Cour suprême du Canada
Wilson et al. c. Rowswell, [1970] R.C.S. 865
Date: 1970-04-28
Allan C. Wilson et Leonard J. Lugsdin (Défendeurs) Appelants;
et
George Harold Rowswell (demandeur) Intimé.
1970: les 11 et 12 février; 1970: le 28 avril.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Spence.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], accueillant un appel d’un jugement du Juge Moorhouse. Appel rejeté.
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C. A. Keith, pour les défendeurs, appelants.
Claude Thomson, pour le demandeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE SPENCE — Le pourvoi est à l’encontre d’un’ jugement de la Cour d’appel d’Ontario1, prononcé le 4 octobre 1968. Par ce jugement, elle a accueilli un appel du jugement prononcé après procès, par le Juge Moorhouse, le 21 février 1968. Le jugement du Juge Moorhouse était favorable au demandeur, l’intimé en cette Cour, mais il n’adjugeait que des dommages symboliques au montant de $10. La Cour d’appel a été d’avis que le demandeur, l’intimé en cette Cour, avait droit à des dommages et l’adjudication a été faite aux conditions que nous discuterons plus loin.
L’intimé Rowswell était client de l’appelant Allan C. Wilson, un avocat qui pratiquait en la ville de Toronto avec son associé Leonard J. Lugsdin, l’autre appelant. Avant que les transactions en cause dans ce pourvoi aient lieu, l’intimé avait effectué plusieurs investissements et avait retenu à cette fin les services de l’appelant, Allan C. Wilson, pour en régler les aspects juridiques.
La transaction à l’origine du pourvoi a débuté lorsqu’un certain M. Butt a présenté à l’intimé un emprunteur éventuel, Norman Bernice Pettit de la Ville d’Owen Sound. M. Pettit désirait emprunter $50,000 et il proposait de garantir l’emprunt de cette somme à l’aide de diverses sûretés, entre autres: (1) une première hypothèque sur sa maison située dans la ville d’Owen Sound; (2) un nantissement des meubles meublants qui s’y trouvaient; (3) une cession du droit à la moitié du résidu de la succession de feu Clarence Robertson Pettit, le père de l’emprunteur, succession que l’on disait valoir environ $300,000.
Le savant juge de première instance a conclu que cette cession devait être une cession d’un droit absolu à la moitié des biens composant ladite succession après l’expiration de l’usufruit et que la cession devait être la première cession des droits éventuels au décès de l’usufruitier.
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Point n’est besoin de discuter des détails concernant l’exécution de cette transaction, le savant juge de première instance a conclu que l’appelant Wilson avait fait preuve de négligence sur huit points particuliers. Dans ses motifs de jugement, le savant juge de première instance les a relatés de la façon suivante:
[TRADUCTION] (1) Le défaut d’obtenir un rapport de crédit adéquat et de le communiquer à son client, comme il avoue en avoir été chargé. Il ne sait pas exactement ce qu’il a fait des renseignements qu’il a obtenus, sauf pour un appel téléphonique de sa banque à l’effet que Pettit couvrait ses chèques. Ce fait n’a pas été consigné au dossier, pas plus que plusieurs autres d’ailleurs.
(2) Le défaut de retenir la pièce 1 ou d’en faire une copie s’il ne la retenait pas.
(3) Le défaut d’informer son client que le titre de la propriété n’était pas clair comme le laissait voir la pièce 1.
(4) Le défaut d’informer son client que la propriété était au nom de l’épouse de Pettit.
(5) Je pense qu’il n’aurait pas été déraisonnable de prévoir que le rapport de crédit se rapporterait à la compagnie de Pettit, puisqu’elle donnait à Pettit un billet à ordre d’un montant considérable, soit $50,000. Rowswell dit que Pettit lui a déclaré que l’emprunt devait être affecté à une entreprise. Peutêtre s’agissait-il de cette compagnie.
(6) Il semble s’être fié à Butt et Pettit, sans prendre les précautions qui s’imposaient. Butt est l’agent qui a présenté l’emprunteur au prêteur et s’est fait payer une commission importante par Pettit sur l’emprunt. Wilson a donné un chèque à Butt.
(7) Il a fait l’avance du montant de l’emprunt avant d’être autorisé à le faire, suivant ses instructions, soit sans
a) avoir enregistré l’hypothèque sur l’immeuble;
b) avoir fait de recherche des plus récents enregistrements, bien qu’il en ait réclamé le prix, ni fait de recherche des brefs d’exécution;
c) sur la seule parole de Pettit, à l’effet qu’une ou deux hypothèques antérieures avaient été acquittées et avant qu’une quittance s’y rapportant n’ait été enregistrée ni ne soit, à sa connaissance, disponible. La quittance de l’hypothèque de Gray est datée du 30 juin 1960 et il n’est pas trop difficile de déduire que la quittance a bien pu être obtenue à
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l’aide du chèque de $12,000 dont je parlerai plus loin. Vu qu’un double de l’hypothèque n’était pas en forme requise pour l’enregistrement, il a fait parvenir les hypothèques à l’avocat de Pettit à Owen Sound, avec indication de les corriger et de les faire enregistrer mais sans demander de faire aucune recherche;
d) s’être renseigné sur l’état de la succession, auprès des exécuteurs de la succession de Clarence Robertson Pettit, et vérifier si des charges grevaient le droit cédé. Les conversations téléphoniques que Wilson a eues avec Guaranty Trust Company et avec le frère de Pettit, un co-exécuteur, conversations qu’il a qualifiées de «froides», auraient dû constituer, à mon avis, une indication de prudence à exercer. Le prêt a été consenti à un taux d’intérêt élevé. Wilson ne cherche pas à se protéger en disant que Pettit était un exécuteur et qu’il a agi sur la foi de ses déclarations;
e) obtenir d’instructions écrites de l’épouse de Pettit pour l’avance du montant de l’hypothèque, le titre étant à son nom;
f) obtenir aucune preuve que l’épouse de Pettit avait obtenu une consultation de son propre avocat avant la signature de l’hypothèque.
(8) A mon humble avis, je ne pense pas qu’il ait obtenu une bonne sûreté de premier rang considérant la nature de la transaction (quelques-uns des motifs que j’ai relatés plus haut). On a dit que le billet à ordre (pièce 7) n’en est pas un en droit. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de décider de cette question, bien qu’on y ait signalé la présence de deux dates. De toute façon, vis-à-vis la signature de Pettit il y a une modification qui n’a pas été paraphée et que la preuve n’explique pas. Cependant, ce fait n’est pas à retenir dans ma décision étant donné que Pettit est un failli et qu’on n’a pas invoqué la modification. On fait mention d’un remboursement «sur paiement d’une bonification», sans donner aucune indication du montant de la bonification ou de la manière de la calculer. A mon humble avis, le sens de ce document est incertain. Je pense que le demandeur était en droit de s’attendre que le sens en soit clair et explicite.
Les appelants n’ont pas contesté cette conclusion de négligence, ni en Cour d’appel ni en cette Cour.
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Après avoir exposé les faits de négligence comme je l’ai relaté plus haut, le savant juge de première instance poursuit:
[TRADUCTION] Il n’y a aucune preuve me permettant de conclure qu’à l’époque du procès le demandeur avait subi une perte d’argent en raison des actes ou omissions de Wilson.
C’est la raison pour laquelle le savant juge de première instance a décidé qu’il ne pouvait accorder à l’intimé que des dommages symboliques, qu’il a fixés à $10, et les dépens de l’action.
Le billet à ordre prouvant l’avance de $50,000 faite par l’intimé à Norman Bernice Pettit prévoyait un versement de $502.30 le premier de chaque mois, à partir du 1er août 1960. Seulement vingt-cinq versements ont été effectués; le versement du 1er septembre 1962 ne fut pas payé et aucun versement n’a été effectué par la suite. Pettit a fait cession de ses biens le 6 septembre 1963 et il a ensuite obtenu sa libération. Vu ce défaut de payer, l’intimé a pris certaines mesures pour réaliser sa garantie. L’intimé a réalisé l’hypothèque sur la maison de Pettit, ce qui lui a rapporté environ $15,000. A cette époque, et jusqu’à la date du procès, la veuve de Clarence Robertson Pettit vivait encore et, par conséquent, il est évident que M. Pettit n’avait droit à aucune part de la succession et que rien ne pouvait être réalisé à même cette garantie. Néanmoins, il demeure que la garantie que l’intimé détenait à l’égard de la succession de Clarence Robertson Pettit ne consistait pas en la cession d’un droit absolu à la moitié de la succession, sous réserve de l’usufruit, mais bien en la cession du droit qu’aurait Norman Bernice Pettit s’il survivait à l’usufruitier subordonnément, de plus, au testament qui prévoit que l’usufruitier peut entamer le capital du consentement des exécuteurs. Les exécuteurs sont au nombre de quatre: une société de fiducie, l’usufruitier, l’emprunteur Norman Bernice Pettit et son frère. De plus, fait des plus importants, avant que le droit de Norman Bernice Pettit ne soit cédé à l’intimé, deux autres cessions dudit droit ont été enregistrées chez les exécuteurs; et, avant que l’appelant Wilson n’enregistre la cession à son client, l’intimé Rowswell, une troisième cession de ce droit a été enregistrée, en faveur de la Banque Toronto Dominion. En première
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instance, on a jugé qu’il était impossible de déterminer si l’intimé Rowswell subirait une perte du fait de la négligence de l’appelant Wilson avant que l’usufruitier de la succession de Clarence Robertson Pettit ne soit décédé, car alors seulement on pourrait estimer si la partie de la succession qui, à ce moment-là, deviendrait payable à Norman Bernice Pettit, s’il vivait encore, permettrait d’acquitter les cessions enregistrées avant celle de l’intimé Rowswell et, de plus, suffirait à payer toute la dette due à l’intimé Rowswell.
En toute déférence, je suis d’avis que la Cour d’appel d’Ontario a eu raison de déclarer fautive cette analyse de la situation. Le remboursement de l’emprunt était dû. En tant que prêteur, l’intimé Rowswell avait droit de se faire payer à même ses garanties. Il en a réalisé une, la première hypothèque sur la maison de Norman Bernice Pettit; mais cela n’a réduit la dette que d’un montant d’environ $15,000. Lorsque l’intimé Rowswell a voulu réaliser l’autre garantie, de beaucoup la plus importante, la cession des droits du débiteur dans la succession de son défunt père, Clarence Robertson Pettit, il s’est aperçu qu’au lieu de pouvoir vendre le droit absolu à une moitié d’une succession de $300,000, sous réserve seulement d’un usufruit, il n’avait qu’une cession du droit à la moitié de la succession à condition que le cédant survive à l’usufruitier. De plus, ce droit conditionnel au résidu de la succession était susceptible d’être entamé par l’usufruitier du consentement des exécuteurs, et était aussi subordonné à deux ou peut-être trois cessions qui auraient priorité sur la sienne bien qu’elle fût censée être une première cession absolue.
Il n’y avait aucune raison d’obliger l’intimé Rowswell à attendre la mort de l’usufruitier de la succession de Clarence Robertson Pettit avant de réaliser sa garantie. Il aurait pu céder son droit pour valeur, et se payer le montant de sa créance avec le produit de cette cession. Si, par exemple,
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la garantie avait consisté en obligations payables en 1975, il n’aurait pas eu à attendre jusqu’en 1975 pour en obtenir le paiement. Il aurait pu les vendre à n’importe quel courtier en valeurs, dans le cours normal des affaires, et peut-être après avoir donné un avis raisonnable au débiteur. Le créancier, l’intimé Rowswell, a donc subi une perte par la négligence de son avocat, l’appelant Wilson, aussitôt que les versements ont été échus. Point n’est besoin de rechercher si la perte se serait produite au même temps ou plus tôt du fait de la négligence qui a été commise par l’appelant Wilson. Aucune question de prescription ne se pose, quoique cette question pourrait se poser et se poserait probablement si l’intimé était contraint, comme le savant juge de première instance est d’avis qu’il l’est, d’attendre la mort de l’usufruitier avant d’intenter l’action en recouvrement des dommages qu’il aura alors subis.
Donc, en toute déférence, je suis d’accord avec la Cour d’appel d’Ontario que l’intimé Rowswell a subi des dommages dont il devrait être indemnisé. La mesure de ces dommages est la différence entre la valeur de la garantie qu’il avait et pouvait réaliser par vente, advenant le défaut de l’emprunteur, et la valeur de la garantie qu’il avait droit d’avoir réalisée par vente, advenant ce défaut. Cette mesure des dommages a précisément été suggérée par la Cour d’appel, dans les motifs du Juge d’appel McGillivray. Évidemment, celui-ci s’est rendu compte que l’estimation de ces dommages serait une tâche ardue, qui demanderait beaucoup de temps. Cependant, on n’a jamais considéré qu’une telle difficulté avait pour effet de priver la victime d’un préjudice du droit à une adjudication de dommages et de la condamner à ne recouvrer que des dommages symboliques.
Le savant auteur de Mayne & McGregor on Damages dit, à la p. 163 de la 12e édition:
[TRADUCTION] D’autre part, lorsqu’il apparaît clairement qu’une perte substantielle a été subie, le fait que la nature des dommages en rend l’estimation difficile ne constitue pas une raison de n’adjuger aucun dommage ou seulement des dommages symboliques.
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Dans l’affaire intéressante Chaplin v. Hicks[2], le Lord Juge Vaughan Williams dit, à la p. 791:
[TRADUCTION] On dit que la perte pécuniaire du demandeur est impossible à déterminer dans une affaire qui implique un si grand nombre de contingences. Je ne suis pas d’accord. J’admets que le calcul est rendu non seulement difficile mais impossible d’exécution d’une façon certaine ou précise en raison de la présence de toutes les contingences dont pourrait dépendre l’obtention du prix. Mais, on prétend que chaque fois que les contingences dont dépend le résultat sont nombreuses et difficiles à traiter, on ne peut pas recouvrer de dommages pour la perte de la chance ou de l’occasion de gagner le prix… Je désire seulement nier catégoriquement que le jury n’ait pas à estimer les dommages, parce qu’on ne peut le faire avec précision.
Et le Lord Juge Fletcher Moulton dit, à la p. 795:
[TRADUCTION] Je pense que, lorsqu’une perte réelle résultant de la rupture d’un contrat n’est pas douteuse mais difficile à estimer en argent, le jury doit faire pour le mieux; il n’est pas nécessaire qu’il y ait dans chaque cas une mesure absolument précise des dommages.
L’avocat des appelants a cité Groom v. Crocker[3], mais il s’agit là d’une affaire où le demandeur n’avait en fait subi aucun dommage, vu qu’il avait été complètement indemnisé par sa compagnie d’assurances. Dans Ford v. White & Co.[4], une autre affaire citée par l’avocat des appelants, on a décidé que le demandeur n’avait subi aucun dommage de fait qu’il avait reçu, en violation du contrat, non pas ce qu’il avait acheté mais une chose ayant la même valeur marchande. A mon avis, cette affaire-là ne trouve aucune application dans la situation présente.
La décision dans Whiteman v. Hawkins[5] s’apparente davantage aux circonstances présentes. Dans cette affaire-là, un emprunteur avait demandé à son prêteur d’augmenter de £400 l’avance qu’il lui avait consentie. Le prêteur a acquiescé à sa demande, mais il a exigé qu’un petit morceau de terre additionnel que l’emprunteur avait acheté après avoir obtenu la première avance, soit hypothéqué en garantie. Son procureur négligea de le prévenir que ce petit mor-
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ceau de terre était grevé d’une hypothèque en «equity» au montant de £46. Quand il y eut défaut, le prêteur a entrepris de réaliser sa garantie et découvert cette hypothèque en «equity». Il l’a payée pour parfaire le titre aux propriétés vendues. Avant d’avoir achevé de réaliser toutes ses garanties il a intenté une action contre son procureur en réclamation de ce montant de £46 comme dommages pour négligence. Le Juge Denman dit, à la p. 631:
[TRADUCTION] Alors, il (le Juge de la Cour de comté) en est arrivé à la conclusion qu’il ne pouvait adjuger que des dommages symboliques. Je pense qu’il ressort clairement de ses motifs qu’il a tiré cette conclusion de l’hypothèse erronée qu’il ne pouvait accorder au demandeur aucun dommage tant qu’il restait une possibilité pour le demandeur de récupérer sa perte. A ce que je sache telle n’est pas la règle. Avons‑nous présentement en main dans cette action les éléments nous permettant d’estimer les dommages? Je suis d’avis que nous les avons. Le montant de £46 représente des dommages dont la preuve a été faite; d’ailleurs, aucun témoignage n’a été offert à l’encontre. Je pense que de prime abord les dommages consistent en un montant d’argent égal à la perte réelle subie par le demandeur lors de la transaction.
Dans Yardley v. Coombes[6], le Juge Edmund Davies a entendu une affaire où, dans une action en dommages, un procureur avait laissé la prescription s’accomplir avant de faire délivrer un bref contre le défendeur. On a décidé qu’il incombait au tribunal d’évaluer, compte tenu des divers facteurs en jeu, la probabilité de réussite du demandeur dans cette action, et de lui adjuger une estimation correspondant à cette probabilité. Le savant juge de première instance était d’avis qu’un montant de £3,000 aurait été adjugé en dommages et, en considération des risques d’insuccès, il a adjugé au demandeur la somme de £1,000.
Une affaire citée par l’avocat de l’intimé, Lake v. Bushby[7], fournit un exemple intéressant de l’estimation des dommages causés par la négligence d’un procureur. Dans cette affaire-là, le Juge Pritchard dit, à la p. 969:
[TRADUCTION] Il s’ensuit que le demandeur a déboursé £880 pour l’achat d’un terrain avec ce qu’il
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convient d’appeler un bâtiment permanent et qu’il a en fait obtenu un terrain avec un bâtiment menacé de démolition; et, s’il est possible de calculer ainsi un montant représentant sa perte, c’est là le montant que les défendeurs en second lieu doivent payer pour les dommages résultant de leur faute professionnelle.
Le savant juge de première instance a ensuite pris en considération les divers facteurs et estimé à £100 les dommages à payer par les défendeurs en second lieu.
Dans la présente affaire, le savant juge de première instance a prévu dans son jugement la réserve au demandeur du droit d’intenter une action pour recouvrer sa perte, s’il le juge à propos lorsque le temps sera venu de procéder au partage de la succession de Clarence Robertson Pettit. Dans leurs plaidoiries en cette Cour, les avocats des deux parties ont reconnu que la Cour n’a pas le pouvoir de faire une telle réserve et de contourner ainsi les dispositions du Statute of Limitations. L’avocat des appelants a néanmoins prétendu que même si l’application du Statute of Limitations pouvait annuler le droit du demandeur au recouvrement des dommages, il n’y a pas lieu d’en tenir compte pour décider s’il doit avoir le droit d’intenter une action avant l’époque où la perte peut être déterminée; à cet effet, il a cité Schwebel v. Telekes[8]. Cependant, cette décision-là démontre qu’en vertu du Statute of Limitations la prescription se compte à partir du jour de la contravention et non du jour où l’on en prend connaissance et que le fait qu’on ne la découvre qu’après l’expiration du temps fixé pour la prescription n’a pas pour conséquence la prorogation du délai. Par contre, la prétention que la difficulté de déterminer la perte avant la réalisation des garanties doit avoir pour résultat de retarder jusque-là le droit d’action et celui de réclamer des dommages, a été examinée dans Building and Civil Engineering etc. v. Post Office[9]. Lord Denning, Maître des rôles a dit, à la p. 169:
[TRADUCTION] Sur ce point, je l’ai pressé de me dire quand la cause d’action avait pris naissance. Seulement, a-t-il dit, quand les timbres volés ont été présentés à l’encaissement. Ceci est manifestement erroné. La cause d’action prend naissance aussitôt que les biens sont perdus ou endommagés pendant le
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transport. Plus précisément, la prescription (qui n’est que d’un an) commence à courir aussitôt que le colis est mis à la poste; voir le paragraphe 3 de l’article 5 du Law Reform (Limitations of Actions &C.) Act, 1954. Si les demandeurs devaient attendre jusqu’à ce que les timbres volés soient présentés et payés, ils pourraient perdre leur droit d’action avant même de l’avoir, ce qui est absurde.
En toute déférence, je trouve aussi absurde que l’intimé Rowswell ait à attendre dans cette affaire jusqu’à l’expiration de l’usufruit avant de pouvoir faire la preuve des dommages causés par la négligence de son avocat.
Réalisant la difficulté pratique de l’estimation des dommages suivant la formule que j’ai mendonnée précédemment, et que la Cour d’appel a adoptée, cette dernière a consulté les avocats et ils ont été d’accord que si l’on devait accorder des dommages, il y avait lieu de recourir à l’expédient utilisé dans McLellan v. Milne[10]. Par conséquent, la Cour a rendu jugement en faveur du demandeur Rowswell, l’intimé en cette Cour, contre les défendeurs Wilson et Lugsdin, les appelants en cette Cour, pour le montant net dû sur le prêt que l’intimé a consenti à Pettit à la date du paiement du jugement, et les dépens du procès. Sur paiement de ce montant et des dépens, l’intimé doit céder aux appelants, Wilson et Lugsdin, la créance et toutes les garanties qu’il détient à cet égard. Je suis d’avis que cette décision dispose correctement et efficacement de la difficulté rencontrée dans l’estimation des dommages et je suis aussi d’avis de confirmer le jugement de la Cour d’appel d’Ontario. L’intimé a droit aux dépens du pourvoi en cette Cour.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants: Keith, Ganong & Roberts, Toronto.
Procureur du demandeur, intimé: Malcolm Robb, Toronto.
[1] [1969] 1 O.R. 22, sub nom. Rowswell v. Pettit et al.
[2] [1911] 2 K.B. 786 (C.A.).
[3] [1938] 2 All E.R. 394 (C.A.).
[4] [1964] 2 All E.R. 755.
[5] (1878), 39 L.T. 629.
[6] (1963), 107 Sol. Jo. 575.
[7] [1949] 2 All E.R. 964.
[8] [1967] 1 O.R. 541.
[9] [1965] 1 All E.R. 163 (C.A.).
[10] [1937] O.R. 742.