Cour Suprême du Canada
Gana c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1970] R.C.S. 699
Date: 1970-04-28
Koula Gana Appelante;
et
Le Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration Intimé.
1970: le 17 mars; 1970: le 28 avril.
Présents: Les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COMMISSION D’APPEL DE L’IMMIGRATION
APPEL d’une ordonnance de la Commission d’appel de l’immigration, rejetant un appel de la décision d’un enquêteur spécial qui avait ordonné la détention et l’expulsion de l’appelante. Appel accueilli.
Bernard Reis, pour l’appellante.
C.R.O. Munro, c.r., pour l’intimé.
Le jugement des Juges Fauteux, Martland, Spence et Pigeon a été rendu par
LE JUGE SPENCE — Le présent pourvoi est celui d’une personne demandant l’admission permanente au Canada et il est à l’encontre d’une décision de la Commission d’appel de l’immigration rendue le 7 août 1968. Par cette décision, la Commission rejette l’appel de la décision d’un enquêteur spécial rendue le 20 juillet 1968. La décision de l’enquêteur spécial ordonne la détention et l’expulsion de la requérante.
Mlle Koula Gana, Grecque de naissance, a été admise au Canada le 20 janvier 1968, comme touriste, conformément à l’art. 7(1) (c) de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325. Son permis de séjour était valide jusqu’au 19 mars 1968. Le 28 février 1968, elle s’est présentée au bureau de l’Immigration à Montréal et a rempli une demande de résidence permanente au Canada. Dans cette demande, qui fait partie des pièces produites en cette Cour, la requérante a indiqué comme profession qu’elle compte exercer au Canada [TRADUCTION] «couturière et monteuse de valises». C’est le métier que la requérante avait exercé pendant un séjour de huit ans en Australie.
La requérante n’a occupé aucun emploi au Canada depuis son arrivée jusqu’après le 29 mai 1968, date à laquelle elle a obtenu de l’enquêteur spécial l’autorisation officielle de le faire.
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C’est un dénommé R.A. Lavallée, fonctionnaire à l’immigration à Montréal, qui a étudié la demande de Mlle Gana. Cette dernière a déclaré à l’enquêteur spécial qu’on l’a convoquée au bureau de l’immigration le 28 février 1968 et [TRADUCTION] «on m’a alors dit que ma demande était refusée parce que je n’avais pas la qualification nécessaire et que je n’avais pas obtenu un nombre de points suffisant…»
Voici ce que dit, entre autres choses, le fonctionnaire à l’immigration dans son rapport du 2 avril 1968 à l’enquêteur spécial:
[TRADUCTION] 2. Conformément à l’art. 23 de la Loi sur l’immigration, je dois faire rapport que j’ai examiné Koula Gana et qu’à mon avis elle n’est pas citoyenne canadienne et n’a pas acquis un domicile canadien.
A l’alinéa 3, le fonctionnaire à l’immigration exprime son avis sur les points attribués à la requérante selon l’Annexe «A» du Règlement sur l’immigration, ce dont je reparlerai plus loin.
L’avocat représentant le Ministre a prétendu devant cette Cour que le fonctionnaire à l’immigration a procédé à une audition avant de prendre la décision dont il fait état dans son rapport du 2 avril 1968. Il semble, d’après le témoignage non contredit de Mlle Gana, qu’il serait plus exact de dire, comme le prétend son avocat, que tout s’est résumé à la seule lecture de la demande et une attribution de points d’après cette lecture. De toute façon, quelle qu’ait été cette audition, Mlle Gana n’y a pas eu l’assistance d’un avocat.
Après la réception du rapport du fonctionnaire à l’immigration, un enquêteur spécial a fait parvenir à Mlle Gana le 15 mai 1968 une lettre où il relate le rapport du fonctionnaire à l’immigration et ajoute:
[TRADUCTION] En vertu de la Loi sur l’immigration, il vous faut maintenant comparaître devant un enquêteur spécial qui vous examinera sur les sujets ci-haut mentionnés. L’enquête se tiendra le 29 mai 1968, à 9h.30 du matin, à la pièce n° 1031, de l’édifice du Revenu national, 305 ouest, boulevard Dorchester, Montréal 1 (Québec).
Mlle Gana a comparu devant l’enquêteur spécial comme l’exigeait l’avis. Elle y était
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assistée d’un avocat et un interprète a traduit son témoignage. L’enquêteur spécial a rendu sa décision le jour même.
[TRADUCTION] (1) vous n’êtes pas citoyenne canadienne;
(2) vous n’avez pas un domicile canadien, et
(3) vous êtes membre d’une catégorie interdite mentionnée à l’alinéa (t) de l’art. 5 de la Loi sur l’immigration du fait que vous ne remplissez pas les conditions posées par le Règlement sur l’immigration parce que:
(a) vous n’êtes pas en possession d’un visa d’immigrant valable et non périmé exigé par le par. (1) de l’art. 28 du Règlement sur l’immigration, partie I;
(b) vous n’êtes pas en possession d’un certificat médical en la forme prescrite par le Ministre exigé par le par. (1) de l’art. 29 du Règlement sur l’immigration, partie I, en vertu de la Loi sur l’immigration;
(c) de l’avis du fonctionnaire à l’immigration vous n’auriez pas été admise au Canada pour y résider en permanence si vous aviez subi un examen hors du Canada à titre d’immigrant indépendant et si votre admissibilité avait été établie conformément aux normes énoncées à l’Annexe A, sauf en ce qui a trait à un emploi réservé, en vertu de l’alinéa (f) du paragraphe (3) de l’article 34 du Règlement sur l’immigration.
J’ordonne par les présentes que vous soyez détenue et expulsée.
Mlle Gana a interjeté appel de cette décision à la Commission d’appel de l’immigration, qui a entendu et rejeté l’appel. Par suite d’une demande d’autorisation d’appel à l’encontre de la décision de la Commission d’appel de l’immigration, cette Cour a autorisé le pourvoi par décision du 24 octobre 1968, sur les questions suivantes:
[TRADUCTION] 1. La Commission d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en jugeant que ni elle, ni l’enquêteur spécial dont la décision était portée en appel devant la Commission n’avait la compétence d’examiner et de modifier l’attribution des points à la requérante par le fonctionnaire à l’immigration en vertu des dispositions de l’article 34 du Règlement sur l’immigration DORS/62-36, notamment l’Annexe A dudit Règlement?
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2. La Commission d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en décidant que l’enquêteur spécial avait raison d’ordonner l’expulsion de la requérante parce qu’elle n’était pas en possession d’un certificat médical en la forme prescrite par le Ministre bien que l’on n’ait pas donné à la requérante la possibilité de se le procurer malgré qu’elle ait demandé à l’enquêteur spécial le droit de le faire?
L’avocat du Ministre admet maintenant dans son factum, qu’on a modifié le Règlement en vertu de la Loi sur l’immigration le 16 août, de façon qu’une personne autorisée à entrer au Canada et à y demeurer comme touriste n’est plus sujette à expulsion du fait qu’elle n’est pas en possession d’un certificat médical en la forme prescrite par le Ministre si, avant la fin de son séjour temporaire autorisé, elle demande, en vertu de l’art. 7(3) de la Loi sur l’immigration, à résider en permanence au Canada et un fonctionnaire à l’immigration lui refuse sur sa demande l’occasion de se procurer ce certificat médical. Par conséquent le second moyen ne requiert aucune étude dans les présents motifs.
Je passe donc à la première question de droit mentionnée à l’autorisation. Au début de sa plaidoirie devant cette Cour, l’avocat du Ministre a demandé que l’affaire soit jugée d’après la prétention suivante qui se trouve à son factum:
[TRADUCTION] 21. Nous prétendons que, de toute façon, ni un enquêteur spécial agissant en vertu de la Loi sur l’immigration, ni la Commission d’appel de l’immigration ne peut reviser l’évaluation d’un candidat à la résidence permanente.
A l’appui de sa prétention l’avocat du Ministre affirme que seul un fonctionnaire à l’immigration peut procéder à l’attribution de points à un tel candidat et que cela est un principe fondamental de la Loi sur l’immigration. Quelqu’un doit, d’après lui, déterminer quels candidats ont des chances de s’établir avec succès au Canada, et cette tâche a été confiée au Ministre et à ceux qui agissent en son nom. Il cite Masella c. Langlais[1], où le Juge Abbott dit, à la p. 281:
[TRADUCTION] L’immigration au Canada, sauf pour les citoyens canadiens ou les personnes qui ont un
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domicile canadien, est un privilège défini dans la loi et le règlement, ou autrement, mais ce n’est pas un droit.
Je suis d’accord avec cet énoncé, mais je veux souligner que ce privilège est défini par la loi et le règlement et qu’il faut étudier très attentivement cette loi, c’est-à-dire la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325, et le Règlement ainsi que la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, 1966-67 (Can.), c. 90, pour déterminer la compétence de l’enquêteur spécial de même que celle de la Commission d’appel de l’immigration au sujet de l’attribution des points à un candidat suivant l’Annexe A du Règlement.
L’article 5 de la Loi sur l’immigration décrète que nulle personne autre qu’une personne mentionnée au par. (2) de l’art. 7 (ce qui ne s’applique pas ici), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l’une des catégories mentionnées dans les alinéas qui suivent, designés sous les lettres (a) à (t). L’alinéa (t) se lit comme suit:
(t) Les personnes qui ne peuvent remplir ni observer, ou qui ne remplissent ni n’observent, quelque condition ou prescription de la présente loi ou des règlements, ou des ordonnances légitimement établies aux termes de la présente loi ou des règlements.
L’article 20 de la Loi sur l’immigration exige de toute personne qui cherche à entrer au Canada qu’elle se présente à un fonctionnaire à l’immigration à un port d’entrée pour fins d’examen. Dans ce cas-ci, Mlle Gana a subi l’examen au port d’entrée et a reçu l’autorisation d’entrer au Canada comme touriste en vertu des dispositions de l’art. 7 de la Loi sur l’immigration. Lorsque, plus tard, elle a demandé d’être admise à résider en permanence, un fonctionnaire à l’immigration a étudié sa demande conformément à l’art. 20 de la Loi sur l’immigration. Le paragraphe (3) de cet article édicte ce qui suit:
(3) Sauf s’il estime qu’il serait ou qu’il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements d’accorder à une personne par lui examinée l’admission au Canada, ou de la laisser autrement entrer au Canada, le fonctionnaire examinateur à l’immigration doit, dès qu’il a terminé cet examen, accorder à la personne en cause l’admission au Canada, ou l’y laisser entrer.
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Si le fonctionnaire à l’immigration estime qu’il serait contraire à quelque disposition de la Loi ou du Règlement d’accorder l’admission à une telle personne, il doit, en vertu des dispositions de l’art. 23, faire rapport à un enquêteur spécial. Estimant que tel était le cas dans la présente affaire, le fonctionnaire à l’immigration a fait rapport à un enquêteur spécial le 2 avril 1968. L’article 24 de la Loi sur l’immigration prévoit qu’en recevant un tel rapport l’enquêteur spécial «doit, après l’enquête complémentaire qu’il juge nécessaire et sous réserve de tous règlements établis à cet égard, admettre cette personne ou lui permettre d’entrer au Canada, ou rendre contre elle une ordonnance d’expulsion».
L’article 11 de la Loi sur l’immigration édicte, au par. (2), qu’un enquêteur spécial a le pouvoir d’examiner la question de savoir si une personne doit être admise à entrer au Canada ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l’espèce.
La réglementation sur l’immigration qu’il nous faut considérer est le Règlement sur l’immigration, Partie I, C.P. 1962-86 publié dans la Gazette du Canada sous la référence DORS/62-36, dans sa forme modifiée. L’article 34 de ce Règlement traite de l’examen des personnes qui ont obtenu la permission d’entrer au Canada comme touristes et qui demandent par la suite d’être admises à y résider en permanence. L’article 34(3) de ce Règlement édicte:
(3) Nonobstant les dispositions de l’article 28, un requérant se trouvant au Canada qui
* * *
(b) n’est pas en possession d’un visa d’immigrant ou d’une lettre de pré-examen, mais à qui, de l’avis d’un fonctionnaire à l’immigration, serait délivré sur demande un visa ou une lettre de pré-examen, s’il se trouvait hors du Canada,
peut être admis au Canada pour y résider en permanence
* * *
(f) si un fonctionnaire à l’immigration est d’avis qu’il aurait été admis au Canada your y résider en permanence, eût-il subi un examen hors du Canada à titre d’immigrant indépendant et son admissibilité eût-elle été établie conformément aux normes énoncées à l’Annexe A, sauf en ce qui a trait à un emploi réservé.
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(Je cite la règle qui était en vigueur au moment où Mlle Gana a subi l’examen devant le fonctionnaire à l’immigration). Après avoir fait subir cet examen à Mlle Gana, qu’il se soit agi d’une audition ou de la simple lecture de la formule de demande, le fonctionnaire à l’immigration lui a attribué les points suivants:
(i)
instruction et formation..............................................
6
points
(ii)
personnalité...............................................................
10
points
(iii)
offres d’emploi dans sa profession.........................
4
points
(iv)
compétence professionnelle....................................
3
points
(v)
âge..............................................................................
10
points
(vi)
connaissance de l’anglais et du français................
2
points
(vii)
parent..........................................................................
0
point
(viii)
offres d’emploi dans la région où se trouve la destination..................................................................
2
points
TOTAL...............................................................
37
points
Le paragraphe 3 de l’Annexe «A» prescrit que pour être considéré comme ayant des chances raisonnables de s’établir avec succès au Canada, un requérant indépendant hors du Canada doit obtenir au moins cinquante points. Le fonctionnaire à l’immigration étant d’avis que Mlle Gana n’avait droit qu’à 37 points, il a fait rapport qu’elle n’aurait pas été admise au Canada pour y résider en permanence si elle avait subi l’examen comme requérante indépendante hors du Canada et été appréciée selon les normes énoncées à l’Annexe «A» sauf en ce qui a trait à un emploi réservé.
Mlle Gana s’est présentée au bureau de l’immigration à Montréal le 15 mars 1968, soit après l’appréciation du fonctionnaire à l’immigration, et elle a dit qu’elle voulait présenter une nouvelle demande de résidence permanente au Canada en invoquant des motifs différents. Elle était accompagnée de Mme Israel, qui était disposée à lui offrir du travail comme domestique. Mlle Gana n’a pas rempli une nouvelle formule parce que, selon son témoignage, on lui a dit qu’elle recevrait le résultat de l’entrevue par la poste. Ce qu’elle a reçu c’est un avis de comparaître devant l’enquêteur spécial. L’avocat de Mlle Gana a prétendu, tant devant l’enquêteur spécial que devant la Commission d’appel de l’immigration, que si l’on pouvait reviser l’attribution de points
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à Mlle Gana faite par le fonctionnaire à l’immigration d’après l’occupation de couturière et de monteuse de valises indiquée comme profession qu’elle comptait exercer, en fonction de l’emploi de domestique qu’elle voulait occuper, il est fort possible que le nombre de points qu’on lui attribuerait alors atteindrait et dépasserait même les 50 points requis. Pour les motifs que j’ai déjà mentionnés, on a refusé cette révision à Mlle Gana, dans les deux juridictions.
Les articles 11 et 14 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, 1966-67 (Can.), c. 90, définissent la compétence de la Commission d’appel de l’immigration. L’article 11 décrète qu’une personne contre qui une ordonnance d’expulsion a été rendue aux termes des dispositions de la Loi sur l’immigration peut, en se fondant sur un motif d’appel qui implique une question de droit ou une question de fait, ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel à la Commission. L’article 14(c) décrète que la Commission peut statuer sur un appel prévu à l’art. 11 ou à l’art. 12 en prononçant la décision et en rendant l’ordonnance que l’enquêteur spécial qui a présidé l’audition aurait dû prononcer et rendre. La Commission d’appel de l’immigration a donc le droit de rendre toute ordonnance que peut rendre l’enquêteur spécial et, comme je l’ai signalé, en vertu de l’art. 11(2) de la Loi sur l’immigration, l’enquêteur spécial a le pouvoir d’examiner la question de savoir si une personne doit être admise à entrer au Canada ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l’espèce. La décision d’admettre quelqu’un au Canada pour y demeurer ou de l’expulser implique celle de savoir si cette personne est membre de l’une des catégories prohibées mentionnées à l’art. 5 de la Loi sur l’immigration. Comme je l’ai déjà dit, selon l’alinéa (t) de l’art. 5, les personnes qui ne peuvent remplir ni observer ou qui ne remplissent ni n’observent quelque condition ou prescription de la Loi ou du Règlement appartiennent à l’une des catégories interdites. L’une des prescriptions du Règlement exige qu’à l’examen prévu à l’Annexe A du Règlement, une personne obtienne 50 points, d’après l’appréciation du fonctionnaire à l’immigration. La chose était donc ensuite de la compétence de l’enquêteur spécial. Je ne puis voir pourquoi la
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question de savoir s’il faut attribuer à quelqu’un 37 ou 50 ou un plus grand nombre de points ne devrait pas faire l’objet d’un révision de la part de l’enquêteur spécial au même titre que celle de savoir si le requérant remplit n’importe quelle autre condition ou exigence imposée par la Loi ou le Règlement.
On a prétendu de la part du ministre que les premiers mots de l’alinéa (f) du paragraphe (3) de l’article 34 du Règlement «si un fonctionnaire à l’immigration est d’avis» interdisent toute révision. Je ne suis pas d’avis que ces mots du Règlement font obstacle à la révision de l’opinion du fonctionnaire à l’immigration, dans l’accomplissement du devoir statutaire imposé à l’enquêteur spécial par différentes dispositions de la Loi sur l’immigration. A mon avis ces mots signifient simplement que le fonctionnaire à l’immigration doit faire l’appréciation du requérant, mais non que sa conclusion est définitive et sans appel. L’avocat du ministre invoque Calgary Power Ltd. et al c. Copithorne[2] à l’appui de la prétention que la décision du fonctionnaire à l’immigration n’est pas susceptible de révision, mais dans cette affaire-là, on a jugé qu’il s’agissait d’une décision administrative d’un ministre de Sa Majesté que lui seul avait le droit de prendre en vertu de la loi sans aucune disposition prévoyant un appel. La situation présente est bien différente. Le devoir statutaire de l’enquêteur spécial implique un droit de réviser par voie d’appel la décision du fonctionnaire à l’immigration et il appartient expressément à la Commission d’appel de l’immigration d’exercer ce droit de révision d’après les dispositions que j’ai déjà citées.
Un précédent plus pertinent sur le droit de réviser des décisions rendues dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est Swain et al. c. Dennison et al.[3] Dans cette affaire-là, cette Cour avait à se prononcer sur les dispositions d’une ordonnance rendue par le juge de première instance en vertu du Testators’ Family Maintenance Act de la Colombie Britannique qui prévoit que le juge qui entend la requête peut [TRADUCTION] «ordonner ce que la Cour croit approprié, juste et équitable dans les circonstances». La même
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loi accorde également un droit d’appel à la Cour d’appel. Voici ce qu’a dit le Juge Martland, de cette Cour, aux pages 12 et 13:
[TRADUCTION] A mon avis, à cause du caractère spécial des dispositions de la loi en cause et du droit d’appel exprès qu’elle accorde, il ne convient pas de limiter le pouvoir de la Cour d’appel dans les appels interjetés en vertu de cette loi. Toute la compétence du juge de première instance en vertu de cette loi est de nature discrétionnaire. Le redressement que peut accorder le juge dépend entièrement de l’opinion qu’il se forme sur la question de savoir, d’abord si le testateur a pourvu de façon appropriée à la subsistance et l’entretien convenables de son conjoint et de ses enfants, puis, s’il est d’avis que le testateur ne l’a pas fait, quelle mesure il y a lieu de prendre. Malgré cela, l’art. 14 de la Loi accorde un droit d’appel à toute partie qui se croit lésée. J’interprète l’art. 14 dans le sens que toute personne qui se croit lésée du fait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance a un droit d’appel et que, par conséquent, la Loi doit viser la révision par la Cour d’appel de cette décision discrétionnaire. Cela étant, la Cour d’appel a le pouvoir et le devoir d’analyser les circonstances et de former sa propre opinion sur le pouvoir discrétionnaire à exercer.
En suivant cette décision, l’étendue de la compétence de l’enquêteur spécial et de la Commission d’appel de l’immigration me porte à conclure que la totalité de la décision du fonctionnaire à l’immigration est sujette à révision et à réformation nonobstant les mots utilisés au début du par. (3) de l’art. 34 du Règlement. De plus, il y a lieu de noter que l’art. 11(1) de la Loi sur l’immigration décrète ceci:
11. (1) Les fonctionnaires supérieurs à l’immigration sont des enquêteurs spéciaux, et le Ministre peut nommer les autres fonctionnaires à l’immigration qu’il juge nécessaires pour agir en qualité d’enquêteurs spéciaux.
L’enquêteur spécial est donc lui-même un fonctionnaire à l’immigration et en qualité d’enquêteur il peut se former une opinion à titre de fonctionnaire à l’immigration en vertu de l’alinéa (f) du par. (3) de l’art. 34 du Règlement sur l’immigration, sur la question de savoir si la requérante aurait été admise au Canada pour y résider en permanence si elle avait subi un examen hors du Canada.
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Pour ces motifs, je suis d’avis de répondre à la première question qui fait l’objet de l’autorisation que la Commission d’appel de l’immigration a commis une erreur en décidant que ni elle, ni l’enquêteur spécial n’avait la compétence d’examiner et de modifier, si nécessaire, l’attribution de points à la requérante par le fonctionnaire à l’immigration et, qu’au contraire, la Commission d’appel de l’immigration avait la compétence de faire tout ce que l’enquêteur spécial pouvait et devait faire. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, et d’ordonner que l’affaire soit renvoyée à la Commission d’appel de l’immigration afin de lui permettre, dans l’exercice de sa compétence, de considérer et, si elle le juge à propos, de modifier le nombre de points accordés à Mlle Gana. Conformément aux dispositions de l’art. 23(3) de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, il n’y a pas d’adjudication de dépens.
LE JUGE ABBOTT — Mon collègue le Juge Spence a, dans ses motifs de jugement, relaté les faits, qui ne sont pas contestés. Pour les motifs qu’il a exposés, je suis d’accord avec lui que la Commission d’appel de l’immigration a commis une erreur de droit en décidant que ni elle, ni un enquêteur spécial n’avait le pouvoir de réviser et de réformer la décision d’un fonctionnaire à l’immigration refusant à l’appelante l’admission au Canada à titre d’immigrante reçue. Je désire seulement ajouter quelques brefs commentaires.
Le fonctionnement de la Loi sur l’immigration est relativement simple. Les seules personnes qui peuvent, de plein droit, entrer au Canada sont les citoyens canadiens et ceux qui ont un domicile canadien. Tous les autres doivent obtenir du Ministre de la main-d’œuvre et de l’immigration, agissant naturellement par l’entremise des fonctionnaires de son ministère, la permission d’y entrer.
Ceux qui viennent au Canada pour un séjour temporaire reçoivent l’autorisation de le faire à titre de visiteur, d’étudiant, de touriste ou pour d’autres fins.
Ceux qui veulent entrer comme immigrants doivent cependant subir un examen d’aptitude relativement à leur état de santé, leur niveau d’instruction, et d’autres facteurs du genre et, si
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le fonctionnaire qui les examine au port d’entrée les juge admissibles, ils reçoivent l’autorisation d’entrer au Canada pour y demeurer à titre d’immigrants reçus.
La décision d’accorder ou de refuser ce statut selon les prescriptions de la Loi et du Règlement dépend du fonctionnaire à l’immigration au port d’entrée et il s’agit d’une décision administrative. Elle n’est pas sujette à révision judiciaire ou autre, si ce n’est par le ministre. Dans nombre de cas, les immigrants subissent cet examen d’aptitude à l’étranger; si on les juge admissibles, ils obtiennent un visa les autorisant à entrer au Canada à titre d’immigrants reçus. Si on leur refuse cette autorisation, le dossier est fermé.
Une fois qu’une personne se trouve au Canada avec le statut d’immigrant reçu, on ne peut lui enlever ce statut ni ordonner son expulsion sans tenir une audition devant un fonctionnaire du ministère que la Loi désigne sous le nom d’enquêteur spécial. S’il y a ordre d’expulsion, il existe un droit d’appel à la Commission d’appel de l’immigration à l’encontre de cet ordre.
Avant 1967, les immigrants qui faisaient leur demande hors du Canada ou à un port d’entrée et ceux qui étaient déjà au Canada pour un séjour temporaire étaient sur un pied d’égalité. Mais, à la suite des modifications apportées au Règlement sur l’immigration en 1967, une personne admise au Canada comme visiteur ou autrement, mais de façon temporaire, peut maintenant, avant la fin de son séjour temporaire autorisé, demander au Canada à un fonctionnaire à l’immigration d’être admise au Canada comme immigrant reçu. C’est ainsi que l’appelante a procédé et on l’a refusée. Un enquêteur spécial et la Commission d’appel de l’immigration ont confirmé ce refus après une audition dans chaque cas où des témoins ont été entendus et où l’appelante avait l’assistance d’un avocat. L’avocat du ministre prétend que ni l’enquêteur spécial, ni la Commission d’appel de l’immigration ne peut réviser l’évaluation d’un candidat à la résidence permanente mais, pour les motifs exposés par mon collègue le Juge Spence, cette prétention n’est pas fondée.
A première vue, il est difficile de voir pourquoi ceux qui viennent au Canada censément comme non-immigrants devraient recevoir un
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traitement particulier en ce qui a trait à l’admission pour y résider en permanence, mais cela relève du Parlement ou du Gouverneur en conseil et non des tribunaux.
La Commission d’appel de l’immigration avait devant elle toute la preuve nécessaire pour réviser et réformer au besoin la décision de refuser à l’appelante l’admission au Canada à titre d’immigrante reçue. En décidant comme elle l’a fait qu’elle n’en avait pas la compétence, elle a commis une erreur de droit.
Je suis d’avis de disposer du pourvoi comme le suggère mon collègue le Juge Spence.
Appel accueilli.
Procureurs de l’appelante: Chait, Aronovitch, Salomon, Gelber, Reis & Bronstein, Montréal.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1955] S.C.R. 263.
[2] [1959] R.C.S. 24.
[3] [1967] R.C.S. 7.