Cour Suprême du Canada
Confederation Broadcasting (Ottawa) Ltd. c. Canadian Radio-Television Commission, [1971] R.C.S. 906
Date: 1971-04-05
Confederation Broadcasting (Ottawa) Limited Appelante;
et
Canadian Radio-Television Commission Intimé.
1970: le 2 décembre; 1971: le 5 avril.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DU CONSEIL DE LA RADIO-TÉLÉVISION CANADIENNE
APPEL d’une ordonnance du Conseil de la Radio-Télévision canadienne en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Appel accueilli, le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Judson et Ritchie étant dissidents.
W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’appelante.
J.D. Hylton et Stephen Borins, pour l’intimé.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE JUDSON (dissident) — L’appelante, Confederation Broadcasting (Ottawa) Limited, détient une licence commerciale privée de radiodiffusion pour la station CKPM d’Ottawa; cette licence lui a été accordée le 22 avril 1964 et devait demeurer en vigueur jusqu’au 31 mars 1970. Le 10 février 1970, le Conseil (the Commission) a tenu des audiences concernant le renouvellement de certaines licences et, le 21 mars 1970, a rendu la décision suivante au sujet de la demande de l’appelante: «Le Conseil accorde un renouvellement de licence jusqu’au 31 décembre 1970 seulement». La titulaire demande à cette Cour d’infirmer cette décision et d’ordonner au Conseil de renouveler la licence pour une autre période de cinq ans. A mon avis, cette demande devrait être rejetée.
L’attribution de la licence, en 1964, était sous réserve de cinq conditions spéciales concernant la propriété et l’exploitation; je cite trois de ces conditions:
1. La présente licence sera valable à la condition que le titulaire soit propriétaire de la station autorisée et que le titre de propriété de cette station ne soit pas cédé sans qu’autorisation à cet effet ait été obtenue au préalable du Ministre, sur la recommandation du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion.
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2. Si le titulaire est constitué en compagnie privée, la licence sera valable à la condition que le titre de propriété ou le contrôle d’aucune action du capital social de la compagnie ne soit cédé, soit directement, soit indirectement, sans qu’autorisation à cet effet ait été obtenue au préalable du Ministre sur la recommandation du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, et à la condition que le contrôle de la station autorisée ne soit cédé d’aucune façon sans qu’autorisation à cet effet ait été obtenue au préalable du Ministre, sur la recommandation du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion.
4. La station autorisée sera exploitée effectivement par le titulaire même ou par des employés véritables de ce dernier. Toutefois, cette prescription est susceptible d’omission ou d’annulation par le Ministre agissant sur la recommandation du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion.
Le dossier révèle que la titulaire a violé l’une ou l’autre de ces conditions dès le début de son exploitation.
L’appelante a obtenu en 1964 les fonds dont elle avait besoin d’un certain G.W. Stirling, propriétaire d’une station radiophonique à Windsor et détenteur d’autres intérêts dans le domaine de la radiodiffusion. Un contrat daté de janvier 1964, soit avant l’octroi de la licence, accordait à Stirling les pouvoirs les plus étendus de gestion et de contrôle pour une période de dix ans moyennant un salaire mensuel de $1,000, plus un certain pourcentage du chiffre brut des ventes. Une copie de ce contrat de gérance a été déposée en mai 1964 auprès du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion (prédécesseur du Conseil). Au 1er décembre 1968, la station devait à Stirling un montant de $240,000 pour les prêts et l’arriéré dus en vertu du contrat de gérance.
A l’audience du Conseil tenue en novembre 1968 pour étudier le renouvellement de la licence de la station de Stirling, à Windsor, les détails du contrôle tant administratif que financier exercé par Stirling furent dévoilés. Ce dernier, interrogé au sujet de la station d’Ottawa, a admis qu’il détenait 85 pour cent des actions ordinaires de la station, lesquelles actions avaient été endossées en blanc par J.A. Stewart, président et principal actionnaire. Par la suite, M. Stewart et le comité de direction du Conseil se sont réunis pour discuter du contrôle administratif et financier de la station.
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Stewart a ensuite demandé un prêt à la Banque de Montréal pour s’acquitter de sa dette de $240,000 envers Stirling ou ses compagnies. Grâce à ce prêt, il a remis $50,000 à Stirling. Une des compagnies de ce dernier, Apache Communications Limited, s’est portée garante du remboursement du prêt jusqu’à concurrence de $190,000 et a déposé les garanties nécessaires pour couvrir ce montant. La banque a aussi exigé la cession des dettes actives de la station, de même que le nantissement de toutes les actions ordinaires détenues par Stewart. Le Conseil s’est par la suite opposé au nantissement des actions; la banque a retourné celles-ci à Stewart et déclaré au Conseil que Stewart ne les avait déposées que pour prouver sa bonne foi.
Le 31 mars 1969, le Conseil a fait parvenir à M. Stewart une longue lettre lui demandant de répondre en détail à plusieurs questions concernant le rôle exact de Stirling dans la station CKPM. Stewart a donné une réponse complète et détaillée à chaque question dans une lettre datée du 6 mai 1969 dans laquelle il admettait que si certains paragraphes du contrat de gérance semblaient accorder à Stirling des pouvoirs qui pouvait empiéter sur ses prérogatives de titulaire, ces pouvoirs n’avaient jamais été exercés. Ces questions n’ont fait l’objet d’aucune correspondance ultérieure entre les parties et peu de temps après, la banque a libéré les actions données en nantissement.
Le 3 décembre 1969, le Conseil a publié un Avis d’audience publique annonçant que des audiences seraient tenues à compter du 10 février 1970 au sujet du renouvellement de certaines licences, notamment celle de la station CKPM. Dans une lettre datée du 8 janvier 1970, Stewart a fait savoir à l’intimé qu’il avait entamé des négociations avec Bushnell Communications Limited pour la vente de toutes les actions émises de sa compagnie. De plus, il a demandé, puisque le projet de vente touchait le renouvellement de la licence et le sujet de controverse concernant l’accord qu’il avait passé avec Stirling, que l’audience du 10 février soit différée pour une courte période jusqu’à ce que l’acheteur ait eu la possibilité de faire approuver la vente. Il a aussi demandé que, dans l’intervalle, la durée de la licence soit prolongée.
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Le 19 janvier 1970, le secrétaire de l’intimé a prévenu Stewart de vive voix que la lettre du 8 janvier devait être lue à l’audience publique du 10 février.
Dans une lettre datée du 20 janvier 1970, le Conseil a déclaré que la titulaire devait être représentée à l’audience et il a demandé le nom de la personne qui serait désignée à cette fin. Le 22 janvier 1970, l’appelante a avisé le Conseil qu’elle se ferait représenter par un avocat.
A l’audience du 10 février 1970, l’avocat de l’appelante a déclaré au Conseil qu’une convention d’achat portant sur les actions de cette dernière avait été signée le 9 février 1970 par Bushnell Communications et que cette convention serait déposée auprès du Conseil au cours de la semaine. Il a ajouté que l’acheteur avait assumé toutes les obligations stipulées dans «l’accord Stirling» de 1964 et que le transfert des actions serait soumis à l’approbation de l’intimé à l’une de ses audiences du mois de mars 1970. Entretemps, l’appelante demandait un renouvellement de deux ans. Lorsqu’on lui a posé certaines questions précises sur le contrôle administratif et financier de la station CKPM, l’avocat a reconnu qu’il n’avait qu’une connaissance générale de ces questions.
Le 11 février 1970, Stewart a fait parvenir à l’intimé un télégramme où il déclarait que [TRADUCTION] «si la vente de (CKPM) à Bushnell n’est pas approuvée, nous sommes en mesure d’exploiter et c’est effectivement ce que nous ferons». Le 12 février 1970, il s’est présenté à l’audience publique en cours et il a demandé à être entendu sur les questions soulevées à l’audience du 10 février, ce qui lui fut refusé. Le 13 février 1970, Stewart a écrit deux lettres à l’intimé; dans la première, il s’excusait d’avoir compris à tort qu’il n’était pas tenu de comparaître personnellement et, dans la seconde, il demandait une nouvelle audition, requête qui fut rejetée.
Aux termes de la convention d’achat intervenue entre Bushnell Communications et l’appelante, des négociations en vue de la résiliation de l’Accord de consultation (Consulting Agreement) devaient être entamées (et, si possible, menées à bonne fin) avec Stirling, tandis que l’acheteur devait assumer toutes les obligations contractées envers
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ce dernier. Le transfert en bonne et due forme des actions était subordonné à l’approbation de l’intimé.
La première question sur laquelle la permission d’appeler a été accordée est la suivante:
[TRADUCTION] 1. L’intimé a-t-il fait une erreur de droit en ne donnant pas avis à l’appelante des points que l’on se proposait de soulever à l’audience du 10 février 1970, et en ne donnant pas à l’appelante la possibilité d’être entendue sur ces questions?
La titulaire prétend que le Conseil ne lui a pas donné avis des questions qui devaient être soulevées à l’audience du 10 février 1970. Il s’agissait essentiellement de déterminer si la licence de radiodiffusion de la titulaire devait être renouvelée et, le cas échéant, la durée de la période de renouvellement. L’article 17(1)(c) de la Loi sur la radiodiffusion ne prévoit pas qu’une licence de radiodiffusion puisse se renouveler automatiquement. Cet article prévoit que le Conseil peut renouveler une licence pour une période, d’au plus cinq ans, que le comité de direction estime raisonnable. Il incombe au titulaire de convaincre le Conseil que sa licence devrait être renouvelée et qu’elle devrait l’être pour une période déterminée. Le Conseil est libre de la renouveler ou non et d’en fixer la durée. En vertu de l’art. 22 du Règlement général sur la radio, Partie II, DORS/63-297, l’assignation d’une fréquence à une station ne confère pas le monopole de son usage et la licence n’est pas censée conférer un droit permanent à l’égard de cette fréquence.
J’ai déjà mentionné que, dans sa lettre du 8 janvier 1970, le président de la station, M.J.A. Stewart, n’avait demandé qu’une prolongation de courte durée dans l’attente de la demande d’approbation du transfert de ses actions à Bushnell. A titre d’exemple démontrant que Stewart connaissait les questions qui devaient être soulevées, je cite deux paragraphes de sa lettre:
[TRADUCTION] Étant donné que le renouvellement de notre licence et que les sujets de controverse concernant l’accord Stirling sont étroitement liés aux obligations qui sont en voie d’être assumées par l’acheteur, Bushnell Communications Limited, vous jugerez peut-être opportun de reporter l’examen de ces questions à une date postérieure au mois de février 1970, lorsque Bushnell Communications Limited demandera au Conseil d’approuver l’achat desdites actions.
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Nous vous serions reconnaissants de nous faire savoir s’il est possible de prolonger la durée de notre licence pour une brève période sans tenir d’audience à cet effet, jusqu’à ce que Bushnell Communications Limited et notre propre compagnie aient présenté leur demande relativement aux questions susmentionnées.
Comment peut-on prétendre, dans ces circonstances, que les questions intéressant la titulaire et la station n’avaient pas été soulevées? La titulaire et le Conseil étaient au courant de ces questions, qui avaient fait l’objet de discussions pendant longtemps. Les faits relatifs aux accords financiers entre la titulaire et M. Stirling avaient été exposés en détail dans les lettres que s’étaient échangées le Conseil et la titulaire. La situation était demeurée inchangée. Ceci représente l’évolution de la situation financière. Initialement, la titulaire était directement obligée envers Stirling ou sa compagnie. Après le transfert du prêt à la banque, la compagnie de Stirling était néanmoins obligée à titre de caution jusqu’à concurrence de $190,000, montant pour lequel la banque était pleinement garantie par le nantissement de notes de crédit qu’avait, effectué la caution. Si l’on avait demandé le remboursement du prêt, la conséquence immédiate aurait été le paiement de la dette par la caution et la subrogation de celle-ci dans les droits de la banque jusqu’à concurrence de $190,000. En d’autres termes, les parties se seraient retrouvées pour autant au point d’où elles étaient parties.
Les faits relatifs au nantissement des actions pouvaient être relevés dans des dossiers. Ces actions, Stirling les avait à la fin de 1968. Lorsque le prêt a été transporté à la banque, elles ont été données en nantissement à la banque, qui les a ultérieurement libérées. Tels étaient les faits, incontestables et connus à la fois du Conseil et de la titulaire.
J’ai déjà mentionné que le Conseil avait avisé la titulaire qu’elle devait être représentée à l’audience. Celle-ci s’est donc fait représenter par son avocat. On a avancé l’opinion que cette représentation était inadéquate. Je ne suis pas de cet avis. L’avocat ne pouvait agir que suivant les instructions qu’il avait reçues. Ces instructions étaient d’aviser le Conseil que l’on projetait de vendre à Bushnell et que la convention serait dé-
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posée à très brève échéance. Il a dit en quoi consistaient les dispositions de la convention passée avec Bushnell et demandé un renouvellement de deux ans. Il est à remarquer que sa mandante avait demandé un renouvellement pour une courte période seulement, en attendant que l’on se penche sur la transaction intervenue avec Bushnell. Le manque de connaissances du représentant se limitait aux dispositions précises des accords financiers intervenus entre la titulaire et Stirling. Il en avait une connaissance générale et il a été aussi exact que le permettait une telle connaissance des faits. La titulaire et le Conseil, eux, en connaissaient les dispositions précises, dont avait fait état de façon détaillée la correspondance échangée.
La demande d’une nouvelle audition a été refusée à bon droit. Le dossier dont dispose cette Cour ne révèle rien qui permette de croire qu’il y avait quelque renseignement, élément de preuve ou argument nouveau à présenter au Conseil et aucun n’a été présenté en cette Cour.
2e Question:
Dans sa décision, l’intimé a-t-il outrepassé ou refusé d’exercer les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion?
Il serait approprié ici de reproduire la décision en entier. Elle est datée du 25 mars 1970, six jours avant l’expiration de la première licence:
RENOUVELLEMENT DE LICENCE
Décision CRTC 70-71
OTTAWA, ONT.
Renouvellement de licence de la station de radio CKPM, Ottawa, Ont.
Décision: Le Conseil accorde un renouvellement de licence jusqu’au 31 décembre 1970 seulement.
Le Conseil recevra, jusqu’au 10 juillet 1970, les demandes qui pourraient lui être faites au sujet de la fréquence utilisée par le détenteur de la licence; il entendra ces demandes, pourvu qu’elles soient acceptables par le Conseil, lors d’une des audiences publiques qu’il tiendra à l’automne.
Toutefois, le Conseil se préoccupe de la continuation du service qui est actuellement offert par la station et, en accordant une nouvelle licence, il prendra ce facteur en considération.
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Motifs: La propriété et le contrôle de la compagnie en cause n’ont pas été établis clairement et à la satisfaction du Conseil. Les témoignages entendus lors des audiences publiques de novembre 1968 et de février 1970 n’ont pas démontré au Conseil que les personnes en charge de la compagnie avaient gardé le parfait contrôle, ni au plan gérance, ni au plan financier, sur les opérations de la station.
De plus, le Conseil est d’avis que le détenteur de la licence n’a pas démontré qu’il pouvait assumer les responsabilités que détermine la Loi sur la radiodiffusion.
A cause de ces circonstances, le Conseil a décidé que cette fréquence, laquelle est du domaine public, sera sujette à une ré-attribution.
Le Secrétaire, F.K. Foster
A mon avis, cette décision est parfaitement conforme aux pouvoirs conférés au Conseil par l’art. 17(1)(c) de la Loi sur la radiodiffusion. Les dispositions pertinentes de l’art. 17 sont les alinéas (a) et (c) du par. (1):
17. (1) Dans la poursuite des objets du Conseil, le comité de direction, après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil, peut
(a) attribuer des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans et sous réserve des conditions propres à la situation du titulaire
(i) que le comité de direction estime appropriées pour la mise en œuvre de la politique de radiodiffusion énoncée dans l’article 2 de la présente loi, et
(ii) dans le cas de licences de radiodiffusion attribuées à la Société, que le comité de direction juge compatibles avec la fourniture, par l’intermédiaire de la Société, du service national de radiodiffusion envisagé par l’article 2 de la présente loi;
* * *
(c) renouveler des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans que le comité de direction estime raisonnables et sous réserve des conditions auxquelles les licences renouvelées étaient antérieurement assujetties ou de toutes autres conditions conformes à l’alinéa a).
Il s’agit ici d’un renouvellement sous condition et non d’une annulation de licence. Le Conseil aurait pu refuser de renouveler la licence en ques-
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tion après le 31 mars 1970, et, à en juger d’après les pièces au dossier, sa décision aurait été inattaquable. Au lieu de cela, il a accordé à la titulaire un renouvellement de neuf mois et déclaré en même temps que la licence ferait l’objet d’un concours. Qu’y a-t-il à redire à cela? C’est justement la fonction qu’attribue au Conseil l’art. 17(1)(c) de la Loi. La titulaire avait d’abord demandé un renouvellement de courte durée, sans audience, qui convenait à ses propres fins. Apprenant qu’elle devait être représentée à une audience, elle a demandé une prolongation de deux ans. On lui a accordé une prolongation de neuf mois, sous condition. La licence n’a pas été annulée et il n’y avait pas lieu de recourir aux procédures d’annulation prévues à l’art. 24. Je n’accepte pas la proposition qui veut que si le Conseil accorde un renouvellement de licence cela entraîne automatiquement des procédures d’annulation s’il n’est accordé d’autre renouvellement.
3e Question:
Y avait-il une preuve à l’appui de l’avis de l’intimé «que le détenteur de la licence n’a pas démontré qu’il pouvait assumer les responsabilités que détermine la Loi sur la radiodiffusion» et, s’il y avait absence de preuve à cet effet, la décision est‑elle nulle?
A mon avis, cette question est inséparable des autres passages de la décision. Elle est traitée immédiatement après l’énoncé dans lequel le Conseil se dit d’avis que la compagnie titulaire ne pouvait le convaincre que les personnes chargées de cette dernière avaient gardé le contrôle de la station, soit du point de vue de la gestion soit du point de vue financier. J’ai déjà exposé aux présents motifs les faits relatifs à ces questions. Il m’apparaît clairement que la décision du Conseil était fondée. Stirling avait toujours le contrôle financier et la gestion de l’entreprise, et il en avait été ainsi depuis l’octroi de la licence en cause.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Le jugement des juges Martland, Hall, Spence et Pigeon a été rendu par
LE JUGE SPENCE — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de M. le Juge Laskin, dont l’exposé très détaillé des faits m’épargnera la nécessité de les
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relater à nouveau si ce n’est pour souligner un point particulier.
M. le Juge Laskin réglerait le pourvoi en déclarant que l’appelante avait le droit de demander le renouvellement de la licence qui lui avait déjà été renouvelée pour un temps limité, jusqu’au 31 décembre 1970, et que le renouvellement déjà accordé par le Conseil (the commission) doit être réputé demeurer en vigueur pour telle période raisonnable et nécessaire pour permettre à l’appelante de demander un autre renouvellement semblable et au Conseil d’entendre sa demande et de rendre une décision. Le Conseil s’étant déjà engagé, suivant la suggestion de cette Cour après l’audition du pourvoi, à prolonger la durée de la licence de manière à englober la période requise pour que cette Cour rende jugement, il semble que la solution proposée par le Juge Laskin soit utile et pratique.
La conclusion à laquelle est arrivé M. le Juge Laskin repose sur les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion, 1967-68 (Can.), c. 25. Il a conclu que la Loi ne donnait pas au Conseil le pouvoir de renouveler la licence pour une période déterminée et de stipuler comme condition du renouvellement qu’à la fin de ladite période, la titulaire n’aurait pas le droit de demander un autre renouvellement. M. le Juge Laskin a par conséquent jugé inutile de se prononcer sur l’allégation de l’appelante selon laquelle les actes de l’intimé constituaient à son égard un déni de justice naturelle.
Bien que je souscrive à l’analyse faite par M. le Juge Laskin, et à la conclusion qu’il a tirée en ce qui concerne l’effet des dispositions de la Loi sur la radiodiffusion, j’estime qu’il y a lieu de traiter de cette allégation de l’appelante.
La licence accordée à l’appelante par le Ministre, le 22 avril 1964, devait demeurer en vigueur jusqu’au 31 mars 1970. Peu de temps après l’octroi de la licence, l’appelante a conclu divers accords avec un certain Geoffrey W. Stirling. Ces accords visaient le financement de l’entreprise de radiodiffusion de la nouvelle titulaire et sa gestion par ledit M. Stirling et (ou) sa compagnie, Apache Communications Limited. Lors d’une au-
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dience du Conseil tenue le 18 novembre 1968 sur la question du renouvellement de la licence de la station CKWW de Windsor, une autre station possédée et contrôlée par M. Stirling, ce dernier a témoigné qu’il détenait 85 pour cent des actions de l’appelante, qui lui avaient été transmises endossées en blanc par leur propriétaire, M. James Alan Stewart, président de l’appelante, et qu’il détenait en outre un contrat de gérance. M. Stirling a ajouté, lors de cette audience, qu’il avait rencontré à l’époque le président du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, organisme prédécesseur du Conseil intimé, et lui avait expliqué toute la situation. La situation résultant des accords susmentionnés n’avait, semble-t-il, été abordée à nouveau par le Bureau et son successeur, l’intimé, qu’à ladite date du 18 novembre 1968, jour où M. Stirling l’a décrite en témoignant à propos du renouvellement de licence demandé pour son autre station. Ni l’appelante ni M. James Alan Stewart, son président, n’avaient été avisés en quelque façon de la tenue de l’audience du 18 novembre 1968, à laquelle M. Stewart n’était ni présent ni représenté. M. Stewart affirme que, par suite du témoignage de M. Stirling à l’audience en question, il s’est entretenu à plusieurs reprises avec le secrétaire de l’intimé au sujet de la gestion et du contrôle financier de la station radiophonique CKPM exploitée par l’appelante, et a échangé avec lui plusieurs lettres au cours des cinq mois suivants. Un bon nombre de ces lettres ont été produites comme pièces à l’appui de l’affidavit qu’a souscrit M. Stewart, le 14 avril 1970, avec sa requête pour permission d’interjeter appel en cette Cour de la décision rendue le 25 mars 1970 par le Conseil intimé. Ci-après, je traiterai de cette décision plus en détail.
Entre-temps, les accords conclus par M. Stirling et Apache Communications Limited, d’une part et M. Stewart, d’autre part, ont subi des modifications. A l’aide d’un prêt de la Banque de Montréal, l’appelante s’est acquittée de sa dette envers M. Stirling et Apache Communications Limited. M. Stirling, il est vrai, a garanti le prêt consenti à l’appelante par la Banque de Montréal, affecté une partie de l’argent reçu de la Banque à l’achat de titres de dépôt pour une valeur de
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$190,000, soit la majeure partie de la garantie, et laissé ces titres entre les mains de la Banque. Une lettre du 23 janvier 1969, adressée à M.F.K. Foster, secrétaire de l’intimé, par le gérant adjoint de la Banque de Montréal, expose cette dernière transaction. Dans une lettre du 2 janvier 1969 adressée à M.J.A. Stewart, président de l’appelante, la Banque de Montréal avait fait état des conditions auxquelles serait consenti le prêt de $240,000 destiné à acquitter la dette due à Apache Communications Limited et M. Stirling. Dans cette dernière lettre, la Banque de Montréal avait exigé le nantissement de toutes les actions ordinaires émises de l’appelante, soit 19,501 actions ordinaires; M. Stewart a fait parvenir une copie de cette lettre à l’intimé le 9 janvier 1969.
Dans sa réponse à M. Stewart datée du 20 janvier 1969 et signée par son secrétaire, l’intimé avait demandé que le gérant adjoint de la Banque de Montréal le mette au courant de la garantie supplémentaire [TRADUCTION] «savoir, le montant et les conditions de la garantie partielle fournie par Apache Communications Limited et les forme, montant et conditions des divers titres de dépôt». C’est en réponse à cette demande que le gérant adjoint de la Banque de Montréal a fait parvenir la lettre du 23 janvier 1969 susmentionnée.
Le 31 mars 1969, l’intimé a adressé à M. Stewart, président de l’appelante, une très longue lettre signée par son secrétaire et dans laquelle il demandait plusieurs autres renseignements et explications. Dans une lettre personnelle du 6 mai 1969, M. Stewart s’est référé et a répondu, de façon très détaillée et suivant leur ordre, à toutes les demandes de renseignement et d’explication contenues dans la lettre du 31 mars reçue de M. Foster.
Le 3 avril 1969, le gérant adjoint de la Banque de Montréal a retourné à M. Stewart, relativement aux 19,501 actions ordinaires de l’appelante, les certificats que celui-ci avait laissés en dépôt à l’époque du prêt de $240,000 consenti à
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cette dernière. La lettre qui accompagnait les certificats se terminant ainsi:
[TRADUCTION] Comme nous vous le mentionnions aujourd’hui, nous avons gardé en dépôt les titres ci-joints comme preuve de bonne foi seulement.
M. Stewart a porté le geste de la Banque de Montréal à la connaissance de l’intimé dans une lettre du 6 mai 1969, dans laquelle il affirmait en outre que la question des droits de vote n’avait pas été soulevée ou discutée avec la Banque à l’époque du prêt ou à un autre moment et que lui seul, M. Stewart, avait droit de vote relativement aux actions de l’appelante pour la durée du prêt.
Ni l’intimé ni aucun fonctionnaire de ce dernier ne sont revenus sur la question du financement et de la gestion de l’appelante après avoir reçu la lettre de M. Stewart du 6 mai 1969.
Dans son affidavit, M. Stewart atteste qu’au mois d’octobre 1969, ou vers ce mois-là, Bushnell Communications Limited of Ottawa lui a fait une offre en vue de l’achat des actions qu’il détenait dans la compagnie appelante et, qu’après négociations, une convention a été conclue en vue de la vente de ces actions. Cette convention était officiellement datée du 31 décembre 1969, mais elle n’a été signée que le 9 février 1970.
Entre-temps, c’est-à-dire pendant ces négociations, l’intimé a donné un avis annonçant la tenue d’une audience publique le mardi 10 février 1970, à 9h30, à l’hôtel King Edward, à Toronto:
[TRADUCTION] Entre autres demandes, le Conseil étudiera le renouvellement de licence des entreprises de radiodiffusion suivantes; leur date d’expiration est le 31 mars 1970, le 1er septembre 1970, le 30 septembre 1970, le 17 octobre 1970, le 1er novembre 1970, le 31 mars 1971 ou le 31 mars 1972.
Suivait une liste des renouvellements de licence et à l’alinéa A, intitulé ENTREPRISES DE RADIODIFFUSION DONT LA LICENCE EXPIRE LE 31 MARS 1970, STATIONS MA PRIVÉES, étaient énumérées un très grand nombre de stations radiophoniques, dont CKPM d’Ottawa
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(Ontario). L’avis donnait aussi la liste des diverses autres stations dont les licences expiraient à des dates différentes.
Bien que l’avis ait été daté du 3 décembre 1969, M. Stewart, dans son affidavit, atteste ne l’avoir reçu que le 21 janvier 1970 ou vers cette date; la lettre du 20 janvier 1970 qui accompagnait l’avis a été produite comme pièce à l’appui de l’affidavit. Plus tôt, soit le 8 janvier 1970, M. Stewart avait fait parvenir au secrétaire de l’intimé une lettre dans laquelle il disait en quoi consistait la vente projetée de ses actions à Bushnell Communications Limited. Les deux paragraphes suivants de la lettre en question ont fait l’objet de nombreux commentaires devant cette Cour:
[TRADUCTION] Étant donné que le renouvellement de notre licence et les sujets de controverse concernant l’accord Stirling sont étroitement liés aux obligations qui sont en voie d’être assumées par l’acheteur, Bushnell Communications Limited, vous jugerez peut-être opportun de reporter l’examen de ces questions à une date postérieure au mois de février 1970, lorsque Bushnell Communications Limited demandera au Conseil d’approuver l’achat desdites actions.
Nous vous serions reconnaissants de nous faire savoir s’il est possible de prolonger la durée de notre licence pour une brève période sans tenir d’audience à cet effet, jusqu’à ce que Bushnell Communications Limited et notre propre compagnie aient présenté leur demande relativement aux questions susmentionnées.
La lettre du 20 janvier 1970 renfermant l’avis d’audience ne fait pas mention de la lettre de M. Stewart en date du 8 janvier 1970. L’intimé demande simplement à être avisé des noms et qualités des personnes qui assisteront à l’audience. Le 22 janvier, M. Stewart a répondu qu’il serait représenté par un avocat, M. Ken McCloskey.
M. Stewart atteste en outre que le 19 janvier 1970, M. Foster, secrétaire de l’intimé, l’avait informé de la tenue d’une audience publique le 10 février 1970, à laquelle serait examiné le renouvellement de la licence de l’appelante et où lecture serait donnée, à la demande de l’intimé, de la lettre du 8 janvier de M. Stewart au Conseil. Il s’agissait évidemment de la lettre dans laquelle M. Stewart faisait part au Conseil de la vente
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projetée de ses actions à Bushnell Communications Limited et lui demandait de renouveler sa licence jusqu’à ce que le transfert des actions soit soumis à l’approbation de l’intimé.
Ni l’intimé ni aucun représentant de celui-ci n’ont fait mention, par voie d’avis public, par lettre ou de vive voix, d’une enquête supplémentaire sur le contrôle financier de l’appelante ou sur le rôle que M. Stirling et Apache Communications Limited jouaient dans la gestion ou le contrôle de l’appelante.
C’est dans de telles circonstances que M. McCloskey, l’avocat de l’appelante, s’est présenté à l’audience du 10 février 1970 présidée par le président du Conseil; ni M. Stewart, président de l’appelante, ni aucun autre fonctionnaire de cette dernière n’étaient présents et, bien entendu, l’intimé savait qu’il en serait ainsi puisque, à sa demande, l’appelante avait désigné M. McCloskey comme unique représentant. Au début de son exposé, M. McCloskey annonça au Conseil le projet de vente d’actions à Bushnell Communications Limited et il conclut en déclarant:
[TRADUCTION] Au nom de CKPM, je serais reconnaissant au Conseil de bien vouloir renouveler, entre-temps, la licence de Confederation Broadcasting pour une période de deux ans et, ensuite, d’examiner la demande d’autorisation de transfert d’actions à l’audience du mois prochain.
Le procureur de l’intimé commença immédiatement à interroger, voire à contre-interroger, M. McCloskey sur les détails relatifs au financement et au contrôle de l’appelante, questions ayant fait l’objet de nombreux entretiens et d’une correspondance volumineuse qui s’étaient terminés, comme je l’ai mentionné, le 6 mai 1969, et qui n’avaient pas été repris par la suite. M. McCloskey, pris au dépourvu, a été tout à fait incapable de donner des renseignements certains et convaincants. L’incapacité de M. McCloskey à fournir ces renseignements a semblé intéresser vivement le président qui, j’en suis convaincu, ne s’est pas rendu compte que si M. McCloskey n’était pas prêt, cela était dû tout simplement au fait qu’aucun avis que ces questions seraient étudiées à
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l’audience n’avait été donné. M. McCloskey n’a pu que donner les renseignements que contenait le dossier qu’il avait en main. La courte audience du Conseil sur le renouvellement de la licence de l’appelante prit fin le même jour. M. Stewart atteste que dès qu’il a appris quelle était la situation, lui-même, le vice-président et l’avocat de l’appelante se sont immédiatement rendus à Toronto, où se poursuivaient les audiences pour le renouvellement d’autres licences, et ont tenté en personne, par télégramme et par lettre d’obtenir que les audiences se poursuivent relativement au renouvellement de la licence de l’appelante afin que M. Stewart, qui était en mesure de donner tous les renseignements nécessaires, puisse le faire avec l’aide du vice-président et de l’avocat, qui connaissaient ces questions à fond, tant du point de vue juridique que du point de vue pratique. Mais cette possibilité de se faire entendre a été refusée à l’appelante.
M. Stewart atteste en outre qu’à 22h, le 31 mars 1970, date d’expiration de la licence d’exploitation de l’appelante, il a reçu un télégramme l’informant de la décision de l’intimé de prolonger la durée de la licence jusqu’au 31 décembre 1970 seulement, soit pour une période de neuf mois. La décision relative au renouvellement était datée du 25 mars 1970 et contenait la disposition suivante: «Le Conseil recevra, jusqu’au 10 juillet 1970, les demandes qui pourraient lui être faites au sujet de la fréquence utilisée par le détenteur de la licence; il entendra ces demandes, pourvu qu’elles soient acceptables par le Conseil, lors d’une des audiences publiques qu’il tiendra à l’automne».
La décision de l’intimé était assortie des courts motifs suivants:
[TRADUCTION] Motifs: La propriété et le contrôle de la compagnie en cause n’ont pas été établis clairement et à la satisfaction du Conseil. Les témoignages entendus lors des audiences publiques de novembre 1968 et de février 1970 n’ont pas démontré au Conseil que les personnes en charge de la compagnie avaient gardé le parfait contrôle, ni au plan gérance, ni au plan financier, sur les opérations de la station.
De plus, le Conseil est d’avis que le détenteur de la licence n’a pas démontré qu’il pouvait assumer les responsabilités que détermine la Loi sur la radiodiffu-
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sion. A cause de ces circonstances, le Conseil a décidé que cette fréquence, laquelle est du domaine public, sera sujette à une ré-attribution.
Je pense, comme le procureur de l’appelante, que ces motifs, et la dernière phrase surtout, montrent clairement que, premièrement, l’appelante ne pouvait demander un autre renouvellement et, deuxièmement, que même si l’appelante demandait une nouvelle licence en même temps que d’autres requérants, sa demande de renouvellement serait vaine. Le tout dernier mot des motifs, «ré-attribution», est très révélateur. De plus, l’appelante a produit l’affidavit d’un certain Kevin Doyle dans lequel ce dernier atteste que le président du Conseil intimé lui a déclaré, le 31 mars 1970, qu’il était [TRADUCTION] «inconcevable que le Conseil prenne en considération une demande du propriétaire actuel, Confederation Broadcasting (Ottawa) Limited, pour cette fréquence». Il n’a pas été question de cet affidavit durant le contre-interrogatoire et aucune preuve n’a été présentée pour le réfuter.
Si j’ai fait un exposé assez détaillé des faits sur la controverse qui entoure le contrôle financier et la gestion de l’appelante, l’examen que le Conseil intimé a fait de la question à l’audience qu’il a tenue le 10 février 1970 et les motifs de sa décision, c’est dans l’intention de démontrer que l’appelante n’avait pas été avisée que cette question serait débattue à ladite audience ni qu’elle serait prise en considération par le Conseil intimé après l’audience. Laissée de côté pendant plus de quatre ans, la question avait fait l’objet, il est vrai, d’un examen très minutieux entre décembre 1968 et mai 1969, mais elle n’avait plus été soulevée depuis.
Le Conseil intimé était parfaitement au courant de la voie que l’appelante entendait suivre à l’audience du 10 février 1970 et il y avait apparemment acquiescé puisqu’il avait avisé M. Stewart que son représentant serait alors appelé à lire la lettre du 8 janvier 1970 dans laquelle M. Stewart expliquait en quoi consistait le projet de vente d’actions. De plus, le Conseil a omis, pour ne pas dire s’est abstenu, de répondre à la lettre en question et d’aviser l’appelante que l’audience por-
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terait sur bien d’autres questions en outre du projet de vente d’actions. Le procureur de l’intimé a insisté sur les deux paragraphes précités de la lettre du 8 janvier 1970 qui montraient, à son avis, que l’appelante savait que le Conseil intimé examinerait la question du contrôle financier à l’audience. Il s’est appuyé sur les mots suivants:
[TRADUCTION] Étant donné que le renouvellement de notre licence et les sujets de controverse concernant l’accord Stirling sont étroitement liés aux obligations assumées par l’acheteur, Bushnell Communications Limited…
Le procureur de l’appelante a avancé que ces mots ne pouvaient que se rapporter à la controverse opposant l’appelante et M. Stewart en sa qualité de président de cette dernière, d’une part, et Apache et M. Stirling, d’autre part. Il a fait remarquer que les parties n’avaient pas donné suite, depuis longtemps, au contrat de gérance passé en 1964 avec M. Stirling, que M. Stewart faisait son possible pour s’en libérer et que, de plus, la convention intervenue avec Bushnell Communications stipulait que cette dernière devait entamer des discussions avec M. Stirling en vue de mettre fin à l’accord passé avec Confederation Broadcasting. En fait, cette disposition de la convention est mentionnée dans le paragraphe qui précède celui sur lequel s’est appuyé le procureur de l’intimé.
Il est très clair que la justice naturelle exige qu’une personne connaisse parfaitement et complètement les accusations portées contre elle et qu’elle ait l’occasion de répondre à ces accusations. Cette Cour a affirmé dans deux décisions récentes: Regina v. Quebec Labour Relations Board, ex parte Komo Construction Inc.[1] et Quebec Labour Relations Board v. Canadian Ingersoll Rand Co. Ltd. et al.[2], que la justice naturelle ne va pas jusqu’à exiger la tenue d’audiences de façon habituelle. A mon avis, les arrêts ci-dessus, cités par le procureur de l’intimé en l’espèce, sont de peu de conséquence sur le point en litige, vu qu’une audience a été tenue; cependant, il est clairement dit dans ces deux arrêts que «l’obligation est de fournir à la partie
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l’occasion de faire valoir ses moyens» (arrêt Komo) et que «l’obligation est de donner aux parties l’occasion de faire valoir leurs moyens» (arrêt Canadian Ingersoll Rand).
Dans la présente cause, on ne se plaint pas de ce qu’une audience n’ait pas été tenue mais de l’omission, de la part de l’intimé, de faire connaître d’une façon ou d’une autre la question qui serait étudiée à l’audience.
Dans Board of Education v. Rice et al[3], Lord Loreburn L.C. dit fort justement, à la page 182:
[TRADUCTION] Dans l’affaire dont il s’agit, comme dans bien d’autres, le point à déterminer en est un qui, quelquefois, doit être réglé en usant d’un pouvoir discrétionnaire, et n’implique aucun élément de droit. Il sera habituellement, je présume, de nature administrative; mais, parfois, il mettra en jeu une question de droit ainsi qu’une question de fait, ou dépendra peut-être même uniquement d’une question de droit. Dans ces cas-là, le Board of Education doit déterminer les règles de droit applicables et les faits de l’espèce. Point n’est besoin d’ajouter qu’en ce faisant le Board doit agir de bonne foi et entendre les deux parties d’une façon qui soit juste, car c’est là un devoir qui incombe à tous ceux qui détiennent un pouvoir de décision. Cependant, je ne crois pas qu’il soit tenu de traiter la question comme si elle faisait l’objet d’un procès. Il n’a pas le pouvoir de faire prêter serment et n’est pas tenu d’interroger des témoins. Il peut obtenir des renseignements de la manière qu’il juge la meilleure, en donnant toujours aux parties engagées dans la controverse une possibilité suffisante de corriger ou de contredire toute déclaration pertinente portant préjudice à leur cause.
(Les traits soulignants sont de moi).
Dans Ridge v. Baldwin[4], les membres juristes de la Chambre des Lords se sont tous exprimés dans le même sens. Lord Reid dit, à la page 80:
[TRADUCTION] Ainsi, je suis d’avis que le pouvoir de congédier prévu dans la Loi de 1882 ne pouvait alors être exercé, et ne peut l’être maintenant, avant que l’agent de police n’ait été avisé par le comité de surveillance des motifs sur lesquels ce dernier entend s’appuyer, et qu’il n’ait eu l’occasion de présenter convenablement sa défense.
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et à la page 81:
[TRADUCTION] L’organisme détenant le pouvoir de décision ne peut légalement rendre une décision avant d’avoir donné à la personne intéressée l’occasion de présenter convenablement sa défense.
Lord Hodson dit, à la page 114:
[TRADUCTION] A mon avis, personne ne conteste qu’il existe trois caractéristiques dominantes de la justice naturelle: (1) le droit d’être entendu par un tribunal impartial, (2) le droit d’être avisé des fautes dont on est accusé, (3) le droit de se faire entendre pour répondre aux accusations.
A mon avis, en l’espèce, le Conseil a violé la deuxième et la troisième des conditions énoncées par Lord Hodson, et, de ce fait, est devenu incompétent pour agir comme il l’a fait.
Pour ces motifs, je suis d’accord avec M. le Juge Laskin quant à la forme que doit revêtir l’ordonnance de cette Cour. Je suis aussi d’avis que le pourvoi doit être accueilli avec dépens.
Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Le 22 avril 1964, l’appelante se voyait accorder jusqu’au 31 mars 1970 une licence commerciale privée de radiodiffusion, moyennant paiement du droit annuel prescrit et sous réserve de l’observation par elle des dispositions légales et réglementaires applicables et des conditions stipulées dans la licence. A cette époque, la délivrance des licences relevait du ministre des Transports mais cette fonction est par la suite passée au Conseil de la Radio-Télévision canadienne (Canadian Radio-Television Commission) en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, 1968 (Can.), c. 25. Les licences jusqu’alors délivrées devaient avoir le même effet que si elles avaient été délivrées en vertu de cette dernière Loi, qui en limitait la durée à une période d’au plus cinq ans avec possibilité de renouvellements pour des périodes maximums semblables. La durée maximum était aussi de cinq ans en vertu de la législation et des règlements qui ont précédé, sauf que les nouvelles licences délivrées après un 1er avril (comme c’est le cas ici) expiraient le 31 mars suivant la fin de la période de cinq ans.
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Le 10 février 1970, le Conseil a tenu des audiences relativement au renouvellement de diverses licences de radiodiffusion, y compris celle de l’appelante. Dans une décision datée du 25 mars 1970 et intitulée «Renouvellement de licence», le Conseil a renouvelé la licence de l’appelante «jusqu’au 31 décembre 1970 seulement» et mentionné qu’il recevrait, jusqu’au 10 juillet 1970, les demandes visant la fréquence utilisée par la titulaire. La décision du Conseil était suivie de motifs à l’appui se rapportant au prétendu défaut de l’appelante de remplir les obligations que la loi imposait au titulaire d’une licence, et de se conformer à certaines conditions contenues dans sa première licence. La décision se terminait ainsi: «A cause de ces circonstances, le Conseil a décidé que cette fréquence, laquelle est du domaine public, sera sujette à une ré-attribution».
En vertu de l’art. 26 de la Loi sur la radio-diffusion, l’appelante a demandé et obtenu la permission d’interjeter appel à cette Cour de la décision du Conseil sur trois questions de droit dont voici la deuxième: [TRADUCTION] «Dans sa décision, l’intimé a-t-il outrepassé ou refusé d’exercer les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion?» Lorsque la permission d’interjeter appel a été accordée, le Conseil a convenu de ne pas solliciter de demandes pour cette fréquence, dans l’attente des procédures d’appel en cette Cour, et, à l’audition du pourvoi, il a convenu de retarder la date d’expiration de la licence de l’appelante, fixée dans sa décision, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le pourvoi, sous réserve, évidemment, du dispositif du jugement.
Bien qu’un point dominant à débattre dans le présent pourvoi soit la question de savoir si le Conseil a commis un déni de justice naturelle envers l’appelante relativement à l’avis de l’audience publique du 10 février 1970 et à l’audience elle-même ou, en d’autres termes, si la règle audi alteram partem a été observée et si l’appelante pouvait l’invoquer, je me bornerai à traiter de ce pourvoi du point de vue de l’excès de juridiction seulement ou, expression que je préfère, de l’excès de pouvoir légal. Ma décision, suivant ce point de vue, va à l’encontre de la position du Conseil et, par conséquent, je conclus que sa décision ne peut être maintenue compte tenu des termes dans lesquels elle est énoncée.
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La Loi sur la radiodiffusion autorise l’attribution, le renouvellement, l’annulation et la suspension de licences de radiodiffusion. (Bien que la Société Radio-Canada soit aussi, dans une certaine mesure, soumise à la juridiction du Conseil, point n’est besoin ici de nous arrêter aux dispositions de la Loi qui visent la Société; ainsi, les références qui suivent ne se rapportent qu’aux autres titulaires). L’annulation ou la suspension s’applique à une licence en vigueur, et l’art. 24 de la Loi prévoit la tenue d’une audition publique préalable dans l’un ou l’autre cas à moins que l’annulation ou la suspension soit à la demande ou du consentement du titulaire. En vertu de l’art. 19(1), une audition publique est de rigueur en ce qui a trait à l’attribution d’une licence de radiodiffusion; et, en vertu de l’art. 19(3), «le Conseil doit tenir une audition publique au sujet du renouvellement d’une licence de radiodiffusion à moins qu’il ne soit convaincu qu’une telle audition n’est pas nécessaire». Dans l’affaire qui nous occupe, une audience a été tenue, ainsi qu’il a déjà été mentionné, au sujet du renouvellement de la licence de l’appelante.
Tandis que la Loi donne au Conseil le pouvoir d’annuler les licences, sur la recommandation du comité de direction (voir l’art. 16(1)(c)), l’attribution, le renouvellement et la suspension des licences sont des fonctions qui échoient au comité de direction «après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil» (voir art. 17). L’article 17 énumère les pouvoirs du comité de direction dans ces domaines:
(1) Dans la poursuite des objets du Conseil, le comité de direction, après avoir consulté les membres à temps partiel qui assistent à une réunion du Conseil, peut
(a) attribuer des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans et sous réserve des conditions propres à la situation du titulaire
i) que le comité de direction estime appropriées pour la mise en œuvre de la politique de radiodiffusion énoncée dans l’article 2 de la présente loi,…
* * *
(c) renouveler des licences de radiodiffusion pour les périodes d’au plus cinq ans que le comité de direction estime raisonnables et sous réserve des conditions auxquelles les licences renouvelées
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étaient antérieurement assujetties ou de toutes autres conditions conformes à l’alinéa a);
(d) sous réserve des dispositions de la présente Partie, suspendre toute licence de radiodiffusion autre qu’une licence de radiodiffusion attribuée à la Société;…
Ni la Loi ni les règles de procédure (que le Conseil peut établir en vertu de l’art. 21) ne précisent la date à laquelle une demande de renouvellement d’une licence en vigueur doit être présentée ni le délai qu’il convient de respecter à cet égard. D’après le dossier produit en cette Cour, c’est le Conseil qui a annoncé la tenue des audiences relatives au renouvellement d’un grand nombre de licences. Il se peut que le Conseil se croie obligé de prendre cette initiative en raison des termes de l’art. 19(3) de la Loi, susmentionné. Si je souligne cet aspect de l’affaire, c’est simplement que l’audience relative au renouvellement s’est tenue tout près de la date d’expiration de la licence et que le Conseil a rendu sa décision moins d’une semaine avant la date où la licence devait expirer par l’écoulement du temps.
Le procureur du Conseil a prétendu qu’il n’existe pas plus de droit à un renouvellement qu’il n’existe de droit à l’obtention d’une première licence et, a fortiori, qu’il ne peut y avoir de droit à un renouvellement pour une période déterminée. Ainsi, d’après lui, le Conseil avait tout autant le pouvoir d’accorder le renouvellement en l’espèce que la faculté de le refuser pour des motifs identiques à ceux qui ont été donnés.
Bien que le procureur de l’appelante ait prétendu que la décision du Conseil équivalait à une annulation devant prendre effet le 31 décembre 1970, et qu’elle n’était pas conforme aux prescriptions relatives à l’annulation prévues à l’art. 24, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de traiter de cette allégation. A mon avis, ce qu’il faut décider, c’est la question de savoir s’il est légalement possible d’assortir un renouvellement de licence d’une décision rendue à la même date et portant que la fréquence du titulaire fera l’objet d’une nouvelle attribution à la lumière des demandes y afférentes reçues avant une date spécifiée tombant durant la période de renouvelle-
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ment. Un affidavit déposé en preuve atteste que le président du Conseil avait déclaré que l’appelante ne serait pas considérée comme requérante admissible à une nouvelle attribution de sa fréquence; l’appelante a prétendu que ceci renforçait l’opinion qu’elle s’était faite de l’effet de la décision du 25 mars 1970. Qu’il soit possible ou non pour l’appelante de présenter une nouvelle demande pour la fréquence en question, il est évident que le requérant qui, pour obtenir une licence, doit entrer en concurrence avec un nombre indéterminé d’autres requérants se trouve, prima facie du moins, dans une position moins favorable que s’il demandait le renouvellement d’une licence en vigueur.
A mon avis, la Loi donne au titulaire d’une licence qui n’a pas été révoquée ou suspendue pendant sa durée d’application le droit d’en demander le renouvellement. Le fait d’avoir qualité pour obtenir une licence et de conserver cette qualité met en cause des facteurs d’ordre économique évidents et on ne peut refuser le droit de demander le renouvellement d’une licence sous prétexte qu’il n’a qu’une valeur éphémère, le droit au renouvellement n’existant pas: cf. de Smith, Judicial Review of Administrative Action (2e éd. 1968), pp. 210 et 211. En l’espèce, la question de la bonne foi n’a pas été soulevée relativement à la période de renouvellement; il n’y a donc pas lieu de chercher à appliquer à ce cas-ci des arrêts portant sur des imputations d’exercice coloré de pouvoir discrétionnaire, notamment celui rendu dans l’affaire Williams v. Giddy[5] où une régie, autorisée à accorder à un fonctionnaire retraité qui y avait droit une gratification d’un montant déterminé pour chaque année de service, lui avait adjugé un penny par an pour ses sept dernières années de service. Pareille mesure a été jugée assimilable à un refus d’exercer le pouvoir discrétionnaire. Cependant, je ne puis admettre qu’il soit possible d’accorder un renouvellement tout en déniant péremptoirement, au moment où la prolongation est accordée, la qualité requise pour demander un autre renouvellement avant l’expiration de la période de prolongation. La Loi sur la radiodiffusion ne confère nulle part un tel pouvoir expressément; et en raison de l’étendue de l’au-
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torité accordée pour annuler, suspendre, renouveler et modifier des licences (un pouvoir dont je n’ai pas cru nécessaire de traiter), ainsi que pour en attribuer, je ne crois pas que je serais fondé à conclure qu’un tel pouvoir est compris implicitement dans le pouvoir de renouveler. De fait, l’art. 17(1)(c) semble d’ailleurs l’exclure. Il en serait autrement si la titulaire avait consenti à un renouvellement final et convenu de ne pas demander d’autre renouvellement.
Il s’ensuit que la décision du Conseil du 25 mars 1970 ne peut être maintenue dans la mesure où elle prive l’appelante du droit de demander un autre renouvellement. A mon avis, l’ordonnance qu’il y a lieu de rendre est de déclarer que l’appelante avait le droit de demander le renouvellement de la licence renouvelée, et que le renouvellement accordé par le Conseil doit être réputé demeurer en vigueur pour telle période raisonnable et nécessaire pour permettre à l’appelante de demander un autre renouvellement et au Conseil d’entendre sa demande et de rendre une décision. Le dispositif du jugement devrait être fait de façon à donner suite à cette directive.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens.
Appel accueilli avec dépens, LE JUGE EN CHEF FAUTEUX et LES JUGES ABBOTT, JUDSON et RITCHIE étant dissidents.
Procureur de l’appelante: W.G. Burke-Robertson, Ottawa.
Procureur de l’intimé: J.D. Hylton, Ottawa.
[1] [1968] R.C.S. 172, 1 D.L.R. (3d) 125.
[2] [1968] R.C.S. 695, 1 D.L.R. (3d) 417.
[3] [1911] A.C. 179, 80 L.J.K.B. 769.
[4] [1963] 2 All E.R. 66, [1964] A.C. 40.
[5] [1911] A.C. 381.