Cour suprême du Canada
Parna c. G. & S. Properties Ltd., [1971] R.C.S. 306
Date: 1970-10-06
August Parna et Reta Parna (Demandeurs) Appelants;
et
G. & S. Properties Limited, et Frank Albert et William Harvie (Défendeurs) Intimés.
1970: les 22 et 25 mai; 1970: le 6 octobre.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], accueillant en partie un appel des défendeurs (intimés) d’un jugement du Juge
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Ferguson en faveur des demandeurs (appelants) dans une action pour tromperie. Appel rejeté; appel incident accueilli, rejetant l’action.
August Parna et Reta Parna, à titre personnel, demandeurs, appelants.
D.F. O’Leary, c.r., pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE SPENCE — Le pourvoi se rattache à une action en dommages-intérêts pour fraude instituée dans les circonstances suivantes.
Le demandeur, August Parna, Estonien de naissance, est arrivé au Canada en 1948. La demanderesse, Reta Parna, est l’épouse du demandeur August Parna mais n’a participé activement à aucune des négociations relatives à cette affaire. J’emploierai ci-après le mot «demandeur» pour désigner August Parna.
August Parna n’était nullement un homme sans instruction. Il avait reçu en Estonie une formation universitaire; de plus, il avait suivi un cours de droit à Heidelberg (Allemagne) mais, à cause de la guerre, n’avait pu obtenir un grade universitaire ni un diplôme d’avocat. Toutefois, quatre ans seulement après son arrivée au Canada, il achetait son premier immeuble résidentiel. Jusqu’à la date de l’offre d’achat de l’immeuble résidentiel dont il est question dans la présente action, il avait acheté quatre autres immeubles résidentiels et, plus tard, il en vendit quelques-uns; durant l’année précédente, il avait exploité un immeuble résidentiel de 29 appartements.
Il ressort de ces faits, aussi bien que de la manière dont M. Parna a présenté son pourvoi en cette Cour, où il a comparu personnellement, qu’il est un homme d’affaires intelligent et très entendu.
L’immeuble résidentiel en question comprenait 24 appartements et avait été construit par la défenderesse, G. & S. Properties Limited, en 1965. G. & S. Properties Limited, intimée, est une compagnie dont les autres intimés, Frank Albert et William Harvie sont propriétaires et maîtres, et respectivement président et secrétaire. Avant que soit achevée la construction de l’immeuble rési-
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dentiel, le demandeur a pressenti ces derniers et a tenté d’acheter l’immeuble mais ces intimés ont informé le demandeur qu’ils voulaient en conserver la propriété et comptaient l’exploiter comme immeuble de rapport, même si jamais jusque-là ils n’avaient été propriétaires ou administrateurs d’immeubles résidentiels. Les deux intimés, Frank Albert et William Harvie, qui exploitaient une entreprise de plomberie, constatèrent au cours de l’année suivante qu’une trop forte proportion de leurs capitaux était engagée dans l’immeuble résidentiel et, par conséquent, décidèrent de le vendre.
Les intimés ont d’abord mis l’immeuble en vente par l’entremise d’un agent immobilier pour la somme de $262,500. La seule offre qui se soit présentée était pour la somme de $262,000, mais ne prévoyait le versement que d’un faible montant en espèces à la conclusion du contrat. Les intimés désiraient que le solde entier entre les deux hypothèques de $180,000 et $19,000, respectivement, et le prix d’achat fût payé comptant à la conclusion du contrat; c’est pourquoi ils firent une démarche auprès de l’appelant Parna, offrant de lui vendre l’immeuble. A ce moment-là les intimés en demandaient $255,000 et remirent à l’appelant Parna un document (produit au procès comme Pièce n° 6) qui était présenté comme étant un état de recettes et de dépenses pour l’année 1966. L’appelant examina les chiffres qui figuraient dans cet état et exprima l’avis que le montant de quelques-unes des dépenses était trop bas pour refléter les véritables frais d’exploitation. Sur quoi les intimés Albert et Harvie offrirent à l’appelant Parna de lui mettre entre les mains toute pièce comptable justificative qu’il lui plairait d’examiner, mais Parna se contenta de réclamer la pièce justificative indiquant ce qu’avait coûté le combustible pour le mois de janvier 1967. On lui fit voir une facture de $345.53. L’appelant Parna persista à déclarer que les frais d’exploitation indiqués dans l’état (Pièce n° 6) étaient trop bas et exprima l’avis que l’immeuble ne pouvait justifier un prix supérieur à $241,000.
Très peu de temps après qu’on lui eut confié la Pièce n° 6, on remit à l’appelant Parna un autre état (Pièce n° 7) qui était censé s’appliquer à
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l’année 1967. Dans cet état, les dépenses pour le combustible, l’éclairage et l’eau étaient les mêmes que dans l’état précédent, mais à d’autres égards l’état comportait d’appréciables différences. De $36,564 qu’il avait été, le revenu provenant des loyers était passé à $39,444, ce qui représentait une augmentation de $2,880, ou de $10 par mois et par appartement. Les intimés Albert et Harvie ont alors informé l’appelant Parna qu’ils avaient déjà averti les locataires que le loyer de chaque appartement allait être augmenté de $10 par mois dès que les dates des baux le permettraient. Là où la Pièce n° 6 indiquait un montant de $8,250 pour les taxes, la Pièce n° 7 indiquait un montant de $8,450.
L’appelant Parna s’aboucha avec son avocat, M. John S. Miller, et lui remit la Pièce n° 6. M. Miller, qui a témoigné au procès au nom de l’appelant Parna ne se rappelait pas avoir vu la Pièce n° 7 avant la conclusion du contrat bien que, selon le témoignage de l’appelant Parna, il l’avait reçue très peu de temps après qu’il eut reçu la Pièce n° 6.
L’appelant Parna a témoigné que, même si les intimés demandaient $255,000, et bien qu’à son propre avis l’immeuble ne pouvait valoir plus de $241,000 afin de rapporter un revenu net de 10 pour cent avant le paiement des hypothèques, il présuma que les vendeurs céderaient la propriété pour $252,000 et c’est pourquoi il chargea son avocat de dresser une offre pour un montant un peu moindre, soit $251,000.
Tout le long de son témoignage, l’appelant Parna a maintenu que son seul critère du prix qu’il paierait pour un immeuble résidentiel c’était que la propriété rapporte environ 10 pour cent du prix d’achat, avant de satisfaire aux hypothèques. Les témoignages que je viens de relater paraîtraient indiquer que l’appelant Parna n’a pas du tout fait de tels calculs précis mais s’est tout simplement livré au marchandage habituel entre acheteur et vendeur. Les vendeurs éventuels demandaient $255,000. L’acheteur éventuel a cru devoir offrir jusqu’à $241,000 mais estimait que les vendeurs éventuels accepteraient $252,000, et c’est pourquoi il chargea son avocat d’offrir $251,000. C’est un procédé qui se renouvelle dans presque toutes ventes de propriétés immobilières.
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L’avocat rédigea l’offre d’achat qui a été produite au procès comme Pièce n° 1. Une des clauses de l’offre était celle-ci:
[TRADUCTION]…elle est en outre subordonnée à la production d’une preuve satisfaisante de l’exactitude des mentions relatives aux recettes et aux dépenses figurant à l’annexe A ci-jointe. Advenant inaccomplissement ou inexécution pour partie ou pour le tout des conditions susmentionnées, cette offre sera nulle et l’acompte versé sera remboursé aux acheteurs. L’Annexe A ci-jointe fera partie intégrante de ce contrat d’achat et de vente.
L’Annexe A y a été jointe. La voici en entier:
[TRADUCTION]
ANNEXE «A»
ÉTAT FINANCIER
101 est, rue King, Dundas, Ontario
Immeuble résidentiel de 24 appartements
Loyers mensuels
2,947.00
8 locations mensuelles du garage
40.00
Recettes mensuelles provenant des appareils automatiques
60.00
Recettes mensuelles totales
3,047.00
Revenu annuel
$ 36,564.00
Dépenses
Taxes
8,250.00
Combustible
1,500.00
Éclairage
500.00
Eau
200.00
Concierge
900.00
Assurances
217.00
Entretien
300.00
Service d’ascenseur
504.00
Dépenses totales
$ 12,371.00
Tous les locataires sont assujettis à un bail d’un an qui expire à partir du 1er mai en 1967.
TÉMOIN:
«AP»
Pour G. & S. PROPERTIES LIMITED
(Signé)
William A. Harvie
Frank Albert
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A noter que cette Annexe reproduit les chiffres figurant dans l’état des recettes et des dépenses pour 1966 (Pièce n° 6) sans faire usage ni mention des points de différence ressortant de la Pièce n° 7, quoique l’appelant Parna ait eu la Pièce n° 7 en sa possession peu après avoir reçu la Pièce n° 6 et quelque temps avant d’avoir chargé son avocat de dresser et de présenter l’offre d’achat (Pièce n° 1). L’offre d’achat fut présentée aux intimés et acceptée par eux. La date de l’acceptation ne figure pas dans la Pièce n° 1, mais il semble que ce fût le 17 février 1967, date même où, d’après ses dispositions, l’offre allait expirer. Il était dit dans l’offre que la date de la conclusion du contrat était fixée au 1er avril 1967.
M. Miller, avocat de l’appelant Parna, a témoigné que vers le 15 mars 1967 il avait écrit à l’avocat des vendeurs pour obtenir les renseignements d’usage quant à l’état du titre et pour faire la demande suivante:
[TRADUCTION] 6. PRIÈRE DE NOUS FAIRE TENIR le rapport du vérificateur pour la période de propriété de vos clients à l’appui des chiffres relatifs au revenu de location et aux dépenses d’exploitation indiqués dans l’Annexe «A» de la convention d’achat et de vente.
et qu’il avait reçu de l’avocat des vendeurs une lettre datée du 28 mars 1967 disant, à propos de la demande susdite:
[TRADUCTION] 6. Nous n’avons pas de rapport de vérificateur mais vous pouvez vous assurer vous-même ce que sont le revenu et les dépenses.
Le savant juge de première instance a dit de cette réponse que c’est «une de ces réponses de refus sec servant d’échappatoire».
Dans son témoignage, M. Miller a déposé qu’au reçu de cette lettre il avait immédiatement téléphoné à son client, l’appelant Parna, pour l’informer qu’il n’était pas disposé à conclure le marché sur cette base et lui demander de venir le voir. M. Miller a déclaré qu’il avait ensuite téléphoné à l’avocat des vendeurs afin de lui faire observer que plusieurs des réponses données aux demandes qui lui avaient été communiquées n’étaient pas satisfaisantes et qu’il n’allait pas conclure le marché à moins d’obtenir beaucoup plus de précisions, «particulièrement à l’appui de
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l’Annexe «A» jointe à l’offre, et que je n’allais pas conclure l’affaire sans preuve satisfaisante à l’appui de l’annexe».
Durant la matinée du 31 mars, date que les avocats avaient fixée pour la conclusion du contrat puisque le 1er avril était un samedi, l’avocat des vendeurs se présenta chez M. Miller et lui remit une déclaration statutaire qui a été produite au procès comme Pièce n° 4. La déclaration est brève, et je la cite en entier:
[TRADUCTION]
Je, Frank Albert
de la ville de Dundas, dans le comté de Wentworth
DÉCLARE SOLENNELLEMENT QUE:
1. Je suis président de G. & S. Properties Limited et j’ai connaisance des faits ci‑après déclarés.
2. L’Annexe «A» à l’offre d’achat est un état financier qui indique autant que je sache et du mieux que je le puisse faire, une estimation précise et équitable du revenu annuel et des dépenses annuelles de G. &. S. Properties, compte tenu de l’augmentation périodique des loyers et de l’augmentation périodique des dépenses telles que les taxes.
3. Dans le calcul de ces estimations, aucunes sources réelles de revenu et aucuns déboursés réels n’ont été omis.
4. De nouveaux baux d’une durée d’un an ont été consentis à quelques-uns des locataires, avec l’approbation des acheteurs.
ET je fais cette déclaration solennelle, la croyant consciencieusement vraie et sachant qu’elle a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment, aux termes de la Loi sur la preuve au Canada.
DÉCLARÉ devant moi en la ville d’Hamilton dans le I comté de Wentworth ce 31e jour de mars 1967
(Signature)
Alec Z. Beasley Commissaire, etc.
(Signature) Frank Albert
“ William Harvie
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Selon le témoignage de M. Miller, les appelants August et Reta Parna sont venus le voir moins d’une heure après avoir reçu ce document. Il leur a montré cette déclaration statutaire et ils ont discuté l’affaire. Il faut remarquer qu’au sens strict des conditions de l’offre de vente, si le vendeur ne produisait pas
une preuve satisfaisante…de l’exactitude des mentions relatives aux recettes et aux dépenses figurant à l’Annexe «A» ci-jointe, l’offre serait considérée comme étant nulle et l’acompte serait remboursé.
Cependant, M. Miller a déposé que les appelants August et Reta Parna, après avoir examiné la déclaration statutaire, ont décidé de l’accepter «en remplacement» et ont conclu le marché. En fait, selon le témoignage de M. Miller, il a fait ressortir les avantages supplémentaires que conférait le fait d’avoir une déclaration statutaire. Il n’a pas été demandé à M. Miller d’expliquer quels avantages supplémentaires il trouvait dans cette forme de preuve, mais il vient certainement à l’idée que ce qui préoccupait alors les appelants c’était de se munir d’un document qui fût de nature à appuyer une action précisément comme celle qu’ils ont intentée par la suite. Le marché fut conclu le même jour, soit le 31 mars 1967; or, moins de deux semaines plus tard, l’appelant Parna se présentait chez M. Miller pour lui montrer que ce qui était exposé dans le premier état (Pièce n° 6), et qui était repris à l’Annexe “A” de l’offre d’achat et confirmé dans la déclaration statutaire présentée lors de la conclusion du contrat, était faux.
Le 18 mai 1967, les appelants ont introduit cette action réclamant $35,000 en dommages‑intérêts pour cause de présentation fausse et frauduleuse des faits à l’égard de trois postes de dépenses, à savoir le coût du combustible, de l’éclairage et de l’eau. En première instance, le juge Ferguson a entendu l’action. Au procès et en cette Cour l’appelant a tenté d’ajouter d’autres prétendues déformations des faits mais la présente action s’est toujours limitée à l’examen de la présentation des faits relative à ces trois postes. Le savant juge de première instance a statué en faveur des demandeurs (les appelants en cette Cour) et leur a adjugé un montant de $24,790 en dommages-intérêts. Il a calculé ces dommages
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de la façon suivante: il a accepté la preuve de l’appelant August Parna qu’il n’avait fait l’offre d’achat qu’à condition que l’immeuble rapporte un bénéfice net annuel de 9.64 pour cent du prix d’achat avant le paiement de l’intérêt ou du principal sur les hypothèques. Or le juge de première instance a constaté qu’au lieu de $24,193 par année, le bénéfice net n’était que de $21,807, et vu que cette somme représente 9.64 pour cent de seulement $226,910, le savant juge a statué que les dommages subis par les demandeurs, les appelants en cette Cour, correspondaient à la différence entre cette dernière somme et le prix d’achat effectif de $251,000, c’est-à-dire, $24,790.
Les défendeurs, intimés en cette Cour, ont interjeté appel à la Cour d’appel et le juge d’appel Evans[2] y a rendu l’arrêt à la fin des débats. Dans un paragraphe de l’arrêt, il est dit:
[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a conclu que les défendeurs avaient sciemment fait une présentation fausse des faits quant aux dépenses d’exploitation avec l’intention que cette présentation fausse incite les demandeurs à agir; il a aussi conclu que, sur la foi de cette présentation fausse les demandeurs avaient effectivement agi à leur détriment. Il y a amplement de preuves pour étayer ces conclusions; et, dans la mesure où il s’y rapporte, l’appel doit être rejeté.
Ce paragraphe renfermait tous les motifs énoncés par la Cour d’appel sur la question de la responsabilité. La Cour d’appel n’a pas été de l’avis du savant juge de première instance quant à l’évaluation des dommages. Il ressort de ce qui précède que l’évaluation a été faite en fonction de dommages subis par suite de la perte d’une bonne affaire. La Cour d’appel a été d’avis qu’en se faisant accorder des dommages, les demandeurs (ici les appelants) avaient le droit de se retrouver dans la même situation où ils auraient été si la présentation des faits en cause n’avait pas été faite mais non dans la situation où ils se seraient trouvés si la présentation avait été faite. Le juge d’appel Evans a ajouté ceci:
[TRADUCTION] La preuve faite au procès concernant la valeur réelle est plutôt fragile. De la façon dont il a procédé, le savant juge de première instance n’a aucunement déterminé quelle était la valeur réelle
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de l’immeuble le 1er avril 1967. A mon avis, sur la base convenable que j’ai expliquée ci‑dessus, il y a preuve à l’appui d’une évaluation des dommages au montant de $4,000.
La Cour d’appel a donc modifié le jugement de première instance en réduisant à $4,000 le montant des dommages-intérêts adjugés aux demandeurs.
Les appelants ont introduit un pourvoi en cette Cour et, dans leur factum, ont demandé que leur soient adjugés des dommages-intérêts de $48,163 de même qu’une indemnité pour ce qu’ils ont appelé des «dommages continus» ainsi que des intérêts au taux de 15 pour cent et une somme importante pour les dépens. Comme je l’ai mentionné, la déclaration des demandeurs ne réclamait que $35,000 en dommages-intérêts.
Les intimés ont interjeté un pourvoi incident demandant infirmation du jugement de première instance et rejet de l’action avec dépens dans toutes les Cours.
Même s’il semble bien qu’une grande partie des débats à la Cour d’appel, et assurément en cette Cour‑ci, ait porté sur l’intéressante question de la mesure convenable des dommages subis, je suis d’avis que le pourvoi doit être décidé sur la question de la responsabilité. Le savant juge de première instance a cité deux courts passages; le premier est tiré du jugement de Lord Herchell dans Derry c. Peek[3], à la p. 374, et se lit ainsi:
[TRADUCTION] Les textes me paraissent établir les principes suivants: premièrement, afin de fonder une action pour tromperie (action of deceit), il faut prouver qu’il y a eu fraude, et rien de moins que cela ne saurait suffire.
Le second est tiré de l’ouvrage Anson on Contract où la «fraude» a été définie comme suit:
[TRADUCTION] La fraude est une fausse présentation de faits, que l’on sait être fausse ou qui est commise avec insouciance, sans la croire vraie, et avec l’intention que la partie qui se dit lésée y donne suite et qui la porte effectivement à y donner suite.
Je crois que ces deux courts passages suffisent pour décider ce pourvoi. Je suis d’avis que, premièrement, les demandeurs n’ont pas prouvé qu’il y eût fausse présentation de faits, que l’on
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savait être fausse, ou commise avec insouciance, sans la croire vraie et, deuxièmement, que pareille présentation ait effectivement incité les demandeurs à y donner suite. Il ne faut pas perdre de vue que l’appelant Parna était, comme je l’ai dit, un exploitant entendu et expérimenté d’immeuble résidentiel, ayant exercé ce genre d’affaires continûment de 1952 à 1967, et qu’à l’époque où il fit l’offre d’achat, il exploitait depuis toute une année un immeuble résidentiel à peu près identique dans la même région du Hamilton métropolitain. Il faut aussi se rappeler que les intimés personnels Albert et Harvie n’étaient pas exploitants d’immeubles résidentiels mais plombiers, et que la propriété en question était le seul immeuble de cette nature qu’ils avaient bâti et qui leur avait appartenu. A mon avis, l’appelant Parna en savait beaucoup plus long que les intimés personnels sur la façon d’exploiter un immeuble d’habitation. Comme je l’ai fait observer, l’appelant Parna avait tâché d’acheter l’immeuble même avant qu’il fût achevé et il savait exactement où en étaient les travaux de construction et à quelle allure on trouvait des locataires. L’appelant savait que, le 16 février 1967, lorsqu’il présenta son offre d’achat, l’immeuble n’avait pas été complètement loué pour un an et qu’en fait les premiers locataires avaient emménagé pas plus d’environ huit mois auparavant. En conséquence, l’appelant savait que les montants figurant sur la Pièce n° 6 et reportés de là à l’annexe de l’offre d’achat n’étaient que des estimations et n’étaient pas des relevés précis soit des recettes soit des dépenses. A propos des dépenses, l’appelant avait signalé qu’il fallait bien que ces estimations — il savait, comme il l’a admis au procès, qu’il s’agissait d’estimations, — soient basses, et c’est pourquoi, afin de démontrer que l’estimation des dépenses était basse, l’appelant a très adroitement choisi le mois où le coût du chauffage serait le plus élevé, à savoir, janvier 1967. En examinant la facture de $345.50 pour ce mois‑là, l’appelant devait savoir que la note du chauffage pour l’année excéderait la somme de $1,500 figurant à la Pièce n° 6. En ne tenant compte du chauffage que pour février, mars, avril, octobre, novembre et décembre, en plus du mois de janvier, de façon à ce que l’évaluation ne dépasse pas $1,500 la moyenne des dépenses
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pour les autres mois serait de $192.50 — ce qui démontre bien que l’estimation de $1,500 ne pouvait guère induire en erreur l’appelant Parna. Quant aux recettes, la Pièce n° 6 était inexacte, et cela l’appelant Parna ne l’ignorait pas car il savait que les locataires avaient déjà été avertis que leur loyer allait être augmenté de $10 par mois et que, de ce côté-là, les recettes de l’immeuble allaient donc être augmentées de $2,880.
En cette Cour, relativement aux trois seuls postes dont l’appelant Parna s’est plaint dans son action, à savoir, le chauffage, l’éclairage et l’eau, l’avocat des intimés a démontré que le véritable excédent dés dépenses sur les estimations n’était pas le montant de $2,386 par année considéré par le juge de première instance mais le montant de $1,868.94 seulement par année. L’appelant Parna a exposé qu’en se fondant sur les évaluations figurant à la Pièce n° 6 et reprises à l’annexe de l’offre d’achat, il a constaté qu’il allait retirer un produit net de 9.64 pour cent de son placement avant le paiement du principal et des intérêts sur l’hypothèque. Si d’une part les dépenses étaient de $1,868.94 supérieures aux estimations et que d’autre part l’augmentation dès loyers projetée dont l’appelant Parna était au courant, augmentait les recettes de $2,880, son bénéfice net s’élèverait à presque 10 pour cent. Comme je l’ai dit, l’appelant dans son témoignage a admis qu’il savait que les chiffres se rapportant à l’éclairage, au chauffage et à l’eau et figurant à la Pièce n° 6 ainsi qu’à l’annexe de l’offre d’achat, étaient purement estimatifs.
Dans ces conditions, les termes précis employés dans la déclaration statutaire que l’appelant Parna a acceptée en remplacement de la preuve à laquelle il avait droit dans l’offre d’achat, deviennent importants. Les intimés personnels ont déclaré que l’Annexe «A» de l’offre d’achat constituait un état financier relatant autant qu’ils le sachent et du mieux qu’ils le puissent faire une estimation précise et équitable du revenu annuel et des dépenses annuelles de la société intimée «compte tenu de l’augmentation périodique des loyers et de l’augmentation périodique des dépenses telles que les taxes», et aussi, qu’aucunes sources réelles de revenu et aucuns déboursés réels n’avaient été omis dans le calcul de l’estimation.
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En raison des circonstances que je viens d’évoquer, je suis d’avis que l’appelant n’a pas prouvé, — comme il lui appartenait de le faire — que l’état financier ne constituait pas une estimation équitable et précise autant que les intimés l’aient su ou aient pu le savoir, et j’estime en outre que l’appelant Parna n’a pas prouvé que l’état eût omis de mentionner quelques dépenses effectivement engagées. Il est vrai qu’à la Pièce n° 5, l’état que les intimés ont produit au procès relativement à l’exploitation de l’immeuble, figurent des dépenses que l’on ne retrouve pas dans ces estimations; mais il s’agit surtout de dépenses qui ne font pas normalement partie des frais d’exploitation d’un imeuble résidentiel, par exemple les achats qui entraient dans le coût de la construction, bien que ces achats eussent été faits chez les mêmes compagnies qui fournissaient le combustible, et la différence entre le montant net et le montant brut des factures. Il est difficile de s’expliquer comment la présentation des faits ait pu être considérée comme fausse à la connaissance des intimés personnels alors que les deux parties savaient que les chiffres n’étaient que des estimations et ne pouvaient être autre chose puisqu’ils étaient censés représenter le coût de l’exploitation d’un immeuble résidentiel durant toute une année alors que pas même un seul locataire n’y avait été occupant durant plus de huit mois.
J’en suis venu à la conclusion que les témoignages de l’appelant Parna lui-même et de l’avocat qui l’a représenté aux fins de l’achat prouvent que l’appelant Parna n’a été d’aucune façon induit en erreur par la présentation des faits, même si elle avait été fausse à la connaissance des intimés, mais qu’un exploitant entendu et intelligent d’immeubles résidentiels, a estimé qu’il pouvait payer $251,000 pour la propriété en question et obtenir de la sorte un pourcentage satisfaisant de bénéfice net. Ce qui paraît confirmer bien nettement pareille conclusion, c’est que même au procès, en novembre 1967, l’appelant Parna a refusé de rétrocéder la propriété, ce qui confirmait la décision qu’il avait prise le 31 mars 1967, alors qu’il avait choisi de conclure le marché sans obtenir la preuve de l’état financier, à laquelle il avait droit d’après les termes mêmes de l’offre d’achat.
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J’en suis donc venu à la conclusion que le demandeur n’a pas prouvé les éléments essentiels d’une action pour tromperie (action for deceit) et c’est sur cette base que l’appelant a fondé son action.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’accueillir le pourvoi incident rejetant l’action. Les intimés ont droit à leur dépens dans toutes les Cours.
Appel rejeté et appel incident accueilli avec dépens.
August Parna et Reta Parna, demandeurs, appelants.
Procureurs des défendeurs, intimés: O’Leary & Zimmerman, Hamilton.
[1] [1969] 2 O.R. 346, 5 D.L.R. (3d) 315.
[2] [1969] 2 O.R. 346, 5 D.L.R. (3d) 315.
[3] (1889), 14 App. Cas. 337.