ni contre la Commission, ni en sa faveur.
[1] [1969] 1 O.R. 412, 2 D.L.R. (3d) 652.
[2] [1969] 2 W.L.R. 163.
[3] [1953] 2 R.C.S. 18.
[4] [1952] O.R. 345 à la p. 365.