Synthèse
Référence neutre : [1971] R.C.S. 1038
Date de la décision :
19/03/1971Sens de l'arrêt :
La requête doit être rejetée
Analyses
Appel - Compétence - Transfert - Non-rétroactivité - Appel per saltum - Procédure - Droit substantif - Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1952, c. 259, art. 39 - Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970 (1er Supp.), c. 44.
La Cour supérieure a condamné l’appelante à payer la somme de $67,470.13 pour des chèques encaissés sur endossements faux. L’instance a été introduite avant 1970, date de l’entrée en vigueur de
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la Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême, 18-19 Eliz. II, c. 44. En vertu de l’art. 39 de cette Loi, le pouvoir d’autoriser des appels per saltum est maintenant attribué à cette Cour alors qu’auparavant c’était la Cour d’appel qui en était investie. Du consentement de l’intimée l’appelante demande l’autorisation d’interjeter appel à cette Cour de ce jugement.
Arrêt: La requête doit être rejetée.
La compétence n’est pas une question de procédure et l’on n’a indiqué aucune raison pour laquelle on pourrait considérer qu’elle le devient lorsqu’il s’agit d’un transfert au lieu d’un accroissement ou d’une diminution. A moins d’une disposition expresse au contraire on ne doit pas donner d’effet rétroactif à un texte attribuant une compétence nouvelle à une Cour d’appel.
REQUÊTE pour autorisation d’interjeter appel per saltum d’un jugement de la Cour supérieure de la province de Québec. Requête rejetée.
T.H. Montgomery, c.r., pour la requérante.
R.A. Beaulieu, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Du consentement de l’intimée l’appelante demande l’autorisation d’interjeter appel à cette Cour du jugement rendu par la Cour supérieure de la Province de Québec, le 21 mai 1970, la condamnant à payer la somme de $67,470.13 pour des chèques encaissés sur endossements faux. La fausseté des endossements n’est pas contestée mais il est bien établi que c’est par la fraude d’un employé de l’intimée que ces chèques de paie ont été émis à l’ordre d’anciens employés et délivrés au faussaire. Le juge du procès n’a pas vu dans ces faits un moyen de défense, se fondant notamment sur un arrêt récent de la Cour d’appel de la Province de Québec, Banque de Montréal c. Barbeau[1].
On fait valoir que la question de droit en litige est de grande importance et qu’il y aurait intérêt à la faire trancher définitivement par cette Cour le plus tôt possible.
Vu qu’il s’agit d’une instance introduite il y a plusieurs années et que le jugement lui-même a
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été rendu avant l’entrée en vigueur de la Loi du 11 juin 1970 modifiant la Loi sur la Cour suprême (18-19 Eliz. II, c. 44), il faut d’abord se demander si cette Cour peut exercer dans la présente cause le pouvoir que lui attribue le nouvel article 39:
39. Sous réserve des articles 40 et 44, il peut être interjeté appel à la Cour suprême, sur une question de droit seulement, avec l’autorisation de cette Cour, d’un jugement définitif d’une cour d’une province (autre que la plus haute cour de dernier ressort de cette province) dont les juges sont nommés par le gouverneur général, prononcé dans une procédure judiciaire où il peut être interjeté appel à la plus haute cour de dernier ressort de cette province, si le consentement écrit des parties ou de leurs procureurs, certifié par affidavit, est déposé au bureau du registraire de la Cour suprême et au bureau du registraire, du greffier ou du protonotaire de la cour d’où l’appel doit parvenir.
L’ancien texte débutait comme suit:
39. Sous réserve des articles 40 et 44, il peut être interjeté appel à la Cour suprême sur une question de droit seulement, avec l’autorisation de la plus haute cour de dernier ressort en une province, d’un jugement définitif d’une autre cour de ladite province,…
On voit que le pouvoir d’autoriser en certains cas des appels per saltum est maintenant attribué à cette Cour alors qu’auparavant c’était la Cour d’appel qui en était investie. Pour justifier la demande faite suivant le nouveau texte auquel la loi n’ajoute pas d’effet rétroactif, l’avocat de l’appelante a prétendu qu’il s’agit d’un simple changement de procédure. Il a dit que le droit est resté en substance le même, celui d’accorder l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada à l’encontre d’un jugement de première instance; ce n’est que le mode d’exercice qui est changé: il faut maintenant s’adresser à cette Cour au lieu de la Cour d’appel pour le faire valoir.
Tout ce que l’on nous a cité à l’appui de cette prétention tend uniquement à démontrer que le principe de la non-rétroactivité des lois ne s’applique pas aux règles de procédure. Or, il est bien établi que la compétence n’est pas une question de procédure et l’on ne nous a indiqué aucune raison pour laquelle on pourrait considérer qu’elle le devient lorsqu’il s’agit d’un transfert au lieu d’un accroissement ou d’une diminution.
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Dans Boyer c. Le Roi[2], le juge en chef Rinfret a fait une revue de la jurisprudence sur la non‑rétroactivité des dispositions législatives touchant le droit d’appel. Il a cité en les soulignant (p. 98) ces paroles du juge en chef Anglin prononcées au nom de la Cour dans Singer c. Le Roi[3]:
[TRADUCTION] …à moins d’une indication incontestable que le Parlement a voulu donner un effet rétroactif à la loi de façon à la rendre applicable à des affaires qui ont pris naissance avant sa promulgation, aucune disposition législative attribuant à une cour d’appel une nouvelle compétence ne peut s’interpréter comme ayant un tel effet. C’est une question de fond et de droit.
Ensuite, il a dit:
[TRADUCTION] De l’arrêt rendu dans l’affaire Singer il ressort non seulement qu’un texte législatif attribuant à une cour d’appel une compétence nouvelle (ce qui est précisément le cas de celui qu’invoque la présente requête) ne doit pas s’interpréter dans le sens de la rétroactivité, pour le rendre applicable à des affaires qui ont pris naissance avant sa promulgation, mais aussi que l’affaire Singer, même si elle relève du droit pénal, a été traitée sous ce rapport exactement comme Doran c. Jewell et Upper Canada College c. Smith, deux affaires civiles dont il a été déclaré qu’elles liaient cette Cour et étaient concluantes sur ce point.
Il est bien vrai qu’ensuite il a conclu au rejet de la requête en disant:
[TRADUCTION] J’ajoute que je n’accepte pas la prétention de l’avocat de la requérante, à savoir que le nouveau paragraphe un de l’article 1025 ne crée pas un nouveau droit d’appel.
Partant de là, l’avocat de l’appelante soutient qu’il ne s’agit pas ici d’un nouveau droit d’appel puisque ce droit existait. Il ne me semble pas nécessaire de rechercher si l’on peut considérer que le droit de demander à cette Cour l’autorisation d’appeler est le même droit que celui de demander l’autorisation dans un cas semblable à la Cour d’appel, ce dont je doute fort. Il me suffit de constater que le principe fermement établi et par application duquel on a posé la question, c’est qu’à moins d’une disposition expresse au contraire on ne doit pas donner d’effet
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rétroactif à un texte attribuant une compétence nouvelle à une cour d’appel. Or, c’est expressément cela que l’on nous demande de faire, car il est indubitable qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi de 1970, cette Cour n’avait pas compétence pour accorder l’autorisation d’appeler per saltum.
Je dois signaler que dans Ville Jacques-Cartier c. Lamarre[4], M. le juge en chef Fauteux, alors juge puîné, a dit au nom de la Cour (p. 111):
La jurisprudence sur le point précise que le droit d’appel est un droit substantif et non une simple matière de procédure et qu’une loi restreignant un droit d’appel préexistant est, à moins qu’une intention au contraire n’y soit manifestée de façon explicite ou nécessairement implicite, sans application à un jugement rendu dans une instance déjà introduite devant le tribunal inférieur lors de son adoption.
Dans Loos c. La Reine[5], cette Cour vient de casser un arrêt ordonnant une nouvelle audition dans une affaire de détention préventive, en vertu d’une modification législative subséquente à l’inscription en appel. Au nom de la Cour, M. le juge Judson a dit (p. 169):
Le 7 juillet 1969, l’appelant a présenté son avis de requête pour permission d’appeler, et a ainsi établi à cette date ses droits de fond en appel, alors que la Cour d’appel n’avait pas le pouvoir («jurisdiction» dans le texte anglais) d’ordonner une nouvelle audition.
On a donc considéré le nouveau pouvoir comme une addition à la compétence du tribunal et par conséquent fait jouer la règle de la non-rétroactivité.
Il nous faut donc rejeter la requête mais comme elle a été présentée de consentement et que la question de compétence a été soulevée d’office par le tribunal, il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens.
Requête rejetée.
Procureurs de la requérante: Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marler, Montgomery & Renault, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Laing, Weldon, Courtois, Clarkson, Parsons, Gonthier & Tétrault, Montréal.
[1] [1963] B.R. 753.
[2] [1949] R.C.S. 89, 7 C.R. 257, 94 C.C.C. 259, [1949] 4 D.L.R. 469.
[3] [1932] R.C.S. 70 à 72, 56 C.C.C. 381, [1932] 1 D.L.R. 279.
[4] [1958] R.C.S. 109.
[5] [1971] R.C.S. 165, 2 C.C.C. (2d) 49, 13 D.L.R. (3d) 574.
Parties
Demandeurs :
Royal Bank of CanadaDéfendeurs :
Concrete Column Clamps (1961) Ltd.Proposition de citation de la décision:
Royal Bank of Canada c. Concrete Column Clamps (1961) Ltd., [1971] R.C.S. 1038 (19 mars 1971)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-03-19;.1971..r.c.s..1038