Cour Suprême du Canada
Slater Steel Industries Ltd. c. Lacal Industries Ltd., [1972] R.C.S. 29
Date: 1971-04-05
Slater Steel Industries Limited (Défenderesse) Appelante;
et
Lacal Industries Limited (Demanderesse) Intimée.
1970: les 12 et 13 novembre; 1971: le 5 avril.
Présents: Les Juges Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement du Président Jackett de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], déclarant un brevet invalide et nul. Appel rejeté.
J.F. Howard, c.r., et P.R. Hayden, pour la défenderesse, appelante.
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R.A. Smith, c.r., et R. Saffrey, pour la demanderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Le présent appel découle d’une action déclaratoire par laquelle Lacal Industries Limited a contesté avec succès la validité du brevet canadien n° 653,027 ayant trait à l’invention de supports de suspension faisant partie de montages de suspension pour conducteurs. La défenderesse titulaire du brevet, Slater Industries Limited, a fait une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour contrefaçon; il n’est pas contesté que, si le brevet est valide, il y a eu contrefaçon. Le Président Jackett, de la Cour de l’Échiquier, l’a déclaré invalide parce qu’il ne portait sur aucun objet, mais il a rejeté les autres moyens invoqués à l’encontre, dont les suivants: (1) l’invention que l’on veut faire valoir manque de nouveauté; (2) elle n’est pas celle de l’inventeur désigné, et (3) ce dernier n’en est pas le premier inventeur. Le savant juge de première instance a également rejeté la prétention de Lacal que le brevet est invalide parce qu’il ne satisferait pas aux conditions de l’art. 36 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, c. 203, en ce qui a trait au mémoire descriptif.
Le brevet en question a été délivré le 27 novembre 1962 à la suite d’une demande produite le 22 mars 1960. En vertu de l’art. 46 de la Loi, le titulaire du brevet a un privilège à partir de la date de la concession du brevet; mais, en ce qui concerne les articles 28(1)a) et 63(1), la titulaire du brevet soutient que l’invention date d’une période aussi reculée que celle qui s’est écoulée entre mai et novembre 1968 et que, de toute façon, l’invention remonte au 4 février 1959.
L’invention est décrite de la façon suivante dans l’un des passages pertinents du mémoire descriptif du brevet:
[TRADUCTION] La présente invention se rapporte à un modèle perfectionné de supports de suspension utilisés pour supporter plusieurs câbles à haute tension disposés en parallèle suivant un agencement préétabli. Lorsque le courant à transmettre le long d’une ligne de transmission donnée est d’une intensité qui rend opportune l’utilisation de plus d’un
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conducteur par phase, il est d’usage de suspendre ces conducteurs électriquement communs aux pylônes ou autres constructions fixes et élevées en les posant dans des sièges espacés les uns des autres sur des supports communs. Ceux-ci sont ensuite suspendus aux isolateurs les plus bas de chaînes d’isolateurs qui pendent à ces constructions fixes.
La tendance actuelle à transmettre l’énergie électrique à des tensions de plus en plus hautes a créé deux problèmes dans la conception des supports de suspension utilisés à cette fin. D’abord le problème des pertes par effluves résultant de l’effet couronne, que l’on sait pouvoir atteindre, par temps orageux, 30 kW par mille de ligne pour une ligne à 345 kV. On sait que l’on peut réduire les pertes par effluves dues à l’effet couronne en concevant les pièces à haute tension avec un minimum d’arêtes vives, mais les supports ordinaires comprennent néanmoins de nombreuses pièces distinctes assemblées par des boulons, chevilles, écrous, etc., ayant nécessairement des arêtes vives propres à produire la décharge donnant lieu à l’effet couronne. Le second problème relatif aux lignes de transmission à haute tension qui est visé par la présente invention est celui de la disproportion des gradients de potentiel auxquels sont soumis les isolateurs des chaînes d’isolateurs qui retiennent les câbles. Ce problème est connu depuis longtemps. Des dispositifs comme les anneaux de garde ont été conçus pour uniformiser les gradients de potentiel et réduire la contrainte à laquelle sont soumis les isolateurs les plus rapprochés de la ligne; sans cela ces isolateurs supporteraient une trop grande partie de l’ensemble du potentiel ligne-terre.
L’invention a pour objet la création d’un type de support de suspension qui rend plus uniforme le gradient de potentiel auquel sont soumis les divers isolateurs sans avoir à recourir à des dispositifs compliqués comme des anneaux de garde.
Dans ce but, le siège d’au moins un des câbles est placé, suivant la présente invention, de telle façon qu’il se trouve généralement vers l’extérieur et à proximité de l’isolateur le plus bas, ou du moins dans le voisinage général des deux ou trois isolateurs les plus bas…
Cette description est complétée, dans le brevet, par un exposé divisant les réalisations de l’invention en douze revendications différentes mais connexes. Deux dessins sont joints; chacun montre un montage de suspension pour quatre
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conducteurs (ou câbles); on en trouve une explication à la fin du mémoire descriptif, dans les alinéas suivants:
[TRADUCTION] Les figures 1 et 2 montrent les deux câbles supérieurs à peu près au niveau de l’isolateur le plus bas, n° 35, et relativement près de ce dernier. On peut modifier cet agencement en plaçant les câbles un peu plus haut, si on le préfère, de façon qu’ils soient au niveau du deuxième isolateur, ou même du troisième.
D’après l’idée de la présente invention, il est également possible de placer les câbles plus en bas et même au-dessous du niveau de l’isolateur le plus bas, tout en obtenant à peu près* le même résultat. Dans ce dernier cas, les câbles seraient encore placés vers l’extérieur de l’isolateur le plus bas mais nécessairement à la hauteur du niveau horizontal de ce dernier. Ce qui importe, c’est que les câbles soient dans le voisinage général des quelques isolateurs les plus bas de façon à créer un champ électrostatique tendant à réduire la tendance naturelle à la répartition dans les isolateurs les plus bas d’une trop grande partie de l’ensemble du gradient de potentiel. Du point de vue de l’électricité, les câbles ont à cet égard la même fonction que les anneaux de garde, mais ce résultat est obtenu sans avoir à utiliser des dispositifs distincts.
Un tel assemblage offre plus de symétrie avec deux câbles en hauteur, c’est-à-dire placés à proximité des isolateurs les plus bas, mais il est possible d’obtenir à peu près le même effet avec un seul câble. Il suffit donc d’avoir un seul câble en hauteur, si la forme de la charpente ou le nombre de câbles utilisés l’exige. Notons que l’idée générale de l’invention s’étend à un support pouvant porter un nombre de câbles autre que quatre, deux par exemple, et permettant de grouper les câbles d’une autre façon que dans le dessin, pourvu qu’au moins l’un des câbles se trouve à proximité des isolateurs les plus bas.
Il est évident que l’invention donne un type nouveau et perfectionné de support de suspension d’un modèle extrêmement simple dont les résultats à l’usage sont tout aussi avantageux que ceux des dispositifs de modèle beaucoup plus complexe communément utilisés jusqu’à maintenant.
Ni la conception, ni la fabrication des supports de suspension mentionnés dans le brevet ne sont revendiquées comme parties intégrantes de l’invention. Ce qui est revendiqué comme invention,
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(comme le montre le mémoire descriptif lui-même, même s’il aurait fallu à ce sujet avoir recours à des termes plus heureux) c’est une idée, réalisable grâce aux supports, en vue de réduire, sinon complètement éliminer, les pertes par effluves dues à l’effet couronne dans les isolateurs des lignes (ou conducteurs) d’énergie à très haute tension, et ce qui est encore plus important, en vue de mieux égaliser la répartition des gradients de potentiel le long des montages de suspension pour conducteurs, en particulier le long des chaînes d’isolateurs faisant partie de ces montages, sans avoir recours en outre à des anneaux de garde. En bref, Slater revendique un brevet de perfectionnement. Je ferai maintenant l’historique du problème qu’aurait résolu grâce, affirme-t-on, à son esprit inventif, l’inventeur de Slater, un dénommé Robert G. Baird.
Le problème a commencé avec l’accroissement de la demande d’énergie, à laquelle on a fait face en étendant la gamme de tensions des conducteurs à partir de hautes tensions allant de 150 à 230 kilovolts (kV) jusqu’à de très hautes tensions allant de 345 kV à plus de 600 kV. Les hautes tensions pouvaient être transportées sur une ligne de transmission à conducteur unique, comprenant une série de pylônes supportant les câbles électriques qui transportaient l’énergie de la source aux points d’utilisation. Les conducteurs des lignes de transmission étaient isolés de la terre et des pylônes par l’air (qui ne conduit pas l’électricité), mais parce qu’ils étaient assujettis aux pylônes qui les supportaient, il fallait employer des isolateurs solides afin d’empêcher le flux de courant entre les conducteurs et les pylônes d’une part, et les conducteurs et la terre d’autre part. Des supports de suspension étaient utilisés pour maintenir les conducteurs en place par rapport aux isolateurs.
La tension crée une contrainte électrique sur ou dans l’air isolant. Celle-ci augmente avec la tension, et peut finir par détruire la qualité isolante de l’air qui devient lui-même un conducteur et cause la formation d’un arc électrique ou encore d’un halo luminescent connu sous le nom d’effet couronne. Ce phénomène peut se rattacher aux isolateurs de même qu’aux conducteurs et supports de suspension; il entraîne du brouillage
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radio-électrique ainsi qu’une perte d’énergie importante. Il est possible de remédier à l’effet couronne dans les supports ou dispositifs de couplage des isolateurs en arrondissant ou en adoucissant leurs arêtes; il n’a pas été soutenu que cette méthode généralement connue comportait une idée ou un procédé brevetable. On a d’abord remédié à l’effet couronne dans les supports et isolateurs par l’emploi d’anneaux de garde; j’en reparlerai plus longuement dans la suite des présents motifs.
Les très hautes tensions ont entraîné l’accroissement de l’effet couronne, et des pertes de potentiel plus importantes; il importait donc au plus haut point d’y remédier. S’inspirant de l’expérience acquise en Europe, où l’on avait utilisé deux ou trois conducteurs pour transporter de très hautes tensions sur une ligne de transmission, les compagnies d’énergie nord-américaines se mirent à projeter des systèmes semblables; en ce qui concerne le point en litige dans le présent appel, un faisceau de quatre conducteurs en était le prototype. Toutefois, les lignes nord-américaines de transmission à très haute tension ont été dotées au début de faisceaux de deux conducteurs. On sait qu’une ligne à 230 kV ainsi équipée a été mise en service en Colombie-Britannique en 1952, mais un seul des deux conducteurs était utilisé; ce n’est qu’en 1956 que la ligne a été complètement alimentée à 345 kV. Une ligne semblable, d’une très haute tension égale, a été mise en service en 1956 dans l’État de Washington. Dans les deux cas, des anneaux de garde ont été utilisés.
Il y a contestation entre les parties quant à la nécessité de l’utilisation d’anneaux de garde sur les lignes de transmission à conducteurs en faisceau et quant à leur destination et à leur effet. Les anneaux de garde (également appelés, dans les témoignages, anneaux couronne) sont des dispositifs métalliques qui entourent l’isolateur le plus bas d’une chaîne d’isolateurs et qui sont reliés électriquement au conducteur voisin, ce qui a pour effet d’améliorer la répartition du potentiel (qui, autrement, serait disproportionnée dans les isolateurs le plus bas, plus rapprochés du conducteur) et de réduire (comme je l’ai déjà signalé) l’effet couronne dans le support et l’isolateur.
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J’ai déjà dit que les anneaux de garde étaient utilisés sur les lignes de transmission à conducteur unique, mais ils l’étaient également avant 1958, sur les lignes européennes de transmission à conducteurs en faisceau, en partie parce qu’un genre différent d’isolateur y était en service et que les anneaux étaient nécessaires pour remédier à l’effet couronne de même que pour améliorer la répartition du potentiel le long de la chaîne d’isolateurs. Les lignes nord-américaines de transmission à conducteurs en faisceau, et certainement les lignes ontariennes, avaient un genre différent d’isolateur qui ne nécessitait pas l’emploi d’anneaux de garde pour toutes les fins auxquelles étaient destinés ces anneaux en Europe. Le litige entre les parties porte en grande partie sur la question de savoir si les anneaux de garde n’étaient utilisés ici que pour remédier à l’effet couronne dans les isolateurs. Ce point touchait à la question du «caractère évident», qui mettait elle-même en cause la période durant laquelle le problème de l’effet couronne dans les isolateurs s’est trouvé sans solution réelle.
M. Baird, désigné comme l’inventeur par l’appelante titulaire du brevet, était au moment pertinent l’ingénieur en chef de celle-ci et s’occupait du dessin de ferrures pour les supports de suspension destinés aux lignes de transmission, de distribution et de communication; il a témoigné que l’idée qui a mené au brevet lui était venue en 1954 lorsque la compagnie titulaire du brevet essayait des ferrures qu’elle espérait fournir à l’Hydro-Québec pour une ligne à 345 kV. Il savait que les anneaux de garde répartissaient le potentiel du conducteur le long de la chaîne d’isolateurs; il lui a semblé qu’on pourrait obtenir le même résultat en haussant le conducteur le long des isolateurs les plus bas ou même un peu plus haut. L’idée en resta là parce qu’il fallait d’abord trouver une solution au problème mécanique, soit arriver à faire tenir le conducteur unique (alors utilisé) le long des isolateurs les plus bas sans que ces derniers basculent. Il affirme avoir repris cette idée en 1958 lorsque l’on a appris que l’Hydro ontarienne projetait de construire des lignes de transmission à très haute tension avec conducteurs multiples. L’Hydro a d’abord envisagé un faisceau de trois conducteurs mais a par la suite opté pour un
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faisceau de quatre, en partie du moins parce qu’il n’y avait pas de grande différence dans le coût. Baird pensait que le problème mécanique pouvait alors être résolu.
Puis il y eut des visites aux services du génie et de la recherche de l’Hydro ontarienne ainsi que des consultations en vue d’élaborer un dessin pour les lignes de transmission projetées, la compagnie appelante étant surtout intéressée au dessin des supports qu’elle espérait alors vendre à l’Hydro ontarienne. A cet égard, elle a finalement atteint son but. On a surtout insisté sur deux rapports, du 13 mai 1958 et du 8 juillet 1958, préparés par un dénommé Madeyski qui travaillait alors sous la direction de M. Baird: le premier portait sur une visite que M. Madeyski avait faite le 8 mai 1958 à la division de la recherche de l’Hydro ontarienne; le second faisait état de renseignements obtenus de cette division, notamment que l’Hydro ontarienne projetait de concevoir et d’essayer «des entretoises et agrafes de suspension rigides» pour faisceaux de trois conducteurs, l’écartement entre les conducteurs devant être de quinze pouces, et «qu’on devait s’efforcer de placer les conducteurs le plus près possible des isolateurs». A la suite de ces rapports, M. Baird demanda à M. Madeyski de préparer les croquis de supports de suspension qui fourniraient un appui stable au conducteur ou aux conducteurs les plus élevés placés le long ou au-dessus des isolateurs les plus bas. Le dessin définitif fait par la compagnie titulaire du brevet, illustrant (selon M. Baird) [TRADUCTION] «un support typique autorépartiteur de potentiel pour faisceau de quatre conducteurs», a été complété le 4 février 1959, date déjà mentionnée dans les présents motifs. Un prototype en bois du support a été fabriqué pour être mis à l’essai par l’Hydro ontarienne durant l’été 1960, mais le produit finalement vendu était différent bien que réalisant la même idée. Je puis ici faire remarquer que même avant la délivrance à l’appelante du brevet en litige, il avait été convenu entre elle et l’Hydro ontarienne qu’une licence relative au brevet serait accordée à cette dernière sans aucune redevance.
M. Baird avoue dans son témoignage ne pas s’être tenu à la page par la lecture des publica-
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tions techniques disponibles relatives aux moyens de remédier à l’effet couronne dans les isolateurs de lignes de transmission à conducteurs en faisceau. A l’interrogatoire préalable, il a affirmé qu’à l’époque de la demande de brevet, il ignorait s’il était possible d’obtenir une meilleure répartition du gradient de potentiel le long des isolateurs avec des conducteurs en faisceau plutôt qu’avec un seul conducteur, mais dans son témoignage à l’audition il a au contraire affirmé sans équivoque qu’il savait bien qu’il était possible d’obtenir une meilleure répartition avec des conducteurs en faisceau. J’ajouterais ici que M. Madeyski a témoigné que c’était M. Baird qui lui avait proposé de mettre les conducteurs les plus élevés au même niveau que l’isolateur le plus bas, lorsqu’il préparait ses croquis à la fin de 1958. Le juge de première instance a accepté le témoignage de M. Madeyski portant que les croquis avaient été préparés après le 8 juillet 1958 et avant la réunion ci-après mentionnée du 10 décembre 1958. C’est là une conclusion qu’il lui appartient à juste titre de tirer.
Le représentant le plus important de l’Hydro ontarienne lors des consultations avec les représentants de la titulaire du brevet était un dénommé McMurtrie, alors ingénieur concepteur principal en matière de transmission. Il a décrit les essais effectués avec différentes combinaisons de ferrures suspendues sous des isolateurs, avec faisceau de quatre conducteurs, et expliqué comment il avait eu l’impression qu’un faisceau de quatre conducteurs donne une meilleure répartition en ce qui concerne l’effet couronne de l’isolateur, ce qui laissait entrevoir la possibilité d’éliminer les anneaux de garde. Dans ces essais, ou du moins dans certains d’entre eux, le faisceau de conducteurs se trouvait de six à douze pouces au-dessous de l’isolateur le plus bas. M. McMurtrie affirme s’être entretenu des essais avec M. Baird, et souligne que les discussions ont porté surtout sur la question des coûts advenant le cas où les anneaux de garde seraient remplacés par des supports et des agrafes qui, pour être utilisées avec résultat, devaient être arrondies. Selon M. McMurtrie, lui‑même et M. Baird ont aussi discuté la possibilité de placer les conducteurs parallèlement à la jupe inférieure de l’isolateur
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le plus bas, ce qui permettrait à l’Hydro ontarienne de faire en sorte que la chaîne d’isolateurs soit aussi courte possible. L’écartement entre l’agrafe entourant le conducteur et la jupe de l’isolateur était important, mais aucune conclusion précise n’a été tirée sur ce point à l’époque. M. McMurtrie a affirmé en outre qu’au milieu de l’année 1959 ou plus tard cette année-là, l’Hydro ontarienne a décidé qu’il y aurait un espacement de dix-huit pouces entre les conducteurs inférieurs, les avantages d’écartements de quinze et de seize pouces ayant déjà été considérés et des expériences ayant été faites avec des écartements allant de huit à dix-huit pouces. Le dessin de la titulaire du brevet daté du 4 février 1959 n’indique aucune dimension mais il est fait en grandeur naturelle et M. McMurtrie a mesuré un écartement de seize pouces.
Comme l’a signalé le Président Jackett, les témoignages de MM. Baird et McMurtrie se contredisent sur la question de savoir quand celui-ci aurait dit à Baird, — si tant est même qu’il l’ait dit, — qu’un support permettant de placer les conducteurs parallèlement à la jupe inférieure de l’isolateur le plus bas devrait être conçu. Cette remarque aurait été faite à une réunion du 10 décembre 1958, à laquelle un associé de M. Baird, un dénommé McDermid, qui n’a pas été appelé comme témoin, était également présent. M. McMurtrie avait également eu des entretiens avec un fabricant américain qui cherchait à traiter avec l’Hydro ontarienne. Le juge de première instance dit que M. McMurtrie a pu parler de ce projet à la société en question et, après un examen attentif, il conclut qu’il doit accepter l’affirmation de M. Baird voulant que ce dernier ait donné suite à l’idée qu’il avait d’abord eue en 1954, et commandé les croquis à M. Madeyski sans que M. McMurtrie l’ait poussé à le faire.
D’après la preuve, en septembre 1959 un dénommé Kalns, qui travaillait sous la direction de M. McMurtrie, a été chargé de concevoir un support permettant de hausser les conducteurs au niveau de l’isolateur le plus bas. Apparemment, l’affaire en est restée là parce que la compagnie appelante a offert de conclure un accord au sujet d’une licence, dont il est fait mention ci-
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dessus. Je ne crois pas que cela mette en doute le bien-fondé des décisions favorables du juge de première instance au sujet de la crédibilité des témoignages de MM. Baird et Madeyski.
Le Président Jackett a tiré de la preuve deux conclusions qui, formulées de façon légèrement différente, sont les suivantes: (1) dès 1958 les ingénieurs concepteurs de lignes de transmission savaient que la distance entre un conducteur et la chaîne d’isolateurs est l’un des facteurs qui influent sur l’importance de l’effet couronne de l’isolateur, et (2), ils savaient également à l’époque que l’utilisation de conducteurs en faisceau plutôt que d’un seul conducteur permettait, moyennant un montage approprié, de réduire considérablement la répartition inégale du potentiel le long d’une chaîne d’isolateurs et de réduire ainsi l’effet couronne. Ce n’était pas là une conséquence automatique de l’utilisation de conducteurs en faisceau. Dans la conception, il fallait tenir compte, évidemment, du coût plus élevé de la construction de pylônes capables de soutenir les conducteurs en faisceau et leurs chaînes d’isolateurs et ferrures, de telle façon qu’il y ait un bon isolement sans contrainte électrique nuisible.
A mon avis, ces conclusions du Président Jackett sont bien étayées par le dossier. La question importante qui est reliée à ces conclusions est celle de savoir si la position dans laquelle les conducteurs doivent se trouver par rapport à la chaîne d’isolateurs, pour uniformiser la répartition du potentiel, met en jeu non seulement, là encore, un savoir-faire en mécanique mais, en outre, les qualités d’un esprit inventif.
L’appelante a fortement contesté la conclusion défavorable du juge de première instance sur cette question. Elle a soutenu que le problème de la répartition inégale du potentiel et celui, connexe, de l’effet couronne dans l’isolateur, sur les lignes de transmission à conducteurs en faisceau, était resté sans solution pendant environ dix ans avant que M. Baird trouve la réponse, et que le juge de première instance a eu tort de conclure que le problème n’existait pas depuis longtemps. L’avocat a admis que la méthode pour y remédier est simple ce qui, évidemment, ne lui enlèverait pas son caractère d’invention: mais il a cherché
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à démontrer, en se reportant aux ouvrages techniques courants de l’époque allant de 1947 à 1958, et même à ceux qui remontaient à bien avant, que c’est au moyen d’anneaux de garde que l’on pensait résoudre le problème de la répartition du potentiel le long des chaînes d’isolateurs, et réduire l’effet couronne dans l’isolateur.
La preuve démontre toutefois, et l’appelante le reconnaît, que, comme le dit l’un de ses témoins, le professeur Barton, [TRADUCTION] «parmi les méthodes traditionnelles pour uniformiser la répartition du potentiel, il y a celle qui consiste à placer le conducteur le plus haut possible au-dessous de l’isolateur le plus bas; si cela ne suffit pas, on ajoute des anneaux de garde». Sans aucun doute insistait-on sur les anneaux de garde lorsque les premiers conducteurs en faisceau ont été mis en service (parce qu’ils s’étaient avérés nécessaires sur les lignes à conducteur unique et servaient également à d’autres fins qu’à la réduction de l’effet couronne dans les isolateurs), mais les ingénieurs concepteurs n’ignoraient pas les modifications que pouvaient eux-mêmes entraîner les conducteurs en faisceau selon leur position par rapport aux chaînes d’isolateurs. Les variations de la contrainte électrique dépendaient, entre autres choses, de la forme des pylônes et de la façon dont ils étaient construits, du diamètre des conducteurs, du type d’isolateur et de la forme et des arêtes des ferrures, mais cela ne voulait pas dire que les effets, sur une ligne de transmission en service, différaient autrement que par leur intensité.
Le point en litige entre les parties consiste en définitive à déterminer si c’était faire preuve d’esprit d’invention que de trouver la distance optimale, ou la gamme optimale de distances, entre les conducteurs et les isolateurs les plus bas qui permettrait de régler le mieux possible la répartition du potentiel et, partant, réduire l’effet couronne dans l’isolateur. La titulaire du brevet a admis qu’à l’époque en cause on en était encore, pour obtenir une répartition acceptable, au procédé consistant à placer les conducteurs en dessous de l’isolateur le plus bas, à une distance pouvant varier entre cinq et douze pouces et demi. Elle a revendiqué comme faisant partie de son brevet la pose des conducteurs à une distance pouvant varier de cinq pouces au-dessous de
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l’isolateur le plus bas jusqu’au niveau de celui-ci. Les énonciations du brevet ne spécifient pas une telle gamme de distances et il n’y est fait mention que de la proximité des isolateurs les plus bas et d’une mise en place à l’horizontale à peu près au même niveau que ces isolateurs.
En concluant dans ses motifs que le brevet ne portait sur aucun objet, le juge de première instance s’est reporté à l’opinion de M. McMurtrie selon laquelle il y avait avantage à raccourcir le montage et à garder les conducteurs près des isolateurs. L’importance accordée à l’opinion en question par le Président Jackett est, a-t-on objecté, mal fondée, pour le motif que McMurtrie s’occupait de la conception de modèles et de rentabilité, et non, comme le dit l’appelante, de l’idée du point de vue de l’électricité. Cette distinction est valable mais l’objection perd de sa valeur, en l’espèce, parce que le témoignage de M. McMurtrie n’est pas isolé et ne fait que renforcer, du point de vue de la mécanique, l’effet électrique déjà connu des conducteurs en faisceau placés à proximité de chaînes d’isolateurs. Comme je partage l’avis du juge de première instance sur la question de l’objet, je n’ai pas à parler des autres points en litige, qui ne peuvent entrer en ligne de compte que si ce grief contre le brevet est d’abord rejeté.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la défenderesse, appelante: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
Procureurs de la demanderesse, intimée: Wahn, Mayer, Smith, Creber, Lyons, Torrance & Stevenson, Toronto.
[1] (1969), 59 C.P.R. 9, 41 Fox Pat. C. 1.