Cour Suprême du Canada
Ives c. Province du Manitoba, [1970] R.C.S. 465
Date: 1970-02-05
Mollie-Irene Ives Appelante;
et
La Province du Manitoba Intimée.
1969: les 5 et 6 novembre; 1970: le 5 février.
Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Martland, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel du Manitoba[1], accueillant un appel à l’encontre d’une adjudication dans des procédures d’expropriation. Appel accueilli, les Juges Martland et Pigeon étant dissidents.
Mme Mollie-Irene Ives, elle-même.
W.E. Norton, c.r., et W.M. Holburn, pour l’intimée.
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Le jugement du Juge en Chef Cartwright et des Juges Hall et Spence a été rendu par
LE JUGE HALL — En 1963, l’appelante, Mollie-Irene Ives, était courtier en immeubles, profession qu’elle exerçait depuis quelques années à Winnipeg, dans la Province du Manitoba. Elle était à la recherche d’un terrain plus ou moins contigu à la région métropolitaine de Winnipeg, terrain qu’elle pourrait acheter et conserver en vue d’un lotissement ultérieur. Ses recherches s’étaient poursuivies sans succès durant plusieurs années, sans qu’elle trouve un terrain convenant à son projet à long terme. Cependant, elle découvrit au cours de ces recherches un terrain d’une superficie de 140 acres qui lui plaisait et qu’elle décida d’acquérir.
Ce terrain, possédé en vertu de deux titres de propriété et comprenant la totalité des droits miniers, y compris le gravier, est décrit comme suit:
[TRADUCTION] C.T. A13235 — les subdivisions légales 3 et 4 et les moitiés sud des subdivisions légales 5 et 6 de la section 28, dans le 12e canton et le 5e rang à l’est du méridien principal au Manitoba;
C.T. A13236 — La moitié sud de la moitié nord des subdivisions légales 5 et 6 de la section 28, dans le 12e canton et le 5e rang à l’est du méridien principal au Manitoba.
Ce terrain est situé sur la rive est de la rivière Rouge, à quelque 20 milles du centre de la ville de Winnipeg. L’appelante s’y intéressa. En se renseignant, elle apprit que le propriétaire était hospitalisé à l’hôpital Selkirk et que ses biens étaient administrés par l’Administrator of the Estates of the Mentally Incompetent for the Province of Manitoba. On l’informa que ce terrain n’était pas alors à vendre. Chaque année elle retourna à cet endroit et devint davantage persuadée que le terrain en question était ce qu’elle désirait. Enfin, en 1963, elle apprit qu’il était à vendre et se mit en rapport avec l’administrateur, M. Vermeulen. Il lui confirma que le terrain allait être vendu et fit publier un appel d’offres. L’appelante offrit d’abord $3,000 mais, en apprenant qu’un parent du propriétaire offrait davantage, elle doubla son offre en la portant à $6,000. Elle acquit le terrain à ce prix. L’appelante a déposé que ce terrain avait particulièrement attiré son
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attention à cause de son emplacement et parce qu’il est bien boisé; par-dessus tout, le sol est élevé et sur un fond de gravier. Il est situé sur une des plus hautes buttes de la province du Manitoba, où le terrain élevé fait toujours prime.
L’appréciation par l’appelante des caractéristiques favorables de ce terrain et du secteur est confirmée par les déclarations de Elmer Karlief Farstad, l’estimateur appelé à témoigner par l’intimée. Ce témoignage se rapporte à des extraits d’une déclaration faite par l’honorable Sterling Lyon, en avril 1965, quand ce terrain fut exproprié (avec d’autres) pour former le parc provincial de Birds Hill, sous l’autorité de la Province du Manitoba. Ces déclarations ont été présentées à Farstad de la façon suivante:
[TRADUCTION] Q. Le ministre s’adressait à la Chambre en ces termes:
Dans la plupart des centres urbains, nous avons assisté à la disparition des espaces libres, au débordement des villes, au défaut d’aménager de nouveaux parcs en proportion de l’augmentation de la population, et à l’éclosion de ce que j’ai appelé la civilisation des loisirs, qui implique une demande croissante d’activités récréatives; à la lumière de ces problèmes, le ministère a cru nécessaire d’aller de l’avant avec son projet du Centenaire visant l’expansion des parcs.
Puis il ajoute:
La région du parc provincial de Birds Hill constitue un excellent cadre naturel pour l’établissement d’un grand parc à usages multiples. En fait, le lieu peut être décrit comme un site unique dans la topographie de la région de Winnipeg. Il consiste en une plaine glaciaire surélevée et coupée seulement par une dépression peu profonde, dépression qui en traverse le centre sud. Cette dépression forme la principale zone résidentielle et agricole de la région et se prête bien à tous ces usages. Plus des trois quarts de la partie nord de cette plaine est inoccupée, et sauf plusieurs carrières de gravier et quelques pâturages, le paysage a été conservé sensiblement à l’état vierge.
Cette plaine sauvage avec ses vallonnements couverts d’arbres de toutes les variétés est unique dans toute la vallée de la rivière Rouge et constitue pour l’emplacement d’un parc, un cadre naturel qui fait contraste avec le paysage de prairie qui nous entoure.
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Dans la même veine, il vante la beauté de la région en disant:
Il n’existe aucun endroit encore inexploité et à l’état naturel dans les limites de la région métropolitaine ou un secteur adjacent qui présente la variété de décor offerte par le parc provincial de Birds Hill. Et n’oubliez pas que je parle d’un secteur qui n’est qu’à 14 milles de la croisée de Portage et Main.
Êtes-vous d’accord avec les propos du ministre au sujet de cette région?
R. Bien, c’est une description du secteur.
Q. Le ministre ajoute:
A 14 milles du centre de la ville de Winnipeg, le parc provincial de Birds Hill est idéalement situé pour satisfaire ce besoin de récréation. Rattaché au réseau routier périphérique par la route principale numéro 59, il peut desservir tous les secteurs de la région métropolitaine et il peut être facilement rejoint par autobus ou par bicyclette.
Êtes-vous d’accord? R. C’est à une distance raisonnable.
On voit que Farstad était d’accord sur la description et l’énoncé des avantages de ce terrain faits par l’honorable Sterling Lyon. Il est également évident que l’appelante a fait preuve d’un bon jugement et d’une grande prévoyance en achetant ce terrain de 140 acres, dont 80 allaient lui être expropriées dans l’année suivant la date de son titre d’acquisition pour faire partie du parc provincial de Birds Hill. Le savant arbitre a estimé les 80 acres expropriées à $17,320 et il a accordé $3,250 pour la dévalorisation des 60 acres restantes, soit un total de $20,570. La Cour d’appel a réduit ce montant à $12,320, montant qui avait d’abord été offert en règlement, quoique le Juge d’appel Monnin semble avoir conclu dans ses motifs que la valeur aurait dû être fixée à $9,000. Il a alloué le montant plus élevé parce que l’avocat de l’intimée a dit à la Cour que la Province n’avait pas retiré son offre initiale de $12,320.
Le savant arbitre a conclu, dans sa décision, qu’il y avait accord sur certains points dans les témoignages des trois estimateurs, deux pour l’appelante et un, Farstad, pour l’intimée, savoir:
1. Que le meilleur usage de ce terrain et aussi le plus profitable consistait à le subdiviser en lots de 5 à 10 acres chacun;
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2. Que le prix des terrains dans ce secteur avait augmenté au cours des quelques années précédant immédiatement cette expropriation;
3. Que ce secteur avait perdu son caractère purement agricole pour se transformer en une banlieue.
Il est arrivé à cette estimation en faisant la moyenne du prix de certaines ventes conclues en 1964 et 1965, et mentionnées par Farstad, et par Simpson et Clarke, les estimateurs de l’appellante. Même si la moyenne mathématique du prix des ventes ne constitue pas une méthode acceptable pour déterminer la valeur d’un terrain pour son propriétaire, la preuve de ventes semblables est pertinente. Aussi, il était de mise que l’arbitre prenne ces éléments de preuve en considération. Par exemple, il était à propos de tenir compte du fait qu’en août 1963, un certain Behrends avait vendu un terrain de 110 acres situé immédiatement de l’autre côté du chemin, en face du terrain de l’appelante, $200 l’acre. L’arbitre devait déterminer la valeur du terrain exproprié en considérant sa valeur pour l’appelante sur la base de l’utilisation la meilleure et la plus profitable. Cette valeur peut être la valeur marchande, mais elle peut être plus élevée dans les cas où, pour une raison quelconque, le terrain est spécialement bien adapté à la nouvelle utilisation. La description des lieux faite par l’honorable Sterling Lyon, et citée précédemment, démontre très clairement que ce terrain était spécialement bien adapté à la nouvelle utilisation.
A ce propos, les remarques du Juge Ritchie dans Fraser c. La Reine[2] sont pertinentes. Exprimant l’avis de la majorité, il a dit à la p. 472:
[TRADUCTION] L’avocat de l’intimée prétend que la seule valeur éventuelle des terrains expropriés en sus de leur valeur réelle se rattache uniquement et exclusivement au projet dé construction de la digue et aurait dû de ce fait être écartée en établissant la valeur pour les fins de l’indemnité à fixer. Parmi les précédents invoqués au soutien de cette prétention, les plus importants sont les suivants: Cedars Rapids Mfg. & Power Co. v. Lacoste (1914) 6 W.W.R. 62, [1914] A.C. 569, 83 L.J.P.C. 162, infirmant 43 C.S. (Qué.) 410; Fraser v. Fraserville (City) [1917] A.C. 187, 86 L.J.P.C. 91, 34 D.L.R. 211, confirmant 25 B.R. (Qué.) 106, et Pointe Gourde Quarrying &
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Transport Co. v. Sub-lntendent of Crown Lands [1947] A.C. 565, 63 T.L.R. 486. A mon avis, aucune de ces décisions n’établit un précédent à l’effet que, en fixant la valeur d’un terrain pour fins d’indemnité, on ne doit tenir aucun compte des ressources inexploitées du terrain exproprié pour le motif que l’administration expropriante constitue le seul acheteur actuel de ces ressources et qu’elle a conçu un projet qui implique leur utilisation. Cependant, ces causes indiquent clairement que le montant fixé pour fins d’indemnité ne doit refléter en aucune façon la valeur que le terrain prendra, entre les mains du nouveau propriétaire, après son expropriation à titre de partie intégrante du projet conçu par ce dernier.
Dans Murphy Oil Company Ltd. v. Dau[3], le Juge d’appel Porter, après avoir cité ce passage de l’arrêt Fraser, dit aux pp. 346 et 347:
[TRADUCTION] Nous voyons donc que le simple principe que l’indemnité doit être fixée d’après la valeur pour le propriétaire et non pour l’acquéreur n’élimine pas dans la considération de la valeur pour le propriétaire du potentiel inexploité qui découle des caractéristiques du terrain exproprié; dans le cas présent, en vertu de The Oil and Gas Conservation Act, il s’agit du seul endroit où l’exploitant peut forer. Ce principe est applicable même s’il n’y a qu’un seul acheteur pour le terrain.
A partir du principe sous-jacent à ces affaires, il s’ensuit que l’on ne doit pas tenir compte de la valeur que prend le terrain en raison du nouvel usage auquel on le destine mais que celui qui fixe l’indemnité doit tenir compte du fait que le terrain est bien adapté à ce nouvel usage. (Les italiques sont de moi.)
Le Juge d’appel Monnin semble avoir donné trop d’importance au fait que l’appelante a acquis le terrain pour $6,000. Ce fait était pertinent mais il n’était pas nécessairement concluant. Le Juge d’appel Monnin semble accepter complètement l’opinion de Farstad; or, ce dernier a évalué les 140 acres à $14,250 et les 60 acres restantes à $4,500. Cette évaluation indique que l’appelante a obtenu le terrain pour une somme de beaucoup inférieure à sa valeur réelle. En conséquence, qu’elle ait eu le terrain pour $6,000 ne nous aide pas beaucoup à en déterminer la valeur réelle lors de l’expropriation.
Le savant arbitre était la personne indiquée pour peser les témoignages qu’il a entendus; il
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ressort clairement de son adjudication qu’il n’a pas accepté l’évaluation de Farstad, soit $9,000. Même s’il a adopté une mauvaise méthode pour en arriver à la somme de $17,320 pour 80 acres, je suis d’avis que sa conclusion est néanmoins raisonnablement exacte et doit être maintenue.
Quant à la valeur des 60 acres qui restent et à l’indemnité pour le morcellement, je pense que l’estimation du savant arbitre, soit $3,250, était plutôt trop basse que trop haute. La preuve à l’effet que ces 60 acres ont une valeur minime à comparer avec les 80 acres de la partie sud est concluante. Ce qui reste du terrain est pratiquement isolé et inaccessible, il est dans un cul-de-sac. La bande étroite de terrain du côté ouest est en bordure d’une réserve pour chemin qui est sans issue à la limite nord du terrain exproprié. L’accès par le sud ou par l’est n’est possible que par l’acquisition d’un droit de passage du propriétaire de la partie restante du quart nord-est de la section 28. En conséquence, j’aurais été enclin sous cette rubrique à accorder une somme plus élevée que celle que l’arbitre a fixée; par contre, ce dernier avait en mains tous les éléments de preuve pertinents et je ne crois pas que je devrais ici substituer mon opinion à la sienne.
En conclusion, je suis d’avis de rétablir l’adjudication de l’arbitre au montant de $20,570, avec dépens en cette Cour et dans la Cour d’appel. L’adjudication de dépens faite par l’arbitre doit être maintenue. L’indemnité adjugée, déduction faite de tous acomptes versés à l’appelante, portera intérêt à 5 pourcent à compter du 10 avril 1964.
Le jugement des Juges Martland et Pigeon a été rendu par
LE JUGE MARTLAND (dissident) — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt rendu à l’unanimité par la Cour d’appel du Manitoba[4] qui a accueilli un appel de la présente intimée à l’encontre d’une adjudication faite par un arbitre dans des procédures d’expropriation et a réduit le montant de l’indemnité de $20,570 à $12,320, montant que l’intimée avait offert à l’appelante avant que les procédures soient engagées devant l’arbitre.
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Le 1er novembre 1963, l’appelante achetait un terrain vague d’une superficie de 140 acres dans ce qui est maintenant le parc provincial de Birds Hill au Manitoba. Moins de six mois après cette transaction, soit le 10 avril 1964, la Province du Manitoba expropriait 80 acres de ce terrain pour faire partie du parc susmentionné. L’appelante avait acquis le terrain de l’Administrator of the Estates of the Mentally Incompetent, ce dernier l’ayant vendu par appel d’offres. L’appelante avait d’abord fait une offre de $3,000 avant la publication de l’appel d’offres, mais, quand on lui a dit que cette offre était insuffisante, elle en a fait une de $6,000 et fut déclarée adjudicataire.
L’appelante a témoigné qu’elle aurait été prête à doubler le montant du prix d’achat si nécessaire.
Trois estimateurs d’immeubles, deux pour l’appelante, MM. Simpson et Clark, et un pour l’intimée, M. Farstad, ont témoigné au cours des procédures d’arbitrage. Leurs estimations totales de la valeur du terrain exproprié et des dommages causés à la partie restante par le morcellement se chiffraient respectivement à $51,000, $48,500 et $9,000.
Le savant arbitre n’a accepté aucune de ces estimations. Pour fins de comparaison, M. Farstad s’était basé sur 38 ventes de terrain conclues dans la région environnante. De celles-ci, l’arbitre a éliminé toutes celles qui dataient d’avant 1964; il en a retenu 5 à un prix moyen de $190 l’acre. Les deux autres témoins ont appuyé leur témoignage sur six ventes, dont aucune n’avait été considérée par Farstad, pour en arriver à une valeur moyenne de $284 l’acre, à peu près.
L’arbitre a ensuite additionné le prix total des cinq ventes mentionnées par Farstad avec celui des six ventes mentionnées par les deux autres témoins et divisé la somme obtenue par la superficie totale comprise dans les 11 ventes pour en arriver à une valeur moyenne de $216.50 l’acre. Il a alloué un montant de $17,320 pour la valeur du terrain exproprié, c’est‑à‑dire, 80 acres à $216.50 l’acre. Il a aussi alloué 25 pour-cent de la valeur totale des 60 acres restantes à $216.50 l’acre pour dommages par morcellement.
Devant la Cour d’appel, les avocats des deux parties ont prétendu que la moyenne des prix de
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vente des autres terrains vendus dans la région ne constituait pas une méthode appropriée pour estimer la valeur des terrains expropriés. Cette méthode fut réprouvée par la Cour d’appel, qui s’est fondée sur ce que l’on a dit dans The Grand Trunk Railway Company of Canada c. Coupal[5]:
[TRADUCTION] Sa deuxième méthode de calcul semble s’approcher davantage des principes du droit; cependant elle est quand même clairement vicieuse car elle consiste à établir une moyenne en additionnant les montants attestés par chaque témoin, pour en arriver au montant recherché en divisant la somme obtenue par le nombre de témoins, avec le résultat qu’une valeur égale est accordée au témoignage de chacun des témoins des deux parties. Je ne peux concevoir comment on pourrait maintenir une adjudication obtenue par l’utilisation d’une telle méthode.
Ce principe a été appliqué à nouveau par cette Cour dans Fairman c. La ville de Montréal[6].
L’opinion exprimée dans ces deux affaires-là ne peut recevoir une application directe dans la présente affaire. Dans les deux affaires précitées, on avait établi la moyenne des estimations fournies par les divers témoins. Dans la présente affaire, aucune des estimations faites par les témoins n’a servi dans la détermination de la moyenne. Au lieu de cela, pour fixer le prix moyen d’une acre, l’arbitre s’est servi de certaines ventes citées par les estimateurs dans leurs propres estimations. Je ne crois pas que cette méthode soit condamnable simplement pour cette raison; mais, si une juste moyenne doit être déterminée, elle doit être obtenue en se servant d’éléments susceptibles d’être mis en comparaison. Dans la présente affaire, cela n’a pas été fait par l’arbitre.
En ce qui concerne les ventes dont Farstad s’est servi dans la préparation de son estimation, on a déjà noté que l’arbitre a éliminé toutes les ventes qui ont eu lieu avant 1964. Il semble qu’il a agi de la sorte sous la fausse impression que l’expropriation s’était produite en avril 1965. C’est là une erreur. En fait l’expropriation est survenue le 10 avril 1964. C’est à cette date qu’il fallait déterminer la valeur du terrain. Cependant, les cinq ventes mentionnées par Farstad et prises en
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considération par l’arbitre sont toutes postérieures. La vente n° 29, soit celle qui impliquait la plus grande superficie, a eu lieu presque un an après l’expropriation.
Des six ventes rapportées par Simpson et Clark dont il fut tenu compte pour établir la moyenne, quatre furent conclues avant 1964 et une plus d’un an après l’expropriation. De plus, comme la Cour d’appel l’a souligné, ces deux témoins ont admis dans leurs témoignages que les exemples qu’ils ont utilisés pour faire leurs estimations n’étaient pas comparables au terrain exproprié.
On voit donc que la moyenne établie par l’arbitre n’a pas été obtenue à l’aide d’éléments comparables et, à mon avis, la Cour d’appel a eu raison de refuser d’accepter l’adjudication de l’arbitre.
La Cour d’appel a ensuite décidé de fixer le montant de l’indemnité et, en rendant le jugement de la Cour, le Juge d’appel Monnin a déclaré:
[TRADUCTION] Dans l’ensemble, je considère le rapport de Farstad plus réaliste que les deux autres et j’accepte le raisonnement qu’il a fait pour arriver au chiffre de $9,000.
Considérant que l’intimée avait offert $12,320 à l’appelante et que son avocat avait indiqué à la Cour que cette offre tenait toujours, la Cour a alors déclaré que ce montant devait représenter la somme allouée.
Il est vrai que le savant arbitre n’a pas accepté l’estimation de Farstad de même qu’il a aussi refusé d’accepter les deux autres estimations qui ont été faites. Cependant, on ne voit pas que cette décision ait été prise en se fondant sur une question de crédibilité. Au lieu de cela, il a adopté sa propre méthode d’évaluation. En dehors de toute question de crédibilité, la Cour d’appel était aussi bien placée que l’arbitre pour apprécier le poids à accorder à la preuve qu’il avait à examiner.
Sous cet angle, la cause est semblable à celle de Duthoit c. La Province du Manitoba[7] où l’arbitre avait également refusé d’accepter les évaluations soumises par les trois évaluateurs
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pour fixer son propre chiffre. Le Juge Cartwright, alors juge puîné, rendant le jugement unanime de cette Cour, a dit à la p. 132:
[TRADUCTION] Il ne s’agit pas ici d’une affaire où le savant arbitre jouissait d’un avantage particulier par rapport à la Cour d’appel du fait qu’il avait vu et entendu les témoins. Au début de ses motifs, il dit:
On m’a présenté trois évaluations du terrain en question. Les demandeurs ont appelé à témoigner M.M.R. Rhone et le gouvernement, M.E.K. Farstad. A ma suggestion, une troisième évaluation fut faite par M. Andrew Turpie à cause de la profonde divergence de vues entre les autres évaluateurs. Je ne trouve aucun motif de donner la préférence à l’un de ces messieurs en raison de leurs qualifications, leur expérience ou leur conduite comme témoins.
Dans la présente affaire, l’arbitre n’a exprimé aucune préférence à l’égard des témoignages des trois témoins, même s’il a adopté l’opinion de Farstad sur un autre aspect de l’affaire.
Le Juge d’appel Monnin a accordé une certaine importance au prix payé par l’appelante pour l’acquisition des 140 acres, c’est-à-dire $6,000, moins de six mois avant l’expropriation, alors qu’un montant de $12,320 a été offert en paiement de 80 acres; mais, il ne considère pas ce fait concluant. Cette preuve était significative parce que l’appelante a bel et bien dit que, lorsqu’elle a doublé son offre initiale de $3,000, elle avait déclaré: [TRADUCTION] «J’aimerais qu’on me donne l’occasion de recommencer s’il le faut.» En déterminant la valeur du terrain pour l’appelante, c’est-à-dire, ce qu’une femme d’affaires prudente aurait payé pour le terrain à la date de l’expropriation plutôt que d’en être évincée, cette preuve de ce qu’elle aurait déboursé pour acquérir la totalité des 140 acres moins de six mois auparavant a une valeur considérable.
Comme le mentionnait le Juge Cartwright dans l’affaire Duthoit (précitée) à la p. 132:
[TRADUCTION] La tâche qui échoit aux appelants devant cette Cour est de nous démontrer que la décision de la Cour d’appel est erronée;…
Pour réussir dans cette entreprise, il faut que l’appelante démontre que la Cour d’appel n’a pas appliqué les principes appropriés du droit ou a
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commis une erreur flagrante sur une question de fait. L’appelante n’est pas parvenue à démontrer l’existence d’une telle erreur, ni de droit ni de fait.
Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi avec dépens.
Appel accueilli avec dépens, LES JUGES MARTLAND ET PIGEON étant dissidents.
Mollie-Irene Ives, Winnipeg.
Procureurs de l’intimée: Fillmore, Riley & Co., Winnipeg.
[1] (1968), 65 W.W.R. 436.
[2] [1963] R.C.S. 455.
[3] (1969), 70 W.W.R. 339.
[4] (1968), 65 W.W.R. 436.
[5] (1898), 28 R.C.S. 531 à la p. 537.
[6] (1901), 31 R.C.S. 210 à la p. 218.
[7] [1967] R.C.S. 128.