Cour suprême du Canada
Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608
Date: 1970-04-28
Georges Armand Ares (Demandeur) Appelant;
et
Albert Venner (Défendeur) Intimé;
et
Seton Hospital, Jasper, et les Sœurs de la Charité de St. Vincent de Paul (Défendeurs).
1970: les 18 et 19 février; 1970: le 28 avril.
Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Hall et Spence.
EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA
Preuve — Recevabilité des notes prises par les infirmières ayant soigné le patient à l’hôpital — Exception à l’interdiction du ouï-dire.
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L’appelant a intenté une action contre un docteur (l’intimé) et un hôpital et les exploitants de l’hôpital, alléguant négligence. Le juge de première instance a condamné le docteur à payer $29,407.13 pour négligence. L’action contre l’hôpital et ses exploitants a été rejetée. L’intimé a interjeté appel devant la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta. L’appelant a logé un appel incident contre l’hôpital. La Chambre d’appel a accueilli l’appel, infirmé le jugement de première instance et ordonné un nouveau procès quant à l’intimé. L’appel incident contre l’hôpital a été rejeté. L’appelant se pourvoit en cette Cour contre l’arrêt relatif au nouveau procès. L’intimé a logé un appel incident, demandant le rejet de l’action plutôt que le nouveau procès ordonné par la Chambre d’appel.
La question principale débattue à la Chambre d’appel est la recevabilité des notes prises par les infirmières qui ont soigné l’appelant lors de son séjour à l’hôpital. Ces notes ont été déposées en preuve comme faisant partie de l’interrogatoire préalable de l’intimé, qui a été consigné aux dossiers en première instance au nom de l’appelant. L’avocat de l’intimé a formulé une objection à la recevabilité des notes, mais elles furent admises en preuve par le juge de première instance comme faisant exception à l’interdiction du ouï-dire. La Chambre d’appel a statué que les notes n’avaient pas été correctement admises en preuve.
Arrêt: L’appel doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli; l’appel incident doit être rejeté.
Les dossiers d’hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent. Cela ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l’exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elle veut le faire. Dans cette affaire, si l’intimé avait voulu contester l’exactitude des notes des infirmières, ces dernières étaient présentes en Cour et disponibles pour témoigner à la demande de l’intimé.
L’opinion de la minorité dans l’affaire Myers c. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001, doit être adoptée et suivie. Arrêts mentionnés: Omand c. Alberta Milling Co. (1922), 18 A.L.R. 383; Ashdown Hardware Co. c. Singer (1951), 3 W.W.R. (N.S.) 145; Canada Atlantic Railway Co. c. Moxley (1889), 15 R.C.S. 145.
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APPEL et APPEL INCIDENT d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1], infirmant un jugement du Juge O’Byrne et ordonnant un nouveau procès. Appel accueilli et jugement de première instance rétabli; appel incident rejeté.
H.W. Veale et H.M. Liknaitzky, pour le demandeur, appelant.
G.F. Henderson, c.r., et J.C. Major, pour le défendeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE HALL — L’appelant, alors âgé de 21 ans et étudiant à la faculté des arts du Collège St. John, à Edmonton, skiait dans le parc Jasper au cours de l’après-midi, le 21 février 1965. A environ 16h. cet après-midi-là , il a fait une chute et subi une fracture comminutive grave du tibia et du péroné de la jambe droite, à quelque cinq ou six pouces au-dessous du genou. Les secouristes se sont portés à son aide, lui ont appliqué une éclisse pneumatique et l’on conduit à l’hôpital Seton, à Jasper. Cet hôpital est administré par les Sœurs de la Charité de St. Vincent de Paul.
Aussitôt admis à l’hôpital, il a été traité par l’intimé, le docteur Albert Venner, un spécialiste en médecine interne qui, à ce moment-là , pratiquait la médecine générale à Jasper. L’appelant a été conduit à une salle d’opération et, pendant qu’il était sous l’effet d’une anesthésie générale, le docteur Venner a réduit la fracture et mis la jambe dans le plâtre, des orteils jusqu’au haut de la cuisse. Ce travail était terminé vers 18h.
Le savant juge de première instance a résumé comme suit les événements qui se sont déroulés au cours des quatre journées suivantes:
[TRADUCTION] Le lundi matin, le demandeur a reçu la visite du docteur Venner. Le dossier de l’infirmière indique qu’à 20h., le plâtre a été fendu sur une longueur d’environ huit pouces, que le demandeur avait les orteils engourdis, enflés et bleus, et qu’il n’y avait aucun mouvement des orteils. Le demandeur ressentait la douleur habituelle dans les cas de fracture. Le lundi soir, il a prévenu le médecin et
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les infirmières qu’il ne se sentait plus le pied, qu’il ne pouvait remuer ses orteils ni ressentir piqûres ou pincements. Il a dit que la jambe lui faisait mal et que ses orteils étaient enflés et bleus.
A vingt heures, c’est afin d’examiner le pied du demandeur que le docteur Venner avait fendu le plâtre. La condition du demandeur est restée inchangée le mardi, sauf qu’en plus des symptômes déjà mentionnés ses orteils étaient froids.
Le mercredi, le docteur Venner a fendu le plâtre jusqu’au genou et a examiné la jambe du demandeur. Au mieux, la condition du demandeur était à peu près la même que précédemment. Le mercredi soir, le plâtre a été fendu sur toute la longueur. Durant la nuit, le docteur Venner a visité le demandeur à deux reprises. Il a décidé d’envoyer le demandeur à Edmonton, ce qui fut fait le jeudi 25 février.
Pendant le séjour du demandeur à l’hôpital, sa condition, c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’était pas améliorée depuis le lundi.
Après avoir été conduit à Edmonton, l’appelant a été examiné par le docteur John C. Callaghan, un spécialiste cardio-vasculaire, qui a fait prendre des rayons X et des artériogrammes de sa jambe. Il a découvert la présence de spasmes dans les ramifications profondes des vaisseaux sanguins, aux endroits que l’on appelle les sections aponévrotiques. Selon lui, la situation exigeait les soins d’un spécialiste en orthopédie et il a immédiatement référé le patient au docteur Donald C. Johnston. Le docteur Johnston a témoigné qu’il avait été consulté par le docteur Callaghan. Relativement à ce qu’il a trouvé, il a témoigné comme suit: [Traduction]
R. Il est arrivé au University Hospital et il était dans un, il portait un plâtre des orteils à la mi-cuisse, qui avait été fendu à l’avant. A vrai dire, ce patient avait été référé au docteur John Callaghan et on m’avait demandé de le voir en consultation. A ce moment-là , les orteils étaient pâles et insensibles. Nous avons immédiatement enlevé le plâtre, et un des internes du docteur Callaghan a pris un artériogramme. Après l’artériogramme, nous l’avons immédiatement amené à la salle d’opération et nous avons ouvert la partie antérieure de sa jambe, fait ce qu’on appelle une aponé-vrotomie. La plaie a été laissée à découvert et on a procédé à une nouvelle application d’un plâtre rembourré, qui a été immédiatement rendu bivalve.
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Q. Que voulez-vous dire par bivalve?
R. Fendu sur les deux côtés et le dessus enlevé ou amovible.
Q. Pourquoi avez-vous procédé ainsi?
R. Pour nous assurer qu’il n’y aurait pas d’autres obstructions, qu’il ne pourrait y avoir aucune obstruction possible ou aucune pression exercée sur la blessure.
Q. Maintenant, le plâtre que vous avez enlevé, docteur, avez-vous eu l’occasion de le voir, de l’examiner?
R. Oui.
Q. Était-ce un plâtre entier, ce que l’on appelle un plâtre entier, entourait-il complètement la jambe?
R. Oui.
Q. Et des orteils jusqu’à l’aine. Et dans quel état se trouvait le plâtre? Je crois que vous avez dit qu’il avait été fendu, est-ce vrai?
R. Oui, fendu de tout son long à l’avant.
Q. Y avait-il des bandes qui enveloppaient le plâtre à ce moment-là ?
R. Je ne crois pas.
Q. Maintenant, qu’a révélé l’artériogramme pris par le docteur Callaghan?
R. Je me souviens qu’il révélait une obstruction à l’endroit de la fracture.
Q. Une obstruction de la circulation?
R. De la circulation, oui.
Le docteur Johnston a poursuivi le traitement de l’appelant, mais l’état de sa jambe a continué à se détériorer. D’autres artériogrammes ont été pris et, après consultation avec un certain docteur Rostrup, on a décidé d’amputer la jambe au-dessous du genou. Cela a été fait le 5 avril 1965.
Sur cette décision cruciale, voici le témoignage du docteur Johnston:
[TRADUCTION]
Q. Avez-vous revu Georges Ares par la suite?
R. Oui.
Q. Serait-ce le 4, le 6 et le 31 mars?
R. En fait, je l’ai vu tous les jours, mais je crois que ces dates représentent les jours où nous l’avons amené à la salle d’opération.
Q. Dans quel but?
R. Il était évident qu’il souffrait de nécrose musculaire.
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Q. Qu’est-ce que c’est?
R. Eh bien, le muscle était mort par manque d’approvisionnement en sang. Alors, ce muscle se liquéfie et il doit ensuite être enlevé. C’est à ces occasions que nous avons enlevé des parties de muscle mort.
Q. A-t-on appliqué d’autres plâtres?
R. Un plâtre à chaque fois.
Q. Et qu’a-t-on fait au plâtre à chaque application?
R. Il a été rendu bivalve.
Q. Serait-ce pour la même raison que vous avez donnée plus tôt?
R. Oui.
Q. Maintenant, en êtes-vous arrivé à quelque conclusion à la suite des observations que vous avez faites au cours de cette période?
R. Oui. Même si la circulation dans la peau des orteils et du pied nous encourageait beaucoup, nous étions conscients de l’étendue des dommages au muscle de la jambe et aux nerfs, dommages causés encore une fois par le manque d’approvisionnement en sang ou, comme nous l’appelons, l’ischémie. Il avait aussi subi une fracture comminutive, et même s’il était, s’il était probablement, s’il aurait probablement été possible de lui sauver la jambe en pratiquant plusieurs autres opérations s’échelonnant sur une période de deux ou trois ans peut-être, la décision a été prise avec le docteur Rostrup dans la salle d’opération que, en considération de son âge et de ce qu’il lui adviendrait, la perte du muscle, en fait, lui laisserait une espèce de jambe de bois vivante mais insensible, il vaudrait mieux lui amputer la jambe au-dessous du genou et il en fut fait ainsi. Cela s’est produit, je crois, l’amputation a-t-elle été pratiquée le 5 juin?
Q. Non, le 5 avril.
R. Le 5 avril plutôt.
Q. Oui. Maintenant, je crois que cette décision a été prise le 31 mars 1965, n’est-ce pas?
R. Oui.
* * *
Q. Et le patient est-il demeuré à l’hôpital?
R. Oui.
Q. Jusqu’à quand?
R. Je ne me souviens pas exactement. Je me rappelle qu’environ une semaine après il a souffert d’une hémorragie secondaire au moignon et qu’il a fallu le ramener à la salle d’opération, lui ouvrir le moignon et ligaturer le vaisseau;
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ensuite, son séjour à l’hôpital s’est déroulé normalement et il a été renvoyé sur des béquilles.
L’appelant a intenté une action contre le docteur Venner, l’hôpital Seton et les Sœurs de la Charité de St. Vincent de Paul, alléguant négligence de la part du docteur Venner, de l’hôpital et des Sœurs de la Charité, celles-ci en tant qu’exploitants de l’hôpital. L’action a été jugée en première instance par le Juge O’Byrne, qui a condamné le docteur Venner à payer $29,407.13 pour négligence; L’action contre l’hôpital et les Sœurs de la Charité a été rejetée. Le docteur Venner a interjeté appel devant la Chambre d’appel de la Cour Suprême de l’Alberta[2]. L’appelant a logé un appel incident contre l’hôpital. La Chambre d’appel a accueilli l’appel, infirmé le jugement du Juge O’Byrne et ordonné un nouveau procès quant au docteur Venner. L’appel incident contre l’hôpital a été rejeté. L’appelant se pourvoit en cette Cour contre l’arrêt relatif au nouveau procès. L’intimé, Venner, a logé un appel incident, demandant le rejet de l’action plutôt que le nouveau procès ordonné par la Chambre d’appel. Ni l’hôpital, ni les Sœurs de la Charité sont maintenant parties au litige.
Un volume considérable de témoignages d’experts médicaux a été soumis, au nom de l’appelant et du docteur Venner. Après avoir entendu la preuve, le savant juge de première instance a constaté ce qui suit:
[TRADUCTION] Il s’agit ici d’une jambe brisée dans un centre de ski, je dirais même d’une fracture grave. Les circonstances ne présentent pas les difficultés exceptionnelles rencontrées dans les affaires Challand et Ostash, qui demandaient un diagnostic très délicat des complications causées respectivement par la gangrène gazeuse et par l’oxyde de carbone. La complication que l’on a rencontrée ici est un trouble circulatoire.
Les signes ou symptômes classiques d’un trouble circulatoire se sont manifestés clairement et de bonne heure.
Il a été établi, à ma satisfaction, qu’il existe dans les cas semblables une pratique courante et normale dans la profession, sans égard à la spécialité, qui
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consiste à fendre le plâtre ou à le rendre bivalve. Si le patient n’éprouve alors aucun soulagement, on doit s’en rapporter à un spécialiste ou, si les installations le permettent, approfondir le problème pour en cerner la cause.
Le défendeur n’a pas suivi cette pratique. A mon avis, il était plus intéressé à maintenir la bonne réduction de la fracture qu’il avait obtenue que d’entretenir une bonne circulation. Cela a produit un dommage irréparable. Pour employer une expression juridique, dans ces affaires le facteur temps est un élément essentiel.
Je suis convaincu que la décision du défendeur n’était pas conforme à la norme et il est donc responsable du dommage qui en est résulté.
Cette constatation découle de l’appréciation de témoignages contradictoires et d’une preuve sur laquelle le savant juge de première instance était en droit de s’appuyer. Il a aussi reçu le témoignage de l’appelant, qui indiquait par lui-même l’aggravation ayant marqué la période critique du lundi au mercredi, témoignage corroboré par les observations du docteur Johnston. La conclusion de négligence, ainsi appuyée par la preuve, ne doit pas être infirmée.
La question principale débattue à la Chambre d’appel est la recevabilité des notes prises par les infirmières qui ont soigné l’appelant lors de son séjour à l’hôpital Seton. Ces notes ont été déposées en preuve comme faisant partie de l’interrogatoire préalable du docteur Venner, qui a été consigné au dossier en première instance au nom de l’appelant. L’avocat du docteur Venner a formulé une objection à la recevabilité des notes, mais elles furent admises en preuve par le Juge O’Byrne comme faisant exception à l’interdiction du ouï-dire. En admettant cette preuve, le Juge O’Byrne a déclaré:
[TRADUCTION] Bien, je comprends maintenant votre objection (celle de l’avocat du défendeur) mais à ce moment-ci et sans avoir consulté la jurisprudence, je pense que si vous n’êtes pas satisfait du contenu des dossiers de cet hôpital, vous n’avez qu’à déposer tout élément de preuve que vous jugerez à propos pour corriger ou compléter, à votre guise. Il me semble que ce que M. Veale tente de faire tombe clairement à l’intérieur des limites fixées par les précédents qu’il m’a cités. J’admets donc les dossiers comme pièce 6.
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et il a dit dans son jugement:
[TRADUCTION] Je remarque que les infirmières de l’hôpital Seton étaient présentes ici pendant les trois jours du procès. Personne ne les a appelées à témoigner. Elles étaient disponibles pour tous. Elles ont été amenées ici aux frais du demandeur. Cela me frappe et renforce mon acceptation des notes comme étant généralement dignes de foi, pour employer l’expression de Wigmore dans On Evidence, ouvrage cité par l’avocat du demandeur la première journée du procès.
En parlant de ces dossiers, le Juge d’appel Johnson, dont l’opinion est partagée par les Juges d’appel McDermid et Allen, a déclaré:
[TRADUCTION] Dans la présente action, où la constatation primordiale du Juge de première instance est:
[TRADUCTION] Les signes ou symptômes classiques d’un trouble circulatoire se sont manifestés clairement et de bonne heure
l’exactitude de ces dossiers revêt une importance capitale.
Ces dossiers, loin d’être un simple enregistrement de lectures d’instruments ou d’administrations de médicaments, constituent l’appréciation par les infirmières de certains phénomènes. Ils impliquent l’habileté des infirmières à observer et, fait également important, à enregistrer leurs observations d’une façon précise. Ayant inscrit ces observations, il reste encore à déterminer la gravité de l’état du patient quand on fait l’usage de termes tels que «bleu», «rose bleuâtre», «frais» et «froid». Il y a là matière à un bon contre-interrogatoire. En l’absence de cette vérification par contre-interrogatoire, on ne peut dire que la preuve satisfait à la norme de la «probabilité circonstancielle de crédibilité» et elle n’aurait pas dû être admise sans que les infirmières ne soient appelées à la vérifier et n’aient été disponibles pour le contre-interrogatoire. La disponibilité de ces infirmières n’a pas été mise en doute. Comme le savant Juge le dit bien, dans le passage de ses motifs que j’ai cité tantôt, ces infirmières ont été citées par le demandeur, et elles ont été présentes tout au long du procès sans être appelées à témoigner.
et il en est arrivé à la conclusion suivante:
[TRADUCTION] Comme les notes des infirmières n’ont pas été correctement admises en preuve, l’appel est accueilli avec dépens et un nouveau procès est ordonné.
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En acceptant les notes en preuve, le Juge O’Byrne s’est appuyé sur un passage de Wigmore, On Evidence, 3e éd., vol. 6, para. 1707, qui se lit ainsi:
[TRADUCTION] 1707. Dossiers des hôpitaux. Les dossiers médicaux des patients dans un hôpital, établis suivant la méthode moderne et habituelle, doivent être soumis au principe suivant. Ils doivent être recevables, soit sur identification de l’original par le dépositaire soit sur production d’une copie légalisée ou assermentée. Il existe un motif de «nécessité» (par. 1421); la convocation de tous les médecins, internes et infirmières qui ont collaboré à l’élaboration du dossier, même pour un seul patient, constituerait une entrave sérieuse au fonctionnement administratif de l’hôpital. Il y a une garantie indirecte de crédibilité (par. 1422); les dossiers sont conçus et consultés en rapport avec des questions de vie ou de mort. De plus, parmi les détails de centaines de cas portant sur les observations quotidiennes à l’hôpital, les médecins et les infirmières ne peuvent à peu près pas se rappeler de données spécifiques; ils comptent eux-mêmes sur leurs propres notes. Ainsi, le fait de les appeler à témoigner, n’apporterait ordinairement peu ou pas de renseignements additionnels en regard de ceux que l’on trouve au dossier lui‑même. Les erreurs et omissions occasionnelles, qui surviennent au cours du service lorsque le personnel est nombreux, ne font pas plus échec à la crédibilité générale de ces dossiers que les erreurs des témoins à l’audience. Le pouvoir du tribunal de citer comme témoins les membres du personnel des archives constitue une garantie suffisante lorsque le besoin s’en fait sentir et lorsqu’il y a une véritable controverse.
Il s’est aussi fondé sur deux affaires d’Alberta, Omand v. Alberta Milling Company[3], et Ashdown Hardware Co. v. Singer et al.,[4] ainsi que sur un arrêt de cette Cour, Canada Atlantic Railway Company c. Moxley.[5]
Dans l’affaire Omand, la demande portait sur des dommages qui auraient été causés par une livraison de farine de qualité inférieure, par suite d’un excès d’humidité et d’un poids insuffisant. On a cité un témoin, Flavelle, qui avait été surintendant de la Division de l’inspection des farines de la Commission canadienne du blé et de la «Wheat Export Company» et qui, à l’origine,
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travaillait pour le Gouvernement canadien agissant au nom du Gouvernement britannique pour l’exportation de blé à l’Angleterre. Il voulait se rafraîchir la mémoire au sujet des événements pertinents au litige, en examinant les rapports faits dans le but même de vérifier et de déterminer la quantité et la qualité de toute la farine achetée par le Gouvernement. Cette administration exigeait la participation d’un personnel nombreux, entre lequel les diverses tâches étaient réparties. Le système comprenait l’enregistrement régulier des résultats. Le savant juge de première instance a refusé de permettre au témoin de faire ce qu’il désirait. La Chambre d’appel a accueilli un appel à l’encontre du jugement, et elle a rejeté l’action. Le Juge d’appel Stuart a traité de la recevabilité des rapports de la façon suivante:
[TRADUCTION] A mon avis, en vertu d’une exception à l’interdiction du ouï-dire, les dossiers pouvaient être apportés en preuve des faits qu’ils relatent.
D’abord, il y a le principe de la «nécessité». Personne autre que les employés qui vérifiaient régulièrement la farine à Montréal pour le compte des gouvernements canadien ou britannique ne pouvait témoigner sur les points en litige. Ces employés effectuent un nombre si considérable de vérifications qu’il leur est impossible de se rappeler du résultat dans chaque cas. Il est vraiment absurde même de parler d’un rafraîchissement de mémoire. Tout le monde sait parfaitement bien que c’est impossible. D’ailleurs, la nécessité ne provient pas simplement de la mort (comme c’était le cas dans l’affaire Reid) ou de l’absence (comme dans l’affaire Grant) mais également de l’impossibilité absolue de se souvenir des faits, même dans le cas des témoins qui ont comparu, nommément, Shutt et Flavelle.
Ensuite, il y a la garantie indirecte de crédibilité qui provient (1) du désintéressement complet, (2) de l’obligation de vérifier, (3) du devoir d’enregistrer le résultat à ce moment-là ; ce devoir existant envers des supérieurs investis du pouvoir de punir ou de réprimander pour défaut de l’accomplir.
Wigmore étudie complètement le sujet aux paragraphes 1420 et 1521 à 1532 de On Evidence; je crois que les principes que Wigmore qualifie de solides, devraient être considérés de la même façon et adoptés par la Cour.
Dans l’affaire Ashdown, où l’on réclamait le prix de marchandises vendues et livrées, le défendeur prétendait que le demandeur n’avait pas
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prouvé que des marchandises avaient été livrées pour le montant réclamé. Le demandeur s’appuyait sur ses livres de comptes et sur le témoignage de son gérant de crédit, qui était préposé à la garde et à la surveillance des comptes de clients. Il était familier avec le système et la méthode adoptés par la compagnie pour les commandes, les approvisionnements en marchandises, la facturation, les écritures et la tenue des livres. Le défendeur prétendait qu’il n’y avait aucune preuve de vente ou de livraison et que le demandeur ne pouvait faire sa cause par la production des dossiers. En prononçant le jugement de la Cour, le Juge d’appel Clinton J. Ford a déclaré:
[TRADUCTION] Il est vrai qu’il n’y a aucune preuve qu’une livraison réelle des marchandises en question a été faite à la firme ou reçue par elle, ni aucun témoignage de la part d’un commis ou d’un employé du demandeur qui ait personnellement expédié les marchandises en exécution d’une commande spécifique; mais, à mon avis, on ne peut exiger raisonnablement une preuve par ce moyen dans le cours actuel des affaires d’une grande entreprise commerciale, où les commis et les employés sont remplacés à l’occasion et leur témoignage peut être difficile et souvent impossible à obtenir. Ils auraient oublié la plupart des transactions particulières, même s’ils étaient amenés devant le tribunal. Évidemment, ayant à l’esprit les circonstances, le tribunal doit, comme toujours, décider quelle est la meilleure preuve disponible et le genre ou degré de preuve requis. Cette opinion s’accorde, je crois, avec celle qui est exposée complètement dans On Evidence, de Wigmore, 3e éd., vol. 5, par. 1530. Pour faire ressortir toute la difficulté de prouver chaque article du compte, je souligne que nous avons sous les yeux l’exemple de marchandises vendues et livrées au cours d’une période qui va du 26 avril 1948 au 30 novembre 1949, articles qui couvrent environ 40 pages du dossier imprimé.
Je crois que cette opinion sur le genre de preuve requis pour constituer ici une cause qui, prima facie, paraît fondée, est appuyée par le raisonnement dans Omand v. Alta. Milling Co. [1922] 3 W.W.R. 412, 18 Alta. L.R. 383, où le Juge d’appel Beck considère une preuve venant d’un système soigneusement conçu et dirigé pour conduire à un haut degré de probabilité quant à l’exactitude du résultat final, même si dans cette affaire-là il s’agissait d’un système gouvernemental d’inspection suivi de la confection de dossiers. Le système ayant été prouvé par le surintendant qui a attesté les copies ou duplicata des rapports uti-
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lisés conformément au système, le contenu des rapports a été prouvé et jugé exact, prima facie. Le Juge d’appel Clark s’est rangé à l’avis du Juge d’appel Beck. Le Juge d’appel Stuart, à la page 412, dit que de tels dossiers sont recevables pour établir la preuve des faits qui s’y trouvent, en vertu d’une exception valable à l’interdiction du ouï‑dire. Il cite On Evidence, de Wigmore, par. 1521 à 1532, et exprime l’avis que les principes qui y sont proposés comme étant solides, devraient être considérés de la même façon et adoptés par la Cour. Ayant lu ces paragraphes, je partage respectueusement l’opinion exprimée par le Juge d’appel Stuart et ajoute que, à mon avis, les principes qui y sont exposés s’appliquent à la preuve requise dans la présente affaire.
Dans l’affaire Moxley, le demandeur avait intenté une action contre la Canada Atlantic Railway Company, alléguant qu’en raison du mauvais état de sa locomotive, des étincelles s’étaient produites et avaient mis le feu à du bois d’œuvre et d’autres bois sur la terre du demandeur; le feu s’est répandu rapidement et a détruit une quantité de bois d’œuvre qui se trouvait sur la terre. Pour soutenir son point, le demandeur a déposé en preuve certains livres de la compagnie de chemin de fer contenant un état des réparations requises à la locomotive qui était passée près de la ferme du demandeur vers le temps où le feu s’est déclaré. On objecta à la production de ces dossiers et, à ce sujet, le Juge Gwynne déclara, à la p. 163:
[TRADUCTION] Alors, quant aux écritures dans les livres du défendeur concernant l’état de la locomotive n° 4, ces écritures sont recevables en preuve car elles ont été apposées dans le but même d’attirer l’attention des services mécaniques sur quelque chose qui devait être fait, et parce que c’est le conducteur de la locomotive, à qui incombait la tâche de faire les écritures ou de les faire faire, qui les a fait apposer dans le livre.
La question de la recevabilité en preuve des notes des infirmières dans ce pourvoi n’est pas aussi décisive qu’elle pourrait l’être en raison de l’objection formulée par l’avocat du docteur Venner en première instance. Il a présenté son point de vue de la façon suivante:
[TRADUCTION] M. MAJOR: Votre Seigneurie, la situation peut présenter quelque difficulté du fait que vous n’avez pas le dossier sous les yeux, les dossiers de l’infirmière, de comprendre ce que j’essaie de dire. Nous ne nous opposons pas à la production des dos-
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siers dans la mesure où ils montrent que les infirmières prenaient soin du patient, dans la mesure où ils relatent un fait de nature objective, dans la mesure où la preuve en cette affaire est en cause. Mais à la lecture du dossier, en prenant un passage au hasard, vous rencontrez quelque chose du genre:
«Soirée tranquille, s’est plaint de malaises, soulagé à l’aide de calmants, engourdissements dans tous les orteils, orteils maintenant enflés et bleus.»
Pour autant que ce genre de description est utilisé, il s’agit d’une opinion exprimée par l’infirmière sur ce qu’elle a observé quand elle était là ; je crois qu’il serait injuste de l’accepter comme preuve prima facie des faits qu’on prétend s’être produits sans que l’infirmière soit présente aujourd’hui pour déclarer que quand elle dit bleu, elle veut dire ce que chacun de nous entend par bleu. Dans la mesure où il s’agit de l’expression de son opinion, je ne crois pas que le docteur devrait être placé dans une situation où elle serait reçue en preuve. Il a subi un préjudice dans la mesure où les précédents cités par mon savant confrère ne respectent pas l’exception même mentionnée par Wigmore, la véritable controverse dont parle Wigmore et qui constitue précisément le problème dans lequel, selon moi, nous sommes plongés ici dans la mesure où il s’agit d’expressions d’opinion.
LA COUR: Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par cela. Quelle exception?
M. MAJOR: Si vous voulez lire la dernière phrase, je suppose qu’il vaudrait mieux commencer à l’avant-dernière:
[TRADUCTION] «Les erreurs et omissions occasionnelles, qui surviennent au cours du service lorsque le personnel est nombreux, ne font pas plus échec à la crédibilité générale de ces dossiers que les erreurs des témoins à l’audience. Le pouvoir du tribunal de citer comme témoins les membres du personnel des archives constitue une garantie suffisante lorsque le besoin s’en fait sentir et lorsqu’il y a une véritable controverse.»
Et je dis seulement que dans la mesure où des expressions d’opinion figurent au dossier, il peut y avoir une véritable controverse; peut-être pas tant une controverse qu’un besoin de clarification, d’élucidation de ce que les infirmières voulaient dire quand elles ont établi le dossier.
LA COUR: Ce qu’évidemment vous pouvez faire, bien qu’il soit déposé en l’instance comme pièce à ce stade des procédures.
M. MAJOR: Votre Seigneurie, si vous décidez que —
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LA COUR: Je n’ai pas encore décidé. Je dois savoir quel est votre problème.
M. MAJOR: Mon problème est le suivant: je suis tout à fait prêt à accepter la production, sauf la réserve que j’ai formulée à l’effet que ces dossiers ne devraient pas être considérés par la Cour comme preuve prima facie de ce qu’ils semblent être, dans la mesure où ils se rapportent à une expression d’opinion.
LA COUR: Vous dites que vous voulez vous réserver le droit de produire n’importe quelle preuve pour modifier, contester ou développer le contenu du dossier de l’infirmière, de son graphique ou autre document?
M. MAJOR: Non, je vais un peu plus loin que ça, Votre Seigneurie. Je dis que, pour faire sa preuve, le demandeur est obligé de produire des éléments de preuve pour clarifier ce que je conteste dans la mesure où ces dossiers paraissent en traiter. Je ne pense pas qu’il lui suffit de déposer ces dossiers qui indiquent que la jambe peut être bleue, qu’il peut se présenter un état d’engourdissement, ou qu’on peut trouver d’autres termes génériques. Je dis que le demandeur ne fait pas sa preuve par la production de ces dossiers et objecte à leur recevabilité à ce titre. Autrement, je n’ai aucune objection.
Aussi, pendant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire du docteur Venner, on s’est reporté aux notes des infirmières et il a avoué en avoir pris connaissance et s’en être servi pour déterminer la marche à suivre lors de chacune de ses visites à l’appelant à l’hôpital de Jasper.
Toutefois, malgré cela, je pense qu’il serait bon que la Cour aborde cette question comme point de droit et détermine la procédure à suivre au sujet des dossiers d’hôpital et des notes d’infirmières. Il y a lieu de statuer s’ils sont admissibles comme preuve prima facie de la vérité des déclarations qui y sont consignées ou s’ils ne sont pas admissibles en vertu de l’interdiction du ouï-dire.
Un certain doute persiste sur ce point. Le besoin de redéfinir la règle interdisant le ouï-dire est reconnu depuis longtemps, mais il y a divergence d’opinion sur la façon d’y procéder. Il existe deux écoles de pensée; la décision ré-
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cente de la Chambre des Lords dans Myers v. Director of Public Prosecutions[6], les illustre bien. Dans cette affaire-là , Lord Reid, dont l’opinion est partagée par Lord Morris et Lord Hodson, a opté pour une solution d’ordre législatif, dans l’exposé suivant:
[TRADUCTION] Je n’ai jamais eu une conception étroite des fonctions de cette Chambre comme tribunal d’appel. Une évolution de la common law s’impose pour parer aux changements dans le domaine économique et dans la mentalité des gens, et je ne m’en laisserais pas détourner par les opinions exprimées en cette Chambre dans le passé. Mais nos pouvoirs et nos devoirs ont des limites. Si nous devons apporter un élargissement à la loi, il nous faut y arriver par le développement et l’application de principes fondamentaux. Nous ne pouvons introduire des conditions ou restrictions arbitraires; cela doit être laissé au législateur. Et si, en fait, nous changeons la loi, à mon avis nous devons le faire seulement dans les cas où notre décision apportera une certaine finalité ou certitude. Si, dans cette affaire, nous laissons de côté les considérations d’ordre technique pour en faire une question de principe et de bon sens, il y a d’autres aspects du droit de la preuve par ouï-dire qui méritent un traitement semblable, et, nous aurons probablement une série d’appels dans des affaires où les présentes restrictions de droit strict ont un résultat injuste. Si nous adoptons une conception large de nos fonctions judiciaires, les questions de principe politique ne peuvent être entièrement exclues, et, à mon avis, c’est aller à l’encontre de l’intérêt public que de créer de l’incertitude. Seul le législateur pourrait apporter une solution satisfaisante, après une étude approfondie de toute la question, et je pense que le besoin d’une telle étude se fait sentir depuis longtemps. Une politique de laisser-faire et de raccommodage ne peut plus suffire. Le plus puissant argument des partisans de la doctrine stricte du précédent est que si elle est relâchée, les juges seront tentés d’empiéter sur le domaine qui revient en propre au législateur, et cette affaire, à mon avis, présente une tentation de faire justement ce à quoi il nous faut résister.
L’exposé de Lord Donovan est favorable à un élargissement de la règle par le processus judiciaire, et il est comme suit:
[TRADUCTION] Je sais que Vos Seigneuries entretiennent quelque inquiétude face à ces conséquences.
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Néanmoins, on a allégué au nom de l’appelante que cette Chambre n’a pas le pouvoir de les empêcher. Le plaidoyer est à l’effet que les dossiers eux-mêmes sont du ouï-dire; qu’un acte du législateur serait nécessaire pour les rendre admissibles en preuve; que la recevabilité de cette preuve devrait être entourée de garanties, de crainte qu’une preuve douteuse ne puisse s’introduire par cette voie; et, que tout ceci est de la compétence du Parlement.
Vos Seigneuries, je sais la force de cette argumentation mais je n’en suis pas pour autant convaincu. Ce sont les juges qui façonnent la common law et il est toujours de leur compétence de l’adapter à l’occasion de manière qu’elle serve l’intérêt de ceux qu’elle lie. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la procédure. Dans cette affaire-ci, la question est la suivante: «Les tribunaux doivent-ils recevoir la preuve d’un fait sous la forme de dossiers fiables et authentiques, qui en sont la seule preuve satisfaisante»? Je pense que les tribunaux eux-mêmes sont en mesure d’apporter une réponse affirmative à cette question.
Il a reçu l’appui de Lord Pearce qui a déclaré:
[TRADUCTION] Je ne puis admettre qu’une «incertitude dangereuse» soit créée par des améliorations nécessaires et raisonnables apportées aux moyens que le tribunal emploie pour atteindre la vérité. On a le choix entre les obiter dicta de deux juges célèbres; pour ma part, j’opte pour celui du Maître des rôles Jessel. Son dictum, reproduit à 1 P.D. 154, page 241, est le suivant:
[TRADUCTION] «Maintenant, je présume que le principe fondamental de toutes ces exceptions est le même. Premièrement, l’affaire doit comporter une difficulté d’obtenir d’autres preuves, car il ne fait aucun doute que la recevabilité des exceptions est fondée sur cette difficulté même. Deuxièmement, le déclarant doit être désintéressé; c’est-à -dire, désintéressé au sens que sa déclaration ne serve pas son intérêt personnel. Et, troisièmement, la déclaration doit avoir été faite avant le différend ou litige de sorte qu’elle ait été faite sans parti-pris découlant de l’existence d’un différend ou litige que le déclarant pourrait être soupçonné de favoriser. Enfin, et cela me semble l’une des meilleures raisons de l’admettre, le déclarant doit avoir eu des moyens de connaissance qui ne sont pas à la portée des gens ordinaires». Face à cet énoncé de principe, il a reconnu une extension que l’on accepte depuis lors, à la «Probate Division».
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En toute déférence, je pense que c’est le bon point de vue, en particulier à l’égard d’un problème relatif à la méthode que le tribunal utilise pour atteindre la vérité. Quand des changements se produisent, sa pratique s’adapte à la nouvelle situation en conformité des principes fondamentaux sous-jacents à la pratique. Élever la pratique au-dessus des principes serait se convertir au formalisme. Puisque ce secteur du droit est si négligé, «le démon du formalisme qui tente l’intellect sous le couvert de la rigueur scientifique» n’a qu’un attrait limité.
Bien que j’accorde du poids à la désapprobation générale, explicite ou implicite, d’un élargissement supplémentaire exprimée en obiter dictum dans Woodward v. Goulstone, 11 A.C. 469, je ne puis accepter que, depuis 1886, les principes généraux formulés par le Maître des rôles Jessel ne puissent plus évoluer de nouveau selon les circonstances ou ensembles de circonstances particulières. Depuis cette époque, la vie a beaucoup changé sous divers rapports. Les tribunaux connaissaient alors la nécessité créée par la mort et ils ont développé des exceptions qui traitaient de ce phénomène d’un façon raisonnablement adéquate. Lord Aldon et Lord Cottenham ont traité de la nécessité créée par l’aliénation mentale et je ne puis trouver que leurs vues aient été rejetées. Ils ne pouvaient alors prévoir la nécessité qu’entraîneraient plus tard le travail en série et les entreprises modernes. Ils n’ont rien prévu quant à l’anonymat des dossiers des industries modernes et la difficulté de retracer ceux qui les ont rédigés. Il peut être difficile ou impossible d’individualiser le personnel d’une grande usine ou entreprise. Ces gens ne se servent pas de leur mémoire car leur travail n’est souvent qu’une répétition des mêmes gestes qui deviennent presque automatiques. Par contre, leurs efforts combinés produisent des choses et des dossiers dont la complexité, l’efficacité et la précision dépassent tout ce qu’on aurait pu imaginer en 1886. Selon moi, l’anonymat de l’archiviste ou l’impossibilité de, le retracer, créent une nécessité aussi valable de recevoir en preuve les dossiers de l’entreprise que ne le ferait sa mort. Les principes sur lesquels le tribunal se fonde pour découvrir la vérité sur ces choses restent inchangés, mais leur application doit changer si ces principes doivent être respectés et observés.
Même si Lord Donovan et Lord Pearce forment la minorité dans l’affaire Myers, je suis d’avis que cette Cour doit adopter et suivre l’o-
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pinion de cette minorité plutôt que de dire: «Ce droit prétorien doit être redéfini pour répondre aux besoins de la société moderne, mais nous devons laisser cette tâche au Parlement et aux dix législatures provinciales».
Les dossiers d’hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent. Cela ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l’exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elle veut le faire. Dans cette affaire, si l’intimé avait voulu contester l’exactitude des notes des infirmières, ces dernières étaient présentes en Cour et disponibles pour témoigner à la demande de l’intimé.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement du Juge O’Byrne, avec dépens en cette Cour et en la Chambre d’appel. L’appel incident est rejeté avec dépens.
Appel accueilli avec dépens; contre-appel rejeté avec dépens.
Procureurs du demandeur, appellant: Brower, Johnson, Liknaitzky, Robertson, Shamchuk & Veale, Edmonton.
Procureurs du défendeur, intimé: Saucier, Jones, Peacock, Black, Gain, Stratton & Laycraft, Calgary.
[1] (1969), 70 W.W.R. 96.
[2] (1969), 70 W.W.R. 96.
[3] (1922), 18 A.L.R. 383.
[4] (1951), 3 W.W.R. (N.S.) 145.
[5] (1889), 15 R.C.S. 145.
[6] [1965] A.C. 1001, [1964] 3 W.L.R. 145, [1964] 2 All E.R. 881.