Cour Suprême du Canada
Sohio Petroleum Co. et al. c. Weyburn Security Co. Ltd., [1971] R.C.S. 81
Date: 1970-06-26
Sohio Petroleum Company et al. (Défendeurs) Appelants;
et
Weyburn Security Company Limited (Demanderesse) Intimée.
1970: les 23 et 24 février; 1970: le 26 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Spence.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN
APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Saskatchewan[1], infirmant un jugement du Juge MacPherson qui avait rejeté l’action de l’intimée demandant une déclaration à l’effet qu’un certain bail du droit d’exploitation du pétrole et du gaz naturel avait pris fin et réclamant réparation en conséquence. Appel rejeté.
D.E. Gauley, c.r., et D.O. Sabey, pour les défendeurs, appelants.
R.A. McLennan, B.V. Reed et J. Klebuc, pour la demanderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — L’intimée en cette affaire requiert une déclaration à l’effet qu’un bail du droit d’exploitation du pétrole et du gaz naturel qu’elle a accordé le 28 octobre 1949 en qualité de locateur, à Sohio Petroleum Company (ci-après appelée «Sohio») en qualité de locataire, portant sur le pétrole, le gaz naturel et tous les hydrocarbures connexes, dans, sur et sous le quart nord-ouest de la section 3 dans le 6e canton et le 2e rang à l’ouest du 2e méridien, dans la province de Saskatchewan, a pris fin, et elle réclame réparation en conséquence. L’action intentée par l’intimée a été rejetée en première instance, mais ce jugement a été infirmé par un arrêt unanime de la Chambre d’appel de la Saskatchewan1. Les autres appelants sont les ayantsdroit de Sohio.
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La clause d’habendum et ses stipulations se lisent comme suit:
[TRADUCTION] POUR EN JOUIR ET DISPOSER pour un terme de dix (10) ans à compter de la date des présentes et aussi longtemps par la suite que les substances louées, ou l’une d’elles, seront extraites dudit terrain, sous réserve de l’expiration antérieure du terme prévue aux présentes.
IL EST ENTENDU QUE si les travaux de forage d’un puits n’ont pas commencé sur ledit terrain dans un délai d’au plus un (1) an de la date des présentes le bail prendra fin, à moins que le locataire n’ait payé, ou offert de payer, au locateur le montant de seize ($16.00) dollars (ci-après appelé le «loyer annuel de surface»); ce paiement conférera le privilège de différer d’un (1) an le commencement des travaux de forage et que, de la même manière et pour les mêmes paiements ou offres de paiement, le commencement des travaux de forage sera de nouveau différé d’année en année;
IL EST DE PLUS ENTENDU que si, à un moment quelconque au cours dudit terme de dix (10) ans et antérieurement à la découverte dans ledit terrain de substances à extraire, le locataire y fore un ou des puits stériles, ou si à un moment quelconque pendant le terme en question et après la découverte dans ledit terrain de substances à extraire, cette extraction cesse, le présent bail prendra alors fin à la prochaine date anniversaire des présentes, à moins que des travaux de forage d’un autre puits sur ledit terrain n’aient commencé, ou à moins que le locataire n’ait payé ou offert de payer le loyer annuel de surface, auquel cas les dernières conditions énoncées, régissant le paiement du loyer annuel de surface et ses effets, seront censées rester en vigueur.
IL EST EN OUTRE ENTENDU que si à un moment quelconque après l’expiration dudit terme de dix (10) ans les substances louées ne sont pas en voie d’extraction dudit terrain et si le locataire est alors occupé à des travaux de forage ou de mise en exploitation, le présent bail demeurera en vigueur aussi longtemps que les travaux en question se poursuivront et, s’ils ont comme conséquence l’extraction des substances louées, ou de l’une d’elles, aussi longtemps par la suite que les substances louées, ou l’une d’elles, seront extraites dudit terrain; mais si les travaux de forage, de mise en exploitation ou d’extraction sont interrompus ou
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suspendus en conséquence de quelque fait que ce soit dont le contrôle échappe au locataire cette période d’interruption ou de suspension ne sera pas retenue contre le locataire, nonobstant toute stipulation explicite ou implicite des présentes à l’effet contraire.
L’engagement de forer un puits contenu dans le deuxième alinéa reproduit ci-dessus a été ajourné périodiquement par Sohio en payant chaque année le loyer minime stipulé pour le délai. Les travaux de forage n’ont commencé qu’une semaine avant l’expiration du terme initial de dix ans. Le forage du puits s’est terminé le 8 novembre 1959, après l’expiration de ce terme. Le puits s’est avéré producteur et Sohio a payé une redevance de production à l’intimée.
Le juge de première instance et la Cour d’appel ont conclu que le bail avait pris fin parce qu’il n’y a pas eu d’extraction au cours du terme initial de 10 ans et j’accepte cette conclusion. Les stipulations du bail en question sont presque identiques à celles que cette Cour a dû considérer dans Canada-Cities Service Petroleum Corporation c. Kininmonth et autres[2]. Traitant de l’interprétation de l’alinéa de ce bail-là qui correspond au cinquième alinéa précité, on a dit, à la p. 444:
[TRADUCTION] Le cinquième alinéa commence par les mots «si à un moment quelconque après l’expiration dudit terme de dix ans les substances louées ne sont pas en voie d’extraction dudit terrain». La clause d’habendum prévoit un terme de 10 ans «et aussi longtemps par la suite que les substances louées, ou l’une d’elles, seront extraites». Lorsqu’on lit parrallèlement les expressions «seront extraites» et «ne sont pas en voie d’extraction», je suis d’avis que ce cinquième alinéa a évidemment pour but de régler le cas où des travaux d’extraction sur le terrain ont prolongé le terme initial, pour cesser ensuite. Sans le cinquième alinéa, le bail prendrait fin automatiquement à la cessation de l’extraction. Cet alinéa, toutefois, empêche le bail d’ainsi prendre fin si, lorsque cesse l’extraction, le locataire est occupé à des travaux de forage ou de mise en exploitation sur le terrain, ou aussi longtemps que
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ces travaux se poursuivent. Si ces travaux donnent lieu à une extraction ultérieure, le bail reste en vigueur durant l’extraction.
Je ne puis interpréter l’alinéa comme signifiant que, même s’il n’y a pas eu extraction au cours du terme initial de 10 ans, le locataire peut continuer sur le terrain des travaux de forage qui, s’ils sont fructueux, serviront à prolonger le bail d’une période égale à celle de l’extraction qui en résultera.
Je suis d’accord avec le savant juge de première instance que le fait que dans le premier alinéa, précité, on se sert des mots «seront extraites» alors que dans l’alinéa correspondant, dans l’affaire Kininmonth, on s’est servi des mots «sont en voie d’extraction» ne crée, en substance, aucune distinction entre les deux affaires.
Le débat devant nous a porté sur la prétention de l’appelante qu’à cause de ses paroles et de ses actes l’intimée était irrecevable en droit et en «equity» à nier la validité du bail.
Dans l’arrêt Canadian Superior Oil Ltd. et Kerr-McGee Corporation c. The Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et Ralph Hambly[3], récemment prononcé par cette Cour, j’ai exprimé le doute qu’un bail qui a pris fin puisse ultérieurement renaître du fait d’affirmations ou d’actes subséquents à son expiration, à moins que ces affirmations ou actes ne soient l’équivalent d’une fraude du genre de celle que le juge Fry a décrite dans Willmott v. Barber[4], à ce passage de la p. 105 qui a été cité par la Cour d’appel dans cette affaire-ci et qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] On a dit que l’acquiescement qui prive un homme de ses droits stricts doit être l’équivalent d’une fraude et, à mon avis, c’est là l’énoncé succinct d’une proposition fort vraie. Il ne faut pas priver un homme de ses droits stricts, à moins qu’il ait agi de telle manière qu’il se rendrait coupable de fraude en les exerçant. Quels sont alors les éléments ou les prérequis essentiels pour constituer une fraude répondant à cette description? En
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premier lieu, le demandeur doit avoir fait erreur quant à ses droits stricts. Deuxièmement, le demandeur doit avoir dépensé de l’argent ou fait quelque chose (pas nécessairement sur le terrain du défendeur), sur la foi de cette croyance erronée. Troisièmement, le défendeur, détenteur du droit strict, doit être au courant de l’existence d’un droit qui lui est propre et qui est inconciliable avec celui que le demandeur réclame. S’il n’est pas au courant de son droit, il est dans la même situation que le demandeur, et la doctrine de l’acquiescement se fonde sur la conduite d’une personne au courant de ses propres droits stricts. Quatrièmement, le défendeur, détenteur du droit strict, doit être au courant de la croyance erronée que le demandeur a de ses droits. S’il n’est pas au courant, rien ne l’oblige à affirmer ses propres droits. Enfin, le défendeur, détenteur du droit strict, doit avoir encouragé le demandeur dans sa dépense d’argent ou dans les autres choses qu’il a faites, soit directement soit en s’abstenant d’affirmer son propre droit strict. Lorsque tous ces éléments existent, il y a fraude d’un genre tel que la cour a le droit d’empêcher le détenteur du droit strict de l’exercer, mais à mon avis, rien de moins ne suffit.
Point n’est besoin de répéter ce qui a été dit dans l’affaire Canadian Superior, ni de trancher cette question-là , car j’accepte l’arrêt de la Cour d’appel à l’effet que la fin de non-recevoir n’a pas été prouvée ici.
Les paroles et les actes de l’intimée, sur lesquels les appelants se sont fondés pour soutenir qu’une fin de non-recevoir a été créée, sont:
(1) L’intimée a mis Sohio en demeure de forer un puits de limite conformément aux conditions du bail, et ce puits a été foré.
(2) A la demande de l’intimée, Sohio a payé les sept huitièmes des impôts miniers prélevées sur le terrain loué et c’était une condition du bail.
(3) Sohio a versé à l’intimée, qui les a acceptées, des redevances basées sur la production du terrain loué.
(4) L’intimée a permis à Sohio de consentir à une amalgamation englobant le terrain loué;
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aux termes du bail, Sohio pouvait agir ainsi sans le consentement de l’intimée.
La Cour d’appel a traité de l’argumentation portant sur la fin de non-recevoir dans la partie de son jugement reproduit ci-après; tout comme dans les passages cités ultérieurement, cependant, j’ai rétabli les appellations «les appelants» et «l’intimée» pour cadrer avec la situation juridique des parties en cette Cour:
[TRADUCTION] Dans la présente cause, il se peut que les paroles et les actes sur lesquels le savant juge de première instance s’est fondé pour asseoir la fin de non‑recevoir par affirmation, ne soient pas l’affirmation d’un fait réel. Il est inutile de déterminer s’il y a eu affirmation de ce genre, car Sohio n’a jamais modifié sa ligne de conduite à cause de cela. La preuve montre clairement que l’intimée et Sohio ont tous erronément cru que le terme du bail s’était prolongé par le jeu des stipulations de la clause d’habendum. L’intimée n’a fait aucune affirmation entravant l’action de la clause d’habendum. Sohio a eu pleine connaissance de tous les faits se rapportant à l’application de cette clause. La position des parties au présent litige correspond exactement à celle décrite par le juge Egbert dans Calvan Consolidated Oil & Gas Co. v. Manning, (1957) 22 W.W.R. 433, lorsqu’il dit (à la p. 453):
[TRADUCTION] Il n’y a eu de la part de la demanderesse ni affirmation, ni conduite y équivalant, dans l’intention d’inciter le défendeur à adopter une ligne de conduite quelconque. Ici, tous les intéressés ont agi dans l’erreur — peu importe qu’il s’agisse d’une erreur de droit ou de fait — et il n’est pas question d’affirmation faite de part ou d’autre. Quelle qu’ait été l’attitude du défendeur (et les actes en découlant sont un élément essentiel de la fin de non-recevoir) elle est le résultat de sa propre erreur et non de quelque affirmation de la demanderesse.
Sohio a toujours cru que le bail n’avait pas pris fin. Antérieurement à toute affirmation de l’intimée et indépendamment d’elle, Sohio a adopté une attitude et elle ne peut donc y avoir été incitée par une prétendue affirmation. La fin de non-recevoir par affirmation ne saurait donc entrer en jeu.
D’ailleurs, traitant de la doctrine de l’obligation par fin de non-recevoir à en nier l’existence,
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énoncée par Lord Denning dans Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd.[5], la Cour d’appel a dit ceci:
[TRADUCTION] Si l’on peut dire que la conduite de l’intimée en cette affaire correspond en quelque sorte au genre de promesse, d’assurance ou de procédé de transaction envisagé dans les passages relatés ci-dessus, Sohio ne s’y est pas fiée pour croire que l’intimée ne soutiendrait pas que le bail avait pris fin.
Le savant juge de première instance a jugé que certains actes de Sohio, notamment: le forage d’un puits de limite, la signature d’un bail de superficie, le versement d’un huitième des impôts miniers, constituent des modifications désavantageuses pour elle de sa situation et que Sohio a agi ainsi parce qu’elle considérait y être tenue par les conditions du bail. En demandant ou exigeant que Sohio donne suite aux stipulations du bail et en lui permettant d’agir comme elle l’a fait, l’intimée n’a fait qu’admettre une erreur, savoir que le bail n’avait pas pris fin. Le fait que l’intimée ne connaissait pas la stricte situation juridique ne l’empêche pas d’exercer maintenant ses droits.
La Cour d’appel s’est ensuite reportée au passage des motifs du Juge Fry dans Willmott c. Barber que j’ai déjà signalé.
Je me range aux motifs de la Cour d’appel. Il est bien évident que des affirmations ou la conduite de l’intimée ne sont pas la cause des actes posés par Sohio. Ces actes, Sohio les a posés parce que, tout comme l’intimée, elle ignorait à ce moment-là que le bail avait pris fin. Dans ces conditions, une fin de non-recevoir ne peut être établie et rien n’indique qu’un nouveau bail ait été conclu.
L’intimée a demandé la modification de l’arrêt de la Cour d’appel visant la date à compter de laquelle les appelants doivent lui rendre compte de la production qu’ils ont tirée du terrain loué. Elle soutient que cette date doit être celle du 28 octobre 1959, jour où le bail a pris fin, sous réserve d’une indemnité pour les frais subis
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par les appelants. La Cour d’appel a traité de cet aspect du litige dans le passage suivant de ses motifs:
[TRADUCTION] L’intimée a aussi demandé que les appelants lui rendent compte du pétrole, du gaz naturel et des hydrocarbures connexes qu’ils ont extraits du terrain loué, ou qu’ils lui versent une indemnité pour en tenir lieu. La Cour a compétence pour accorder cette réparation à des conditions à la fois justes et équitables pour toutes les parties en cause. L’appelante Sohio a agi dans l’erreur quant à ses droits et elle n’a pas sciemment pris avantage du fait que l’intimée appréciait imparfaitement ses propres droits stricts. Ce n’est que lorsqu’une assignation leur a été signifiée que les appelants se sont rendu compte que leur situation était contestée. À ce moment-là , leur revenu provenant de la vente des substances extraites était supérieur aux frais. Dans les circonstances, il paraît juste et équitable d’ordonner aux appelants de rendre compte de tous les profits de production qu’ils ont réalisés après le jour où l’assignation leur a été signifiée.
J’adhère à cette conclusion.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants: Francis, Gauley, Dierker and Dahlem, Saskatoon.
Procureurs de la demanderesse, intimée: MacPherson, Leslie and Tyerman, Regina.
[1] (1969), 69 W.W.R. 680, 7 D.L.R. (3d) 277.
[2] [1964] R.C.S. 439.
[3] [1970] R.C.S. 932.
[4] (1880), 15 Ch.D. 96.
[5] [1947] 1 K.B. 130.