Cour Suprême du Canada
Avril Holdings Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 601
Date: 1970-11-23
Avril Holdings Limited Appelante;
et
Le Ministre du Revenu National Intimé.
1970: le 15 octobre; 1970: le 23 novembre.
Présents: Les Juges Abbott, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement du Juge Kerr de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], confirmant une décision de la Commission d’appel de l’impôt en matière d’impôt sur le revenu. Appel rejeté.
J.E. Redmond, pour l’appelante.
D.G.H. Bowman et M.J. Bonner, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le pourvoi est à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier1, prononcé par le juge Kerr, lequel confirme une décision de la Commission d’appel de l’impôt qui a maintenu une nouvelle cotisation établie par le Ministre à l’égard du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 1962. Cette nouvelle cotisation ajoute au revenu de l’appelante une somme de $222,320.70, à titre de récupération d’allocations de coût en capital.
Au début de son année d’imposition 1962, l’appelante (alors connue sous le nom de Twin Bridges Sand & Gravel Ltd.) exploitait une entreprise d’extraction, de traitement et de vente de sable et de gravier, surtout aux environs d’Edmonton. L’extraction se faisait dans cinq carrières, une connue sous le nom d’East Side Lands, une autre appelée Entwistle Lands, et les trois autres dites Clover Bar Lands. Le 31 janvier 1962, l’appelante cessa d’exploiter ces carrières, ayant ce jour-là vendu l’entreprise à une autre compagnie nouvellement constituée sous le nom de Twin Bridges Sand and Gravel (1960) Ltd. Le prix de vente correspondait à la valeur comptable et englobait tout l’actif de l’appelante, sauf les terrains susmentionnés, où seuls les droits miniers étaient cédés à la nouvelle compagnie. Sous réserve de ces droits miniers, les terrains que l’appelante possédait en pleine propriété furent vendus à une troisième compagnie, la Clover Bar Lands Company Ltd. Dans le contrat de vente, daté du 2 février 1962, le prix est fixé à $761,841, somme que l’appelante consentit à recevoir en obligations. Celles-ci n’ont pas été livrées immédiatement mais ultérieurement, au cours de l’année d’imposition suivante.
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Le Ministre a jugé que la vente de ces terrains constituait une disposition de «biens susceptibles de dépréciation», au sens du premier paragraphe de l’art. 20 de la Loi de l’impôt sur le revenu et que le montant stipulé au contrat comme prix de vente était le «produit d’une disposition» aux termes de l’al. (c) du par. (5) de l’art. 20. En conséquence, la somme de $222,320.70 précitée fut ajoutée au revenu déclaré de l’appelante, à titre de (TRADUCTION) «récupération du coût en capital lors de la disposition de biens visés par l’Annexe E».
L’appelante invoque comme premier moyen d’appel que les terrains ne sont pas des biens susceptibles de dépréciation. En vertu de l’al. (g) du par. (1) de la règle 1100 des Règlements de l’impôt sur le revenu, le bien susceptible de dépréciation est «une mine de minéral industriel» et l’objet de la vente était un terrain dont, est-il allégué, on ne pouvait dire que c’était une mine puisque les droits miniers avaient préalablement été détachés du fonds et cédés à une autre compagnie. On soutient en outre qu’aux termes de l’Annexe E (selon le texte en vigueur à l’époque), l’allocation qu’envisage la règle doit se calculer uniquement d’après le coût en capital des droits miniers, car il faut la calculer d’après un taux basé sur le coût en capital de la mine moins la «valeur résiduaire», laquelle est définie comme, «la valeur estimative des biens si tout le matériel commercialement exploitable en était enlevé». Il s’ensuit, soutient-on, qu’aucune allocation du coût en capital ou dépréciation n’est accordée à l’égard de la valeur résiduaire.
La première question qui se pose a donc trait à la signification du mot «mine» dans la règle et l’Annexe applicables. S’agit-il de dépôts de minerai exclusivement, comme le soutient l’appelante, ou bien, dans un cas comme celui-ci, du terrain où se trouve le dépôt de minerai? Il ne peut y avoir aucun doute qu’au moment où l’appelante, ou son prédécesseur, a acquis chacune des cinq mines en question, elle a acheté à la fois le terrain et les dépôts de minerai qui s’y trouvaient. Il est clairement démontré que telle est la façon usuelle de procéder dans ce genre d’affaires, et c’est aussi ce qu’envisage l’Annexe E. Si l’acquisition ne portait que sur les droits miniers, il n’y aurait pas de valeur ré-
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siduaire. Il est vrai que, pour établir le taux de l’allocation du coût en capital il faut que cette valeur résiduaire soit défalquée du coût des biens, mais cette allocation n’est pas déclarée être accordée à l’égard d’autre chose que les «biens», c’est-à -dire une «mine de minéral industriel».
Dans Le Ministre du Revenu national c. MacLean Mining Co. Ltd.[2], cette Cour a été appelée à interpréter le mot «mine» figurant au par. (5) de l’art. 83 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle a décidé qu’on ne peut lui donner le sens de «terrain renfermant du minerai», et elle a indiqué également que le mot a plutôt le sens d’«entreprise minière prise dans son ensemble et comprenant des dépôts de minerai, des galeries, du matériel d’exploitation et des machines aptes à produire du minerai». Il faut cependant remarquer que cette conclusion découle du texte de l’article alors à l’étude et dont Pal. (a) du par. (6) exclut spécifiquement, entre autres choses: «une carrière de sable, une gravière». Le texte des dispositions pertinentes à cette affaire-ci est bien différent. Au lieu de mines de métaux qui s’acquièrent ordinairement sous forme de droits miniers, il s’agit ici de «mines de minéral industriel» que, presque invariablement, on obtient en achetant le droit de propriété. De plus, un régime d’allocations complètement différent s’applique, car il s’agit de dépréciation et non d’épuisement. Dans le cadre de l’Annexe E, le mot «mine» n’est manifestement pas employé dans son sens ordinaire pour les mines de métaux, mais dans le sens spécial que lui impartit l’expression «mine de minéral industriel». On a signalé qu’à propos de mines de métaux, le mot «mine» ne signifie pas ordinairement «un terrain renfermant du minerai». Dans le cas présent, il faut noter que dans l’usage courant on ne se sert pas du mot «mine» pour désigner une carrière de sable ou une gravière. Il s’agit donc d’un cas où le mot «mine» n’est évidemment pas employé dans son sens ordinaire. Tout dans l’Annexe E indique qu’on lui donne le sens de terrain renfermant du minerai. C’est ce qui ressort particulièrement de la définition de la «valeur résiduaire», si l’on retient que l’al, (a) du par. (2) indique que les «biens» signifient la «mine».
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2. Le taux pour une année d’imposition est
(a) dans le cas où une allocation n’a pas été accordée au contribuable à l’égard de la mine pour aucune année antérieure, un montant établi en divisant le coût en capital pour le contribuable moins la valeur résiduaire par le nombre total estimatif d’unités de matériel commercialement exploitable que comportent les biens, et… (Les italiques sont de moi)
Dans Highway Sawmills Ltd. c. Le Ministre du Revenu national[3], cette Cour a décidé que les dispositions visant la récupération s’appliquaient à une concession forestière vendue après que tout le bois vendable en eut été enlevé. L’alinéa (e) du par. (1) de la règle 1100 et l’Annexe C visant les concessions forestières sont presque identiques à l’al. (g) du par. (1) de la règle 1100 et à l’Annexe E. La seule différence notable c’est qu’on y fait mention non seulement d’une «concession forestière» mais aussi du «droit de coupe de bois dans une telle concession». Cette différence ne semble pas importante et ne peut avoir influé sur la décision définitive en l’affaire, vu que les biens étaient des terrains possédés en pleine propriété, tout comme dans le cas actuel. L’avocat de l’appelante a voulu «distinguer» cette décision en arguant que l’allocation du coût en capital y avait été réclamée et accordée à cause de l’absence de valeur résiduaire, le contribuable ayant l’habitude de laisser vendre ses terrains pour taxes après en avoir enlevé le bois vendable. A mon avis cette distinction ne tient pas, car l’arrêt en cette affaire-là se fonde sur l’interprétation et sur les conséquences de la règle et de l’Annexe pertinentes et le fait que la valeur résiduaire ait été jugée inexistante n’entrait pas en ligne de compte. Rien ne nous autorise à supposer qu’un contribuable puisse, par l’établissement d’une valeur résiduaire, se soustraire à l’application des dispositions visant la récupération. Une telle valeur n’est rien de plus qu’une estimation; elle ne constitue pas un bien distinct.
Le second moyen d’appel c’est que, puisque le prix de vente devait être payé au moyen d’obligations, ce prix ne doit pas être considéré comme le montant en espèces mentionné dans l’acte de vente, mais il faut rechercher la valeur des obli-
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gations. Cette valeur n’a pas été établie bien qu’on ait tenté de prouver par des témoins qu’elles ne valaient rien du tout. A mon avis, le juge Kerr a eu tout à fait raison de ne pas tenir compte de ces dépositions. Il est clair que, même si ces obligations n’étaient pas aisément négociables, elles avaient une valeur appréciable, et on n’a pas démontré que leur valeur pour l’appelante fût inférieure au coût en capital des biens vendus. De plus, en vertu de l’al. (c) du par. (5) de l’art. 20 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le «produit d’une disposition» de biens comprend
«(i) le prix de vente des biens qui ont été vendus,».
Au cours des débats, on a cité le par. (1) de l’art. 24 qui se lit comme suit:
24. (1) Lorsqu’une personne a reçu un titre ou autre droit ou un certificat ou autre preuve de dette, en totalité ou en partie, à titre ou en remplacement du paiement ou en acquittement d’un intérêt, dividende ou autre dette alors exigible et dont le montant, s’il avait été payé, serait inclus dans le calcul de son revenu, la valeur du titre, du droit ou de la dette ou de la partie applicable en l’espèce doit, nonobstant la forme ou l’effet juridique de l’opération, être comprise dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition où il a été reçu; et un paiement en remboursement du titre ou en exécution du droit ou en acquittement de la dette n’est pas compris dans le calcul du revenu du bénéficiaire.
Cet article ne saurait s’appliquer ici car le paiement à l’égard duquel l’appelante a reçu les obligations n’en est pas un qu’elle doive inclure dans le calcul de son revenu. Autrement, c’est le montant intégral, moins la «valeur résiduaire», qu’il faudrait ajouter à son revenu, et non pas uniquement la récupération du coût en capital.
A mon avis, cette observation écarte également le dernier moyen d’appel, à savoir, que l’appelante n’a pas reçu, au cours de l’année d’imposition 1962, le produit de la disposition des biens, parce que les obligations lui ont été remises seulement après la fin de cette année-là . La date de la remise des obligations n’aurait d’importance que si la cotisation s’appuyait sur l’application du par. (1) de l’art. 24. Ici, comme conséquence de la signature du contrat de vente des terrains, l’appelante a aussitôt acquis le droit de recevoir le
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prix prévu au contrat. Aux termes de l’al. (c) du par. (5) de l’art. 20, c’est le «produit d’une disposition». Lorsqu’on achète un bien susceptible de dépréciation, le fait que le prix d’achat puisse être payable, en tout ou en partie, à une date ultérieure, ne prive généralement pas le contribuable du droit de réclamer l’allocation du coût en capital fondée sur le prix global. Nous n’avons pas à nous demander si la situation pourrait être différente dans le cas de contribuables dont les comptes s’établissent sur une «comptabilité de caisse»; ici, on a admis que l’appelante utilise la «comptabilité d’exercice». Il est donc difficile de concevoir comment on peut prétendre qu’il est erroné de cotiser pour récupération durant l’année même où la vente a lieu, quelle que soit la date où le paiement du produit de la disposition des biens est effectivement exigible. Cela ne serait pertinent que si la vente avait eu lieu «dans le cours de l’entreprise», car c’est uniquement dans ce cas que l’al. (d) du par. (1) de l’art. 85B permet une réserve. En fait, l’avocat de l’appelante a renoncé à soutenir que cette disposition pourrait s’appliquer, lorsqu’il a déclaré qu’il ne prétendait pas que la vente ait eu lieu dans le cours d’une entreprise. Enfin, il faut remarquer que le par. (3d) de l’art 11 laisse clairement entendre que le «produit de la disposition de biens susceptibles de dépréciation» comprend un prix de vente exigible à une date ultérieure, car il s’y trouve une disposition prévoyant une déduction pour l’année où le montant exigible devient une mauvaise créance.
Pour ces motifs, je suis d’avis que le pourvoi doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Bishop, McKenzie, Jackson, Redmond & Bentley, Edmonton.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1969] C.T.C. 397, 69 D.T.C. 5263.
[2] [1970] R.C.S. 877, [1970] C.T.C. 264, 70 D.T.C. 6199, 11 D.L.R. (3d) 754.
[3] [1966] R.C.S. 384, [1966] C.T.C. 150, 66 D.T.C. 5116, 56 D.L.R. (2d) 652.