Cour suprême du Canada
Applewood Dixie Ltd. c. Mississauga, [1970] R.C.S. 691
Date: 1970-03-19
Applewood Dixie Limited et Shipp Corporation Limited (Demanderesses) Appelantes;
et
The Town of Mississauga ci-devant The Corporation of the Township of Toronto (Défenderesse) Intimée.
1970: les 4 et 5 février; 1970: le 19 mars.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], confirmant un jugement du Juge en Chef Wells. Appel rejeté.
Malcolm Robb, c.r., pour les demanderesses, appelantes.
J.T. Weir, c.r., et G.J. Smith, pour la défenderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Dans le présent pourvoi la principale question est de savoir si une municipalité qui a institué une commission des services publics conserve le droit d’exproprier des immeubles pour les besoins de ces services. En première instance, le Juge en chef Wells de la Haute Cour a jugé qu’elle le conserve. La Cour d’appel1, en rejetant l’appel du jugement de première instance, est allée plus loin: d’après elle, seule la municipalité a le droit d’exproprier. Mon avis est que la municipalité conserve le droit d’exproprier, mais qu’il n’est pas nécessaire de décider si elle seule a ce droit.
C’est le Canton de Toronto, maintenant la Ville de Mississauga, qui le 9 décembre 1963 a adopté le règlement contesté dans la présente affaire. Il a exproprié environ 19 acres de terrain appartenant aux appelantes dans le but de construire un réservoir au niveau du sol et une conduite d’adduction d’eau entre le réservoir et l’usine de traitement. Les travaux étaient terminés avant qu’on ne conteste le règlement, le 19 octobre 1966, par une action demandant de le déclarer ultra vires. Les appelantes ont soutenu jusqu’ici que le droit d’exproprier appartient exclusivement à la commission des services publics, ou encore, que si la municipalité a conservé le droit d’exproprier, elle doit l’exercer par l’intermédiaire de la commission des services publics et non le conseil municipal.
Je vais énoncer tout de suite d’où découle, à mon avis, le droit d’exproprier que la municipalité possède. Je souligne les articles suivants de The Municipal Act:
L’article 5, qui confère le droit d’exproprier de façon générale;
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La Partie XV, art. 332 à 337, notamment l’art. 333, par. (1), qui confère le droit d’exproprier les immeubles nécessaires à des fins municipales;
L’article 379(1), alinéa 52, qui confère à la municipalité le pouvoir de faire des règlements:
[TRADUCTION] Pour autoriser le parachèvement, l’amélioration, la modification, l’agrandissement ou le prolongement d’une partie ou de la totalité d’un service public appartenant à la municipalité, dirigé et géré par son conseil ou par une commission de service public et pour émettre des obligations à ces fins.
a) Dans le présent alinéa,
(i) «service public» désigne un aqueduc ou réseau d’approvisionnement d’eau, un réseau d’égouts, un réseau de production, de transport ou de distribution d’électricité, un réseau d’éclairage des rues, un réseau d’approvisionnement ou de distribution de gaz naturel ou manufacturé ou un réseau de transport, et comprend les immeubles, bâtiments et appareils nécessaires au fonctionnement et à l’entretien d’un tel réseau.
(ii) «commission de service public» désigne une commission ou un office qui gère et administre un service public.
* * *
f) les pouvoirs conférés par le présent alinéa peuvent être exercés à l’égard de la totalité ou d’une partie définie du territoire de la municipalité et une taxe spéciale peut, en vertu du présent alinéa, être imposée pour le parachèvement, l’amélioration, la modification, l’agrandissement ou le prolongement de tout service public sur toutes les propriétés imposables de la municipalité ou d’une partie ainsi définie.
Les termes clairs de l’article confèrent à la municipalité le droit de réglementer un service public, bien que ce service soit dirigé et administré par une commission. Le droit d’édicter des règlements autorisant «le parachèvement, l’amélioration, la modification, l’agrandissement ou le prolongement» comprend celui de faire les règlements d’expropriation prévus à l’art. 333 (1). L’article 379(1), alinéa (52) est explicite; il confère un pouvoir de réglementation, soit que le service public relève du conseil ou d’une commission.
Les appelants invoquent The Public Utilities Act. La Partie I de cette loi accorde à la muni-
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cipalité le droit d’acquérir, organiser, posséder et faire fonctionner un aqueduc et d’exproprier tout immeuble qu’elle juge nécessaire à cette fin (art. 2). L’article 3 rend applicables les Parties XV et XVI de The Municipal Act. Quant à la Partie XV de The Municipal Act, j’en ai déjà parlé; elle concerne l’expropriation. La Partie XVI vise l’arbitrage. L’article 38 de The Municipal Act autorise l’institution de commissions des services municipaux. L’article 41 de la même loi définit comme suit les attributions d’une telle commission:
[TRADUCTION] 41. (1) Sous réserves du paragraphe 4, lorsqu’il existe une commission établie en vertu de la présente Partie et que ses membres ont été élus ou lorsqu’une commission établie en vertu de la présente Partie a reçu la charge de diriger et d’exploiter un service public, tous les droits, pouvoirs, prérogatives et privilèges que la présente loi confère à la municipalité sont exercés par la commission et non par le conseil de la municipalité, tant que les règlements créant la commission ou lui confiant la direction et l’exploitation dudit service restent en vigueur.
(2) Les administrateurs et employés de la municipalité gardent leur charge jusqu’à ce que la commission les renvoie, à moins que leur mandat ne se termine plus tôt.
(3) Les administrateurs, employés et préposés d’une commission occupent leurs fonctions au bon plaisir de la commission.
(4) Rien dans le présent article ne prive le conseil de son autorité sur l’affectation des sommes nécessaires aux travaux; et le trésorier de la municipalité doit, sur présentation du certificat de la commission, payer toute somme affectée à ces fins et rien dans la présente loi ne prive le conseil des droits et pouvoirs que The Local Improvement Act lui confère.
(5) Lorsque l’établissement, ou l’administration et l’exploitation d’un service public appartenant à une municipalité est confié à une commission,
a) la commission ne peut fusionner aucune partie d’un réseau avec celui d’une autre municipalité, ni l’étendre à une autre municipalité, ni fournir aucun service à une autre municipalité sans le consentement du conseil de la municipalité à qui appartient ce service;
b) la commission ne doit faire aucun prolongement, ajout, agrandissement, amélioration ou modification au réseau sans le consentement du
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conseil de la municipalité à qui appartient le service si le coût en doit être défrayé en tout ou en partie à même des fonds que l’article 35 oblige la commission à remettre au trésorier de la municipalité.
Ma première observation portera sur le par. (5) de l’art. 41. Ce paragraphe a été ajouté à la suite de la décision rendue dans City of Belleville v. The Public Utilities Commission of the City of Belleville[2], où la commission avait prétendu exercer le droit de prolonger le réseau d’aqueduc sans le consentement du conseil. Quant à la délégation de pouvoirs du conseil à la commission, le Juge en chef Wells de la Haute Cour, et la Cour d’appel à l’unanimité, ont statué qu’elle ne prive pas la municipalité du pouvoir d’expropriation qui lui est conféré par The Municipal Act.
La situation juridique d’une commission de service public sous cette loi n’a jamais été mise en doute depuis l’arrêt Young v. Town of Gravenhurst[3]. Elle est un mandataire de la municipalité. Le Juge en Chef Robertson de l’Ontario réaffirme le même principe dans l’affaire Collins v. The Hydro-Electric Commission of Renfrew[4] en disant:
[TRADUCTION] A mon avis, l’appelant a mal compris le rapport qui existe entre l’intimée et la municipalité. L’intimée n’est qu’un mandataire de la municipalité, elle exerce pour le compte de cette dernière les pouvoirs qu’elle a reçus d’elle. Je sais que depuis quelques années, certaines lois qu’on a adoptées ont créé de la confusion quant à ce rapport; on semble avoir laissé entendre qu’une commission hydroélectrique instituée par une municipalité a une certaine autonomie plutôt que d’être un mandataire et un fiduciaire de la municipalité. A mon avis, le rapport qui existe entre les deux est le même que celui qui existait lorsqu’on a jugé l’affaire Young v. Town of Gravenhurst (1911) 24 O.L.R. 467.
Le Juge en chef Wells de la Haute Cour donne ses conclusions sur ce point dans l’alinéa suivant:
[TRADUCTION] Je n’exprime pas d’opinion à savoir si la Commission des services publics de ce qui est maintenant la ville de Mississauga a le droit d’exproprier en vertu de l’article 41(1), car je ne trouve pas qu’il soit nécessaire que j’en exprime une pour
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juger la présente affaire, mais je ne vois rien dans toutes ces dispositions qui enlève à la municipalité les pouvoirs qu’elle possède en vertu du Municipal Act. L’article 41 du Public Utilities Act ne vise que les pouvoirs conférés par cette loi, il ne tend aucunement à restreindre ceux que la municipalité a en vertu d’autres lois. Il est toutefois très clair, à mon avis, que la Commission des services publics agit comme mandataire de la municipalité.
Je suis tout à fait d’accord avec ce point de vue, ce qui suffit à trancher la question principale dans le présent pourvoi. Le paragraphe 52 de l’art. 379(1) du Municipal Act demeure inchangé quant à l’exercice du pouvoir de la municipalité d’exproprier pour des fins municipales en vertu de l’art. 333(1). De fait, la dernière modification de cet article se trouve à l’art. 42(4), chapitre 86 des Statuts de l’Ontario 1961-1962, qui réglemente l’imposition des taxes spéciales que peut nécessiter l’exercice des pouvoirs conférés par cet article. Cette modification suppose qu’on juge toujours que ce pouvoir continue d’exister.
On a aussi invoqué un second moyen de nullité, savoir que le canton avait fait défaut d’obtenir l’approbation de The Ontario Water Resources Commission et ne s’était pas conformé à l’art. 30 de l’Ontario Water Resources Commission Act, S.R.O. 1960, c. 281. En réalité, la municipalité a demandé l’approbation de ces travaux à l’Ontario Water Resources Commission, par l’entremise de ses ingénieurs-conseils, le 8 juillet 1963, soit quelques mois avant que le règlement contesté ici soit adopté. L’approbation par écrit de la Commission a été donnée en septembre 1964, après l’adoption du règlement. Les appelants n’ont pas apporté de preuve qu’on aurait commencé ou poursuivi les travaux sans les avoir fait approuver par la Commission. Je crois que l’approbation écrite donnée par la Commission en septembre 1964, de même que la demande antérieure des ingénieurs-conseils, constitue une nette indication que la Commission approuvait ces travaux.
Les paragraphes (1) et (2) de l’art. 30 se lisent comme suit:
[TRADUCTION] Lorsqu’une municipalité ou une autre personne projette d’établir un aqueduc ou de modifier ou prolonger un aqueduc existant, les
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plans, les devis et un rapport d’ingénieur relatif à l’approvisionnement en eau doivent être soumis, avec tous les autres renseignements que la Commission peut exiger, à l’approbation de la Commission et on ne doit ni commencer, ni poursuivre aucuns travaux, ni adopter aucun règlement de financement de tels travaux avant que la source d’approvisionnement d’eau et les travaux projetés n’aient reçu l’approbation de la Commission.
(2) Lorsqu’une personne établit un aqueduc, ou prolonge ou modifie un aqueduc existant, sans avoir au préalable obtenu l’approbation de la Commission celle-ci peut ordonner à cette personne de fournir à ses frais les moyens que la Commission peut juger nécessaires à l’examen des travaux et de la source d’approvisionnement d’eau et de faire les modifications aux travaux ou à la source d’approvisionnement d’eau que la Commission peut juger nécessaires; cette personne doit alors faire les modifications aux travaux ordonnées par la Commission à ses propres frais.
Il est douteux que cet article s’applique au règlement d’expropriation lui-même. Si tel est le cas, advenant le refus de la Commission d’approuver le projet, la municipalité se trouverait propriétaire d’un terrain qu’elle ne pourrait faire servir au but proposé. Encore une fois, je suis d’accord avec la conclusion du Juge en chef Wells que le par. (2) de l’art. 30 comporte ses propres sanctions si on ne se conforme pas aux exigences du par. (1). La nullité du règlement d’expropriation adopté par la municipalité ne fait pas partie de ces sanctions.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur des demanderesses, appelantes: Malcolm Robb, Toronto.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Arnup, Foulds, Weir, Boeckh, Morris & Robinson, Toronto.
[1] [1969] 2 O.R. 467.
[2] [1943] O.R. 87, 1 D.L.R. 424.
[3] (1910), 22 O.L.R. 291, (1911), 24 O.L.R. 467.
[4] [1948] O.R. 29.