Cour Suprême du Canada
Levesque c. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010
Date: 1970-06-26
Lola Lévesque et Georges Lévesque (Demandeurs) Appelants;
et
Martin Comeau et Alma Lévesque (Défendeurs) Intimés.
1970: le 10 mars; 1970: le 26 juin.
Présents: Les Juges Fauteux, Martland, Judson, Ritchie et Pigeon.
EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK
APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick, confirmant un jugement du Juge Dickson. Appel rejeté, les Juges Martland et Ritchie étant dissidents.
S.M. Leikin, pour les demandeurs, appelants.
J.T. Jones, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement des Juges Fauteux, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Les faits sont relatés dans les motifs de mon collègue le juge Ritchie. Je ne puis admettre que ce soit un cas où il y a lieu d’infirmer les conclusions concordantes du juge qui a entendu les témoins et de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick.
L’unique question est de savoir si l’appelante Lola Lévesque a présenté une preuve suffisante que la surdité dont elle souffre est la conséquence
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de l’accident d’automobile dont elle a été victime. La règle bien établie c’est que la relation de causalité n’a pas besoin d’être démontrée avec certitude. Il suffit d’une probabilité prépondérante. A mon avis, c’est malheureusement ce que l’on ne trouve pas dans le présent dossier.
Un seul expert médical a témoigné pour l’appelante. Quoique pressé de questions, il n’a jamais affirmé que la surdité avait probablement pour cause l’accident dont il s’agit. Ce qu’il a dit c’est que ce n’était pas impossible tout en déclarant aussi qu’il n’était pas impossible que la surdité ait une autre cause. S’il avait déposé d’un côté que l’accident était la cause probable et, de l’autre, qu’il n’était pas impossible que ce fût autre chose, alors je serais d’accord pour reconnaître que le juge de première instance a fait erreur en considérant que la preuve démontrait comme causes également probables l’accident et les autres possibilités, mais tel n’est pas, à mon avis, le bilan de la preuve.
Le traumatisme est présenté par l’expert seulement comme une des causes possibles de la surdité au même rang que les autres. Plus que cela, il énumère divers facteurs qui sans rendre la causalité impossible sont, cependant, des contre-indications:
1. le long intervalle d’un peu plus de deux mois qui s’est écoulé entre le choc et le début de la surdité;
2. l’absence d’étourdissements pendant cette période sauf les tout premiers jours;
3. le fait que la surdité afflige également les deux oreilles.
On est donc loin d’une prépondérance de probabilités.
Ce n’est pas tout. L’expert de l’appelante Lola Lévesque ne l’a examinée pour la première fois que plus d’un an après l’accident alors qu’elle avait dans l’intervalle consulté plusieurs médecins et subi divers examens. Elle seule était en mesure d’apporter au tribunal ces éléments de preuve et elle ne l’a pas fait. A mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve
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lui seraient défavorables. Cette règle n’est pas moins applicable parce que les témoins dont il s’agit demeurent tous à Montréal. L’appelante Lola Lévesque devait au besoin recourir à la procédure de commission rogatoire. Dans ces circonstances, on pouvait à bon droit refuser d’accepter son témoignage et celui de son mari sur son bon état de santé avant l’accident, comme une preuve suffisante pour exclure les autres causes possibles de surdité.
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Le jugement des Juges Martland et Ritchie a été rendu par
LE JUGE RITCHIE (dissident) — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, confirmant le jugement rendu en première instance par le Juge Dickson qui a rejeté la réclamation des appelants pour dommages découlant des lésions qu’aurait subies l’appelante dans une collision d’automobiles survenue pendant qu’elle était dans la voiture de son mari; celle-ci était en arrêt à une intersection et elle a été frappée à l’arrière par une automobile appartenant à M. Martin Comeau et conduite par Mlle Alma Lévesque.
La négligence du conducteur intimé a été admise en cette Cour, de même que dans les cours d’instance inférieure. La seule question à décider est de savoir si les lésions dont l’appelante se plaint maintenant sont la conséquence de la collision et, en particulier, s’il a été démontré que l’accident est probablement la cause de la détérioration grave de l’ouïe de l’appelante, détérioration qui ne s’est manifestée qu’environ deux mois après l’événement.
L’accident a eu lieu le 15 mai 1965 à Dalhousie, dans la province du Nouveau-Brunswick, où les appelants, qui habitent Montréal, faisaient un séjour pour assister au mariage de leur fille. La collision, qui a causé plus de $575 de dommages à la voiture de M. Lévesque, a projeté sa femme vers l’avant de telle sorte qu’elle s’est frappé la tête contre le tableau de bord; elle s’est alors sentie étourdie et a dû rester dans la voiture
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pour se remettre du choc. Son mari donne le compte rendu suivant de ce qui s’est passé ensuite:
[TRADUCTION]
Q. Qu’est-il arrivé après l’accident? Où êtes-vous allés?
R. Après l’accident, nous sommes allés au poste de police et alors nous avons dû retourner; ma femme était malade, elle était blessée, nous avons donc dû retourner à la maison.
Q. Où êtes-vous allés?
R. Bien, nous sommes allés à St-Arthur cette nuit-là.
* * *
Q. Alors vous êtes allés à St-Arthur?
R. Oui, cette nuit-là, nous avons passé la nuit là et le lendemain matin nous sommes partis pour Montréal.
Q. S’est-il passé quelque chose pendant le trajet de retour à Montréal?
R. Non, il ne s’est rien passé, ma femme était réellement malade, nous avons dû arrêter plusieurs fois pour nous procurer de la glace à placer sur sa tête. Elle souffrait d’un gros mal de tête.
Parlant de l’état de santé de l’appelante, avant et après l’accident, son mari dit:
[TRADUCTION]
R. Ma femme n’était jamais malade, je dirais qu’elle n’a jamais été malade, sauf lorsqu’elle est allée à l’hôpital pour ses bébés, mais à part cela, elle n’a à peu près jamais été malade de sa vie.
Q. Faisait-elle autre chose que d’être une mère pour vos enfants? Travaillait-elle?
R. En plus de son travail, oui, elle a fait du travail avant l’accident.
Q. Où a-t-elle travaillé?
R. Elle travaillait en technique radiophonique.
Q. Avant l’accident, lorsque vous résidiez à St-Arthur ou à Montréal, avez-vous remarqué quelque chose au sujet de votre femme?
R. Absolument rien, elle était en très bonne santé.
Q. Après votre retour à Montréal, avez-vous remarqué quelque changement?
R. Oui, j’ai remarqué un changement.
Q. Quel genre de changement avez-vous remarqué?
R. Il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps avant qu’elle ait des maux de tête et qu’elle com-
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mence à perdre du poids. Parfois, elle était incapable de faire son travail, elle avait de forts maux de tête. Quand j’ai commencé — quand j’ai remarqué qu’elle commençait à perdre l’ouïe, nous parlions et elle ne s’en rendait pas compte, mais nous le remarquions.
Q. Qu’est-il arrivé cette année? Qu’arrivait-il quand vous lui parliez?
R. Quand nous lui parlions, nous parlions et, si elle avait la tête tournée, elle ne répondait pas; alors j’ai commencé à voir que quelque chose n’allait pas, alors nous avons commencé à l’observer et c’est ainsi que nous nous sommes rendu compte que cela n’allait pas.
Plus loin, il dit:
Q. Quand s’est-elle produite, cette perte de l’ouïe?
R. Nous l’avons remarquée environ deux mois plus tard, nous avons remarqué qu’elle perdait…
Q. Deux mois après quoi?
R. Après l’accident.
Q. Après le 15 mai 1965?
R. Oui.
Mme Lévesque se plaint que de retour à Montréal, elle a éprouvé des maux de tête persistants. Quelques semaines plus tard, elle est allée consulter un généraliste, le Dr David, qui lui a prescrit des comprimés; mais les douleurs dans la tête ont persisté et elle a déclaré qu’à cause de sa difficulté à entendre elle a consulté un Dr Duchastel, spécialiste des oreilles et «de la tête». Il a examiné ses oreilles et a constaté une défectuosité, mais lui aussi s’est contenté de prescrire des comprimés pour soulager la douleur et il a recommandé à l’appelante de se mettre un sac de glace sur la tête. Le Dr David a envoyé Mme Lévesque à l’hôpital où des techniciens l’ont radiographiée et le Dr Duchastel a aussi fait prendre des radiographies, mais ni l’un ni l’autre n’a relevé de fracture. L’un des techniciens lui a conseillé de se procurer un appareil de correction auditive, et elle l’a fait.
Mme Lévesque a jugé que les médecins consultés par elle à Montréal semblaient incapables de diagnostiquer avec certitude les causes de sa surdité; elle s’est donc rendue à Campbellton (N.-B.) dans le but de consulter un Dr Nadeau, spécialiste des yeux, des oreilles et des voies respiratoires, dont elle avait entendu parler quand
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elle vivait dans cette région-là. Celui-ci, après avoir examiné les oreilles de l’appelante, a trouvé qu’elle souffrait d’une surdité nerveuse, équivalant à une perte de l’ouïe d’au moins 90 pour cent dans l’oreille gauche et de 70 pour cent dans l’oreille droite. Le premier examen fait par le Dr Nadeau l’a été en juillet 1966, mais il en a fait un autre en décembre et a alors relevé [TRADUCTION] «la même surdité nerveuse, mais aggravée». Il a témoigné qu’il n’existe pas de remède à cette surdité et qu’il y a peu d’espoir d’en arrêter le progrès.
Après la consultation de juillet, le Dr Nadeau a recommandé à Mme Lévesque de voir un autre spécialiste à Montréal, mais elle dit que ce dernier ne l’a pas traitée et ne lui a pas communiqué le résultat de son examen.
Un peu plus tard, Mme Lévesque a consulté un Dr Duquette, mais il semble bien que le mobile de cette visite est qu’elle se sentait malade, et le médecin l’a hospitalisée pour un examen général qui lui a permis de diagnostiquer des «ulcères».
Le Dr Nadeau a été le seul à témoigner pour les appelants relativement aux lésions de Mme Lévesque et l’avocat des intimés a appuyé sur le fait que les médecins montréalais n’ont pas témoigné et que Mme Lévesque a refusé de voir un médecin dont les intimés avaient retenu les services, sauf en présence du Dr Nadeau. A ce sujet, le savant juge de première instance a fait observer ce qui suit:
[TRADUCTION] Il est possible que les dépositions des autres médecins qui ont traité Mme Lévesque à l’occasion eussent pu jeter de la lumière sur les causes de son état. On ne peut évidemment pas présumer que ces dépositions auraient été favorables à sa cause. S’il y a une présomption, c’est qu’elles auraient été défavorables. Quoi qu’il en soit, à cause de ce défaut, certaines lacunes dans le récit global des faits demeurent, et le doute qu’elles font naître peut nuire à la cause de la demanderesse plutôt que la renforcer.
Avec la plus grande déférence, je ne pense pas que le défaut de faire entendre comme témoins les médecins consultés à Montréal doive nuire à la cause des appelants, puisque ces médecins-là ne me paraissent pas avoir diagnostiqué les causes de l’état de Mme Lévesque, ni avoir fait quelque chose de positif à ce sujet. En outre, je suis d’avis
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que Mme Lévesque avait le droit de refuser de voir le médecin des intimés si ce n’est en présence de son propre conseiller médical.
D’après le témoignage du Dr Nadeau et du Dr Silver, le spécialiste qui a témoigné pour les intimés et qui n’a pas examiné Mme Lévesque, il est clair qu’une commotion au cerveau peut être causée par un coup sur la tête et avoir comme conséquence un traumatisme, lequel peut à son tour causer la surdité nerveuse. Ils ont tous deux exprimé l’opinion qu’ordinairement la surdité nerveuse résultant d’un traumatisme se manifeste moins de deux mois après le coup reçu, s’accompagne habituellement d’étourdissements et se confine à une oreille. Le Dr Nadeau a cependant déclaré que «rien n’est ordinaire» dans ces cas-là et le Dr Silver est allé jusqu’à dire que [TRADUCTION] «tout peut arriver en médecine».
Interrogé sur les causes de la surdité nerveuse, le Dr Silver a témoigné comme suit, en contre-interrogatoire:
[TRADUCTION]
R. Un traumatisme à lui seul peut être la cause de surdité nerveuse.
Q. Sans rien d’autre?
R. Sans rien d’autre, cela se peut, Monsieur.
Q. Ce coup pourrait en avoir été la cause?
R. Ce coup précisément, le traumatisme…
Q. Oui.
R. Je n’ai aucune idée de la force du coup subi. Un coup à la tête peut causer la surdité nerveuse; un coup à la tête.
Q. Je vois.
R. Un coup à la tête.
Il a également confirmé ce qui n’est peut-être qu’un lieu commun, savoir, qu’un «violent mal de tête est un symptôme de coup quelconque à la tête».
Comme l’a fait remarquer le juge de première instance, au cours du témoignage du Dr Silver, [TRADUCTION] «il a témoigné que la surdité nerveuse peut être le résultat d’une quelconque de nombreuses causes», et il a fait une énumération:
une infection, telle que la méningite ou la syphilis, une forte fièvre due à un virus; l’ingestion ou l’inhalation de certains produits chimiques; des médicaments tels que la quinine prise à haute dose; l’hérédité; une malformation congénitale; un traumatisme;
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ou diverses causes d’ordre médical, comme la leucémie ou autres maladies du sang. Il arrive souvent que, lorsqu’une longue période s’est écoulée, il soit impossible d’attribuer la surdité à sa cause réelle; c’est le cas lorsqu’elle est une séquelle de la fièvre ou d’un mauvais rhume depuis longtemps oublié.
Mme Lévesque était une femme de 36 ans qui n’avait jamais eu de difficulté avec ses oreilles avant l’accident. Son mari a témoigné de son excellente santé et elle-même a confirmé qu’elle n’avait jamais eu à consulter un médecin antérieurement, sauf pour donner naissance à ses huit enfants.
Les témoignages des deux appelants au sujet de la santé de Mme Lévesque constituent, à mon avis, une preuve prima facie du fait qu’avant l’accident elle n’a jamais souffert d’aucune des affections énumérées par les médecins comme étant des causes de la surdité nerveuse. Leurs témoignages n’ont pas été contredits et rien dans les motifs du savant juge de première instance ne permet de supposer qu’il ait mis en question leur crédibilité.
Sur la question capitale de savoir si le coup subi dans l’accident est probablement la cause de la surdité, le savant juge de première instance a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] Le témoignage des deux médecins indique qu’il est au moins également possible, et aussi également probable, que la surdité soit le résultat de quelque autre cause.
(Les italiques sont de moi.)
Sous ce rapport, avec la plus grande déférence, je suis d’avis que le savant juge de première instance a commis une erreur. On a obtenu du Dr Nadeau les réponses suivantes, en contre‑interrogatoire:
[TRADUCTION]
Q. Il n’est pas impossible non plus, n’est-ce pas, Docteur, que cette surdité nerveuse — lésion nerveuse, ait été provoquée par autre chose qu’un traumatisme?
R. Ce n’est pas impossible.
Q. C’est bien possible, n’est-ce pas? Pardon?
R. A cela, personne… Je ne puis dire ni oui ni non.
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Cette déposition a été lue au Dr Silver au cours de son interrogatoire principal et il a répliqué: [TRADUCTION] «Je suis d’accord avec cela. Je pense que c’est une réponse très juste».
Comme je l’ai indiqué, c’est la seule preuve portant directement sur l’importante question des autres causes de la surdité et, avec la plus grande déférence, je ne crois pas qu’elle justifie le savant juge de première instance de conclure qu’il est «également probable que la surdité soit le résultat de quelque autre cause» que le traumatisme.
Lue dans son ensemble, la preuve révèle, à mon avis, qu’une femme en parfaite santé, qui n’avait jamais souffert de surdité, a reçu sur la tête un coup de nature à causer un «traumatisme», qui est une cause reconnue de surdité nerveuse, et qui, en fait, a commencé à souffrir de ce genre de surdité deux mois après l’accident. Nonobstant le fait que sa surdité n’a pas suivi la progression habituelle ou ordinaire, les médecins, sans exception, sont d’avis que, vraiment, «rien n’est ordinaire» dans ces cas-là et que «tout peut arriver, en médecine».
Je ne crois pas que les appelants étaient tenus d’éliminer toutes les autres causes connues de la surdité nerveuse pour en arriver à établir que la surdité de Mme Lévesque a probablement pour cause un traumatisme résultant d’un coup sur la tête qu’elle a reçu dans la collision. Je suis d’avis que la suite chronologique des événements que la preuve a révélés indique que le coup qu’elle a reçu est la cause la plus probable de son mal.
Dans l’affaire Gardiner v. Motherwell Machinery and Scrap Co. Ltd.[1], le demandeur avait contracté une dermatite et il a prétendu que ce mal, dont il n’avait jamais souffert auparavant, était dû au défaut de ses employeurs de fournir des salles de toilette convenables. Devant la Chambre des Lords, la conclusion qu’il y avait eu un tel défaut n’a pas été contestée et le pourvoi n’a remis en litige que la prétention que l’appelant n’avait pas réussi à prouver l’existence d’un lien entre sa maladie et le travail qu’il faisait. Il a été admis par quelques juges que le mal avait commencé [TRADUCTION] «à la façon caractéristique des maladies ayant pour cause de telles condi-
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tions», et même si l’on ne saurait dire que la preuve en cette affaire-ci a établi que la surdité nerveuse de Mme Lévesque a commencé d’une façon «caractéristique», je pense néanmoins que les remarques de Lord Guest dans l’affaire Gardiner (à la p. 1431) s’appliquent aux circonstances ici présentes. Il y dit:
[TRADUCTION] Vu la concession faite par les intimés, la question est une pure question de fait, savoir si d’après la prépondérance des probabilités la dermatite a sa source dans le travail de l’appelant; en d’autres mots, est-il plus probable que l’appelant ait contracté ce mal à son travail qu’ailleurs. De chaque côté plusieurs médecins ont témoigné. Leurs témoignages ont révélé une remarquable diversité d’opinions médicales, mais je n’envisage pas la question comme étant d’ordre médical en ce sens qu’il soit nécessaire de décider quelle école médicale a raison. Mais, considérant le sujet comme une question de fait, je pense qu’il est plus probable que l’appelant a contracté le mal à son travail…
J’ai considéré le sujet avec beaucoup de soin, car ce n’est pas la pratique en cette Cour de rejeter les conclusions de deux cours provinciales, mais j’ai la conviction qu’il s’agit ici d’un de ces cas d’exception où il faut le faire. A cet égard, je me reporte aux observations du Juge Taschereau dans The Nord British & Mercantile Insurance Company c. Tourville[2], à la p. 195, où il dit:
[TRADUCTION] Nous ne manquons pas de prendre en considération, il va sans dire, que le fait que deux cours provinciales sont arrivées à la même conclusion fait ressortir la gravité de nos fonctions et, plus encore peut-être qu’il ne serait nécessaire en d’autres circonstances, nous impose l’obligation stricte de ne pas accueillir le pourvoi si nous n’avons pas la conviction absolue qu’il y a erreur dans le jugement. Mais, en même temps, nous ferions preuve de négligence dans nos fonctions si nous ne nous formions pas une opinion personnelle de la preuve et n’en faisions pas bénéficier les appelants s’ils y ont droit.
Le savant juge de première instance n’a accordé que $300 de dommages généraux à l’appelante, sa surdité non comprise, et même si je considère ce montant comme un strict minimum, eu égard aux souffrances et aux inconvénients qu’elle a subis,
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je n’en pense pas moins qu’il s’agit d’une adjudication que cette Cour ne doit pas modifier. Je confirmerais l’adjudication de dommages spécifiques au montant de $578.42 à M. Georges Lévesque et de dommages spécifiques au montant de $543.30 à sa femme.
Les intimés ont interjeté un pourvoi incident, prétendant que l’évaluation provisoire à $25,000 des dommages généraux accordés à Mme Lévesque pour surdité [TRADUCTION] «est démesurément haute», compte tenu des dommages ordinairement accordés pour une affliction de ce genre. Comme je vois la chose, $25,000 sont une indemnité bien minime pour une femme, en parfaite santé et dont l’ouïe est parfaite, qui devient presque complètement sourde. L’appelante ne s’est toutefois pas pourvue à l’encontre de l’évaluation provisoire et, en conséquence, je la confirmerais.
Pour tous ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et infirmerais le jugement des cours de première instance et d’appel. Cependant, je confirmerais l’évaluation provisoire des dommages subis par les appelants, comme l’a proposé le savant juge de première instance.
Vu qu’il s’agit d’un pourvoi in forma pauperis, les dispositions de la Règle 142 des Règles de la Cour suprême du Canada s’appliquent à la taxation des frais en cette Cour.
Les appelants ont droit à leurs frais en Cour de première instance et en Cour d’appel.
Appel rejeté avec dépens, Les Juges Martland et Ritchie étant dissidents.
Procureurs des demandeurs, appelants: Leikin & Finn, Ottawa.
Procureurs des défendeurs, intimés: Gilbert, McGloan & Gillis, Saint-Jean.
[1] [1961] 1 W.L.R. 1424.
[2] (1895), 25 R.C.S. 177.