Cour Suprême du Canada
Association de Taxis Lasalle c. Blais et al., [1971] R.C.S. 643
Date: 1971-04-05
L’Association de Taxis Lasalle Appelante;
et
Gérard Biais, Fernand Leblanc et Taxi Owners’ Reciprocal Insurance Association Intimés.
1971: le 11 février; 1971: le 5 avril.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement du Juge Montpetit. Appel accueilli.
Claude Béland, pour l’appelante.
Pierre Lamontagne, pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — L’appelante est une coopérative qui fournit à ses membres suivant un contrat signé avec chacun d’eux, divers services. Ceux-ci comprennent un réseau de communications, des postes de stationnement et l’assurance-responsabilité.
Le 28 mai 1958, l’Association a signé une proposition d’assurance adressée à Taxi Owners’ Reciprocal Insurance Association, que j’appellerai la «Taxi Owners’». Le même jour une police d’assurance-responsabilité a été émise où l’assuré est décrit comme LES MEMBRES DE L’ASSOCIATION DE TAXIS LASALLE ET/OU LES MEMBRES DE L’ASSOCIATION DE TAXIS DOMINION. Le litige ne vise que la première de ces deux associations.
La Taxi Owners’ était une association purement contractuelle non constituée en «corporation». L’appelante en devint membre par contrat en même temps qu’elle obtenait la police d’assu-
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rance. De plus, certaines conventions accessoires furent arrêtées verbalement. Comme les membres de l’appelante n’étaient pas individuellement nommés dans la police et que d’ailleurs leur nombre variait de jour en jour, c’était l’appelante qui délivrait à chacun d’eux, au nom de l’assureur, un certificat d’assurance. Si un membre se retirait, elle lui délivrait un certificat de résiliation et, dans un cas comme dans l’autre, elle transmettait aussitôt à l’assureur copie de ces certificats. Tout cela, pour permettre à la Taxi Owners’ de savoir qui était assuré par le contrat et de calculer le montant de la prime. La taxi Owners’ transmettait chaque mois à l’appelante un compte des primes dues, établi d’après les certificats d’assurance ou de résiliation qu’on lui avait transmis. Sur réception de ces comptes, l’appelante payait immédiatement les montants réclamés. Fait à remarquer, elle a toujours payé la prime sur tous les certificats d’assurance qu’elle avait émis et qui n’avaient pas été résiliés, que les membres assurés lui aient alors versé ou non leur contribution mensuelle de $47, qui comprenait tous les services, y compris l’assurance.
En considération des services rendus par l’appelante à la Taxi Owners’ celle-ci lui allouait 5 pour cent des primes perçues. Cependant, le 24 mai 1960, du consentement écrit de l’appelante, un avenant de modification portant ce qui suit a été ajouté à la police:
Il est par les présentes entendu et convenu que la prime déterminée au taux de $32.00 par taxi par mois, sans allocation pour collection de prime, sera majorée au cours du présent contrat si l’expérience s’avère mauvaise.
Moins d’un mois plus tard, le 21 juin 1960, l’appelante donnait un avis de résiliation immédiate. En même temps elle obtenait une nouvelle police d’un autre assureur. Un autre mois plus tard, le 22 juillet 1960, la Taxi Owners’ était en faillite. Les intimés Blais et Leblanc en sont les syndics. Par requête au tribunal de faillite ils ont réclamé en cette qualité la somme de $29,578, montant de la prime pour le mois de juin, déduction faite d’une somme de $10,000 payée le 7 juillet 1960.
La Cour supérieure a rejeté la requête pour le motif que la Taxi Owners’ n’avait pas rempli ses
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obligations d’assureur, l’appelante ayant dû payer elle-même au-delà de $100,000 pour acquitter des réclamations contre ses membres au sujet desquelles la Taxi Owners’ était en défaut.
Des motifs de M. le juge Montpetit, l’essentiel est le suivant:
C’est une règle de droit élémentaire, et souvent reconnue, qu’une partie à un contrat ne peut être contrainte de remplir ses propres obligations tant et aussi longtemps que l’autre part n’a pas rempli les siennes…
Or, il est manifeste que l’association débitrice, en tant qu’assureur des membres de l’Association de Taxis LaSalle, dans les mois qui ont précédé sa faillite, n’a pas pu faire face, en tant que tel, à ses obligations contractuelles. Il me paraît absolument illégal, — je dirais même immoral, — d’ordonner à l’intimée qui, dans la présente instance, représente ses membres ainsi assurés, de remettre à l’association débitrice ou aux requérants (ceux-ci, de toute évidence, n’ont pas plus de droit que celle-là) les primes qu’ils ont versées en considération d’une protection qu’ils n’ont pas reçue ou dont ils n’ont pas bénéficié.
Sûrement, un mandataire (telle que l’intimée) est justifié de faire valoir ce moyen au nom de ses mandants, même si ce mandataire détenait un second mandat de cet assureur, mandat cependant qui diffère du premier et qui s’en distingue clairement dans son contenu et sa portée.
Ce jugement a été infirmé par la Cour d’Appel[2]. M. le juge en chef Tremblay dit:
Les primes d’assurance perçues par LaSalle comme mandataire de Taxi Owners’ faisaient partie de l’actif de la faillite. En disposant de cet actif pour régler des réclamations adressées à ses membres, LaSalle effectuait des paiements préferentiels à ses membres, ce que même le syndic ne peut pas faire.
M. le juge Pratte écarte lui aussi le motif donné en première instance en disant:
…l’exception «non adimpleti contractus» ne peut jouer qu’entre deux obligations réciproques nées d’un même contrat. Or, en l’espèce, l’obligation dont les appelants demandent l’exécution est née du mandat verbal que la TORIA avait donné à l’Association, tandis que l’obligation que l’Association reproche à l’assureur de n’avoir pas exécutée résulte du contrat
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d’assurance entre cet assureur et ses assurés. Et comme le mandataire doit remettre au mandant tout ce qu’il a reçu sous l’autorité de son mandat, même si ce qu’il a reçu n’était pas dû au mandant (C.C. 1713), je ne vois pas que l’Association puisse échapper à l’obligation de payer.
M. le juge Owen, dissident, dit au contraire:
[TRADUCTION] Dans leur requête initiale, les appelants fondaient leur réclamation sur le contrat écrit d’assurance réciproque. Lorsque l’Association a nié, dans sa contestation, l’existence d’une obligation en vertu de ce contrat, les appelants, dans leur réponse, ont admis cette allégation et ajouté que ce sont d’autres contrats et conventions qui ont donné naissance à l’obligation de l’intimée. La requête a été amendée, les appelants alléguant que, par une convention verbale, l’intimée s’était chargée de percevoir les primes et d’en garantir le paiement… Par la suite, les appelants ont abandonné la prétention que les intimés aient garanti le paiement des primes, et ils ont soutenu finalement que leur action était uniquement basée sur un contrat verbal de mandat nommant l’Association agent de perception des primes pour le compte de TORIA.
* * *
Des différentes positions prises par les appelants, il me paraît que l’idée du mandat verbal leur est venue par la suite. Les actes de l’Association s’accordent davantage avec la situation de mandataire de ses membres dans la perception des primes conformément aux conditions du contrat écrit de service entre l’Association et ses membres. De toute façon, c’est aux appelants qu’il incombait de prouver la base susmentionnée de leur réclamation, et à mon avis, ils n’ont pas réussi à le faire.
A mon avis, c’est M. le juge Owen qui a raison. L’engagement pris par l’appelante envers Taxi Owners’ était de verser mensuellement le plein montant de la prime due sans égard à la perception. C’est sur cette base que les comptes ont été préparés et acquittés régulièrement. De son côté, l’appelante percevait de ses membres une contribution mensuelle pour tous services y compris l’assurance. Comme syndicat coopératif, elle agissait normalement pour le compte de ses membres. C’est indubitablement à ce titre qu’elle est entrée en relations d’affaires avec la Taxi Owners’. A ce moment-là d’ailleurs, cette dernière était représentée par un courtier. Au départ c’est donc
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comme mandataire de ses membres et non comme agent de la Taxi Owners’ que l’appelante a obtenu l’assurance et contracté l’obligation de payer la prime.
Il est certain que, par ailleurs, la Taxi Owners’ a donné un certain mandat à l’appelante puisque celle-ci délivrait des certificats d’assurance à ses membres. Cela n’implique aucunement que dans ces opérations d’assurance collective l’appelante percevait la prime mensuelle comme mandataire de la Taxi Owners’ et non comme mandataire de ses membres en vertu de son contrat avec eux. Pour la délivrance des certificats elle avait besoin de l’autorisation de l’assureur. Mais il en était tout autrement pour la perception de la prime, son contrat avec ses membres lui suffisait. Il est vrai que dans les négociations, l’appelante a dit qu’elle verrait à la perception de la prime mensuelle et s’est engagée à s’en tenir responsable envers la Taxi Owners’. Cela ne me semble aucunement démontrer qu’elle ait convenu de faire cette perception, non pas comme agent de ses membres en vertu de son contrat avec eux, mais comme mandataire de l’assureur.
Il ne reste donc que l’avenant au sujet duquel M. le juge Pratte dit: «Les mots ‘sans allocation pour collection de primes’ indiquent clairement que l’Association s’était chargée de la perception des primes; autrement, on ne voit pas bien pourquoi l’assureur les aurait insérés dans l’avenant». Cette façon de décrire l’allocation qui avait auparavant été accordée en considération des services rendus par l’appelante et non pas de la perception de la prime, suffit-elle à démontrer l’existence d’une convention faisant de l’appelante l’agent de l’assureur pour cette perception plutôt que celui de ses membres en vertu de son contrat avec eux? Je ne le crois pas. Pour changer la situation juridique de l’appelante qui contractait à l’origine comme mandataire de ses membres avec la Taxi Owners’, il faut une stipulation explicite qui ne laisse pas de doute sur cette intention. En effet, le résultat d’une telle stipulation c’est en l’occurrence, de priver l’appelante du bénéfice du moyen de défense reconnu par la Cour supérieure, savoir qu’une partie à un contrat ne peut être contrainte de remplir ses propres obligations quand l’autre partie n’a pas rempli les
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siennes. En disant que c’est comme mandataire de Taxi Owners’ qu’elle a perçu les primes on veut l’empêcher de se prévaloir du fait que celle-ci n’a pas rempli les obligations contractées envers l’appelante comme mandataire de ses membres.
Pour en venir à la conclusion que l’appelante aurait accepté par une convention accessoire de se placer dans une pareille situation alors que tel n’est pas le résultat normal de la convention fondamentale, il faut qu’il n’y ait pas de doute possible sur l’existence et la portée de cette convention accessoire. La façon dont on a décrit dans l’avenant l’allocation de 5 pour cent des primes ne me paraît pas suffisante. Le texte ne dit pas expressément que l’appelante fait la perception des primes comme mandataire de la Taxi Owners’. Cela pourrait sans doute s’inférer de cette rédaction mais comme cela vient à l’encontre de ce qu’est, par ailleurs, la situation des parties au sujet de la prime, savoir que l’appelante la perçoit de ses membres en vertu de son contrat de service, je ne pense pas que cela suffise à modifier cette situation. Après tout, le but de l’avenant quant à l’allocation c’est de la supprimer et non de la définir et je ne me croirais pas justifié d’attacher une importance décisive à la façon dont on l’a ainsi décrite d’autant plus qu’il est évident que cette description est incomplète. En effet, il est certain que l’allocation était accordée pour divers services rendus, notamment la préparation de rapports d’accidents avec photographies, et non pas la perception de la prime en particulier. Un témoin a même fait état d’une lettre, malheureusement perdue, et dans laquelle il était déclaré que l’allocation de 5 pour cent était accordée pour les dépenses d’organisation d’un bureau pour prendre les rapports d’accidents et l’achat d’équipement à ce sujet. De plus, il a été prouvé sans contradiction que l’appelante n’avait pas perçu de ses membres le montant additionnel de $8 par mois que prévoyait l’avenant du 24 mai, mais avait antérieurement constitué une réserve en chargeant pour l’assurance un dollar par mois de plus que le montant de la prime convenue avec la Taxi Owners’ qu’elle payait en entier sans égard à la perception. Tout cela n’est guère compatible avec la situation de mandataire de l’assureur.
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Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le jugement de la Cour d’appel et de rétablir celui de la Cour supérieure avec dépens dans toutes les cours contre les intimés.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Béland, Trudeau & Bastien, Montréal.
Procureurs des intimés: Geoffrion & Prud’Homme, Montréal.
[1] [1969] B.R. 446.
[2] [1969] B.R. 446.