Cour Suprême du Canada
Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997
Date: 1971-05-31
Le gouvernement de la République démocratique du Congo Appelant;
et
Jean Venne Intimé.
1970: le 22 octobre; 1971: le 31 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement du Juge Leduc qui avait rejeté une exception déclinatoire. Appel accueilli, les Juges Hall et Laskin étant dissidents.
Barnabas Vizkelety, pour l’appelant.
Rosaire Beaulé, pour l’intimé.
Le jugement du Juge en chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la province de
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Québec1 qui rejette un appel formé contre un jugement de la Cour supérieure de Montréal refusant d’accueillir une exception déclinatoire présentée par l’appelant et où il allègue qu’en raison de son statut d’État souverain il ne peut être poursuivi devant les tribunaux du Québec.
L’intimé est architecte et prétend que ses services ont été retenus au nom de l’appelant, du mois de février 1965 au mois de mars 1966, pour faire des études préliminaires et préparer des croquis pour le pavillon national que la République démocratique du Congo (ci-après appelée «Le Congo») se proposait d’ériger à l’Expo de 1967. Dans sa déclaration, l’intimé renvoie à une copie non signée d’un contrat, en vertu duquel il allègue qu’on a retenu ses services, et à des croquis du pavillon projeté qu’il a, selon lui, remis à l’appelant. L’intimé a présenté un mémoire de $20,000, qu’il a par la suite réduit à $12,000, et qui n’a pas été acquitté parce que le Congo a décidé de ne pas construire le pavillon.
L’appelant n’a nié aucune des allégations de la déclaration et ni l’une ni l’autre des parties n’ont présenté de preuve, mais les aveux suivants, présentés au nom de chacune d’elles, font partie du dossier soumis à cette Cour:
Le défendeur, par l’entremise de son procureur, admet que MM. Félix Mankwe, Pierre M’Balé, aux dates alléguées dans la déclaration, étaient des chargés d’affaires dûment accrédités de l’Ambassade de la République démocratique du Congo, à Ottawa, et Commissaires généraux dûment nommés à l’Exposition universelle de Montréal.
Souscrit: VIZKELETY
Le demandeur, par l’entremise de son procureur, admet que le gouvernement de la République démocratique du Congo est un état souverain depuis 1960.
Souscrit: G. GIRARD
Le premier paragraphe de la déclaration expose dans les termes suivants l’offre que l’appelant aurait faite à l’intimé en vue de retenir ses services professionnels:
1. A Montréal, au cours de la période s’échelonnant de novembre 1965 à mars 1966, M. Félix
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Mankwe, Chargé d’affaires et Commissaire Général de la République Démocratique du Congo, M. Pierre-A. M’Balé, son successeur dans les mêmes fonctions, de même que le Sous-Ministre des Affaires étrangères de la République Démocratique du Congo, ont, au nom dudit pays, requis les services professionnels du demandeur, architecte de Montréal, pour effectuer les études préliminaires et la préparation de croquis relativement au Pavillon que ce pays voulait ériger à l’Expo 67;…
Il est reconnu que le terme «Expo 67» dans la déclaration désigne l’exposition définie à l’alinéa (f) de l’art. 2 de la Loi sur la Compagnie de l’exposition universelle canadienne, 1962‑1963 (Can.), c. 12, comme suit:
2. (f) «exposition» désigne l’exposition universelle et internationale canadienne de Montréal en 1967, pour laquelle l’enregistrement a été accordé par le Conseil du Bureau international des expositions le 13 novembre 1962.
Le Juge Leduc, en Cour supérieure, et les trois juges qui ont entendu la cause en Cour d’appel, sont tous d’avis que le contrat auquel le Congo est devenu partie était une affaire commerciale privée et qu’il n’avait pas le caractère d’un acte d’État ni d’un acte fait pour les fins publiques d’un État souverain étranger.
Le Juge Leduc a formulé sa conclusion à cet égard dans les termes suivants:
CONSIDÉRANT que le défendeur, en requérant les services du demandeur par l’entremise de ses Chargés d’Affaires dûment accrédités près l’autorité compétente d’Expo 1967, n’a pas posé un acte de puissance publique, mais un acte de gestion d’une nature privée;
CONSIDÉRANT que bien que la République Démocratique du Congo soit un État souverain, il s’est établi entre les parties des relations contractuelles d’une nature purement privée;…
Ayant accepté la conclusion que les relations contractuelles entre les parties étaient d’une nature purement privée, le Juge Owen a posé le problème, comme il voyait celui-ci, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] La question, dans le présent appel, est celle de savoir si, dans les conditions actuelles, nos tribunaux continueront d’appliquer la doctrine ou la
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théorie de l’immunité souveraine absolue ou si le temps est venu d’appliquer la doctrine ou la théorie de l’immunité souveraine conditionnelle ou restrictive.
A mon avis, nous devrions abandonner la doctrine de l’immunité absolue et adopter une théorie de l’immunité restrictive.
En bref, la théorie de l’immunité souveraine part du principe classique qu’un souverain étranger n’est pas justiciable, sans son consentement, des tribunaux d’un autre État souverain, tandis que selon la théorie de l’immunité souveraine restrictive, admise par le Département d’État des États-Unis et, par conséquent, par les tribunaux de ce pays, l’immunité du souverain étranger n’est reconnue qu’à l’égard des actes publics ou de souveraineté (jure imperii) et non des actes privés (jure gestionis).
Il m’apparaît donc, en toute déférence pour ceux qui sont d’un autre avis, que le problème posé de façon si saisissante par le Juge Owen ne peut se présenter en l’espèce que si les juges de la Cour d’appel ont eu raison d’accepter, sans discussion, la conclusion du savant juge de première instance, c’est-à-dire qu’en retenant les services de l’intimé pour préparer des croquis du pavillon national qu’il se proposait d’ériger à une exposition internationale dûment autorisée, l’appelant n’accomplissait pas un acte public d’un État souverain, mais un acte de nature purement privée.
Le dossier montre que les juges de la Cour d’appel ont accepté simplement cette conclusion sans s’arrêter à examiner les éléments sur lesquels elle se fondait. De fait, le Juge Leduc a tranché la question dans un seul alinéa:
Il ne fait pas de doute en l’espèce qu’il s’agit d’un acte d’une nature privée puisque c’est un architecte de Montréal qui réclame de son mandant, le défendeur, le paiement minimum de ses services professionnels résultant des actes de gestion commis par les Chargés d’Affaires de celui-ci dûment accrédités non seulement près l’autorité souveraine du Canada, mais aussi auprès des Commissaires Généraux de l’Exposition Universelle de 1967.
Comme je l’ai dit, les éléments présentés à cette Cour se limitent, à mon avis, aux termes
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de la déclaration de l’intimé et aux aveux faits au nom des parties, qui doivent tous être lus en regard de la Loi sur la Compagnie de l’exposition universelle canadienne (précitée) en vertu de laquelle était créé l’organisme constitué par le gouvernement du Canada pour assurer la conception, l’organisation, la réalisation et l’administration de l’exposition universelle canadienne.
Tout ce que ce dossier révèle, c’est que le contrat dont il est question ici a été passé par suite du désir d’un État souverain étranger d’ériger un pavillon national à une exposition universelle afin d’être ainsi représenté à cette exposition qui était enregistrée par le conseil du Bureau international des expositions et qui devait se tenir (selon les termes du par. 1 de l’art. 3 de la Loi sur la Compagnie de l’exposition universelle canadienne) «dans le cadre des manifestations marquant le centenaire de la Confédération au Canada d’une façon qui soit en rapport avec son sens national et historique».
Le Juge Leduc et, par conséquent, la Cour d’appel, ont estimé que la nature du contrat en litige devait être déterminée uniquement à partir du fait que l’intimé était un architecte de Montréal qui faisait valoir des droits contre son employeur et qu’il s’agissait donc d’une affaire purement privée. Du point de vue de l’architecte, il se peut bien que le contrat ait été purement commercial, mais même si la théorie de l’immunité souveraine restrictive s’appliquait, la question à résoudre ne serait pas de savoir si l’architecte a accompli un acte commercial et privé, mais de savoir si le gouvernement du Congo, agissant à titre d’État souverain accréditaire et par l’entremise de ses représentants diplomatiques dûment accrédités, a accompli un acte d’État public et souverain.
Je crois qu’il est d’un intérêt particulier que les services de l’intimé aient été requis non seulement par des représentants diplomatiques dûment accrédités du Congo, qui étaient commissaires généraux de l’Exposition, mais aussi par le représentant du ministère des Affaires étrangères de ce pays. (Voir le par. 1 de la déclaration). Cela montre clairement, à mon avis, qu’en prenant des dispositions pour la construction de leur pavillon national, le ministère du gouvernement d’un État étranger, de même que les représen-
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tants diplomatiques dûment accrédités de celui-ci, accomplissaient un acte d’État public et souverain au nom de leur pays et que le recours aux services de l’intimé constituait une étape dans l’exécution de cet acte. Il s’ensuit donc, à mon avis, que l’appelant n’est pas justiciable des tribunaux de ce pays, même si ces derniers souscrivaient à la doctrine dite de l’immunité souveraine restrictive. Il n’est donc pas nécessaire, pour décider le présent pourvoi, de répondre à la question soulevée par le Juge Owen et étudiée avec autant de soin par la Cour d’appel. Dans un domaine du droit qui a été examiné de façon si étendue par les auteurs et qui a donné lieu à une jurisprudence divergente dans divers pays, il serait inopportun d’ajouter d’autres obiter dicta à ceux qui ont déjà été prononcés. Je me bornerai donc à fonder mon avis sur ce que les services de l’intimé ont été retenus dans l’accomplissement d’un acte d’État de souverain.
Dans ses motifs de jugement, la Cour d’appel fait plus que donner à entendre que lorsqu’il s’agit de déterminer si l’acte d’un souverain étranger est public ou privé, c’est à ce dernier qu’il incombe d’établir que l’acte en question est un acte public s’il veut se voir accorder l’immunité souveraine. Comme je l’ai déjà dit, la contestation ne porte pas sur les faits en l’espèce. A mon avis, dans la mesure où cela peut influer sur la décision du présent pourvoi, c’est sur le dossier dans son ensemble qu’il faut se fonder pour déterminer si le marché en question est de nature purement commerciale et privée ou s’il constitue un acte public fait au nom d’un État souverain à des fins d’État, sans que l’une ou l’autre des parties soit tenue de repousser quelque présomption que ce soit.
Le Juge Owen a parlé, dans ses motifs de jugement, de la décision du Juge Reid dans Allan Construction c. Venezuela[2], où il était question d’un contrat pour la construction d’un pavillon à l’Expo 67 et où il a été décidé, vu la nature purement commerciale et privée du contrat, que le gouvernement de l’État souverain étranger en cause était justiciable des tribunaux du Québec. Dans cette affaire-là, il était clairement établi que
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l’État étranger se proposait d’exploiter dans son pavillon un restaurant où seraient vendues des boissons alcooliques et des produits du Venezuela. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour les fins de ce pourvoi de m’arrêter à la conclusion que le savant juge de première instance a tirée de sa décision qu’il s’agissait d’un contrat commercial; il n’est aucunement question ici d’une exploitation commerciale. Ainsi que j’envisage la question, il n’y a aucune raison pour laquelle l’appelant devrait avoir à assumer la charge de cette preuve négative que sa participation à l’exposition ne devait comporter aucune exploitation commerciale.
Bien que, comme je l’ai déjà dit, je ne fonde ma décision que sur la prémisse que le recours aux services de l’intimé était un acte accompli dans l’exécution d’un acte d’État souverain, je crois que les arguments soignés et étendus que renferment les motifs de jugement de la Cour d’appel méritent d’être examinés.
A cet égard, je crois qu’il faut signaler que, comme je l’ai dit, les décisions des tribunaux américains, sur lesquelles les Juges Taschereau et Owen ont manifestement fondé leurs motifs de jugement, découlent d’avis que donne le Département d’État de ce pays qui parviennent aux tribunaux sous forme de documents dits «letters of suggestion» et qui sont généralement considérés comme des énoncés de la politique étrangère de ce pays qui font autorité. Dans l’une de ces lettres, la Tate Letter, rédigée en 1952 par le professeur J.B. Tate, alors qu’il était conseiller juridique suppléant au Département d’État, il est catégoriquement dit que: [TRADUCTION]… «ce sera désormais la politique du Département de s’en tenir à la théorie restrictive de l’immunité souveraine dans l’examen des demandes d’immunité émanant de gouvernements étrangers». Les tribunaux américains paraissent en général avoir adopté cette attitude bien qu’ils jouissent d’une certaine latitude dans les cas où le Département d’État s’abstient de faire une déclaration d’immunité. Le Juge Owen cite l’affaire Victory Transport[3], où un tribunal a opté, de son chef, pour la théorie de l’immunité restrictive. Signalons cependant que,
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dans cette affaire-là, le Juge Smith, au nom de la Cour d’appel des États-Unis (deuxième circuit) a dit ce qui suit (p. 358):
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l’espèce, il n’a reçu aucune communication du Département d’État au sujet de l’immunité du Comisaria General, le tribunal doit décider lui-même si c’est la politique établie du Département d’État de reconnaître des demandes d’immunité de ce genre.
Il est donc clair qu’en pareils cas, la question qui se pose aux tribunaux américains est celle de savoir si la politique établie du Département d’État est de reconnaître l’immunité demandée dans un cas particulier. Comme cette question ne se pose pas au Canada, je suis d’avis que les décisions rendues ces dernières années par les tribunaux américains en matière d’immunité souveraine ont peu ou pas de poids au Canada.
Je n’ai pas l’intention de traiter tous les arrêts pertinents de cette Cour que le Juge Brossard a étudiés en détail, mais je crois qu’il convient de faire mention de l’affaire Saint John et al. c. Fraser-Brace Overseas Corp. et al[4]. Il s’agissait là d’une affaire portant sur l’assujettissement à la taxe municipale de biens utilisés pour le compte du gouvernement des États-Unis dans la construction d’un système de défense par radar en vertu d’une entente intervenue entre le gouvernement du Canada et celui des États-Unis. La Cour a sans doute tenu compte de la nature particulière de cette entreprise commune, mais dans des motifs de jugement étendus, le Juge Rand a fait certaines affirmations qui ont une application générale, dont la suivante qui se trouve à la page 266:
[TRADUCTION] Le principe général de l’immunité judiciaire, au sens le plus large de l’expression, des biens publics d’un État étranger dans ce qu’on peut appeler le pays accréditant, a été consacré au Canada par le Juge en chef Duff dans le Renvoi sur les légations étrangères, 1943 R.C.S. 208. Dans ce renvoi, comme ici, il s’agissait d’imposition en vertu de termes généraux où seule l’interprétation de la loi était en question. L’aspect important de l’affaire qu’il a étudiée était celui de la théorie sur laquelle doit se fonder l’immunité. Les premières fois qu’on l’a étudiée, le concept d’exterritorialité, c’est-à-dire
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l’extension physique d’un État souverain à l’intérieur des frontières d’un autre État souverain, est probablement né de l’un des premiers exemples à se présenter, celui d’un navire d’État pénétrant dans un port étranger. Mais avec l’expansion des contacts et rapports internationaux, les situations de ce genre se sont multipliées et ont rendu nécessaire une conception plus réaliste et plus souple. A la page 218 de ses motifs, après avoir cité un extrait de Vattel sur les immunités attachées à la résidence d’un ambassadeur, et où est mentionnée la réserve suivante, en ce qui concerne l’application de la règle: «au moins, dans tous les cas ordinaires de la vie», le Juge en chef Duff fait remarquer, au sujet de cette réserve qu’elle doit s’interpréter «comme excluant la fiction d’exterritorialité sous sa forme extrême». A son avis, ce concept a été finalement rejeté par le Comité judiciaire dans Chung Chi Cheung v. The King, 1939 A.C. 160. Il y revient, à la page 230, en ces termes: «Il ne faut pas tenir compte de cette fiction de l’exterritorialité».
On y substitue la notion d’une invitation de l’État accréditant à l’État accréditaire. C’est fondamentalement ce qu’a établi le Juge en chef Marshall dans The Schooner Exchange v. M’Faddon et al., (1812) 11 U.S. (7 Cranch) 116, à quoi le Juge en chef Duff souscrit. L’attitude fondamentale des États entre eux consiste à reconnaître et à respecter la souveraineté de chacun, c’est-à-dire à accepter l’indépendance absolue de chacun; et c’est sur ce principe de base que se règlent leurs rapports. Lorsqu’un État admet un souverain étranger ou son représentant sur son territoire, les conditions de cette admission doivent être déduites des circonstances de l’invitation et de l’acceptation de celle-ci. Selon les termes du Juge en chef Marshall, aux pages 139 et 143:
[TRADUCTION] Un souverain qui confie les intérêts de son pays auprès d’une puissance étrangère à une personne choisie par lui à cette fin, ne peut avoir l’intention d’assujettir son ministre à cette puissance; en conséquence, l’acquiescement à recevoir ce ministre implique le consentement à lui accorder les privilèges que son commettant voulait lui voir conserver…
(La) portée (du consentement implicite) varie suivant les circonstances de l’affaire et suivant les vues que doivent être censées avoir les parties qui le réclament et qui l’accordent.
A défaut de circonstances particulières ou inusitées, lorsqu’un souverain se rend en pays étranger à titre de visiteur, il n’est pas tenu de se soumettre aux lois internes de ce pays, car il en est exempt.
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Tout recours contre ce qui peut être considéré comme une violation des privilèges liés à l’invitation doit se faire par la voie diplomatique et non légale. Selon le Juge en chef Marshall, pages 138 et 139, cité par le Juge en chef Duff, page 215:
L’acquiescement du souverain aux exemptions très importantes et très étendues de la juridiction territoriale, lesquelles exemptions sont reconnues aux ministres étrangers, se déduit de l’idée que sans celles-ci tout souverain risquerait sa propre dignité en envoyant un ministre à l’étranger. Ce dernier devrait temporairement et localement fidélité et obéissance à un prince étranger et serait moins apte à remplir sa mission.
Un souverain qui confie les intérêts de son pays auprès d’une puissance étrangère à une personne choisie par lui à cette fin ne peut avoir eu l’intention d’assujettir son ministre à cette puissance; en conséquence, l’acquiescement à recevoir ce ministre implique le consentement à lui accorder les privilèges que son commettant voulait lui voir conserver, ces privilèges étant essentiels à la dignité de son souverain et aux fonctions qu’ils est tenu de remplir.
A la même page, une citation pertinente de Vattel qu’il n’est pas nécessaire de reproduire renforce cette même opinion.
L’immunité de la coercition du droit public varie suivant les exigences de la visite. En général, l’immunité d’un souverain, de ses ambassadeurs, de ses ministres et de leur personnel, de même que leurs biens, s’étend à tous les actes judiciaires, à toute atteinte à leur personne et biens ou intervention contre leur personne ou biens, et à toute application affirmative à leur endroit du droit public coercitif, y compris l’imposition.
Le Juge Abbott a expressément souscrit aux motifs du Juge Rand.
Certaines des idées exprimées par le Juge Rand, dans l’affaire Saint John précitée, avaient déjà été formulées dans l’ancien arrêt rendu par un tribunal anglais dans l’affaire The Charkeih[5] et où Sir Robert Phillimore dit, à la page 97:
[TRADUCTION] L’objet du droit international, dans le cas qui nous occupe comme dans d’autres domaines, n’est pas de favoriser l’injustice ni d’empêcher la satisfaction d’une juste réclamation, mais de substituer les négociations entre les gouvernements, malgré leur lenteur et leur résultat lointain et incertain, au recours normal aux tribunaux, lorsque celui-ci por-
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terait atteinte à la dignité des représentants d’un État étranger ou les gênerait dans leurs fonctions;… Il apparaît donc que l’immunité à l’égard de la juridiction de nos tribunaux dont jouit un souverain n’empêche pas nécessairement la satisfaction d’une juste réclamation par d’autres moyens.
A mon avis, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de nous arrêter aux énoncés de Lord Atkin dans Compania Naviera Vascongardo v. S.S. Cristina[6] et dans Rahimtoola v. Nizam of Hyderabad[7], selon lesquels l’immunité souveraine couvrait les opérations commerciales, parce que je pense que les circonstances dans l’affaire qui nous occupe sont régies par l’arrêt de cette Cour dans Flota Maritima Browning de Cuba S.A. c. La République de Cuba[8], où il est dit à propos des navires dont la saisie a été à l’origine du pourvoi en cette Cour:
[TRADUCTION] Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils sont à la disposition de la République de Cuba à toute fin que le gouvernement de celle-ci peut choisir et il me paraît que des navires à la disposition d’un État étranger et sous surveillance pour le compte d’un ministère du gouvernement de cet État doivent être considérés comme «des navires publics d’un État étranger», du moins jusqu’à ce que l’État étranger en cause ait décidé de l’utilisation qu’il en fera.
En toute déférence pour ceux qui diffèrent d’opinion, je suis également d’avis qu’en l’espèce, le contrat que l’on cherche à faire exécuter et auquel étaient parties le représentant diplomatique de l’appelant et l’un de ses ministères, a été passé par un souverain étranger pour l’accomplissement d’un acte d’État public et que, indépendamment de tout point de vue que l’on peut avoir sur la doctrine de l’immunité souveraine, il s’agit d’une affaire pour laquelle la République du Congo n’est pas justiciable de nos tribunaux. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi pour ce motif.
Je suis parti de la supposition que le dossier soumis à cette Cour se limite à la déclaration de l’intimé et aux aveux des parties, mais il conviendrait, je crois, de nous arrêter à la prétention présentée au nom de l’intimé selon laquelle cette
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Cour devrait avoir connaissance judiciaire d’un document intitulé: «Exposition universelle et internationale de 1967, Montréal…Règlement général». L’intimé a présenté ce document pour la première fois en cette Cour et aucun des juges des cours d’instance inférieure n’en a fait mention. Le document ne mentionne pas avoir été publié en vertu d’une loi ou d’un décret du conseil; il n’est ni daté, ni signé et n’a été produit par aucun témoin, de sorte qu’on en ignore la source.
Le procureur de l’appelant s’est opposé au document en question, mais la force de cette objection, — c’est un avis exprimé, — est amoindrie du fait que le factum de l’appelant parle du document. Il importe, je crois, de comprendre qu’aucun acte des procureurs ne peut être de nature à autoriser l’élargissement de la catégorie de sujets dont le tribunal peut prendre judiciairement connaissance.
Il est proposé cependant, que cette Cour prenne judiciairement connaissance du Règlement en cause parce que le par. (3) de l’art. 4 de la Loi sur la Compagnie de l’exposition universelle canadienne, précitée, fait mention des «règles et règlements généraux de l’exposition, approuvés le 13 novembre 1962 par le Conseil du Bureau international des expositions.» Cependant, rien ne prouve que le Règlement général produit ici est bien celui que mentionne la loi. Quoi qu’il en soit, il y est question des statuts de la Compagnie de l’exposition universelle canadienne et cela ne peut donc avoir de rapport avec la question en litige.
On soutient de plus que le Règlement général en question doit être considéré en quelque sorte comme un traité, parce que «Expo 67» a été organisée sous le régime de la Convention concernant les expositions internationales du 22 novembre 1928, modifiée par le protocole du 10 mai 1948. Je ne puis trouver rien qui démontre que l’Exposition a été ainsi organisée (bien que cela soit fort possible), mais même si le Règlement général doit être considéré comme un traité, cette Cour ne peut, pour autant, en prendre judiciairement connaissance.
Bien que la Cour d’appel ne se soit pas appuyée sur l’argument du savant juge de première instance selon lequel l’appelant se serait soumis a l’autorité
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des tribunaux du Québec en présentant une exception déclinatoire conformément à la procédure en vigueur dans cette province, je crois opportun de dire que je ne puis admettre qu’un défendeur doive être considéré comme s’étant soumis à une certaine juridiction du fait qu’il présente une exception déclinant la compétence de celle-ci. Quoi qu’il en soit, cet argument est sans valeur vu l’abondante jurisprudence qui établit qu’un État souverain n’est considéré comme s’étant soumis à une juridiction étrangère que si la soumission est faite devant le tribunal et s’accompagne d’une demande pour que soit exercée telle juridiction. (Voir: Duff Development Company v. Government of Kelantan[9]).
Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions de la Cour d’appel et du Juge de première instance, et d’ordonner que l’action de l’intimé soit rejetée. L’appelant a droit à ses dépens en toutes les cours.
Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN (dissident) — Le présent pourvoi naît d’une action en recouvrement d’honoraires professionnels intentée par un architecte contre le gouvernement de la République démocratique du Congo. Il s’agit de services rendus dans l’exécution d’un projet pour un pavillon national que ce pays se proposait d’ériger sur un emplacement désigné, comme participant de l’Exposition universelle et internationale tenue à Montréal en 1967. Poursuivi en Cour supérieure du Québec, district de Montréal, le gouvernement en cause a opposé à l’action une exception déclinatoire, qui fut rejetée par le Juge Leduc dans une décision que la Cour d’appel du Québec[10] a confirmée à l’unanimité. C’est donc sur les procédures interlocutoires que devaient se décider les questions fondamentales du litige, soit l’immunité judiciaire du gouvernement étranger et son exemption de la juridiction de la Cour supérieure du Québec.
Les motifs sur lesquels le Juge Leduc et la Cour d’appel du Québec se sont fondés ne concordent pas parfaitement. Le premier a dit conclure, de
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l’aveu formel du gouvernement étranger qu’il avait accrédité son chargé d’affaires comme son commissaire général à l’Exposition de Montréal, que le contrat passé avec l’architecte constituait un marché de droit privé, de la compétence de la Cour supérieure du Québec. En adoptant ce point de vue, le Juge Leduc reconnaissait ce qu’il considérait comme une distinction qui s’était établie dans les règles de l’immunité souveraine, entre les actes publics d’un État et les actes de nature privée. Il a conclu également que le recours du gouvernement étranger aux moyens du Code de procédure civile de la province de Québec entraînait acceptation de la compétence de la Cour supérieure. Je suppose que cela revient à dire qu’il y a eu renonciation à l’immunité, si tant est qu’elle existait, par consentement attribué à être poursuivi.
La Cour d’appel du Québec a carrément rejeté la doctrine de l’immunité souveraine absolue que cette Cour a appliquée dans Dessaulles c. La République de Pologne[11] et s’est prononcée en faveur du principe de l’immunité souveraine restrictive conformément à l’évolution de la jurisprudence dans les tribunaux nationaux de certains pays européens et à la politique de l’Exécutif des États-Unis, telle qu’elle est exprimée dans la Tate Letter de 1952 (26 U.S. Department of State Bulletin 984). La Cour d’appel a jugé qu’elle pouvait s’écarter de la décision de cette Cour dans Dessaulles en se reportant à des indications censément opposées de l’arrêt plus récent Flota Maritima Browning de Cuba S.A. c. La République de Cuba[12]. Elle a aussi décidé qu’il appartenait au gouvernement étranger en l’espèce de faire la preuve des moyens au soutien de sa prétention à l’immunité. De l’avis du Juge Owen, cette obligation découlait du fait que l’immunité constituait une dérogation à la règle générale de la compétence des tribunaux nationaux et, de l’avis unanime de la Cour, du fait que la règle de l’immunité absolue n’était pas reconnue. Étant d’avis que le gouvernement étranger n’avait pas présenté de preuve à l’appui de sa prétention à l’immunité, la Cour a décidé que le rejet de l’exception déclinatoire était fondé. L’attitude de la Cour d’appel
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quant au fardeau de la preuve qui existe en vertu de la doctrine de l’immunité restrictive la dispensait d’examiner les cas où cette immunité s’appliquait. En se bornant à mentionner des actes privés et des actes publics, ainsi que des actes de jure imperi et de jure gestionis, la Cour n’a pas précisé ces cas.
La question unique qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, en vertu de l’exception déclinatoire de l’appelant, la prétention de celui-ci à l’immunité, soit absolue, soit restrictive doit être accueillie. Avant d’aborder ce point, je veux donner mon avis sur l’autre raison qu’invoque le Juge Leduc, la renonciation à l’immunité. A mon avis, les faits relevés par le savant juge n’emportent pas renonciation. On ne peut interpréter le recours aux règles de procédure applicables dans le but d’affirmer une immunité et de contester la compétence du tribunal comme une acceptation de la compétence de celui-ci pour entendre l’affaire au fond. Le droit anglais a toujours tenu que, pour valoir, la renonciation d’un État souverain à son immunité et sa soumission à une juridiction doivent avoir été faites devant la cour, au moment où celle-ci est appelée à exercer sa juridiction: voir Duff Development Co. v. Government of Kelantan[13]; Kahan v. Pakistan Federation[14]. Une convention antérieure d’acceptation, même si elle est stipulée au contrat qui fait l’objet de l’action, ne lie pas le gouvernement étranger qui peut se rétracter. Qu’on en vienne ou non à donner effet un jour à un engagement contractuel de renonciation à l’immunité (comme le propose par exemple le Restatement (Second), Foreign Relations Law of the United States (1965), art. 70), il est possible de décider la présente affaire sur cette question sans faire appel à la règle de droit anglaise, règle également appliquée aux États-Unis. Il n’y a pas eu ici soumission contractuelle, mais dès le début, opposition à la compétence du tribunal, sous réserve d’une comparution par courtoisie pour contester cette compétence.
J’aborde l’examen de la question centrale, en l’espèce, en notant qu’il ne s’agit pas ici d’une action relative à des biens corporels ou incorpo-
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rels, intentée par un État étranger ou l’un de ses organismes. Nous n’avons pas à nous prononcer non plus sur le statut d’un corps constitué ou de quelque autre organisme qui prétend être un organe d’un État étranger. Il y a au dossier un aveu formel par lequel l’intimé reconnaît que la République démocratique du Congo est un État souverain. Cet aveu détermine donc le statut de l’appelant aux fins du présent litige, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un certificat de l’Exécutif. Aucune objection n’est soulevée quant à la signification des procédures, seule demeure à déterminer la justiciabilité de l’appelant.
Il ne fait pas de doute que les tribunaux nationaux de différents pays ont délaissé la doctrine de l’immunité absolue, qui a dominé au dix-neuvième et durant une partie du vingtième siècle, en faveur de celle de l’immunité restrictive. La Tate Letter énumère les pays qui ont abandonné la doctrine de l’immunité absolue et, dans un ouvrage récent, O’Connell, International Law (2e éd., 1970), on lit, à la p. 844, que (traduction) «l’immunité absolue n’est pas consacrée par le droit international» et qu’«actuellement seul le droit anglais et peut-être aussi le droit russe reflètent de façon appréciable la doctrine traditionnelle». Cette vue ne semble pas s’étendre au droit canadien (ni même au droit de l’Australie, pays de l’auteur), à moins que celui-ci ne considère ces deux pays comme étant régis par la règle anglaise. De toute façon, pour ce qui est du Canada, il appartient à cette Cour de statuer sur la question, sous réserve de tout traité canadien obligatoire conclu à ce sujet.
L’immunité restrictive adoptée dans la Tate Letter, il ne faut pas l’oublier, n’est pas une règle de droit, mais une énonciation de principe pour le Département d’État américain. Elle a toutefois un effet juridique à cause du caractère décisif que les tribunaux des États-Unis prêtent à une déclaration (suggestion) pour qu’une demande d’immunité soit «reconnue et accordée» qui leur est présentée par le Département d’État par l’entremise du Département de la Justice; voir Compania Espanola de Navegacion Maritima S.A. v. The Navemar[15]; Ex parte Peru[16]. Cette
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pratique des déclarations présentée par l’Exécutif aux tribunaux remonte à la décision du Juge en chef Marshall dans The Schooner Exchange v. M’Faddon[17]. Je ne sache pas qu’une telle pratique des déclarations existe au Canada où l’Exécutif se borne à attester la souveraineté, mais, évidemment, en vertu de la doctrine de l’immunité absolue, cela suffirait dans une affaire comme celle qui nous occupe.
Aux États-Unis, les tribunaux ne jouissent d’une certaine latitude que si le Département d’État refuse de faire une déclaration d’immunité; dans de tels cas, ils ont tantôt accordé tantôt refusé l’immunité; voir: Puente v. Spanish National State[18], certiorari refusé[19] (immunité accordée dans une action en recouvrement d’honoraires juridiques à la demande, formulée dans une lettre, de l’ambassadeur d’Espagne); Victory Transport Inc. v. Comisaria General de Abastecimientos y Transportes[20], certiorari refusé[21] (immunité refusée dans une action en exécution d’une clause d’arbitrage stipulée dans une charte-partie à laquelle avait souscrit une agence d’un gouvernement étranger). L’affaire Victory Transport est apparemment la première où un tribunal fédéral des États-Unis a nettement opté en faveur de l’immunité restrictive, que reconnaissait le Département d’État même avant sa formulation dans la Tate Letter: voir O’Connell, op. cit., supra, 856. Avant l’affaire Victory Transport, certaines indications laissaient prévoir que les tribunaux américains adopteraient la théorie de l’immunité restrictive (voir National City Bank of New York v. Republic of China[22]) ce qui semble être maintenant fait.
En Grande-Bretagne on ne s’oriente pas nettement, du moins pas encore, vers la théorie de l’immunité restrictive. L’affirmation catégorique de l’immunité absolue par Lord Atkin dans The Cristina[23] a été fréquemment citée dans des décisions subséquentes, en Angleterre et au Canada.
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Toutefois, dans Sultan of Johore v. Abubakar, Tunku Aris Bendahara[24], le vicomte Simon a dit, au nom du Conseil Privé, que [TRADUCTION] «Leurs Seigneuries ne considèrent pas comme définitivement établie en Angleterre, la règle absolue qu’un souverain indépendant étranger n’est justiciable de nos tribunaux en aucune circonstance» (p. 1268). Cette affirmation pourrait bien viser, par exemple, une réserve probable à propos de la jouissance de biens, ou de réclamations concurrentes à l’égard de quelque droit incorporel plutôt qu’un cas comme celui qui nous occupe, où l’État étranger est directement poursuivi dans une action fondée sur un contrat. Elle laisse cependant possible un nouvel examen de la question générale de l’immunité.
La Chambre des Lords s’est de nouveau prononcée sur la question de l’immunité dans Rahimtoola v. Nizam of Hyderabad[25] où deux demandeurs, le premier, ancien souverain personnel, le second État étranger, se disputaient un compte de banque en Angleterre. Le vicomte Simonds, qui a rendu le jugement principal, a retenu l’énoncé de Lord Atkin, dans The Cristina, en faveur de l’immunité absolue. A l’exception de Lord Denning, les autres Lords Juges qui ont entendu l’affaire se sont rangés à son avis, dans la mesure où la question de l’immunité se posait à l’égard de l’assignation directe d’un souverain étranger, ou d’une réclamation relative à des biens ou à un droit incorporel manifestement en le pouvoir du gouvernement étranger, même s’il n’en était pas propriétaire réel.
Avant d’étudier l’avis de Lord Denning (auquel les autres juges ont expressément refusé leur agrément) je veux examiner les arrêts de cette Cour sur cette question. L’immunité absolue de l’État souverain étranger lui-même a été reconnue par le Juge en chef Duff et par le Juge Hudson dans le Renvoi sur le droit de taxer les résidences des légations étrangères et des hauts-commissaires[26]. Cette doctrine n’était cependant pas en cause et aucun des autres juges n’en a parlé de façon explicite. De même, il a été fait brièvement mention de l’immunité absolue dans le Renvoi sur
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l’exemption des forces armées des États-Unis de poursuites criminelles au Canada[27], par exemple, dans les motifs du Juge Rand. C’est dans Dessaulles c. La République de Pologne, précitée, que la question fut abordée directement pour la première fois.
Dans cette affaire, comme en l’espèce, l’État intimé a opposé une exception déclinatoire à une action intentée contre lui, en recouvrement d’honoraires et en reddition de compte. Un représentant de cet État avait entamé des procédures disciplinaires contre le demandeur auprès du conseil du Barreau, mis en cause dans l’action dirigée contre la Pologne. La Cour supérieure du Québec a rejeté l’exception déclinatoire pour le motif que le fait d’introduire des procédures disciplinaires signifiait acceptation de la juridiction. La Cour d’appel du Québec[28] a rejeté ce point de vue à l’unanimité et a fait droit à l’exception déclinatoire. Saisie de la cause, cette Cour a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel. En plus de rejeter la prétention qu’il y avait eu acceptation de la juridiction, la Cour suprême a été unanime sur l’énoncé de principe suivant:
Il ne fait pas de doute qu’un état souverain ne peut être poursuivi devant les tribunaux étrangers. Ce principe est fondé sur l’indépendance et la dignité des états, et la courtoisie internationale l’a toujours respecté. La jurisprudence l’a aussi adopté comme étant la loi domestique de tous les pays civilisés.
J’ai deux remarques à faire au sujet de cet énoncé. D’abord, il est clair que la doctrine de l’immunité absolue n’est plus «la loi domestique de tous les pays civilisés». En second lieu, ni l’indépendance ou la dignité des États, ni la courtoisie internationale n’ont besoin pour se maintenir d’une doctrine d’immunité absolue. L’indépendance comme fondement de l’immunité absolue est incompatible avec la compétence territoriale absolue de l’État accréditant et la dignité, en tant que prolongement de l’indépendance ou de la souveraineté, ne paraît guère être une raison convaincante, si l’on considère que les États se soumettent à la juridiction de leurs propres tribunaux. La Cour suprême des États-Unis a mis
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en lumière la faiblesse de ces considérations en permettant que soit entendue une demande reconventionnelle contre un État souverain qui avait fait appel à la compétence d’un tribunal interne (voir National City Bank of New York v. Republic of China, supra, p. 364). La courtoisie n’est pas non plus un fondement plus réaliste de l’immunité absolue, à moins que ce ne soit par traité. Il n’est pas juste de dire, comme l’a fait Lord Wright dans Cristina, supra, p. 502, que la courtoisie internationale est devenue un principe général de droit international qui fonde l’immunité absolue. On a abandonné l’ancienne règle de la pratique et de la réciprocité sous ce rapport. Je signale qu’un autre fondement ancien de l’immunité absolue, celui de l’extra-territorialité, que l’on invoquait surtout pour soustraire les navires d’États étrangers à la juridiction des tribunaux locaux, est depuis longtemps considéré comme une fiction dépassée, que le Juge en chef Duff a écartée en cette Cour dans le Renvoi sur les légations étrangères, supra, p. 230, suivant en cela l’exemple de Lord Atkin dans Chung Chi Cheung v. The King[29]. Le Juge Rand a adopté la même attitude dans St. John c. Frazer Brace Overseas Corp.[30]
Cette dernière affaire se rapproche en principe de celle qui nous occupe par les considérations d’ordre général sur lesquelles s’est appuyé le Juge Rand, à l’avis duquel le Juge Abbott s’est rangé. Il s’agissait d’une prétention à l’immunité de taxes municipales sur (a) des biens meubles dont les États-Unis étaient propriétaires et, (b) une tenure à bail dont ce gouvernement était bénéficiaire. Tous ces biens servaient à la construction d’un système de défense par radar au Canada, en vertu d’une entente intervenue entre le Canada et les États-Unis. Bien que le Juge Locke, à l’avis duquel le Juge Cartwright a souscrit, ait paru accepter le principe de l’immunité absolue, en se référant à la décision The Parlement Belge[31], je ne pense pas que le Juge Rand soit allé aussi loin que cela, quoique la Cour ait été unanime à affirmer l’immunité à l’égard de la taxe municipale proposée.
Le Juge Rand estimait qu’il fallait chercher [TRADUCTION] «une conception plus réaliste et
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plus souple» de l’immunité que celle de l’extra-territorialité et il a trouvé celle-ci dans le principe [TRADUCTION] «d’une invitation faite par l’Etat hôte à l’État visiteur». Compte tenu des faits de l’espèce, où il s’agit notamment d’une «visite» à des fins particulières de protection mutuelle, il était raisonnable de conclure que les lois publiques d’imposition ne devaient pas s’appliquer aux biens servant à l’entreprise commune, surtout lorsque [TRADUCTION] «les travaux auraient été exempts d’impôts s’ils avaient été faits par l’un ou l’autre gouvernement sur leur propre territoire». C’est dans ce contexte que je lis deux extraits de ses motifs qui ex facie favorisent une immunité judiciaire immuable. Voici ces deux extraits (1958 R.C.S. 263, p. 268):
[TRADUCTION] A défaut de circonstances particulières ou inusitées, lorsqu’un souverain se rend en pays étranger à titre de visiteur, il n’est pas tenu de se soumettre aux lois internes de ce pays, car il en est exempt. Tout recours contre ce qui peut être considéré comme une violation des privilèges liés à l’invitation doit se faire par la voie diplomatique et non judiciaire.
L’immunité de la coercition du droit public varie suivant les exigences de la visite. En général, l’immunité d’un souverain, de ses ambassadeurs, de ses ministres et de leur personnel, de même que leurs biens, s’étend à tous les actes judiciaires, à toute atteinte à leur personne et biens ou intervention contre leur personne ou biens, et à toute application affirmative à leur endroit du droit public coercitif, y compris l’imposition.
Les passages qui suivent immédiatement ces deux extraits me paraissent renforcer l’interprétation restreinte que je donne à ces derniers. De plus, le Juge Rand met en évidence, à mon avis, le fait que le temps et les événements ont enlevé leur valeur aux fondements de la décision de cette Cour dans Dessaulles. Il s’exprime ainsi (pages 268 et 269)
[TRADUCTION] Il est clair que la vie de chaque État, par suite des transformations rapides de notre époque, devient intimement liée à celle des autres États dans une société des nations de facto. Si Lord Mansfield pouvait dire, en 1767, dans l’affaire Heathfield v. Chilton (1767), 4 Burr, 2015, 98 E.R. 50: «Le droit international sera appliqué en Angleterre comme il l’est ailleurs», nous ne pouvons dire
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moins, dans ce pays, au vingtième siècle, alors que nous avons les Nations Unies et cette multiplicité de rapports que les progrès techniques ont créés dans le monde entier.
Selon les paroles de Sir Alexander Cockburn, citées par Lord Atkin dans Chung Chi Cheung (1939, A.C. 160, p. 172), à défaut de précédents précis, nous devons chercher à appliquer la règle que «la raison et le bon sens… dictent». Ce faisant, nous ne devons pas négliger l’aspect pratique, pour ne pas dire la nécessité, de cette «réciprocité et cet assentiment généraux» dont parle Lord MacMillan dans Compana Naviera Vascongardo v. The «Cristina» et al. (1938) A.C. 485, p. 497… Mais dire qu’il faut maintenant un précédent pour toute application à un cas qui ne diffère que par des détails et que les nouvelles situations de fait doivent faire l’objet de lois ou de traités serait en fait nier le concept de l’adaptabilité inhérente grâce à laquelle la common law a pu subsister et une régression dans l’élaboration des règles des relations internationales. Si lente et si soigneuse que doive être leur élaboration, ces règles doivent pouvoir s’adapter aux exigences de rapports internationaux accrus. Il est de l’essence de la règle du précédent que les nouvelles applications soient décidées en fonction de tous les éléments, y compris les hypothèses et les attitudes et, dans les affaires internationales, tout le domaine du comportement des États, qu’il se manifeste par des actes, des conventions, des arbitrages ou des jugements, entre en ligne de compte dans la solution de chaque litige.
Cette Cour n’a pas fait d’étude générale de l’immunité dans l’affaire Flota Maritima précitée et si la Cour d’appel du Québec y a vu quelque passage à l’appui de son énoncé d’une doctrine de l’immunité restrictive, ce doit être dans cette partie des motifs du Juge Ritchie, qui parlait au nom de la majorité, où celui-ci dit ne pas se prononcer sur l’immunité dont jouissent les biens dont un État étranger se sert à des fins strictement commerciales. Le Juge Locke aussi a dit ne pas se prononcer sur ce point, bien qu’il ait adopté la théorie de l’immunité absolue exprimée par Lord Atkin dans l’affaire The Cristina précitée. Le Juge Ritchie a cité les mêmes phrases de l’affaire The Cristina, sans dire toutefois qu’il y souscrivait.
Je me reporte maintenant à la revue des principes généraux faite par Lord Denning dans l’affaire Rahimtoola. Je ne citerai qu’un seul passage
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qui est un résumé, et qui, en bref, propose de substituer la fonction au statut comme critère de l’immunité. Voici ce passage:
[TRADUCTION]… il me semble qu’aujourd’hui l’immunité souveraine ne devrait pas se décider selon qu’un gouvernement étranger est poursuivi, directement ou indirectement, mais selon la nature du différend. Non pas selon qu’il y a des «droits en conflit à déterminer», mais selon la nature du conflit. Celui-ci est-il de la compétence de nos tribunaux? Lorsque le différend met en cause les actes législatifs ou internationaux d’un gouvernement étranger ou la politique de son exécutif, par exemple, le tribunal devrait accorder l’immunité si on la demande parce qu’il est contraire à la dignité d’un souverain étranger que le fond d’un tel différend soit étudié devant les tribunaux d’un autre pays. Par contre, si le différend porte, par exemple, sur les opérations commerciales d’un gouvernement étranger (qu’elles se fassent par l’intermédiaire de ses propres ministères, de ses agents ou par la création d’entités juridiques distinctes), et s’il survient bien dans le ressort de nos tribunaux, il n’y a pas de motif d’accorder l’immunité.
Les raisons pour lesquelles, à mon avis, il est préférable de considérer l’immunité du point de vue de la fonction plutôt que de celui du statut ne tiennent pas simplement au rejet des facteurs sur lesquels elle était auparavant censée reposer. Du point de vue positif, il y a une simple question de justice envers un demandeur; il y a le fait qu’il est raisonnable de reconnaître l’égalité d’accès aux tribunaux internes à tous ceux qui participent à des activités internationales, même si l’une des parties à une affaire est un État étranger ou un organisme de celui-ci; il y a l’ordre juridique international à favoriser en faisant en sorte que certains différends auxquels est partie un État étranger relèvent de la compétence des tribunaux, même s’il s’agit de tribunaux internes; et, évidemment, l’expansion des activités et des services des différents États a brouillé la distinction entre fonctions ou actes gouvernementaux et non gouvernementaux (ou entre les domaines d’activité dits publics et privés), de sorte qu’il est injuste de décider d’après le statut seulement si l’État sera exempt des conséquences de ses actes.
En venir à tenir compte de la fonction plutôt que du statut cela entraîne, évidemment, la substitution d’une formule vague à une formule pré-
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cise, mais pareil changement est dicté par des facteurs et des conditions largement reconnus par les auteurs aussi bien que les juges, de même que la pratique des États, comme le démontrent l’adoption de la doctrine de l’immunité restrictive par leurs tribunaux internes et la négociation de traités contenant une clause de renonciation à l’immunité, notamment dans les affires de commerce (voir: Sucharitkul, State Immunities and Trading Activities in International Law (1959); Falk, The Role of Domestic Courts in the International Legal Order (1964), Chap. VII; Hendry, Sovereign Immunities from the Jurisdiction of the Courts, (1958) 36 Revue du Barreau canadien 145; Simmonds, The Limitis of Sovereign Jurisdictional Immunity, (1965) 11 McGill L.J. 291; Lauterpacht, The Problem of Jurisdictional Immunities of Foreign States, (1951) 28 Brit. Y.B. Int’l L. 220; Comment, The Jurisdictional Immunity of Foreign Sovereigns (1954), 63 Yale L.J. 1148).
Il est à remarquer que Lord Denning se sert de termes généraux pour décrire les genres de fonctions auxquels l’immunité devrait continuer de s’appliquer. La Cour d’appel des États‑Unis pour le deuxième circuit a proposé une autre classification dans ses motifs de jugement dans l’affaire Victory Transport, précitée, (336 F. 2d, p. 360):
[TRADUCTION]… nous inclinons à rejeter une prétention à l’immunité absolue que le Département d’État n’a ni reconnue, ni permise, à moins qu’il ne soit évident que l’activité en question appartient à l’une des catégories d’actes strictement publics ou politiques auxquels les souverains ont toujours tenu particulièrement. Ces actes se limitent généralement aux catégories suivantes:
(1) les actes administratifs internes, tels que l’expulsion d’un étranger.
(2) les actes législatifs, tels que la nationalisation.
(3) les actes relatifs aux forces armées.
(4) les actes relatifs à l’activité diplomatique.
(5) les emprunts publics.
Nous ne croyons pas que la doctrine de l’immunité restrictive adoptée par le Département d’État exige de sacrifier à la courtoisie internationale les intérêts des justiciables particuliers dans aucun autre cas. S’il faut, dans l’intérêt de la diplomatie, admettre
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de nouvelles catégories, le Département d’État peut produire une déclaration d’immunité auprès du tribunal. Si par contre, il devient nécessaire de les réduire, le Département d’État peut faire une nouvelle déclaration de principes ou préciser sa politique.
Des distinctions sont manifestement nécessaires si l’on veut «rendre à César ce qui appartient à César» et, à cet égard, les deux classifications proposées sont utiles. Je résiste à la tentation, en l’espèce, d’ajouter ma propre classification des activités auxquelles l’immunité doit continuer à s’appliquer, d’autant plus que si la question de la compétence initiale, soulevée par l’exception déclinatoire, met en cause l’immunité restrictive, la Cour n’est appelée à trancher qu’une seule question, celle de savoir si le marché dont il s’agit ici est si manifestement protégé par l’immunité que tout autre examen est superflu. A cette fin, je passe aux faits particuliers qui ont donné naissance au litige, en autant que ceux-ci peuvent être dégagés du dossier plutôt mince, et des mesures législatives pertinentes.
L’Expo de Montréal, pour appeler l’Exposition par son nom populaire, a été organisée en vertu de la Convention concernant les expositions internationales du 22 novembre 1928, modifiée par le protocole du 10 mai 1948, à laquelle le Canada adhère. L’article 5 de ladite Convention décrète que le pays invitant doit adresser les invitations aux pays étrangers par la voie diplomatique. Auparavant, il doit demander au Bureau international créé par la Convention d’enregistrer l’exposition et joindre à sa demande certains renseignements et documents, dont copies du règlement général qui s’appliquera. Le Canada a satisfait à ces exigences de l’article 8 de la Convention et a constitué un organe administratif pour l’Expo en vertu de la Loi sur la Compagnie de l’exposition universelle canadienne, 1962-1963 (Can.), c. 12. Cette loi spéciale prévoyait l’établissement d’un conseil d’administration (dont les gouvernements du Canada et du Québec se sont partagé la nomination des membres) sous la responsabilité d’un ministre fédérai.
Certaines dispositions de cette loi fédérale sont particulièrement pertinentes dans la présente affaire. Sous réserve d’une exception sans consé-
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quence ici, le par. (1) de l’art. 7 fait de la Compagnie un mandataire de Sa Majesté à toutes les fins de la Loi. Le paragraphe (4) de l’art. 7 se lit ainsi:
Des actions, poursuites, ou autres procédures judiciaires concernant un droit acquis ou une obligation contractée par la Compagnie pour le compte de Sa Majesté, que ce soit en son nom ou au nom de Sa Majesté, peuvent être intentées ou prises par ou contre la Compagnie, au nom de cette dernière, devant toute cour qui aurait juridiction si la Compagnie n’était pas mandataire de Sa Majesté.
Les pouvoirs de la Compagnie, énumérés à l’art. 9, comprennent l’acquisition de biens en vue de la construction, l’entretien et l’exploitation de l’exposition et la conclusion de contrats de construction; ces pouvoirs sont toutefois limités, le montant de ces marchés ou acquisitions de biens ne pouvant excéder un certain maximum, sauf avec l’approbation du gouvernement du Canada. L’art. 10 constitue une disposition capitale: la Compagnie doit soumettre à l’approbation des gouvernements du Canada et du Québec son plan d’ensemble de l’exposition.
Je note que la Loi définit le mot «exposition» à l’alinéa (f) de l’art. 2 comme désignant «l’exposition universelle et internationale canadienne de Montréal en 1967, pour laquelle l’enregistrement a été accordé par le Conseil du Bureau international des expositions le 13 novembre 1962». Je signale cette définition pour situer dans son contexte un document produit en cette Cour et intitulé: Règlement général, Exposition universelle et internationale de 1967, Montréal (Québec, Canada). Je présume qu’il s’agit d’un exemplaire du Règlement général soumis au Bureau international en vertu de l’article 8 de la Convention relative aux expositions internationales.
Le gouvernement étranger appelant s’est opposé à la production de ce document en cette Cour. Il était justifié de le faire dans la mesure où ledit document était présenté comme pièce au dossier. Bien qu’on puisse prétendre que la Cour devrait prendre d’office connaissance du Règlement général comme faisant partie du traité et du régime statutaire en vertu desquels l’Expo était organisée et tenue, ce serait prendre les parties
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par surprise que de donner à ce règlement des effets soit de fait, soit de droit, sur la question de l’immunité sans donner aux parties un avis préalable pour leur permettre de présenter leurs vues sur la pertinence et l’effet du Règlement général.
En dépit de son opposition à la production du Règlement général, le procureur de l’appelant en fait mention dans le factum qu’il a produit, en appel, à cette Cour en faisant valoir que la participation du Congo avait un «but public». Je cite le factum, page 19:
[TRADUCTION] Nous exposons respectueusement que le Congo a participé à l’Exposition de 1967, à la suite d’une invitation que lui a adressée le Canada par la voie diplomatique, aux fins et objets mentionnés dans la Convention de Paris et dans le Règlement général de l’Exposition. La poursuite par le Congo des buts et objets de l’Exposition de 1967, soit «travailler à réaliser l’unité des peuples» et «montrer les aspirations spirituelles et matérielles du monde», équivaut certainement à la participation d’un État souverain à des fins publiques selon le sens traditionnel.
Le procureur de l’intimé a présenté le document dans un dessein contraire. Il paraît donc que les deux parties en cause reliaient le Règlement général à la question de l’immunité restrictive, laquelle ne peut être résolue à partir du dossier dont cette Cour est présentement saisie. Ce dossier se compose de la déclaration ou demande, de l’exception déclinatoire et de deux aveux formels dont il a été question plus tôt. Si la reconnaissance de l’immunité réclamée en l’espèce doit reposer sur le principe de l’immunité restrictive, comme à mon avis elle le doit, le dossier à notre disposition ne permet pas une affirmation immédiate d’immunité. Pour pouvoir décider s’il y a immunité, il faut certainement que l’action se poursuive.
En examinant l’affaire comme s’il s’agissait d’une question d’immunité restrictive, j’ai donné à l’exception déclinatoire un sens plus large que ne le justifie l’interprétation stricte de ses termes. Telle qu’elle est formulée dans le dossier imprimé, l’exception déclinatoire constitue une affirmation péremptoire d’immunité en tant qu’État souverain. Rien dans la rédaction de l’exception ne dénote que la prétention à l’immunité est fondée sur la théorie de l’immunité restrictive. Une prétention
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ainsi fondée aurait pu être présentée si le Congo avait invoqué l’art. 165 C.P.C. plutôt que les art. 163 et 164. En recourant à l’art. 165, l’État en cause aurait reconnu à la Cour supérieure la compétence de déterminer s’il avait droit à l’immunité restrictive. Toutefois, étant donné la façon dont le Congo a procédé et la position qu’il a adoptée, cette Cour doit se prononcer, comme ont dû le faire les cours d’instance inférieure, sur une prétention sans réserve qu’un État souverain comme tel ne peut être poursuivi en justice, quelle que soit l’activité qu’il exerce et pour laquelle il est assigné devant un tribunal d’un pays étranger.
Accueillir l’exception déclinatoire équivaut donc à réaffirmer la doctrine de l’immunité absolue. J’ai bien exposé mon opinion que cette doctrine est dépassée. Dans ce cas, ce serait une erreur d’y revenir parce que la preuve ne suffirait pas à repousser toute prétendue présomption que lorsqu’un État souverain agit par l’entremise d’un agent diplomatique accrédité, tout marché que ce dernier passe avec un particulier est un acte fait dans un but dit public. A ce stade-ci de l’action, il ne saurait être question d’exiger du demandeur ou du Congo de nier ou d’établir le droit à une immunité restrictive. Cette obligation se présentera plus tard. Je n’ai donc pas à déterminer dès maintenant sur qui repose le fardeau de la preuve. Il s’agit uniquement de savoir si l’action doit être éteinte dès le départ ou si elle doit se poursuivre. Puisque, à mon avis, on ne peut écarter effectivement et ab initio la juridiction invoquée en l’espèce en vertu du principe de l’immunité absolue, je suis d’avis que l’action devrait se poursuivre.
J’en suis d’autant plus certain que, d’après moi, même si l’on interprétait l’exception déclinatoire comme étant fondée sur le principe de l’immunité restrictive (ainsi que l’appelant l’a fait valoir, comme moyen subsidiaire, dans son factum et sa plaidoirie), aucune preuve de fait ne nous permet de l’accueillir à ce stade-ci de l’action.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel accueilli avec dépens, LES JUGES HALL et LASKIN étant dissidents.
Procureur de l’appelant: B. Vizkelety, Montréal.
Procureur de l’intimé: R. Beaulé, Montréal.
[1] [1969] B.R. 818, 5 D.L.R. (3d) 128.
[2] [1968] R.P. 145, [1968] C.S. 523.
[3] (1964), 336 F. 2d 354.
[4] [1958] R.C.S. 263, 13 D.L.R. (2d) 177.
[5] (1873), L.R. 4 A. & E. 59, 28 L.T. 513.
[6] [1938] A.C. 485, [1938] 1 All E.R. 719.
[7] [1958] A.C. 379 à 394, [1957] 3 All E.R. 441.
[8] [1962] R.C.S. 598, 34 D.L.R. (2d) 628, 83 C.R.T.C. 219.
[9] [1924] A.C. 797.
[10] [1969] B.R. 818, 5 D.L.R. (3d) 128.
[11] [1944] R.C.S. 275, [1944] 4 D.L.R. 1.
[12] [1962] R.C.S. 598, 34 D.L.R. (2d) 628, 83 C.R.T.C. 219.
[13] [1924] A.C. 797.
[14] [1951] 2 K.B. 1003, [1951] 2 T.L.R. 697.
[15] (1938), 303 U.S. 68 à 74.
[16] (1943), 318 U.S. 578 à 588.
[17] (1812), 7 Cranch 116 à 147.
[18] (1941), 116 F. 2d 43.
[19] (1941), 314 U.S. 627.
[20] (1964), 336 F. 2d 354.
[21] (1965), 381 U.S. 934.
[22] (1955), 348 U.S. 356.
[23] [1938] A.C. 485 à 490, [1938] 1 All E.R. 719.
[24] [1952] 1 All E.R. 1261, [1952] A.C. 318.
[25] [1958] A.C. 379, [1957] 3 All E.R. 441.
[26] [1943] R.C.S. 208, [1943] 2 D.L.R. 481.
[27] [1943] R.C.S. 483, 80 C.C.C. 161, [1943] 4 D.L.R. 11.
[28] [1943] B.R. 224.
[29] [1939] A.C. 160 à 174, [1938] 4 All E.R. 786.
[30] [1958] R.C.S. 263 à 267, 13 D.L.R. (2d) 177.
[31] (1880), 5 P.D. 197.