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21/12/1970 | CANADA | N°[1971]_R.C.S._577

Canada | Silver’s Garage Ltd. c. Town of Bridgewater, [1971] R.C.S. 577 (21 décembre 1970)


Cour Suprême du Canada

Silver’s Garage Ltd. c. Town of Bridgewater, [1971] R.C.S. 577

Date: 1970-12-21

Silver’s Garage Limited (Demanderesse) Appelante;

et

Town of Bridgewater (Défenderesse) Intimée.

1970: le 21 octobre; 1970: le 21 décembre.

Présents: Les Juges Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ECOSSE

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse[1], confirmant un jugement du Juge en Chef Cowan rejetant

l’action de l’appelante qui réclamait le prix de biens qu’elle alléguait avoir vendus et livrés à l’intimée. Appel rejeté...

Cour Suprême du Canada

Silver’s Garage Ltd. c. Town of Bridgewater, [1971] R.C.S. 577

Date: 1970-12-21

Silver’s Garage Limited (Demanderesse) Appelante;

et

Town of Bridgewater (Défenderesse) Intimée.

1970: le 21 octobre; 1970: le 21 décembre.

Présents: Les Juges Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ECOSSE

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse[1], confirmant un jugement du Juge en Chef Cowan rejetant l’action de l’appelante qui réclamait le prix de biens qu’elle alléguait avoir vendus et livrés à l’intimée. Appel rejeté, les Juges Hall et Laskin étant dissidents.

H.F. Jackson, c.r., pour la demanderesse, appelante.

D.R. Chipman, c.r., pour la défenderesse, intimée.

Le jugement des Juges Ritchie, Spence et Pigeon a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est à l’encontre d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour

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suprême de la Nouvelle-Écosse, laquelle avait confirmé un jugement, rendu en première instance par le Juge en chef Cowan, qui rejetait l’action de l’appelante réclamant le prix d’un chasse-neige qu’elle alléguait avoir vendu et livré à la ville de Bridge-water.

Les circonstances à l’origine du présent litige sont exposées au long dans le jugement du savant juge de première instance et récapitulées de façon passablement détaillée dans les motif s du jugement rendu par le Juge Cooper au nom de la Chambre d’appel. Ces motifs sont consignés dans 8 D.L.R. (3d) 243, 1 N.S.R. (2d) 161. Je me contenterai donc d’exposer les faits les plus importants, à mon avis, concernant la question majeure, celle de savoir si la ville de Bridgewater a, oui ou non, passé un contrat, explicite ou implicite, en vue d’acheter de l’appelante la machine en question.

L’appelante est une compagnie faisant des affaires dans la ville de Bridgewater où elle occupe des locaux rue La Have; et il est manifeste, selon le témoignage de son secrétaire‑trésorier, M. Harold Silver, que depuis la fin de 1966 ou le début de 1967, il tâchait, au nom de l’appelante, d’intéresser la ville à acheter un appareil devant servir à enlever la neige de ses trottoirs. Dans ce dessein, M. Silver, après quelques entretiens avec l’ingénieur municipal et le surintendant des rues de la ville de Bridgewater, fit venir une machine connue sous le nom de «Cub Cadet», munie d’une souffleuse, et en fit démontrer le fonctionnement en présence du maire, de trois conseillers municipaux, de l’ingénieur et du surintendant des rues. Malheureusement, la démonstration échoua et la machine fut retournée à l’appelante. M. Silver rapporte qu’après cela il entra en négociations avec l’ingénieur et le surintendant des rues et, en conséquence, le 17 novembre 1967, sa compagnie commanda un tracteur, une cabine de conducteur, un pousse-neige, et une cabine Syms puis, le 28 novembre, une souffleuse.

Avant le 28 décembre, le Silver’s Garage avait reçu tout cet équipement. Il y avait alors beaucoup de neige sur le sol et, selon M. Silver, l’ingénieur et le surintendant des rues avaient hâte de mettre la machine à l’œuvre mais ce n’est que le 15 janvier que deux employés municipaux

[Page 582]

subalternes vinrent au garage et emportèrent la machine afin de déneiger et de nettoyer les trottoirs. Une charrue Anderson, qui avait également été commandée, n’arriva que le 18 janvier et ne fut mise à l’essai que le 20. Jusqu’à cette date, tout l’équipement semble avoir été remisé au Silver’s Garage durant presque tout le temps où il n’était pas utilisé. Un des employés municipaux déclare que pour plus de commodité et à la suggestion de M. Silver, l’équipement a été transporté au garage de la ville, apparemment le 20 janvier ou vers cette date.

Le 25 janvier, le Silver’s Garage adressait à la ville de Bridgewater un document intitulé «PROPOSITION» où il était dit, entre autres choses:

[TRADUCTION] Nous sommes heureux de vous faire, en vue de votre acceptation dans les dix jours à compter de la présente date, des prix et conditions de paiement relativement aux camions motorisés et à l’équipement International décrits ci-dessous…

Suit une description de l’équipement ci-dessus mentionné et le prix net global de $5,700. Le document se termine par l’alinéa suivant:

[TRADUCTION] Nous vous remercions de vos bons procédés à notre égard et nous espérons être honorés d’un accueil favorable à notre proposition. Votre acceptation de cette proposition ne nous liera que sur approbation écrite de la présente proposition par l’un de nos gérants régionaux, directeurs des ventes ou directeurs de succursale.

Respectueusement,

Pour l’International Harvester Company of Canada: Silver’s Garage Limited

Or la ville de Bridgewater n’a jamais accepté cette proposition, laquelle n’a jamais été non plus approuvée par écrit par l’un quelconque des gérants ou directeurs en question. M. Silver a affirmé que cette «PROPOSITION» était en fait une facture de l’équipement qu’il avait fourni à la ville, mais il faut se rappeler qu’à ce moment-là M. Silver n’avait pas traité avec la ville de Bridgewater en tant que telle et que, dès le début, ses démarches avaient pour point de départ des entretiens qu’ils avait eus avec un ou deux conseillers particuliers, avec l’ingénieur et le surintendant des travaux, et qu’aucun d’eux n’avait qualité pour

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agir au nom de la ville ou ne prétendait avoir qualité à cette fin. Dans ces conditions, il me semble que M. Silver ne peut pas du tout prétendre que le document envoyé à la ville le 20 janvier était destiné à servir de facture ou était une facture. Ce document était la première communication que l’appelante avait eue avec la ville, et il n’eut d’autre effet que d’exprimer l’espoir de la compagnie que la ville consentirait à acheter l’équipement qui lui était ainsi offert.

L’acheteur municipal, qui n’était pas autorisé à acheter l’équipement en question, a témoigné que les prévisions budgétaires municipales de 1968, établies en mars, comprenaient, sous la rubrique «immobilisations», un crédit de $5,800 «pour quelque chose comme une souffleuse pour le déneigement des trottoirs,» et de $1,400 pour un accessoire à balayer, mais le greffier de la ville, dans son témoignage, a nettement précisé qu’il s’agissait là de prévisions budgétaires qui n’ont jamais été considérées comme engageant la ville à acheter le matériel en question.

L’appelante s’est, dans une certaine mesure, fiée à ce qu’à la réunion du conseil municipal le 28 février, «le rapport de l’ingénieur pour le mois de janvier a été accepté sur motion des conseillers Johnson et Kydd», mais on fait observer que le seul passage pertinent dans ce rapport se lit ainsi:

[TRADUCTION] Que le garage a fait un prix pour l’achat d’un petit tracteur, d’une charrue et d’une souffleuse pour le déblaiement des trottoirs. Après la prochaine grande chute de neige, le comité des rues examinera cet équipement et fera connaître son avis au conseil. Les dépositaires des produits Bobcat et Bombardier sont également disposés à nous envoyer une machine à mettre à l’essai après la prochaine grande chute de neige.

Durant le restant de l’hiver 1968, il n’y eut aucune tempête assez forte pour permettre un essai de l’équipement en question, de sorte qu’aucune recommandation ne fut faite au conseil à la suite du rapport de l’ingénieur.

Au cours de la réunion mensuelle habituelle du conseil municipal, le 13 mai 1968, alors que l’équipement se trouvait encore dans le garage de la ville, le conseil municipal rejeta une résolution

[Page 584]

proposant l’achat de cet équipement et, moins de deux jours après, l’appelante adressait sa seconde communication à la ville de Bridgewater. Il ne s’agissait pas d’une proposition faite au nom de l’International Harvester Company of Canada, mais d’un état de compte de Silver’s Garage Limited détaillant chaque pièce d’équipement et stipulant le même prix net de $5,700. La ville renvoya cet état de compte en soulignant que la résolution recommandant l’achat de cet équipement avait été rejetée et, le 28 mai, le greffier de la ville adressait un avis à l’appelante lui enjoignant de venir tout de suite enlever ses machines entreposées dans les locaux municipaux.

Il y a deux autres petits éléments de preuve qui me semblent avoir quelque importance à l’égard de la question soulevée par le présent pourvoi. Tout d’abord, puisque M. Silver insiste qu’il a vendu l’équipement à la ville au plus tard le 9 janvier 1968, on est surpris de l’entendre témoigner qu’à un moment donné après l’établissement des prévisions budgétaires de 1968, en mars, sa compagnie savait que le conseil n’avait pas pris de décision en la matière, et il affirme: [TRADUCTION] «Le conseil semblait remettre l’affaire à plus tard à cause de besoins plus importants. Nous attendions. Peut-être n’aurions-nous pas dû attendre». A l’instruction on lui a démandé:

[TRADUCTION] Q. Et c’est encore là votre attitude?

R. Oui.

Q. Vous attendiez patiemment leur décision, n’est-ce pas?

R. Oui.

Le Juge Cooper, de la cour d’instance inférieure, s’est reporté à une autre partie du témoignage: c’est que vers la fin de février 1968, l’ingénieur de la ville a donné à entendre à M. Silver qu’il pourrait songer à réclamer de la ville des frais de location pour l’usage de l’équipement en attendant que la ville ait pris une décision au sujet de l’achat et ait mis à l’essai quelque autre équipement. L’ingénieur de la ville n’a pas pu se rappeler au juste en quels termes M. Silver a repoussé cette proposition, mais il a déclaré: [TRADUCTION] «Il a dit quelque chose comme «Oh, ne vous occupez pas de ça» ou quelque chose de ce

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genre». Après le rejet de la résolution le 13 mai, le surintendant des rues essaya, sur les instructions du maire, de retourner l’équipement à Silver’s Garage, mais M. Silver refusa de le reprendre sous prétexte que la ville l’avait acheté. Il y eut procès devant jury; celui-ci a répondu ainsi aux questions suivantes:

[TRADUCTION] 1. La ville de Bridgewater a-t-elle gardé cet équipement de Silver’s Garage Limited durant une période de temps déraisonnablement prolongée?

R. Oui.

2. (a) Y a-t-il eu convention, expresse ou implicite, entre les parties, soit la ville de Bridgewater et Silver’s Garage, visant l’achat de l’équipement en question?

R. Oui, implicitement à cause de la longueur de temps pendant laquelle la ville de Bridgewater a utilisé l’équipement en question.

(b) Dans le cas de l’affirmative, de quelle façon et à quel moment y a-t-il eu convention, et qui prétendait agir au nom de la ville de Bridgewater?

R. A cause de prise de contact, durant cette période, de la part de MM. Lusby et Beck, agissant au nom de la ville de Bridgewater.

Se fondant sur l’ordonnance XXXIV, règle 32 des Règles de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, le savant juge de première instance a trouvé que les réponses aux questions 2(a) et 2(b) étaient iniques et qu’aucun jury avisé ne pouvait raisonnablement rendre un tel verdict sur examen de l’ensemble de la preuve, mais il a estimé qu’il existait quelque élément de preuve pouvant motiver la conclusion où en était venu le jury à l’égard de la première question. La compétence du savant juge de première instance pour se prononcer ainsi sur les questions 2(a) et 2(b) n’a pas été contestée devant cette Cour; et l’appelante repose sa thèse sur la conclusion retenue, celle où il est dit que la ville est demeurée en possession de l’équipement durant une période de temps déraisonnablement prolongée.

A ce propos, le principal argument de l’appelante c’est que d’après les dispositions de la règle 4 de l’art. 20 de la Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274, la réponse du jury à la question n° 1 doit être considérée comme une

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conclusion portant que la propriété de l’équipement en cause était dévolue à la ville de Bridge-water. Les dispositions pertinentes de Fart. 20 se lisent ainsi:

[TRADUCTION] 20. Sauf intention contraire manifeste, les règles suivantes serviront à déterminer l’intention des parties pour ce qui est du moment où la propriété des biens échoit à l’acheteur.

Règle 4. Lorsque des biens sont livrés à l’acheteur à l’essai, ou à la condition «vente ou retour», ou à d’autres conditions analogues, la propriété de ceux-ci échoit à l’acheteur,

(b) s’il ne signifie pas son approbation ou son acceptation du vendeur, mais conserve les biens sans donner avis de son refus, puis, si un délai a été fixé pour le retour des biens, à la fin de ce délai, et, si aucun délai n’a été fixé, à la fin d’un délai raisonnable. La durée d’un délai raisonnable est une question de fait.

A mon avis, les dispositions de cette règle ne servent qu’à déterminer à quel moment la propriété échoit à l’acheteur en vertu d’un contrat ou d’une convention de vente «à Fessai ou à la condition «vente ou retour» ou à d’autres conditions analogues». Avant de pouvoir invoquer cette règle il faut, à mon avis, démontrer l’existence de pareil contrat ou de pareille convention entre l’appelante et la ville de Bridgewater et, comme nous le verrons plus loin, j’estime que le seul moyen de prouver cela ce serait de démontrer que la ville, par une résolution adoptée en son conseil, a accepté la proposition que lui faisait, le 25 janvier 1968, la Silver’s Garage Ltd., ou que le conseil municipal a autorisé l’ingénieur de la ville ou son adjoint, quelque membre du conseil, ou plus d’un de ses membres, à conclure pareille convention au nom du conseil.

Bridgewater est une ville constituée en corporation et, à ce titre est assujettie à la loi Towns Act, R.S.N.S. 1967, c. 309 (ci-après appelée la Loi). C’est donc une corporation publique statutaire comprenant ses habitants et administrée par son conseil municipal, composé du maire et d’au moins six conseillers qui sont élus par les habitants et qui sont législativement autorisés à exercer les pouvoirs conférés à la ville par la Loi. (voir les articles 3, 7 et 19 (1) de la Loi).

A mon sens, il importe dès l’abord de se rendre compte qu’une ville constituée en corporation et

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assujettie à la Loi n’est pas dans la même position juridique qu’une personne ou une société à responsabilité limitée; ce sont les habitants qui constituent la corporation (voir l’art. 3), et les pouvoirs qui lui sont conférés par la législature doivent être exercés par ses dirigeants élus (c’est-à-dire le conseil municipal) de la façon prescrite par la Loi. A cet égard, j’appliquerais aux villes régies par la Towns Act le bref passage suivant qui figure à 14 C.E.D. (Ont. 2e), p. 413:

[TRADUCTION] Tous pouvoirs, droits et devoirs municipaux sont exercés, appliqués ou accomplis par le conseil soit directement, soit par l’intermédiaire des fonctionnaires et préposés qui y sont autorisés soit par délégation du conseil, soit directement par la législature.

Je n’ai aucun doute que la ville avait le pouvoir d’acheter le chasse-neige en question à condition que ce pouvoir fût exercé par l’entremise du conseil municipal. A ce sujet, voici ce que dit l’art. 112 de la Loi:

[TRADUCTION] 112. Le conseil possédera exclusivement le pouvoir de voter, imposer, percevoir, recevoir, affecter et payer toutes sommes d’argent requises par la ville aux fins suivantes, à savoir:

(ab) toutes autres dépenses engagées dans l’exercice normal des pouvoirs et fonctions conférés ou imposés à la ville, ou au maire, au conseil municipal ou aux fonctionnaires de la ville, par la présente Loi ou par quelque autre Loi de la législature;…

Je crois qu’il importe de noter également les dispositions de l’art. 171 de la Loi qui porte spécifiquement sur le déneigement des trottoirs et prescrit que:

[TRADUCTION] 171. Le conseil municipal peut, aux frais de la ville, faire en sorte de déneiger et déglacer les trottoirs, caniveaux, voies ou places publiques, dans tous secteurs de la ville qui seraient désignés par résolution du conseil.

La ville n’est pas expressément autorisée à adopter des règlements régissant l’achat d’équipement de déneigement (voir l’art. 221) mais l’absence de disposition exigeant l’adoption d’un règlement à cette fin précise ne signifie pas qu’aucune formalité ne soit requise ou que les affaires des habitants, lesquels élisent les conseillers municipaux, peuvent être administrées au gré et aux caprices de conseillers ou employés munici-

[Page 588]

paux particuliers. En vertu du par. (2) de l’art. 27 de la Loi, toute question soulevée au conseil doit être décidée par un vote majoritaire des conseillers et, je l’ai dit, la ville ne pouvait passer un contrat d’achat de l’équipement en cause sans agir collectivement par voie d’un quorum de ses représentants élus.

Étant donné qu’en général la ville ne peut s’engager en droit que par un acte positif manifesté par un vote majoritaire des membres du conseil, il me semble logique d’en conclure que si le conseil s’est complètement abstenu d’agir dans une situation donnée, on ne peut considérer cette omission comme ayant eu pour effet de modifier la situation donnée, on ne peut considérer cette omission comme ayant eu pour effet de modifier la situation juridique de la ville. Par conséquent, à mon avis, on ne peut prétendre que le conseil a exercé le pouvoir que possède la ville d’acheter une pièce d’équipement simplement parce que l’on a permis que cet équipement demeure sur la propriété municipale, à la demande du vendeur, sans qu’aucune mesure ne soit prise pour l’enlever.

Je ne prétends pas que la ville doive adopter une résolution distincte pour chaque pièce d’outillage dont elle a besoin, mais dans ce cas-ci il ressort clairement que la ville a délégué pareille autorité à l’acheteur municipal, M. Lawrence Selig. Personne ne va contester jusqu’à quel point la ville peut ainsi déléguer pareille autorité en vue de l’exécution courante de ses affaires, mais le témoignage de M. Selig lui-même montre clairement qu’il n’était pas autorisé à acheter l’équipement de déneigement en question, et qu’il n’avait pas reçu d’autorisation à cette fin de la part du conseil municipal.

Dans l’affaire Waterous Engine Works Co. c. Town of Palmerston[2], la municipalité avait commandé une pompe à incendie. Or, bien qu’il y eût un contrat de passé pour la fabrication de cette pompe et bien que la pompe eût été livrée à la ville pour être mise à l’essai, il fut néanmoins décidé que, en dépit du fait que la ville eut gardé la pompe durant un mois à l’hôtel de ville, en l’absence d’un règlement comme l’exige l’Ontario Municipal Act, on ne pouvait prétendre que le

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contrat fût parachevé par acceptation; la demande du fabricant réclamant le prix de la pompe fut donc rejetée. Cette cause est à plusieurs égards analogue à celle-ci, et il convient de remarquer qu’en cette Cour le Juge Strong, confirmant les jugements de première instance et d’appel, a décidé qu’il s’agissait d’un contrat à parfaire et que [TRADUCTION] «Dans ces conditions, il s’ensuit inévitablement qu’il n’y a jamais eu de contrat qui obligeât la municipalité quant à l’achat de cette pompe à incendie.»

L’appelante a invoqué une série de causes auxquelles le savant juge de première instance s’est reporté dans ses motifs: il y est question de municipalités qui étaient tenues d’agir par voie de règlements municipaux et dont les contrats devaient être scellés; et cependant il y a été décidé que des contrats approuvés par résolution du conseil municipal et qui avaient été pleinement exécutés par l’autre partie contractante étaient exécutoires nonobstant l’absence de règlement municipal ou du sceau. Toutefois comme le savant Juge en chef l’a souligné, dans toutes ces causes il y avait une résolution du conseil approuvant le contrat et tout ce qui manquait c’était la formalité relative au sceau ou au règlement. (Voir Lawford v. Billericay Rural District Council[3]; East Middlesex District High School Board v. London Board of Education[4], et l’affaire Bernardin v. Municipality of North Dufferin[5], où le Juge Gwynne a rappelé en détail nombre d’autres causes semblables).

Après avoir lu un grand nombre d’ouvrages et d’arrêts, je suis convaincu que lorsqu’une municipalité a passé un contrat en vertu d’une résolution de son conseil, l’absence d’un règlement ou d’une convention revêtue du sceau n’invalide pas nécessairement la réclamation de l’autre partie contractante lorsque celle-ci a rempli ses obligations contractuelles et que la municipalité a accepté d’en profiter.

Dans ce cas-ci, aucune résolution du conseil n’a été adoptée pour autoriser ce contrat et rien n’indique que le conseil a agi collectivement de quelque façon que ce soit en ce qui concerne l’achat de l’équipement en cause.

[Page 590]

Quant à la prétention de la demanderesse que les circonstances actuelles devraient être considérées comme une preuve de l’existence d’un contrat exécuté vu l’usage intermittent qui a été fait de l’équipement pour déblayer les trottoirs et son entreposage au garage municipal, je partage l’avis brièvement exprimé par le Juge Cooper dans les motifs du jugement qu’il a rendu au nom de la Cour d’appel:

[TRADUCTION] En bref, il faut qu’il y ait un contrat avant que l’on puisse dire qu’il est exécuté; or dans ce cas-ci il n’y a aucun contrat, exécuté ou à parfaire.

A l’appui du présent pourvoi on a également soutenu que la conclusion retenue du jury, portant que la ville avait gardé l’équipement au-delà d’un délai raisonnable, doit s’interpréter comme signifiant que la ville, en tant que dépositaire de biens (bailee), est devenue acheteuse parce qu’elle a omis de retourner l’équipement ou de rejeter l’offre plus tôt. Alléguer cela c’est prétendre que la ville, en permettant que l’équipement reste dans son garage, doit être considérée comme ayant accepté l’offre de l’appelante, et qu’en l’espèce son silence équivalait à un consentement. En l’absence de contrat explicite visant l’achat de l’équipement, la ville aurait légalement eu le droit d’adopter la résolution du 13 mai 1968 et d’enjoindre à l’appelante d’enlever sans délai ses machines du garage municipal, sauf si l’on peut dire que ce droit était annulé du fait que la ville, par son acquiescement tacite, avait accepté l’offre de l’appelante, mais pour étayer cet argument il faut, à mon avis, établir que l’appelante croyait à tort que la ville avait effectivement accepté les machines.

Dans l’affaire Toronto Electric Light Co. v. City of Toronto[6], la compagnie d’éclairage électrique était autorisée en vertu d’une loi à construire des ouvrages servant à la distribution de l’électricité dans les rues de certaines villes et municipalités [TRADUCTION] «Sous réserve de toute convention y relative entre la compagnie et lesdites municipalités respectivement et en conformité et sous réserve de tout règlement des conseils desdites municipalités». La compagnie d’éclairage, agissant apparemment avec le con-

[Page 591]

sentement de certains fonctionnaires de la ville, mais sans aucune convention attestée par une résolution ou autrement avec la ville elle-même, avait érigé dans les rues de la ville des poteaux et autres ouvrages que la ville voulait enlever. Malgré l’absence de consentement explicite de la part de la ville, la compagnie d’éclairage allégua que la ville avait consenti à l’installation des ouvrages d’électricité; en première instance le Juge Middleton[7] rendit une ordonnance interdisant à la ville d’enlever de certaines des rues les poteaux de la compagnie. Lors de l’appel, le Juge en chef Meredith a parlé de la défense de fin de non-recevoir (estoppel) par acquiescement, dans un bref alinéa, p. 285:

[TRADUCTION] Pour invoquer une fin de non-recevoir (estoppel) il faut que la personne qui l’invoque se soit méprise quant à ses propres droits juridiques et ait dépensé de l’argent ou accompli quelque action sur la foi de cette méprise; et il faut que la personne à l’encontre de qui la fin de non-recevoir est invoquée ait été au courant de ses propres droits et de la méprise de l’autre personne, et l’ait encouragée à dépenser l’argent ou à accomplir quelque autre action, soit directement, soit en s’abstenant de faire valoir son droit juridique…

A cet égard il s’appuie sur l’alinéa relatif à «l’acquiescement» de Halsbury’s Laws of England, qui se trouve maintenant dans la 3e édition, vol. 14, pp. 638 et 639, lequel, à son tour, se fonde en grande partie sur la cause bien connue de Willmott v. Barber[8], où le Juge Fry disait, p. 101: [TRADUCTION] «La doctrine d‘equity de l’acquiescement repose sur ce qu’une erreur de fait a été commise.»

Dans l’affaire Toronto Electric Light Co., précitée, le Juge d’appel Hodgins cite dans ses motifs l’examen très étendu des éléments ou conditions de la doctrine de l’acquiescement fait par le Juge Fry; mais comme ce passage a été cité au long et approuvé dans un jugement unanime de cette Cour dans Canadian Superior Oil Ltd. et al. v. Paddon-Hughes Development Co. Ltd.[9], et comme il a été cité de nouveau au long dans les motifs du jugement rendu au nom de cette Cour

[Page 592]

dans la cause Sohio Petroleum Co. et al. v. Weyburn Security Co. Ltd.[10], je ne pense pas avoir à le reprendre.

A mon avis, dans le cas qui nous occupe, l’appelante n’a, à aucun moment, agi en croyant à tort que la ville avait accepté d’acheter son équipement. C’est Harry Silver au nom de l’appelante qui avait proposé que l’équipement soit transporté au garage de la ville et l’appelante savait tout au long que cet équipement ne pouvait être vendu sans que le conseil municipal ait adopté une résolution autorisant l’achat.

Je partage l’avis du Juge Cooper, qui déclare à 8 D.L.R. (3d) p. 259:

[TRADUCTION] Indépendamment de ce que j’ai déjà dit, il me semble que l’appelante comprenait bien qu’elle ne pouvait compter avoir fait une vente avant que le conseil ait décidé, par voie de résolution, d’acheter le matériel de déneigement. L’ingénieur de la ville lui conseilla de réclamer un certain prix pour la location de l’équipement, mais il a repoussé cette proposition. On peut raisonnablement présumer que s’il a refusé de louer l’équipement c’est qu’il espérait et comptait pouvoir plutôt le vendre et attendait durant tout ce temps une décision du conseil. Au contre-interrogatoire il a déclaré: «Nous estimions qu’il ne s’agissait plus pour eux que de prendre une décision»; et j’ai déjà cité la question que lui a posée l’avocat de la ville: «Vous attendiez patiemment leur décision, n’est-ce pas?» à quoi il a répondu: «Oui».

Dans ces conditions, à mon avis, la question d’acquiescement ne peut se poser.

Comme le Juge Cooper, je ferai mienne la déclaration du Juge Rogers dans Eastern Securities Co. v. City of Sydney[11],:

[TRADUCTION] Je ne suis pas convaincu non plus que le contrat a été ratifié par le conseil. Rien dans le procès-verbal ne l’indique et une corporation ne peut agir sur approbation de membres particuliers qui n’agissent pas collectivement par l’entremise du quorum prescrit. Le greffier de la ville a affirmé que c’était la première fois que le comité des finances était autorisé à vendre des obligations; et, je le note avec satisfaction, il ajoute: «en général c’est le conseil qui s’en occupe, en séance publique.» Les

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corporations municipales sont les déléguées du gouvernement chargées de s’acquitter des tâches et d’exercer les fonctions que la loi impose comme fiduciaires des habitants d’une localité particulière. Or je l’ai déjà dit, quiconque traite avec elles doit à ses propres risques s’assurer que l’organisme légal qui prend sur lui de déléguer à des comités ou à des personnes d’importantes fonctions comportant l’exercice de discrétion, a effectivement la faculté de déléguer ainsi des fonctions, et que la personne avec qui il traite est nantie de l’autorité requise licitement déléguée de la sorte. En l’absence d’une plaidoirie détaillée sur ces points, je me contente de déclarer que je doute très sérieusement que, pour ces autres raisons, le contrat soit exécutoire. D’autres considérations s’appliquent aux entreprises et compagnies privées et il suffit parfois de circonstances minimes pour faire entrer en jeu les principes de l’acquiescement et de la fin de non-recevoir (estoppel) en vue de valider les actes de quelqu’un qui prétend qu’il agit au nom de telles corporations mais au-delà des pouvoirs qui lui ont été conférés; mais, de par la nature des choses, ces principes peuvent rarement s’appliquer à des organismes publics dont les pouvoirs sont délibérément circonscrits dans l’intérêt public.

Bien que cette déclaration ne fût pas strictement nécessaire à la décision de la cause dont il était saisi, laquelle se fondait sur la doctrine de l’ultra vires, je suis tout de même convaincu, comme le Juge Cooper, que les propos du Juge Rogers s’appliquent directement aux circonstances qui ont été établies dans ce cas-ci.

Si l’appelante avait intenté son action en alléguant que la ville était en quelque sorte obligée de payer des frais de location, ou si l’appelante avait entamé une action en recouvrement de dommages subis par l’équipement en raison de détérioration par l’usage de ce matériel dans les rues de la ville, d’autres considérations auraient pu intervenir, mais dans ce cas-ci l’appelante n’a pas réclamé de frais de location ni d’indemnité pour quelque dommage subi par son équipement pendant sa mise à l’essai dans les rues de la ville. La réclamation porte uniquement sur le prix des biens et de l’équipement vendus et livrés à la ville et, comme je l’ai dit, je suis d’avis que cette réclamation n’est pas étayée par les éléments de preuve.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

[Page 594]

Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN (dissident) — Mon avis en cette cause diffère de celui des cours d’instance inférieure et de celui qui ressort de la réponse du jury à la dernière des questions qui lui ont été posées. En fait, il me paraît que la dernière réponse portant que MM. Lusby et Beck, respectivement ingénieur de la ville et surintendant des travaux municipaux, furent les personnes qui passèrent le contrat au nom de la ville, est à la base de la tournure qu’a prise cette cause dans les motifs du Juge en chef Cowan, de la division de première instance, et aussi dans ceux du Juge Cooper, de la Chambre d’appel de la Nouvelle-Ecosse[12].

Le point en litige dans le présent pourvoi est simplement celui de savoir si la ville intimée avait acheté le chasse-neige de l’appelante ou si elle en demeura tout au plus la dépositaire (bailee). L’avocat de l’intimée a exposé en quatre mots l’essence de son point de vue lorsqu’il a affirmé qu’en l’espèce la ville était «essayeuse, non pas acheteuse», et qu’elle avait le droit de retourner l’équipement après l’avoir mis à Fessai. Dans leurs jugements, les cours d’instance inférieure se sont fondées sur la nécessité qu’il y avait de trouver une demande autorisée, adressée à l’appelante, et priant celle-ci de fournir le chasse-neige à la ville pour qu’elle l’achète ou, à défaut de cela, sur la nécessité de trouver une résolution du conseil municipal à l’effet d’accepter l’équipement. C’est à l’égard de ces questions qu’une argumentation imposante et qu’une attention considérable ont été consacrées, dans les jugements des cours d’instance inférieure, à la règle 4 de l’art. 20 du Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274. En cette Cour même, l’avocat de l’appelante a également invoqué la règle 4 de l’art. 20, mais en l’interprétant d’une façon qui n’est pas admise par les tribunaux de la Nouvelle-Écosse.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de considérer la règle 4 de l’art. 20, ni de déterminer si une demande autorisée déjà faite à l’appelante de fournir l’équipement à la ville pour qu’elle l’utilise durant l’hiver 1968 a donné naissance à un contrat. La seule conclusion du jury que le juge de

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première instance n’a pas déclarée inique, c’est que la ville avait gardé l’équipement durant une période de temps déraisonnablement prolongée. Cette vue concorde avec la théorie sur laquelle je fonderais la décision du pourvoi. Bien que cette théorie n’ait pas été clairement invoquée dans la plaidoirie, les faits sur lesquels je m’appuie ne sont pas contestés et il n’est pas difficile de concilier mon opinion en la matière avec les conclusions des parties.

En bref, au cours des derniers mois de 1967, des pourparlers ont eu lieu entre les représentants de la ville et l’appelante au sujet de la fourniture d’équipement mécanique pour le déneigement des trottoirs en remplacement du chasse-neige hippomobile jusque-là utilisé. Le conseil municipal était au courant de ces pourparlers au cours desquels l’appelante fut clairement informée que la ville désirait mettre à l’essai l’équipement en question ainsi que d’autres machines analogues. L’appelante a fait venir l’équipement et l’a mis à la disposition de la ville en janvier 1968. La ville s’en est servie et l’a gardé jusqu’au 13 mai 1968, date où fut rejetée une résolution formelle visant son achat. D’où le présent litige.

Le 25 janvier 1968, l’appelante envoyait à la ville un document imprimé intitulé «Proposition» énumérant les pièces d’équipement et indiquant leurs prix, au total $5,700. Ce document était probablement destiné à servir de facture mais c’était rien de moins qu’une offre faite à la ville de lui vendre l’équipement dont elle se servait déjà. Il était dit dans le document: «Nous sommes heureux de vous faire, en vue de votre acceptation dans les dix jours à compter de la présente date, des prix, etc…» Je ne tire de là aucune conclusion à l’encontre de l’une ou l’autre des parties. Il est clairement prouvé que tout du long, avant comme après ladite offre, l’appelante avait l’intention de vendre l’équipement; or cela les représentants de la ville et conseillers municipaux le savaient.

On voit dans le rapport présenté au conseil par l’ingénieur de la ville le 6 février 1968, l’alinéa suivant sous le titre «Déneigement des trottoirs»:

[TRADUCTION] Silver’s Garage a fait un prix pour l’achat d’un petit tracteur, d’une charrue et d’une souffleuse pour le déblaiement des trottoirs. Après la

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prochaine grande chute de neige, le comité des rues examinera cet équipement et fera connaître son avis au conseil. Les dépositaires des produits Bobcat et Bombardier sont également disposés à nous envoyer une machine à Fessai après la prochaine grande chute de neige.

Le procès-verbal de la séance du conseil du 12 février 1968 indique que, sur motion, ce rapport a été reçu. Dans l’état où en étaient les choses, l’appelante avait fourni l’équipement à mettre à l’essai, avait soumis le prix qu’elle désirait faire accepter et attendait que le conseil décide s’il allait accepter ou rejeter l’offre ainsi faite. Le secrétaire-trésorier de l’appelante, — c’est lui qui était l’âme de la situation, — a témoigné avoir été tenu «en suspens» (l’expression est de moi, et non de lui) lorsqu’il chercha à se renseigner auprès d’un conseiller, celui-ci ayant répondu que le conseil était allé jusqu’à inclure le projet dans les prévisions budgétaires. Dans cette même partie de son témoignage, portant sur son interrogatoire préalable, il a également confirmé avoir dit: «Nous estimions qu’il ne s’agissait plus pour eux que de prendre une décision»; puis: «Nous attendions. Peut-être n’aurions-nous pas dû attendre.» Bien sûr, cela démontre que l’appelante savait à ce moment-là que son offre n’avait pas encore été acceptée, mais c’est tout. Malheureusement, la date de cet incident n’a pas été établie et l’avocat n’a pas pu éclaircir ce point. Le témoin se reportait probablement à une période en mars 1968, car c’est durant ce mois-là que (selon le témoignage de l’acheteur municipal) la ville établissait ses prévisions budgétaires.

Malgré l’appréciation adverse d’un témoin, un conseiller nouvellement élu, tous les autres témoignages concouraient à reconnaître que l’équipement était propre aux fins prévues. Personne ne prétendait que le prix demandé était déraisonnable. En février 1968 l’ingénieur de la ville proposa à l’appelante de compter des frais de location pour l’utilisation de l’équipement, mais cette proposition ne fut pas retenue.

Le principe général voulant que personne ne puisse imposer un contrat à un autre sans son consentement n’est pas contesté dans le présent pourvoi. Mais à mon avis, les faits en cause constituent un exemple d’une situation, si rare qu’elle puisse être, où le silence de la personne

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à qui une offre est faite équivaut à un consentement. A compter du moment où l’équipement lui a été livré, la ville en était dépositaire et avait le droit de le retourner dans un délai raisonnable ou de quelque façon faire clairement savoir qu’elle n’allait pas l’acheter. Si elle ne prenait ni l’un ni l’autre de ces partis, le passage suivant de I Williston on Contracts (1957), 3e éd., No. 91, pp. 319-321, explique sa situation:

[TRADUCTION] Généralement, la personne à qui une offre est faite n’a pas à y répondre et son silence et son inaction ne peuvent être interprétés comme assentiment à l’offre faite, mais les relations entre les parties ou autres circonstances peuvent avoir été telles que l’offrant était justifié à s’attendre à une réponse et, par conséquent, à supposer que le silence est un indice d’assentiment à sa proposition. Des cas de cette nature peuvent être classifiés ainsi:

(1) Lorsque quelqu’un à qui une offre est faite et qui a une occasion raisonnable de refuser les biens ou services offerts en tire parti dans des conditions qui, aux yeux d’un homme raisonnable, indiqueraient que ces biens et services étaient offerts dans l’attente d’une compensation…

Il s’agit ici d’un contrat unilatéral, non dans le sens d’une promesse d’accomplir telle ou telle chose, mais dans le sens d’une livraison de biens, dans l’attente manifeste d’un paiement en retour, et dans des circonstances où des pourparlers préalables, et les choses qui se sont passées après la livraison, permettent de conclure que l’utilisation de ces biens et le fait de les garder au-delà d’une période de temps raisonnablement prolongée sans dénégation d’engagement contractuel constituent un assentiment. Ici, cet assentiment entraînait une promesse obligatoire de payer et, en outre, attestait l’acceptation des biens, de sorte que l’intimée ne pouvait invoquer l’exigence d’un écrit comme le prescrit le Statute of Frauds, et que l’on trouve maintenant au par. (1) de l’art. 6 de la loi Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274.

Dans ce cas-ci, l’intimée ne peut pas se dégager de sa responsabilité contractuelle simplement parce qu’elle est une corporation municipale. Pour des motifs que j’énonce ci‑après, je n’ai pas à examiner jusqu’à quel point quelques limitations de la loi quant à sa capacité de con-

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tracter excluraient la conclusion à laquelle j’en viendrais, ni à quel point quelques formalités statutaires relatives aux engagements contractuels constitueraient un empêchement.

La loi Towns Act R.S.N.S. 1967, c. 309, régissant la capacité et les pouvoirs de l’intimée, démontre clairement trois points. En premier lieu, le par. (2) de l’art. 3 la déclare «capable d’ester en justice sous son nom corporatif et d’acheter, d’acquérir et de posséder … toutes sortes de biens immobiliers ou mobiliers destinés à l’usage de la ville.» Cela est renforcé par le par. (2) de l’art. 19 qui confère à une ville la faculté de passer et d’exécuter tout contrat dans les limites de ses attributions. En deuxième lieu, en vertu de l’art. 145, les rues et trottoirs d’une ville lui sont dévolus et sont sous la juridiction du conseil municipal. En vertu de l’art. 171, ce dernier a le pouvoir de prendre les dispositions nécessaires pour assurer, aux frais de la ville, le déneigement et le déglaçage des trottoirs et voies publiques. En troisième lieu, la loi Towns Act ne prescrit aucune formalité particulière à remplir avant qu’une ville soit contractuellement engagée pour une affaire de sa compétence. Des causes comme celles de John Mackay and Company v. City of Toronto[13] et Waterous Engine Works Co. v. Town of Palmerston[14] ne s’appliquent donc pas, car il s’agissait de cas où, d’après la législation pertinente, des pouvoirs municipaux ne pouvaient être exercés que par un rè-glement municipal. La loi Towns Act n’exige même pas un écrit. Par ailleurs personne n’a prétendu qu’il existe encore quelque obligation, en vertu de la common law, de procéder par acte scellé, du moins pas dans un cas où, comme ici, la municipalité tire parti des biens qu’on veut lui faire payer.

A ce sujet, je ne pense pas que la décision dans l’affaire Lawford v. Billericay Rural District Council[15], soit à l’encontre de la mienne. Évidemment, cette décision ne nous lie pas et les faits particuliers en cause alors la distinguent; mais, si un principe y est en jeu, c’est bien celui d’une libéralisation des principes formalistes de la common law qui s’appliquaient naguère

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aux corporations législativement constituées. La ressemblance entre cette cause et la présente, d’après leurs faits respectifs, est manifeste si l’on se reporte à l’observation suivante du Juge Vaughan Williams, p. 783: [TRADUCTION] «En diverses causes où aucun contrat scellé n’avait été passé, les cours ont décidé qu’il y avait engagement implicite de payer une fois la considération fournie et le bénéfice accepté». La même idée est exprimée plus longuement dans Dillon Municipal Corporations (1911), 5e éd., No. 794, p. 1187.

En cette cause l’intimée est dans la même situation qu’un particulier ou une compagnie privée qui agirait de la même façon. Le fait que l’intimée procède généralement par voie de résolution n’exclut pas l’existence d’une obligation officieusement contractée par suite de la conduite dont j’ai parlé. En l’absence de limitations législatives impératives (et il n’y a même pas de dispositions directrices) quant aux formalités à observer pour passer des contrats dans les limites de ses attributions, les principes ordinaires de droit contractuel s’appliquent.

Pour les raisons que je viens d’exposer, j’accueillerais le présent pourvoi avec dépens, j’infirmerais les jugements des Cours d’instance inférieure et je rendrais jugement en faveur de l’appelante au montant de $5,700. Ni dans ses procédures ni dans son plaidoyer devant cette Cour n’a-t-elle réclamé de l’intérêt. L’appelante devrait également avoir droit aux dépens de son recours devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse. La ville étant de par ce jugement reconnue propriétaire de l’équipement, une ordonnance enjoignant de le lui livrer devrait être rendue.

Appel rejeté avec dépens; les JUGES HALL et LASKIN étant dissidents.

Procureur de la demanderesse, appelante: Harold F. Jackson, Halifax.

Procureur de la défenderesse, intimée: David R. Chipman, Halifax.

[1] (1969), 8 D.L.R. (3d), 1 N.S.R. (2d) 161.

[2] (1892), 21 R.C.S. 556.

[3] [1903] 1 K.B. 772.

[4] [1965] 2 O.R. 51.

[5] (1891), 19 R.C.S. 581.

[6] (1915), 33 O.L.R. 267.

[7] (1914), 31 O.L.R. 387.

[8] (1880), 15 Ch. D. 96.

[9] [1970] R.C.S. 932 à la p. 938, 12 D.L.R. (3d) 247.

[10] [1971] R.C.S. 81, 13 D.L.R. (3d) 340.

[11] [1923] 4 D.L.R. 717, p. 721.

[12] (1969), 8 D.L.R. (3d) 243, 1 N.S.R. (2d) 161.

[13] [1920] A.C. 208.

[14] (1892), 21 R.C.S. 556.

[15] [1903] 1 K.B. 772.


Synthèse
Référence neutre : [1971] R.C.S. 577 ?
Date de la décision : 21/12/1970
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté, les juges hall et laskin étant dissidents

Analyses

Droit municipal - Vente de biens - Appelante commande équipement de déneigement à la suite de pourparlers avec fonctionnaires de la ville - Équipement à la disposition de la ville en janvier pour essai - Gardé jusqu’au mois de mai - Résolution proposant son achat rejetée - Action de l’appelante réclamant le prix de biens qu’elle alléguait avoir vendus et livrés à la ville - Confirmation du rejet de l’action - Sales of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274, art. 20 - Towns Act, R.S.N.S. 1967, c. 309.

A la suite de pourparlers entre le secrétaire-trésorier de la compagnie appelante et des fonctionnaires de la ville intimée au sujet de la fourniture d’équipement de déneigement, l’appelante commanda un appareil en novembre 1967. Des employés municipaux en ont fait l’essai quelque temps après qu’il

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fut reçu au garage de l’appelante. Pour plus de commodité, et à la suggestion de l’appelante, l’équipement a été transporté au garage de la ville, le 20 janvier.

Le 25 janvier, l’appelante adressait à la ville un document intitulé «Proposition» où l’on mentionnait le prix de l’équipement. La ville n’a jamais accepté cette proposition, laquelle n’a jamais été non plus approuvée par la compagnie chez qui l’équipement avait été commandé et au nom de laquelle la proposition avait été adressée. Dans le rapport de l’ingénieur pour le mois de janvier on y lit qu’après la prochaine grande chute de neige, le comité des rues examinera l’équipement et fera connaître son avis au conseil. Cependant, durant le restant de l’hiver, il n’y eut aucune tempête assez forte pour permettre un essai de l’équipement. En février, l’ingénieur a proposé que l’équipement soit loué à la ville en attendant que cette dernière ait pris une décision au sujet de l’achat. Cette proposition a été repoussée par le secrétaire-trésorier de l’appelante. Celui-ci a témoigné qu’à un moment donné après l’établissement des prévisions budgétaires de 1968, en mars, sa compagnie attendait encore la décision du conseil municipal.

Le 13 mai 1968, alors que l’équipement se trouvait encore dans le garage de la ville, le conseil rejeta une résolution proposant l’achat et, moins de deux jours après, l’appelante adressa sa seconde communication à la ville. Il s’agissait d’un état de compte de l’appelante détaillant chaque pièce d’équipement et stipulant le même prix qui avait déjà été mentionné. La ville renvoya cet état de compte. Lorsqu’elle essaya de retourner l’équipement, l’appelante refusa de le reprendre sous prétexte que la ville l’avait acheté. Subséquemment, l’appelante instituait une action contre la ville réclamant le prix de l’équipement.

Il y eut procès devant jury qui a répondu affirmativement à la question de savoir si la ville avait gardé l’équipement durant une période de temps déraisonnablement prolongée. Des réponses favorables à l’appelante à d’autres questions ont été aussi données. Le juge de première instance a trouvé que les réponses aux autres questions étaient iniques, mais il a estimé qu’il existait quelque élément de preuve pouvant motiver la conclusion où en était venu le jury à l’égard de la première question. L’action a été rejetée et ce jugement a été confirmé en appel. L’appelante en a appelé à cette Cour et a fait reposer sa thèse sur la conclusion que la ville est demeurée en possession de l’équipement durant une période de temps déraisonnablement prolongée.

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Arrêt: L’appel doit être rejeté, les Juges Hall et Laskin étant dissidents.

Les Juges Ritchie, Spence et Pigeon: Avant de pouvoir invoquer la règle 4 de l’art. 20 de la Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274, il faut démontrer l’existence d’un contrat entre l’appelante et l’intimée.

Une ville constituée en corporation n’est pas dans la même position juridique qu’une personne ou une société à responsabilité limitée. Les pouvoirs municipaux sont exercés par le conseil soit directement, soit par voie de délégation d’autorité aux fonctionnaires. La ville avait le pouvoir d’acheter le chasse-neige à condition que ce pouvoir fût exercé par l’entremise du conseil municipal. (Towns Act, R.S.N.S. 1967, c. 309, art. 112 et 171.) La ville n’est pas expressément autorisée à adopter des règlements régissant l’achat d’équipement de déneigement (art. 221) mais l’absence de disposition exigeant l’adoption d’un règlement à cette fin précise ne justifie pas qu’aucune formalité ne soit requise ou que les affaires des habitants, lesquels élisent les conseillers municipaux, peuvent être administrées au gré et aux caprices des conseillers ou employés municipaux particuliers. En vertu du par. (2) de l’art. 27 de la Loi, toute question soulevée au conseil doit être décidée par un vote majoritaire des conseillers, et la ville ne pouvait passer un contrat d’achat de l’équipement en cause sans agir collectivement par voie d’un quorum de ses représentants élus.

La prétention de la demanderesse que les circonstances actuelles devraient être considérées comme une preuve de l’existence d’un contrat exécuté vu l’usage intermittent de l’équipement et son entreposage au garage municipal, doit être rejetée. Selon l’avis exprimé par la Cour d’appel, il faut qu’il y ait un contrat avant que l’on puisse dire qu’il est exécuté et dans ce cas-ci il n’y a aucun contrat, exécuté ou à parfaire.

La doctrine d’equity de l’acquiescement, qui repose sur ce qu’une erreur de fait a été commise, ne s’applique pas en l’espèce. L’appelante n’a, à aucun moment, agi en croyant à tort que la ville avait accepté d’acheter son équipement.

Les Juges Hall et Laskin, dissidents: Il s’agit ici d’un contrat unilatéral, non dans le sens d’une promesse d’accomplir telle ou telle chose, mais dans le sens d’une livraison de biens, dans l’attente manifeste d’un paiement en retour, et dans des circonstances où des pourparlers préalables, et les choses qui se sont passées après la livraison, permettent de

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conclure que l’utilisation de ces biens et le fait de les garder au-delà d’une période de temps raisonnablement prolongée sans dénégation d’engagement contractuel constituent un assentiment. Ici, cet assentiment entraînait une promesse obligatoire de payer et, en outre, attestait l’acceptation des biens, de sorte que l’intimée ne pouvait invoquer l’exigence d’un écrit comme le prescrit le Statute of Frauds, et que l’on trouve maintenant au par. (1) de l’art. 6 de la loi Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1967, c. 274.

L’intimée est dans la même situation qu’un particulier ou une compagnie privée qui agirait de la même façon. En l’absence de limitations législatives impératives quant aux formalités à observer pour passer des contrats dans les limites de ses attributions, les principes ordinaires de droit contractuel s’appliquent.

[Arrêts suivis: Waterous Engine Works Co. c. Town of Palmerston (1892), 21 R.C.S. 556; Toronto Electric Light Co. v. City of Toronto (1915), 33 O.L.R. 267; Eastern Securities Co. v. City of Sydney, [1923] 4 D.L.R. 717. Arrêts mentionnés: Lawford v. Billericay Rural District Council, [1903] 1 K.B. 772; East Middlesex District High School Board v. London Board of Education, [1965] 2 O.R. 51; Bernardin c. Municipality of North Dufferin (1891), 19 R.C.S. 581; Willmott v. Barber (1880), 15 Ch. D. 96; Canadian Superior Oil Ltd. et al. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et al., [1970] R.C.S. 932; Sohio Petroleum Co. et al. c. Weyburn Security Co. Ltd., [1971] R.C.S. 81.]


Parties
Demandeurs : Silver’s Garage Ltd.
Défendeurs : Town of Bridgewater
Proposition de citation de la décision: Silver’s Garage Ltd. c. Town of Bridgewater, [1971] R.C.S. 577 (21 décembre 1970)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-12-21;.1971..r.c.s..577 ?
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