Cour Suprême du Canada
Mount Bruno Association Limited c. Ville de St-Bruno de Montarville, [1971] R.C.S. 623
Date: 1971-04-27
Ville de St-Bruno de Montarville Appelante;
et
Mount Bruno Association Limited Intimée.
1971: le 24 mars; 1971: le 27 avril.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Judson, Ritchie et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPELS de deux arrêts de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant deux jugements de la Cour de magistrat (aujourd’hui la Cour provinciale). Appels rejetés.
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J. LeBel, pour l’appelante.
P.W. Gauthier, c.r., et M.A. Gagnon, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Ces deux pourvois, formés avec l’autorisation spéciale de cette Cour, sont à l’encontre de deux arrêts de la Cour d’appel du Québec[2] qui, avec une dissidence, a infirmé deux jugements de la Cour de Magistrat, aujourd’hui Cour provinciale, sur une question d’évaluation municipale touchant le même immeuble pour des périodes successives de trois ans.
L’intimée, une compagnie à fonds social, possède depuis de nombreuses années un vaste domaine boisé d’une superficie de 835 arpents qu’elle entretient comme parc pour ses membres. La plupart de ces derniers ont des habitations sur des terrains voisins. Tout cela est aujourd’hui dans le territoire de la municipalité appelante qui est une ville régie par la Loi des cités et villes, S.R.Q. 1941, c. 233, lors de l’institution des procédures en 1960 et 1963, aujourd’hui S.R.Q. 1964, c. 193. La seule question en litige est de savoir si le domaine doit être inscrit au rôle d’évaluation à sa valeur réelle de $440,000, cause de 1960, $596,900, cause de 1963, ou à $83,500 dans chaque cas, à raison de $100 l’arpent, par application de l’art. 522 de la Loi (aujourd’hui 523). Cet article, avec les modifications apportées en 1959 et en 1960, se lit comme suit:
Toute terre en culture ou affermée, ou servant au pâturage des animaux, de même que toute terre non défrichée ou terre à bois dans les limites de la municipalité, est taxée à un montant n’excédant pas un pour cent de l’évaluation municipale, comprenant toutes les taxes, tant générales que spéciales.
Telle terre ne peut être évaluée à plus de cent dollars l’arpent si elle a une superficie de quinze arpents ou plus. Cette évaluation comprend la maison qui sert à l’habitation du cultivateur et dont la valeur n’excède pas dix mille dollars, ainsi que les granges, écuries et autres bâtiments servant à l’exploitation de ladite terre. Si la valeur de cette maison excède dix mille dollars, elle n’est comprise dans l’évaluation de la terre que jusqu’à concurrence de cette
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somme et le surplus, évalué séparément, est sujet à la taxe mentionnée au premier alinéa du présent article.
Le conseil peut faire ajouter sur le rôle d’évaluation, en tout temps, par les estimateurs en office, sur estimation par eux faite, toute partie de telle terre qui en a été détachée comme lot à bâtir et est devenue ainsi sujette à la taxe après la clôture du rôle d’évaluation et exiger la taxe comme sur tous les aures terrains entrés au rôle.
Les dispositions ci-dessus du présent article cessent de s’appliquer à ces terres et constructions dès qu’elles font l’objet d’une transaction ayant pour effet d’en transférer la propriété à une personne, société ou corporation qui les ont acquises pour fins de lotissement, de développement domiciliaire, industriel ou commercial, de spéculation ou d’opérations immobilières quelconques.
La Cour de Magistrat a considéré que pour avoir droit au bénéfice de cette disposition, il fallait démontrer, dans ce cas comme dans celui d’une terre en culture, que la terre dont il s’agit est exploitée pour en tirer un revenu:
…le législateur a voulu par cette exemption de l’art. 522 susdit, favoriser une culture agricole ou autre, pourvu qu’elle joue un rôle économique quelconque en faveur de celui qui s’y livre. Ce caractère de revenu, total ou partiel, est essentiel à l’application de l’exemption prévue par la loi.
Dans la présente cause, il est bien évident que l’appelante n’a pas pu établir que ses lots étaient exploités en vue d’un gain quelconque. En 20 ans, nous affirme le témoin Wray, la somme des ventes de bois coupé sur ces lots d’une superficie de 835 arpents n’atteignent pas la somme de $20,000.00. C’est dire que l’appelante durant vingt ans n’a pas recueilli assez d’argent pour payer ses taxes, encore moins pour rencontrer ses dépenses d’entretien de ces boisés.
La majorité en Cour d’appel a repoussé cette distinction, M. le Juge Hyde disant:
[TRADUCTION] En toute déférence, je ne vois aucune justification d’une telle restriction à l’art. 522.
Il est clair que le terrain en question est une «terre à bois» au sens de cet article. Nous n’avons pas à rechercher si ces terres à bois sont gardées à des fins d’agrément privés ou publiques, comme parc ou ceinture de verdure, ou pour la conservation de richesses naturelles, ou comme réserve pour la protection des oiseaux ou du gibier, ou à des fins lucra-
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tives (autres que celles visées par le dernier alinéa de l’art. 522, ajouté par 8-9 Eliz. II, c. 76, art. 36). Il est fort possible qu’il soit dans l’intérêt public de les conserver à certaines fins. Il suffit de penser aux bienfaits inestimables qu’on a apportés à la population montréalaise en réservant le mont Royal comme parc pour constater combien il est à l’avantage du public d’encourager la conservation de terres à bois.
Au contraire, M. le Juge Brossard énonce que, dans l’art. 522, «c’est la notion d’agriculture qui est transcendante». Il cite ensuite la définition suivante tirée du Dictionnaire de la langue française au Canada, par Louis-Alexandre Bélisle:
«Terre à bois, terre boisée, lots à bois: limite à bois concédée par le gouvernement à un colon.»
Puis il dit:
Il importe peu que la «terre à bois» soit à la terre en sylviculture ce qu’est la terre non défrichée à la terre en culture; une chose me paraît certaine: dans l’intention du législateur, sa destination est inséparable du domaine de l’agriculture. Or, dans le cas sous étude, aucune telle destination ne pouvait être attribuée, pour les années 1960 à 1965, au domaine de l’appelante; celui-ci ne pouvait bénéficier de l’exemption comme terre à bois au sens de l’article 522.
Avec déférence, je ne puis accepter ce raisonnement. Le législateur n’a pas pu dans le texte en question, se servir de l’expression «terre à bois» dans le sens indiqué par Bélisle. Il s’agit d’un article de la Loi des cités et villes. On doit écarter une acception qui ne convient qu’aux paroisses de colonisation. Ensuite, il ne faut pas oublier que le texte joint ensemble «terre non défrichée» ou «terre à bois». La logique exige que ce que l’on relie à la «terre à bois» soit également applicable à la «terre non défrichée». Or, on voit très mal comment on peut trouver dans cette dernière expression quelque chose qui implique un lien étroit avec l’agriculture. La notion de «terre non défrichée» évoque beaucoup plus l’idée de terrain improductif que celle de rendement lucratif.
A mon avis, il faut ici s’en tenir à la règle fondamentale d’interprétation: rechercher le sens des mots dont le législateur s’est servi au lieu de spéculer sur ses intentions. Il a mentionné en premier lieu la «terre en culture ou affermée, ou
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servant au pâturage des animaux», ensuite il a dit «de même que toute terre non défrichée ou terre à bois». Cette deuxième catégorie de terre est donc complètement indépendante de la première. Le fait d’avoir mentionné en premier lieu la terre en culture ne justifie pas l’affirmation que, dans ce texte, la notion d’agriculture est transcendante. Le législateur aurait pu conditionner l’exemption partielle de la terre non défrichée ou terre à bois, il ne l’a pas fait. Au contraire, en 1959 et en 1960, il a, à deux reprises, modifié l’article dans un autre sens, la première fois, pour porter de trois à dix mille dollars la valeur de la maison du cultivateur et des bâtiments de ferme comprise dans l’évaluation maximale de la terre (deuxième alinéa), la seconde fois, pour enlever le bénéfice de la disposition à celui qui devient propriétaire pour fins de spéculation. Ce dernier texte, on le reconnaît, ne vise pas ceux qui, comme l’intimée, possèdent un domaine pour fins d’agrément, autrement dit, à titre de parc privé. Elle n’est donc pas visée par la seule exception que le législateur a jugé à propos d’apporter au régime fiscal particulier de la «terre non défrichée ou terre à bois».
Il convient de signaler que la situation dans la présente cause est tout à fait différente de celle qui existait dans Industrial Glass Co. Ltd. c. Cité de Lasalle[3]. Dans cette affaire-là, il s’agissait d’une terre qui avait autrefois été en culture mais avait ensuite été laissée à l’abandon et possédée pour des fins autres que la culture. Ce n’était donc pas une «terre non défrichée».
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter les deux pourvois avec dépens dans chaque cause sauf quant aux honoraires qui seront ceux d’un seul pourvoi.
Appels rejetés avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Pouliot, Mercure, LeBel & Prud’homme, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Cate, Ogilvy, Bishop, Cope, Porteous & Hansard, Montréal.
[1] [1969] B.R. 16.
[2] [1969] B.R. 16.
[3] [1969] B.R. 231; [1969] R.C.S. V.