Cour Suprême du Canada
Bank of Montreal c. Kiwi Polish Co. (Canada) Ltd. et al., [1971] R.C.S. 991
Date: 1971-04-21
Banque de Montréal (Demanderesse) Appelante;
et
Kiwi Polish Company (Canada) Ltd. et al (Défenderesses) Intimées;
et
Powell Projects Ltd. et al. (Défendeurs) Appelants.
1971: les 15 et 16 mars; 1971: le 27 avril.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Spence.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Smith. Appel accueilli.
P.B.C. Pepper, c.r., et R.J. Harvey, pour la demanderesse, appelante.
C.L. Dubin, c.r., L.M. Candido et R.A. Blair, pour les défendeurs, appelants.
B.D. Macdonald et R. Wilson, pour les défenderesses, intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le 1er août 1965, deux compagnies à responsabilité limitée, Arcus Importing Company Ltd., et Heyrod Enterprises Limited, ont formé une société commerciale devant faire affaires sous la raison sociale de Geo. M. Fraser & Co. Le 3 juin 1966, ces deux compagnies ont signé une obligation conjointe à charge flottante de $275,000 en faveur de la Banque de Montréal. Il s’agit, dans le présent appel, de décider si cette obligation a créé une charge valide sur l’actif de la société, ayant priorité sur les droits des créanciers de la société, ou si elle n’engage que l’intérêt net des associés dans l’actif de la firme. L’argent que la banque a prêté sur cette garantie a été reçu et dépensé par la société pour ses affaires. En première instance et en appel, il a été décidé que l’obligation n’engageait que l’intérêt net des associés dans l’actif de la firme. La Banque de Montréal a interjeté appel.
Je cite les dispositions de l’obligation qui sont pertinentes dans le présent appel: [TRADUCTION]
OBLIGATION
CANADA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE................................. $275,000.00
HEYROD ENTERPRISES LTD. et ARCUS IMPORTING COMPANY LTD. (chacune étant constituée en vertu du Companies Act, de la province de la Colombie-Britannique et
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chacune ayant son siège social enregistré au 3525, chemin Cornett, Vancouver, Colombie-Britannique)
1. HEYROD ENTERPRISES LTD. et ARCUS IMPORTING COMPANY LTD., chacune étant un corps dûment constitué en vertu des lois de la province de la Colombie‑Britannique et ayant son siège social au 3525, chemin Cornett, Vancouver, Colombie-Britannique, (ci-après appelées les «Compagnies») s’engagent conjointement et solidairement à payer sur demande à la BANQUE DE MONTRÉAL (ci-après appelée la «Banque») la somme de DEUX CENT SOIXANTE-QUINZE MILLE DOLLARS ($275,000.00), en monnaie légale du Canada.
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4. A la garantie du paiement dudit capital, de l’intérêt et des autres dettes… les Compagnies, conjointement, en qualité d’associées dans la société connue sous le nom de Geo. M. Fraser & Co., affectent, et chacune des compagnies y affecte séparément en son propre nom, par les présentes… tous les biens, actifs, effets et entreprises conjoints et solidaires… des Compagnies en qualité d’associées et de chacune des compagnies individuellement…
* * *
EN FOI DE QUOI les Compagnies ont signé la présente obligation sous leurs sceaux, le 3 juin mil neuf cent soixante-six.
Le sceau de HEYROD ENTERPRISES LTD. a été apposé sur le présent document en présence de:
«A. HESFORD»
administrateur
«G.M. FRASER»
administrateur
Le sceau d’ARCUS IMPORTING COMPANY LTD. a été apposé sur le présent document en présence de:
«G.M. FRASER»
administrateur
«A. HESFORD»
administrateur
Le 15 mai 1968, la banque a engagé des procédures en vue d’exiger le paiement de son obligation et a obtenu qu’un séquestre soit nommé. Le
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25 juin 1968, les associées ont été mises en faillite; en vertu d’une ordonnance rendue en conformité de l’art. 16 de la Loi sur la faillite, Kiwi Polish Company (Canada) Ltd. et d’autres intéressés se sont opposés tout au long des présentes procédures à la prétention de la banque à la priorité. Les autres intéressés représentés dans les présentes procédures sont les obligataires dont les obligations viennent après celle de la banque mais qui allèguent être au deuxième rang. Leurs obligations sont en des termes semblables à ceux de l’obligation de la banque. Ces parties sont d’anciennes associées d’une firme qui a précédé Geo. M. Fraser & Co. et elles ont accepté ces obligations lorsqu’elles ont vendu leur part à Arcus et à Heyrod.
En première instance et en appel, l’affaire dont les Cours ont été saisies portait sur la question suivante:
[TRADUCTION] 1. Dans quelle mesure, s’il en est, l’obligation faisant l’objet de la présente action constitue-t-elle une charge sur les dettes actives, le stock et les autres biens de Geo. M. Fraser Co., ou sur leur produit entre les mains du séquestre nommé en la présente affaire?
Le raisonnement de la Cour d’appel est formulé dans l’alinéa suivant des motifs du Juge d’appel Tysoe:
[TRADUCTION] L’examen des termes de l’obligation me fait conclure que ce n’est pas là un instrument fait ou signé au nom de la firme et aucune intention de lier la firme Geo. M. Fraser Co. n’y est manifestée de quelque autre façon que ce soit. Les termes employés n’ont pas pour effet de créer une charge sur l’actif de la société. L’engagement de payer est un engagement conjoint et solidaire de Heyrod Enterprises Ltd. et Arcus Importing Co. Ltd.; ces dernières compagnies n’y sont pas désignées en qualité d’associées et la firme connue sous le nom de «Geo. M. Fraser & Co.» n’y est pas mentionnée. Dans les conditions que comporte l’obligation, des restrictions sont imposées aux compagnies, soit Heyrod Enterprises Ltd. et Arcus Importing Co. Ltd.; bien que mention y soit faite de la liquidation ou de la faillite desdites compagnies, il n’est pas question de la firme Geo. M. Fraser & Co. Même si dans la clause 4 de l’obligation, les expressions «en qualité d’associées dans la société connue sous le nom de Geo. M. Fraser & Co.», «des Compagnies en qualité d’associées» et «tous les biens conjoints et solidaires» sont
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employées, il m’est impossible d’interpréter l’instrument comme grevant d’une charge l’actif de la société faisant affaires sous la raison sociale «Geo. M. Fraser & Co.», par opposition à l’actif des deux associées. A mon avis, le fait que des expressions comme «pour ladite société et en son nom» ou «et l’actif de ladite société» ne s’y trouvent pas a de l’importance.
Le problème consiste uniquement à interpréter les termes de l’obligation. Je suis respectueusement d’avis que la Cour d’appel a commis une erreur dans son interprétation. Au par. 1, Arcus et Heyrod s’engagent conjointement et solidairement à payer sur demande une certaine somme. Au par. 4, elles consentent la charge dont l’essentiel a été cité ci‑dessus.
A mon sens, la charge dont il est question au par. 4 porte clairement sur l’ensemble de l’actif de la société à différences époques et elle a été donnée par les deux seules associées de la société. Ces dernières auraient pu être poursuivies en tout temps après la réception d’une demande de paiement en vertu de leur engagement conjoint et solidaire, et le jugement aurait pu être exécuté sur l’actif de la société. En qualité d’associées, elles pouvaient, par l’obligation, affecter l’actif de la société à la garantie de leur promesse conjointe et solidaire, et c’est exactement ce qu’elles ont fait.
La portée de la question devient très restreinte; lorsque tous les associés d’une société s’engagent conjointement et solidairement à payer une dette et affectent l’actif de la société à la garantie du paiement de la dette, doivent-ils dire, en s’engageant à payer conjointement et solidairement, qu’ils s’engagent tant en qualité d’associés de la firme qu’en leurs noms personnels? Au par. 1 de l’obligation, comme le Juge d’appel Tysoe l’a signalé, les compagnies ne se sont pas expressément engagées en qualité d’associées de la firme mais il se trouve qu’elles en étaient les seules associées. Elles se sont engagées conjointement et solidairement; elles ont créé une charge sur l’actif de la firme; en réalité, elles se sont engagées en qualité d’associées et en leurs propres noms.
Dans les présentes procédures, il n’est pas question d’autorisation implicite donnée à l’un des associés de faire un emprunt au nom de la firme et de créer une charge sur l’actif de celle-ci. Le
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détenteur d’une obligation conjointe de tous les membres d’une firme peut prouver l’existence d’une dette de la société. A mon avis, l’arrêt Hoare v. Oriental Bank Corporation[2] porte précisément sur cette question et vaut toujours comme précédent à l’appui du principe que le détenteur d’une obligation conjointe de tous les membres d’une firme peut prouver l’existence d’une dette de la société. Dans l’arrêt Hoare, le montant de l’emprunt n’avait pas été dépensé aux fins de la société mais l’actif de la firme était tout de même engagé. En l’espèce, les fonds ont été utilisés par la société et le résultat doit être le même.
La réponse à la question 1 est la suivante: l’obligation, objet de la présente action, constitue une charge sur les dettes actives, le stock et les autres biens de Geo. M. Fraser & Co., ou sur leur produit entre les mains du séquestre nommé en cette affaire, par préférence à tous les autres intérêts représentés en l’instance.
Il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question soulevée devant les Cours et qui porte sur la cession des créances comptables de la société précédente.
Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens en toutes les Cours en faveur des deux appelants, soit la banque et les détenteurs des obligations de deuxième rang.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Campney & Murphy, Vancouver.
Procureurs des défendeurs, appelants: Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Vancouver.
Procureurs des défenderesses, intimées: Buell, Ellis, Sargent & Russell, Vancouver.
[1] (1969), 9 D.L.R. (3d) 579.
[2] (1877), 2 App. Cas. 589.