Cour Suprême du Canada
Richmond Pulp & Paper Co. of Canada Ltd. c. Corporation de la Ville de Bromptonville, [1970] R.C.S. 453
Date: 1970-01-27
Richmond Pulp & Paper Co. of Canada Ltd. (Demanderesse) Appelante;
et
La Corporation de la Ville de Bromptonville (Défenderesse) Intimée;
et
Les Commissaires d’Écoles de la ville de Bromptonville Mis-en-cause;
et
Aluminium du Canada Limitée et al. Intervenants.
1969: le 27 novembre; 1970: le 27 janvier.
Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement du Juge Cliche. Appel accueilli.
Jacques Viau, c.r., pour la demanderesse, appelante.
Edmund Barnard, c.r., et Edmund E. Tobin, pour la défenderesse, intimée.
C. Antoine Geoffrion, c.r., Charles Stein, c.r., et Pierre Lamontagne, pour les intervenants.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le pourvoi de l’appelante est à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel du Québec1 qui a unanimement confirmé le rejet par la Cour supérieure de l’action qu’elle a intentée contre les intimés, la Ville de Bromptonville à titre de défenderesse, les Commissaires d’écoles comme mis-en-cause. Cette action, avec la demande incidente qui y a été jointe, a vrai-
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ment pour seul but de faire déclarer non imposables pour fins scolaires les machineries de l’appelante qu’un règlement municipal a déclarées ne pas être des immeubles imposables. Les autres parties à cette instance sont des sociétés industrielles qui, vu l’importance de la question de droit en litige, ont obtenu en cette Cour la permission d’intervenir pour soutenir le pourvoi.
Les faits essentiels sont les suivants. L’appelante exploite à Bromptonville un établissement industriel. Pendant longtemps, à l’instar d’un grand nombre d’entreprises importantes au Québec, elle a joui d’une commutation de taxes accordée par loi d’exception («bill privé»). La dernière loi votée à cette fin (4-5 Eliz. II, c. 106) a cessé d’avoir effet pour les taxes municipales le 1er janvier 1961, et pour les taxes scolaires le 1er juillet 1961.
Depuis 1959 toutefois, les municipalités régies par la Loi des cités et villes ont, en vertu de la modification édictées par l’art. 7 de la loi 7-8 Eliz. II, c. 19, le pouvoir de décréter par règlement que les machineries et accessoires «ne sont pas des immeubles imposables dans la municipalité». A ce sujet, il convient de signaler que ce n’est que sous le régime de la Loi des cités et villes que les machineries sont des immeubles imposables au Québec. Elles ne le sont pas en vertu du Code municipal et, pour la plupart, elles ne le sont pas non plus à Montréal y compris toute la région métropolitaine (Le Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal c. Jenkins Bros. Ltd.[2]).
Dès le début de 1961, le conseil de la Ville de Bromptonville a voté le règlement autorisé par la loi de 1959. A la suite de ce règlement, la municipalité a toujours prélevé ses taxes sur les immeubles de l’appelante sans tenir compte de la machinerie. Cependant, la valeur en était inscrite au rôle d’évaluation en vigueur en 1961 dans la colonne des biens imposables. Les commissaires d’écoles, sur l’avis d’un conseiller juridique portant que le règlement municipal était sans effet quant aux taxes scolaires, entreprirent de cotiser l’appelante tant sur la valeur de sa machinerie que sur celle de ses autres immeubles. Lorsqu’elle apprit cela, celle-ci intenta en Cour supérieure une
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action où, en outre d’invoquer le règlement, elle porte des accusations de fraude. Plus tard, ayant constaté que la valeur de la machinerie était inscrite dans un nouveau rôle d’évaluation, l’appelante, bien que cette valeur fût portée dans la colonne des biens non imposables, produisit une demande incidente assortie de conclusions interminables (80 lignes dans le dossier imprimé). Mais comme le fait très justement observer le juge Casey en Cour d’appel:
[TRADUCTION] Malgré le langage extravagant de l’appelante et la longueur de ses plaidoiries écrites, le présent litige se réduit à une seule question: le règlement n° 238 de la Corporation soustrait-il les biens qui y sont mentionnés de la catégorie des biens qu’une corporation scolaire peut taxer en vertu des articles pertinents de la Loi de l’Instruction publique?
Pour répondre à la question, il faut évidemment, puisqu’il s’agit de taxes scolaires, examiner d’abord les dispositions de la Loi de l’Instruction publique (S.R.Q. 1941, c. 59, aujourd’hui S.R.Q. 1964, c. 235). L’article principal en vertu duquel les taxes sont imposées est l’art. 237 (autrefois 249). Il se lit comme suit:
237. Il est du devoir des commissaires et des syndics d’écoles d’imposer des taxes pour le maintien des écoles sous leur contrôle.
Le taux de la cotisation scolaire est le même pour tous les biens imposables de la municipalité. La cotisation est basée sur l’évaluation de la propriété imposable et est payable par le propriétaire. Faute de paiement, cette cotisation devient une charge spéciale portant hypothèque sur les propriétés foncières, sans qu’il soit besoin de l’enregistrement pour la conserver.
Comme on le voit, cet article, en ce qui nous concerne, ne fait que décréter que la taxe doit être prélevée sur les biens imposables. Les articles qui suivent ne définissent pas ce que sont ces biens, on n’y trouve que des dispositions relatives aux exemptions et à certaines modalités d’imposition qui ne nous intéressent pas. Il faut donc se reporter au tout début, à l’art. 1 (antérieurement art. 2), pour y trouver la définition des «biens imposables». On la trouve au par. 16 qui se lit comme suit:
(16) Les mots «biens imposables» désignent les biens-fonds sujets à l’imposition des taxes scolaires;
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C’est au paragraphe précédent du même article que l’on arrive enfin à la disposition importante, celle qui définit le mot-clé, «biens-fonds»:
(15) Les mots «biens-fonds», «terrain» ou «immeuble» désignent toute propriété foncière possédée ou occupée par une seule personne ou par plusieurs personnes conjointement, et comprennent les constructions et améliorations qui s’y trouvent. Ils comprennent aussi tout ce qui est immeuble en vertu des lois municipales régissant le territoire compris dans la municipalité scolaire et, dans les territoires non organisés au point de vue municipal, tout ce qui est immeuble en vertu du Code municipal;
Ce texte a été décrété en trois parties. Le dernier membre de phrase, savoir ce qui suit les mots «municipalité scolaire» et qui ne présente pas d’intérêt dans le présent litige, a été ajouté en 1950 (14 Geo. V, c. 18, art. 1). Le reste de la deuxième phrase a été décrété en 1914 (4 Geo. V, c. 22, art. 1). Enfin, la disposition principale, la première phrase, vient de la Loi de l’Instruction publique de 1899 (62 Vict., c. 28) où elle est l’art. 16. (Ce qui est aujourd’hui le par. 16 de l’art. 1 y est l’art. 17.) Dans cette loi de 1899 qui est une refonte législative, l’origine de chaque disposition est indiquée. Sous l’art. 13, cette indication est: «C.M. art. 19, par. 24». Évidemment, les lettres «C.M.» désignent le Code Municipal décrété par 34 Vict., c. 68, où le par. 24 de l’art. 19 se lit comme suit:
24. Les mots «biens-fonds» ou «terrain» désignent toute terre ou toute partie de terre possédée ou occupée, dans une municipalité, par une seule personne ou plusieurs personnes conjointes, et comprennent les bâtisses et les améliorations qui s’y trouvent.
On constate que dans la Loi de l’Instruction publique, alors que le texte anglais est reproduit sans autres changements que l’addition au début du mot «immoveable» et ensuite la suppression des mots «in a municipality», le texte français est quelque peu différent. Il est bien évident qu’il ne s’agit que de changements de phraséologie destinés à améliorer la version française.
Dans le Code municipal de 1916, la définition des mots «biens-fonds», «terrains» ou «immeubles» (art. 16, par. 27) reproduit celle des mots
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«biens-fonds» ou «terrains» dans l’ancien Code avec, en français, la substitution du mot «bâtiments» à «bâtisses» alors, qu’au contraire, la version anglaise reste identique à celle de l’ancien Code sauf le changement des mots définis. Cette définition de 1916 est comme suit:
27. Les mots «biens-fonds» ou «terrains» ou «immeubles» désignent toute terre ou toute partie de terre possédée ou occupée, dans une municipalité, par une seule personne ou plusieurs personnes conjointes et comprennent les bâtiments et les améliorations qui s’y trouvent;
On voit donc que, dans la Loi de l’Instruction publique, la première phrase de la définition de «biens-fonds» est en substance au même effet que la définition du Code municipal actuel aussi bien que celle de l’ancien Code dont elle a été tirée. Cela est de la plus haute importance dans la présente affaire, car la définition du Code municipal actuel a été interprétée dans deux arrêts de cette Cour: Breakey c. Le Canton de Metgermette Nord[3] et Donohue Brothers Registered c. St-Etienne de la Malbaie[4].
Dans la première de ces deux causes il s’agissait de décider si le propriétaire d’un droit de coupe de bois possède un immeuble imposable au sens du Code municipal. Quelques années auparavant, cette Cour avait statué dans Laurentide Paper Co. c. Baptist[5] que le droit de coupe de bois est purement mobilier. Cependant, en 1912, la Législature avait, par la loi 2 Geo. V, c. 45, modifié l’art. 381 du Code civil en y ajoutant les mots que je souligne en reproduisant l’article avec cette modification:
381. Sont immeubles par l’objet auquel ils s’attachent; l’emphytéose, l’usufruit des choses immobilières, l’usage et l’habitation, le droit de coupe de bois perpétuel ou pour un temps limité, les servitudes, les droits ou actions qui tendent à obtenir la possession d’un immeuble.
Cette Cour a refusé d’admettre que pour fins de taxation municipale il y ait lieu de considérer comme immeuble imposable tout ce qui est
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immeuble au sens du Code civil. Au contraire, la majorité a jugé qu’il faut s’en tenir à ce qui est compris dans la définition du par. 27 de l’art. 16. Le juge Migneault a dit (à pp. 250-251):
Il est hors de doute, depuis l’amendement apporté à l’article 381 du code civil, que le droit de coupe de bois, perpétuel ou pour un temps limité, se trouve dans la classe des immeubles par l’objet auquel ils s’attachent. Mais cette disposition du code civil ne résout pas la question qui nous est soumise. Il s’agit, au contraire, de savoir si ce droit immobilier est sujet à la taxe sur les immeubles sous l’opération du code municipal. L’article 651, premier alinéa, de ce dernier code dit bien que
sont des biens imposables tous les terrains, immeubles ou biens-fonds situés dans une municipalité locale, sauf ceux mentionnés dans l’article 693.
Cependant il faut se reporter à la définition du paragraphe 27 de l’article 16 pour déterminer la signification, pour les fins du code municipal et de l’article 651, des mots ‘terrains, immeubles ou biens-fonds’, et ce paragraphe dit:
Les mots «biens-fonds» ou «terrains» ou «immeubles» désignent toute terre ou toute partie de terre possédée ou occupée, dans une municipalité, par une seule personne ou plusieurs personnes conjointes et comprennent les bâtisses et les améliorations qui s’y trouvent.
Il résulte de cela que ce que le code municipal considère comme «biens imposables» ce sont les choses et non les droits. Le droit, en un sens, est une abstraction. C’est son objet qui le rend mobilier ou immobilier. Avant l’amendement de l’article 381 C.C., on considérait le droit de coupe de bois comme un droit mobilier, car son objet était le bois que le concessionnaire avait le droit d’aller couper et enlever: Laurentide Paper Company v. Baptist (41 Can. S.C.R. 105). Le code civil maintenant le range parmi les droits qui sont immeubles par l’objet auquel ils se rattachent. Mais cela n’entraîne pas la conséquence que ce soit une terre ou partie de terre.
Dans l’affaire Donohue Bros., le litige portait précisément sur le droit de taxer ce dont il s’agit dans le présente affaire, savoir des machines qui sont des immeubles par destination au sens du Code civil. Après avoir réaffirmé qu’il faut trancher la question en interprétant la définition
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du Code municipal, on a conclu que ces machines ne sont ni des bâtiments, ni des amélorations au sens de cette disposition. Ce qui est particulièrement intéressant c’est que l’on en est venu à cette conclusion en considérant non seulement le Code municipal actuel mais ausssi celui qui est à l’origine de la disposition de la Loi de l’Instruction publique. Le juge Migneault exprimant sur ce point une opinion à laquelle la majorité s’est ralliée, a dit: (à pp. 518-521)
On paraît admettre que les machines en question sont des immeubles par destination. Cependant, bien qu’il s’agisse d’une taxe immoblière, tout ce qui est immeuble n’est pas par là même et nécessairement imposable en vertu du code municipal, ainsi que nous l’avons jugé dans Breakey v. Metgermette Nord (61 Can. S.C.R. 237).
Et l’immeuble par destination, étant, par définition, un objet mobilier par sa nature qui est considéré comme immobilier à titre d’accessoire d’un immeuble auquel il se rettache, diffère de l’immeuble par nature en ce que son immobilisation est purement juridique et fictive, et non pas matérielle et réelle (Planiol, tome 1er, n° 2210). On ne peut jamais dire qu’il fait partie du bâtiment ou construction où il se trouve, car alors il serait un immeuble par sa nature.
Pour cette raison, je ne comprendrais pas les machines immobilisées par destination dans la signification du mot «bâtiment» ou «construction».
Mais peut-on dire que ces machines soient des «améliorations» au sens des dispositions que j’ai citées?
On trouve souvent le mot «améliorations» dans le langage du droit civil. Les auteurs du Nouveau Denisart (vo. Améliorations, parag. 1er) les définissent comme suit:
On nomme améliorations les dépenses qui augmentent, pour ainsi dire à perpétuité, la valeur et le prix du fonds sur lequel elles sont faites. On dit qu’on a amélioré un héritage, quand on y a bâti une maison, planté des bois, qu’on y a fait faire une fuye, un moulin, un étang, etc., parce que toutes ces augmentations rendent réellement l’héritage plus précieux.
* * *
On rencontre aussi le mot «améliorations» aux articles 417, 418 et 419 du code civil, qui diffèrent de l’article 555 du code français, lequel évite de se servir de l’expression «améliorations». …Il est clair qu’on ne regarderait pas comme une amélioration au sens de ces dispositions, l’ameublement d’une
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maison, et il me paraît très douteux qu’on y comprenne des machines installées dans une usine, surtout si ces machines peuvent s’en enlever.
Cependant il s’agit ici du code municipal et non du code civil, et à cet égard il sera utile de rapporter le texte de l’article 719 de l’ancien code que l’article 656 a remplacé. Cet article disait:
719. La valeur réelle des biens-fonds imposables comprend la valeur des constructions, usines ou machineries (dans le texte anglais «factories or machine shops») qui y sont érigées, et celle de toutes les améliorations qui y ont été faites.
L’article 719 distinguait les «usines et machineries» des «améliorations». Et de fait, il paraît au rapport des commissaires qui ont rédigé le nouveau code municipal (Voy. ce rapport (document officiel, publié en 1912 par l’imprimeur du roi, et qui a ensuite été soumis à la législature), à la p. 151) que ces commissaires avaient proposé un article, portant le numéro 580 du projet du nouveau code, qui se lisait comme suit:
La valeur réelle des biens-fonds imposables comprend, outre la valeur du terrain, la valeur des constructions, usines ou machineries qui y sont érigées par le propriétaire du fonds et des. machineries, et celle de toutes les améliorations qui y ont été faites…
* * *
…la législature, en rédigeant le nouvel article 656, a omis les mots «usines ou machineries qui y sont érigées», dans le texte anglais «factories or machine shops erected thereon», qui se trouvaient dans l’ancien article 719.
A l’ancien article, outre les usines ou machineries, on mentionnait les améliorations, ce qui indiquait que ces améliorations ne comprenaient pas les usines et machineries, mais s’entendaient d’améliorations proprement dites, c’est-à-dire, je crois, rappelant la définition du Nouveau Denisart, des dépenses qui avaient augmenté la valeur et le prix du fonds. Le nouvel article retranche les mots «usines ou machineries» et conserve le mot «améliorations», mais je ne crois pas qu’on puisse donner à cette dernière expression dans le nouvel article une signification plus étendue qu’elle n’avait dans l’ancien article, surtout en tenant compte du fait que les mots «usines ou machineries» ont été supprimés dans la nouvelle rédaction.
Le mot «améliorations» dans l’article 656 ne comprend donc pas les machines installées dans un
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moulin, même en reconnaissant à ces machines la qualité d’immeubles par destination, et il s’ensuit que l’intimée ne pouvait les inclure dans son évaluation du moulin à pulpe pour les fins du rôle d’évaluation.
Il est impossible d’interpréter la première phrase de la définition de «biens-fonds» dans le code scolaire autrement que cette Cour a interprété une définition pratiquement identique dans le Code municipal. Il est également évident que pour décider ce qui est immeuble imposable au sens de la Loi de l’Instruction publique, il faut se reporter à cette définition de la même manière qu’il faut se reporter à la définition correspondante pour décider ce qui est immeuble imposable au sens du Code municipal. Il n’y a entre ces deux législations aucune différence qui permette de raisonner autrement. Il en résulte que, les machineries n’étant pas comprises dans cette première partie de la définition ne peuvent être imposables pour fins scolaires qu’en vertu de la disposition ajoutée en 1914, disposition qui nous renvoie à la loi municipale régissant le territoire.
En l’occurrence, cette loi municipale c’est la Loi des cités et villes. On n’y trouve aucune définition du mot «immeubles». Même s’il s’agit d’un domaine où l’interprétation stricte est de rigueur, je ne suis pas porté à croire qu’il faut s’arrêter là car on ne peut pas supposer que la Législature a décrété un texte sans application possible, sauf peut-être en regard de lois d’exception dont on ne nous a cité aucun exemple. Comme nous sommes dans le domaine de la taxe foncière et que c’est le rôle d’évaluation des immeubles imposables préparé par la municipalité qui doit servir de base à la cotisation scolaire, il semble qu’à défaut d’une définition d’«immeubles», il y a lieu de se reporter à celle d’«immeubles imposables» qui se trouve à l’art. 488 de la Loi des cités et villes (S.R.Q. 1941, c. 233, aujourd’hui S.R.Q. 1964, c. 193).
C’est ce qu’on paraît avoir considéré dans Cité de Sherbrooke c. Le Bureau des Commissaires d’Écoles catholiques de Sherbrooke[6] où il s’agissait d’un appel par les commissaires d’écoles du refus du Conseil de ville d’évaluer des ma-
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chines comme immeubles imposables en vertu de cet art. 488. Il est clair que si cette disposition n’avait pas pour effet de les rendre imposables pour fins scolaires aussi bien que pour fins municipales les commissaires n’avaient aucun intérêt à les faire inscrire au rôle d’évaluation. Personne n’a soutenu qu’il en était ainsi et la seule question débattue a été de savoir si les machineries en question étaient des immeubles par destination au sens du Code civil de façon à les rendre imposables au sens de l’article qui se lisait alors comme suit:
488. Les immeubles imposables dans la municipalité comprennent les terrains, les constructions et les usines qui y sont érigées et toutes améliorations qui y ont été faites, de même que les machineries et accessoires qui sont immeubles par destination ou qui le seraient, s’ils appartenaient au propriétaire du fonds. La valeur réelle du tout est portée au rôle d’évaluation au nom du propriétaire du fonds; mais si ce dernier prouve aux estimateurs que des machineries ou accessoires ont été placés par un locataire ou autre occupant, la valeur de ces machineries et accessoires est portée au nom du locataire ou occupant qui les possède et qui, à cet égard, est traité comme un propriétaire d’immeubles imposables.
La loi de 1959 mentionnée au début a ajouté:
Nonobstant les dispositions de l’alinéa précédent, le conseil peut décréter, par règlement, que les machineries et accessoires qui sont immeubles par destination, ou qui le seraient s’ils appartenaient au propriétaire du fonds, ne sont pas des immeubles imposables dans la municipalité.
Comme on peut le constater, l’effet du règlement adopté en vertu du deuxième alinéa de cet article, c’est de soustraire à l’application du premier les machineries et accessoires. C’est donc en vain que les intimés soutiennent que le règlement est sans effet à leur égard parce qu’il ne déclare pas que les machineries ne sont pas des immeubles imposables. En effet, si on interprète ce texte-là avec cette rigueur, il faut être conséquent et appliquer la même rigueur à l’interprétation de la définition de la Loi de l’Instruction publique ce qui a pour résultat d’exclure toute taxation de machineries pour fins scolaires, même en l’absence d’un règlement.
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En Cour d’appel, le motif par lequel on a confirmé le rejet de la poursuite de l’appelante est le suivant:
[TRADUCTION] C’est de la Loi de l’Instruction publique que les corporations scolaires tirent le pouvoir et l’obligation qu’elles ont d’imposer des taxes, et elle les oblige à prendre connaissance du rôle préparé par les autorités municipales, mais seulement pour en tirer les évaluations qui servent de base à leurs cotisations (art. 367 à 385). Si, pour une raison ou pour une autre, de telles évaluations ne sont pas disponibles, la corporation scolaire doit faire sa propre évaluation (art. 371).
Mais quand il s’agit d’exemptions des cotisations scolaires, les commissaires d’écoles doivent se reporter à l’art. 239 de la Loi de l’Instruction publique: ils ne peuvent pas recourir à la Loi des cités et villes, ni tenir compte de règlements comme le règlement n° 238. Cette conclusion s’impose dès que l’on reconnaît, comme je le fais, que, dans l’art. 488, les mots «immeubles imposables dans la municipalité» signifient: imposables dans la municipalité et pour ses fins.
Avec déférence, il faut faire observer qu’en la présente cause il ne s’agit pas de décider si l’appelante a droit à une exemption de taxe en vertu de la Loi de l’Instruction publique mais bien si les machineries dont il s’agit sont imposables en vertu de cette loi-là. Une analyse aussi complète que possible de ses dispositions oblige à conclure que les biens dont il s’agit ne sont pas imposables si ce n’est par l’effet de la loi municipale. Le conseil de ville ayant usé du pouvoir qui lui est attribué de rendre inopérante dans son territoire la seule disposition qui soit susceptible de rendre imposables les biens dont il s’agit force est de conclure qu’ils ne le sont pas. Il est bien vrai qu’au début de l’art. 488 les mots «immeubles imposables dans la municipalité» signifient imposables pour fins municipales et non pour fins scolaires. Mais si, pour cette raison, l’on tient cet article pour inapplicable, alors il ne reste plus aucun texte en vertu duquel on puisse prétendre que la machinerie dont il s’agit est imposable pour fins scolaires et, avec respect, c’est ce qu’on paraît avoir omis de considérer.
Pour ces raisons, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel contre les Commissaires d’écoles de la Ville de Bromptonville seulement
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et de faire droit à l’action ainsi qu’à la demande incidente aux seules fins de déclarer les machineries et accessoires de l’appelante non imposables pour fins scolaires et d’annuler leur cotisation pour ces fins, cela sans frais en Cour supérieure vu l’allégation injustifiée de fraude. Suivant les conditions auxquelles le droit d’intervenir leur a été accordé, les intervenants n’ont pas droit à des dépens.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Kaufman, Hoffman, Respitz & Sederoff, Montréal.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Tetley & Phelan, Montréal.
[1] [1969] B.R. 670.
[2] [1967] R.C.S. 739.
[3] (1920), 61 R.C.S. 237.
[4] [1924] R.C.S. 511, 4 D.L.R. 361.
[5] (1908), 41 R.C.S. 105.
[6] [1957] R.C.S. 476.