Cour Suprême du Canada
Commission des Relations de Travail du Québec c. Cimon Limitée, [1971] R.C.S. 981
Date: 1971-05-31
La Commission des Relations de Travail du Québec Appelante.
et
Cimon Limitée Intimée.
1971: le 15 février; 1971: le 31 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement prononcé par deux juges de la Cour d’appel selon les dispositions de l’art. 122 du Code du Travail. Appel accueilli, le Juge Martland étant dissident.
Olivier Prat, pour l’appelante.
Jacques LeBel, pour l’intimée.
Le jugement du juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — En juin 1968, une association de salariés dite «Union internationale des
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Rembourreurs de l’Amérique du Nord, local 402» et que j’appellerai «le Syndicat FTQ» adressa à la Commission des Relations de Travail du Québec une requête demandant l’accréditation comme représentant des salariés de l’intimée Cimon Limitée. La Commission ordonna un vote, le scrutin eut lieu le 9 octobre 1968 et le rapport du président fut en résumé le suivant:
Nombre de noms sur la liste officielle............................................................................................
25
Nombre de bulletins déposés en faveur du Syndicat FTQ..........................................................
12
Comme il ne manquait qu’une voix pour former la majorité absolue requise par la loi et que deux bulletins, un oui et un non, avaient été rejetés, le rapport du président du scrutin fut contesté.
Ayant entendu les parties la Commission rendit, le 7 mars 1969, une décision par laquelle non seulement elle maintenait le rapport du président du scrutin, mais elle rejetait également la demande d’un nouveau scrutin formulée comme conclusion alternative. Cette décision impliquait évidemment le rejet de la requête. Aussi, le membre dissident de la Commission concluait en disant: «je suis en désaccord avec mes collègues et en conséquence je ne puis rejeter la requête en accréditation du requérant».
Le 9 avril 1969, une autre association de salariés, «Le Syndicat national des Employés de Cimon Limitée (CSN)» que j’appellerai «le Syndicat CSN», présentait à son tour une requête demandant l’accréditation comme représentant des salariés de Cimon Limitée. Le 13 mai 1969, la Commission ordonnait un vote sur cette demande d’accréditation. Il importe de signaler que le vote pris en 1968 demandait uniquement aux salariés de dire si oui ou non ils désiraient être représentés par le Syndicat FTQ et de même le nouveau vote avait pour objet de leur demander s’ils désiraient être représentés par le Syndicat CSN. Ce qu’on ordonnait là n’était donc pas le nouveau scrutin refusé à l’autre syndicat.
Le 27 mai, la Commission rendait deux décisions: l’une prononçait, vu celle du 7 mars, le rejet de la requête en accréditation du Syndicat FTQ, l’autre prononçait l’annulation d’un certificat d’accréditation délivré le 22 novembre 1944
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en faveur des associations décrites comme «Union Internationale du Meuble local 347 et Rembourreurs, local 302» et que j’appellerai «les anciens Syndicats FTQ». Le motif de cette dernière décision est que ces associations ont cessé d’exister.
Le 2 juin, Cimon Limitée remettait à la Commission une requête lui demandant de surseoir à la tenue du vote, de fixer une audition et ensuite de révoquer la décision ordonnant un vote. Le motif allégué est que le nouveau syndicat FTQ est aux droits des anciens et que l’accréditation de ces derniers n’avait pas encore été révoquée lorsque la requête du Syndicat CSN a été déposée. On dit que, par conséquent, le Syndicat FTQ aurait dû être avisé de la requête à titre de syndicat détenant alors une accréditation, ce qui n’a pas été fait. Le 16 juin, la Commission rendait sur cette requête la décision suivante:
En ce qui concerne la requête en révocation, la Commission a examiné la requête et la contestation, contestation soumise par l’intimé.
La Commission fait droit aux prétentions de l’intimé a l’effet que la requérante plaide illégalement pour autrui en soulevant une contestation sur laquelle elle n’a pas intérêt juridique.
A la suite de cette décision de la Commission, Cimon Limitée faisait signifier une requête en évocation alléguant que l’absence d’avis au Syndicat FTQ est une irrégularité de procédure «de nature à entraîner la nullité et l’illégalité de toute procédure subséquente» et que la Commission en rejetant sans audition la requête en révision invoquant cette illégalité «a excédé sa juridiction». Sur cette requête, la Cour supérieure rendait le 30 juin un jugement autorisant la délivrance d’un bref introductif d’instance en donnant pour tout motif: «la Cour est d’avis que les faits allégués dans la Requête justifient les conclusions recherchées».
Là-dessus, la Commission s’est adressée par requête à deux juges de la Cour d’Appel selon les dispositions de l’art. 122 du Code du Travail leur demandant d’annuler sommairement l’ordonnance de la Cour supérieure pour le motif qu’elle avait été délivrée à l’encontre de l’art. 121 qui se lisait alors comme suit:
121. Nulle action sous l’article 50 du Code de procédure civile ni aucun recours par bref de prohibi-
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tion, quo warranto, certiorari ou injonction ne peuvent être exercés contre un conseil d’arbitrage, le tribunal d’arbitrage, un arbitre de griefs ou la Commission des relations de travail du Québec, ni contre aucun membre de ces organismes, en raison d’actes, procédures ou décisions se rapportant à l’exercice de leurs fonctions.
Cette requête fut rejetée par jugement du 12 novembre 1969. C’est à l’encontre de cette décision que le pourvoi est formé avec autorisation spéciale de cette Cour.
Les juges de la Cour d’Appel ont donné des motifs différents. M. le juge Brossard a conclu au rejet de la requête en considérant que, vu la mise en vigueur, pendant le délibéré, de modifications importantes au Code du Travail, les fins de la justice seraient mieux protégées par le rejet de la requête. Quant à M. le juge Montgomery, il a donné le motif que, vu que l’art. 121 ne faisait pas mention du bref d’évocation, l’art. 122 était sans application possible:
[TRADUCTION] On soutient que le bref d’évocation, aux termes du Code de procédure civile actuel, prend la place des brefs de prohibition et de certiorari prévus dans l’ancien Code et visés expressément par l’article 121; on soutient également que, par voie d’interprétation, cet article devrait s’y appliquer. Une «clause privative» comme l’article 121 doit s’interpréter au sens strict, si le législateur avait voulu supprimer le recours en évocation, il aurait pu aisément modifier l’article 121, comme il l’a fait depuis. Il est possible qu’aux fins de la plupart des affaires civiles, le bref d’évocation ait remplacé les brefs de prohibition et de certiorari, mais c’est un bref nouveau distinct des deux brefs traditionnels.
Il semble que personne n’a signalé aux juges de la Cour d’Appel qui ont siégé dans cette affaire que dans Three Rivers Boatman Ltd. c. Le Conseil Canadien des Relations Ouvrières[1], M. le juge en chef Fauteux, alors juge puîné, avait le 13 mai 1969 dit au nom de cette Cour (à p. 619):
En fait et ainsi que le notent les rédacteurs de ce nouveau Code (de procédure), l’art. 846 réunit les dispositions des arts. 1003 et 1292 du Code précédent, concernant respectivement la prohibition et le certiorari. Et les rédacteurs précisent que ces recours, a cause de la connexité qui existe entre eux, au point que bien souvent la distinction était difficile à éta-
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blir, ont été fusionnés pour n’en former qu’un seul. Ainsi donc, et nonobstant sa double fonction, le recours mentionné à l’art. 846 n’est pas nouveau. Différent dans sa forme et non dans son essence, ce recours ne diffère pas substantiellement des recours jusqu’alors utilisés pour se pourvoir, de façon sommaire et efficace, contre les excès de juridicion des tribunaux administratifs.
Le Code du Travail, avec les art. 121 et 122 comme ils se lisaient encore lorsque la requête en cassation a été faite, a été édicté le 31 juillet 1964 et mis en vigueur le 1er septembre 1964, tandis que le Code de procédure actuel a été édicté le 6 août 1965 et mis en vigueur subséquemment. Il est bien évident que les lois antérieures ont été rédigées en fonction du Code précédent et que dans leur application il faut tenir compte du troisième alinéa de l’art. 1 du nouveau Code:
Tout renvoi, dans une loi, proclamation ou commission, un arrêté en conseil ou un autre document, à quelque disposition du Code de procédure civile ou des règles de pratique existant lors de la mise en vigueur du présent code ou à quelque recours qui y est prévu, sera un renvoi aux dispositions ou recours équivalents du présent code ou des règles de pratique adoptées sous son empire.
Puisque l’art. 846 du nouveau Code prévoit un recours équivalent aux brefs de prohibition et de certiorari du Code antérieur, il faut nécessairement conclure que le renvoi à ces brefs dans le Code du Travail doit maintenant être considéré comme une renvoi au bref d’évocation qui les remplace. Interpréter strictement le texte, cela ne veut pas dire méconnaître l’intention clairement exprimée du législateur. En adoptant un nouveau Code de procédure qui substituait de nouveaux recours à ceux que prévoyait l’ancien Code, le législateur n’était sûrement pas obligé de réviser une à une toutes les lois en vigueur pour y modifier explicitement chacun des textes mentionnant ces recours. Il avait sûrement le droit de recourir à un texte de portée générale comme celui du troisière alinéa du premier article du nouveau Code de procédure. Dans certains cas, on aura peutêtre quelque difficulté à décider quelle est la disposition ou le recours équivalent et alors, il y aura lieu à interprétation. Cette difficulté ne se présente pas dans la présente cause, un arrêt de
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cette Cour ayant statué que l’évocation prévue à l’art. 846 est le recours équivalent au bref de prohibition et de certiorari.
Pour ce qui est du motif indiqué par M. le juge Brossard, il me paraît oublier que, vu l’art. 848 du Code de procédure, le bref introductif d’instance a pour effet de suspendre toutes procédures, ce qui signifie que pendant l’instance, les salariés de Cimon Limitée sont privés de l’exercice de leur droit d’association. Je ne puis voir comment, en regard de cette conséquence, on peut à bon droit juger que les fins de la justice seront mieux servies par le rejet du recours expéditif spécialement prévu pour éviter cet inconvénient. On ne saurait trop le redire: la suspension des procédures n’est pas sans inconvénient, souvent elle frustre le demandeur de son recours. Avec déférence, je ne puis accepter comme bien-fondé en droit le motif que par suite de modifications législatives qui ne sont pas applicables au présent litige, les fins de la justice étaient mieux servies par le rejet de la requête.
Sur le fond, il me semble clair que la délivrance du bref introductif d’instance n’est pas justifiée. On n’a donné aucune raison pour laquelle Cimon Limitée aurait pu exciper du droit d’autrui devant la Commission des Relations de Travail. Lorsqu’elle a présenté sa requête en révision, le Syndicat FTQ n’avait plus l’ombre d’un droit, la Commission ayant rejeté sa requête en accréditation et prononcé l’annulation du certificat détenu par l’ancien syndicat FTQ. Jusque-là Cimon Limitée s’était bien gardé de reconnaître le Syndicat FTQ. Comment pouvait-elle, une fois que la Commission avait rejeté sa requête en accréditation et annulé l’ancien certificat, prétendre qu’il avait des droits qui avaient été méconus? S’il est un cas où la Commission pouvait juger la demande mal fondée en droit sans avoir besoin d’une audition, c’est bien celui-là. Pour soutenir que la Commission n’avait pas ce pouvoir que lui reconnaît notre arrêt dans Komo Construction Inc. c. La Commission des Relations de Travail du Québec[2], Cimon Limitée invoque l’art. 118 du Code du Travail dont le premier alinéa se lit comme suit:
118. La Commission doit, avant de rendre une décision sur la révocation ou la revision pour cause
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d’une décision ou d’un ordre rendu par elle et de tout certificat qu’elle a émis, permettre aux parties de se faire entendre et, à cette fin, leur donner, en la manière qu’elle juge à propos, un avis d’au moins cinq jours francs de la date, de l’heure et du lieu où elles pourraient être entendues.
A ce sujet, la jurisprudence de la Cour d’Appel du Québec est bien établie dans le sens que l’obligation impérative d’accorder une audition ne s’applique qu’au cas où il s’agit de prononcer la révocation ou la révision d’une décision. Elle ne prive pas la Commission du pouvoir de rejeter sommairement une requête manifestement mal fondée en droit. Dans International Spring Mfg. Co. of Canada Ltd. c. Commission des Relations de Travail du Québec, un arrêt récent pas encore publié, M. le juge en chef de la Province de Québec dit:
L’appelante reproche aussi à la Commission de ne l’avoir pas entendue avant de rejeter sa requête en revision, contrairement à l’article 118 du Code du travail. Notre Cour décida, à plusieurs reprises, que cet article ne s’applique que lorsque la Commission accueille une requête en revision et non lorsqu’elle la rejette.
Pour ces motifs, je suis d’avis d’infirmer les jugements rendus en Cour d’Appel et en Cour supérieure et d’annuler le bref d’évocation avec dépens dans toutes les cours contre l’intimée.
LE JUGE MARTLAND (dissident) — Les faits qui donnent lieu au présent appel sont relatés dans les motifs de mon collègue le Juge Pigeon.
A mon avis, la Cour supérieure était fondée à autoriser la délivrance d’un bref d’évocation dans cette affaire parce que la Commission des relations de travail n’avait pas le pouvoir de rendre une décision sur la requête présentée par l’intimée pour que soit annulée son ordonnance du 13 mai 1969, ordonnance qui prescrivait la tenue d’un vote des employés de l’intimée, sans permettre à cette dernière d’être entendue.
L’article 118 du Code du travail prévoit que:
La Commission doit, avant de rendre une décision sur la révocation ou la revision pour cause d’une décision ou d’un ordre rendu par elle et de tout certificat qu’elle a émis, permettre aux parties de se faire entendre et, à cette fin, leur donner, en la
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manière qu’elle juge à propos, un avis d’au moins cinq jours francs de la date, de l’heure et du lieu où elles pourraient être entendues.
Il s’agit d’une disposition impérative qui obligeait la Commission à permettre une audition avant de rendre une décision sur l’annulation proposée de son ordonnance. Bien que la conclusion de la Commission ait été probablement bien fondée, elle ne pouvait rendre une décision sans d’abord respecter cette obligation légale.
L’avocat de l’appelante a invoqué des décisions de la Cour d’appel sur cette question pour appuyer celle de la Commission. Les motifs de jugement dans l’arrêt International Spring Mfg. Co. of Canada Ltd. c. Commission des Relations de Travail du Québec, arrêt qui n’a pas encore été publié dans les recueils, précisent leur effet.
L’appelante reproche aussi à la Commission de ne l’avoir pas entendue avant de rejeter sa requête en revision, contrairement à l’article 118 du Code du travail. Notre Cour décida, à plusieurs reprises, que cet article ne s’applique que lorsque la Commission accueille une requête en revision et non lorsqu’elle la rejette.
En toute déférence, je ne puis souscrire à cette interprétation de l’art. 118. Cet article décrète que «La Commission doit, avant de rendre une décision sur la révocation ou la revision pour cause d’une décision ou d’un ordre…» (Les italiques sont de moi). Il ne décrète pas, comme ce jugement le fait supposer, [TRADUCTION] «La Commission doit, avant la révocation ou la revision…» En d’autres termes, il doit y avoir une audition avant qu’il puisse être décidé soit de révoquer soit de ne pas révoquer un ordre.
Le jugement précité a pour effet de rendre l’article inopérant. Cela signifie que la Commission décidera, avant une audition, si, oui ou non, elle révoquera l’ordre. Après quoi, elle n’ordonnera la tenue d’une audition que si elle a décidé de révoquer son ordre. Il s’ensuit que la tenue d’une audition est une formalité inutile. A mon avis, cela n’est pas ce que voulait le législateur et ce n’est pas le sens de l’article, tel qu’il est rédigé.
Si mon interprétation de l’art. 118 est exacte, la Commission, quand elle a refusé la requête
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présentée par l’intimé pour que soit révoqué son ordre du 13 mai 1969, a excédé sa juridiction. Par conséquent, l’art. 121 du Code du Travail est resté sans effet. Il se lit comme suit:
121. Nulle action sous l’article 50 du Code de procédure civile ni aucun recours par bref de prohibition, quo warranto, certiorari ou injonction ne peuvent être exercés contre un conseil d’arbitrage, le tribunal d’arbitrage, un arbitre de griefs ou la Commission des relations de travail du Québec, ni contre aucun membre de ces organismes, en raison d’actes, procédures ou décisions se rapportant à l’exercice de leurs fonctions.
Si la décision de la Commission excédait ses pouvoirs, elle ne se rapportait pas à l’exercice de ses fonctions.
Dans Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Company[3], cette Cour a étudié l’effet de l’art. 5 de la Labour Relations Act, 1948, de la Province d’Ontario. Traitant de cet article, le Juge Kerwin, alors juge puîné, a déclaré, p. 26:
[TRADUCTION] Les corps législatifs ont adopté à l’occasion des articles semblables à l’article 5 de la Loi quoique différents par la forme, mais il est inutile de relater les décisions qui en ont traité car, s’il y a eu excès de juridiction, un tel article ne peut être invoqué au soutien d’un ordre de la Commission; et j’ai compris que l’avocat de l’appelante l’avait admis.
Pour ces motifs, à mon avis, il y a lieu de rejeter l’appel avec dépens.
Appel accueilli avec dépens, LE JUGE MARTLAND étant dissident.
Procureurs de l’appelante: Deschênes, de Grandpré, Colas, Godin & Lapointe, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Pouliot, Mercure, LeBel & Prud’Homme, Montréal.
[1] [1969] R.C.S. 607, 12 D.L.R. (3d) 710.
[2] [1968] R.C.S. 172, 1 D.L.R. (3d) 125.
[3] [1953] 2 R.C.S. 18, 106 C.C.C. 225, [1953] 3 D.L.R. 561.