Cour suprême du Canada
Tanenbaum c. Sears, [1972] R.C.S. 67
Date: 1971-05-31
Max Tanenbaum (Défendeur) Appelant;
et
Sydney Sears (Demandeur) Intimé;
et
Sydney Sears Real Estate Limited (Demanderesse);
et
Downsview Meadows Limited (Défenderesse).
1971: les 24 et 25 février; 1971: le 31 mai.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.
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APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], modifiant un jugement du Juge Stark. Appel accueilli, les Juges Ritchie et Spence étant dissidents.
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Sydney L. Robbins, c.r., pour le défendeur, appelant.
F.M. Catzman, c.r., et M.A. Catzman, pour le demandeur, intimé.
Le jugement des Juges Judson, Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Le présent pourvoi porte principalement sur l’interprétation et l’application à donner à l’art. 17(b) d’un accord en prévision de la constitution d’une compagnie, portant la date du 28 février 1955, auquel le demandeur Sears et le défendeur Tanenbaum ont été parties. Deux autres personnes, Percy Wright, et Erneice Shanoff, ont aussi été signataires de cet accord, mais ne sont pas parties au litige auquel il a donné lieu. L’article 17(b) est le suivant:
[TRADUCTION] Les parties aux présentes s’engagent, et s’obligent, lors de la vente de chaque lot, qu’elle soit faite par l’entremise de Sydney Sears Real Estate Limited ou non, à faire payer, par la compagnie à constituer, à Sydney Sears Real Estate Limited une commission de vente de cinquante dollars ($50) par lot.
Au cours des événements qui ont suivi (et dont je parlerai plus loin) on a intenté une action au sujet de cette clause, le 19 juin 1964. C’est le Juge Stark qui a entendu l’affaire sur une déclaration amendée datée du 7 avril 1967 et une nouvelle défense datée du 18 mai 1967. Sears a associé comme codemandeur la compagnie dont il est l’unique propriétaire, Sydney Sears Real Estate Ltd., et joint comme codéfenderesse Downsview Meadows Ltd., la compagnie formée par suite de l’accord. Le Juge Stark a rejeté l’action à l’égard de cette dernière compagnie de même que la demande formée dans cette action par Sydney Sears Real Estate Ltd. Il n’y a pas, eu appel de ces décisions. Sears a eu gain de cause contre Tanenbaum; le jugement est le suivant:
[TRADUCTION] 2. ET LA COUR DÉCIDE ET ORDONNE DE PLUS que le demandeur, Sydney Sears, recouvre du défendeur, Max Tanenbaum, la somme de $24,200, en fiducie, pour le compte de Sydney Sears Real Estate Ltd.
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La Cour d’appel d’Ontario a modifié ce jugement en y substituant les paragraphes 2 et 2A qui suivent:
[TRADUCTION] 2. LA COUR DÉCLARE que l’article 17(b) de l’accord du 28 février 1955 dont il est fait mention au paragraphe 5 de la déclaration amendée de la présente action constitue un contrat obligatoire entre le demandeur Sydney Sears et le défendeur Max Tanenbaum qui oblige à payer à la demanderesse Sydney Sears Real Estate Limited la somme y mentionnée, et que le défendeur Max Tanenbaum doit exécuter l’obligation même et LA COUR DÉCIDE ET ORDONNE EN CONSÉQUENCE.
2A. LA COUR DÉCIDE ET ORDONNE que ledéfendeur Max Tanenbaum paie sans délai à la demanderesse Sydney Sears Real Estate Limited la somme de $24,200.
Tanenbaum a été jugé responsable en première instance et en appel mais, comme il ressortira plus nettement après une étude des motifs de l’une et l’autre Cour, d’après des théories différentes de la responsabilité.
Il n’y a pas de contestation sur le montant du jugement, si ce montant est recouvrable de Tanenbaum personnellement. Il représente la rétribution stipulée en vertu de l’art. 17(b) à l’égard de 484 lots vendus par Downsview depuis la formation de cette compagnie, le 1er mars 1955, mais surtout depuis 1962 jusqu’à l’institution de la présente action. Ces lots proviennent d’un terrain, qui est l’objet de l’accord qui a précédé la création de la compagnie. Percy Wright détenait les droits d’achat de ce terrain et l’entente des parties à l’accord était que la compagnie à former s’en porterait acquéreur et que des actions seraient émises aux parties selon leur participation respective à l’affaire. Tanenbaum s’engageait à en être le principal bailleur de fonds et à garantir le remboursement des emprunts de banque nécessaires, sous réserve d’ententes d’indemnisation de la part de ses cosignataires jusqu’à concurrence de leur participation.
L’accord prévoyait que le capital-actions de la compagnie se composerait d’actions ordinaires et d’actions privilégiées, et que ces dernières seraient émises à Tanenbaum jusqu’à concurrence du montant du prêt bancaire qu’il obtiendrait. (Les
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articles 5 et 18(a) de l’accord sont, sous ce rapport, dans les mêmes termes que l’art. 17(b) en ce que les parties s’engagent à faire émettre les actions privilégiées à Tanenbaum par la compagnie à former. En termes semblables, l’art. 18(b) prévoit la concession d’une hypothèque sur l’immeuble en faveur de Tanenbaum à titre de sûreté additionnelle pour le prêt bancaire.) Il y aurait 200,000 actions ordinaires, sans valeur nominale, à répartir selon la distribution suivante:
Max Tanenbaum
47%
Percy Wright
32%
Sydney Sears
16%
Erneice Shanoff
5%
Sears a versé $75,000 à Percy Wright (ni la compagnie, ni Tanenbaum n’ont touché cet argent) en paiement de sa mise; 32,000 actions lui ont par la suite été attribuées à un cent chacune. Une répartition proportionnelle a été faite aux autres.
On a exécuté les dispositions de l’accord au sujet de la répartition des actions, de l’émission d’actions privilégiées et de l’hypothèque en faveur de Tanenbaum au cours de la semaine qui a suivi la création de la compagnie. L’article 3 de l’accord prévoit que: [TRADUCTION] «les parties aux présentes feront élire les personnes suivantes comme administrateurs permanents… et dirigeants de la compagnie»; suivent, dans l’article, les noms de Max Tanenbaum, Sydney Sears, David L. Shanoff et Stephen W. Laughlin comme président, vice‑président, trésorier et secrétaire respectivement. Shanoff, un avocat, est le mari d’Erneice Shanoff, et Laughlin, avocat également, et associé de Shanoff, était le représentant de Percy Wright. L’article 20 de l’accord permet une telle substitution, stipulant que [TRADUCTION] «chacune des parties aux présentes peut, moyennant l’approbation des autres parties, faire en sorte qu’un représentant siège pour elle comme administrateur ou actionnaire de la compagnie… et faire détenir par ce représentant les actions d’aucune des parties aux présentes, en fiducie». Les premières souscriptions d’actions ordinaires montrent que Tanenbaum a fait répartir ses 94,000 actions entre lui-même (14,000), sa femme (30,000), sa fille (10,000) et son comptable (40,000); Percy Wright a reçu son lot de 64,000 actions au nom de Laughlin,
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et Mme Shanoff a reçu le sien de 10,000 actions au nom d’une compagnie de portefeuille familiale à l’exception d’une action émise au nom de son mari. Sears a détenu ses 32,000 actions de son nom personnel, mais pendant moins de trois mois. Le 20 mai 1955, il vendait toutes ses actions, sauf une, à Keele Investments Ltd., une compagnie dans laquelle il avait une participation peu importante et qui, en réalité, avait été créée pour absorber sa participation de 16 pour cent dans Downsview; il a conservé l’action restante, en fiducie, comme représentant de Keele.
Sears est resté administrateur de Downsview en qualité de personne désignée jusqu’au 6 juillet 1964 (soit après l’institution de la présente action), alors que Keele a vendu ses actions à Pinetree Investments Ltd., une compagnie dont Tanenbaum et les membres de sa famille étaient actionnaires. A ce moment-là, Pinetree est devenue, à toutes fins utiles, propriétaire de Downsview par suite d’une série d’opérations remontant à plus de six ans. Avant que Pinetree n’intervienne, Tanenbaum s’était personnellement porté acquéreur des actions de Wright, en ayant acheté la moitié en septembre 1955 et l’autre moitié en 1957. En 1958, Tanenbaum, sa femme et son comptable ont cédé leurs actions dans Downsview à Pinetree, à l’exception d’une action statutaire retenue par Tanenbaum. En 1959, Pinetree a acheté les actions des Shanoff, à l’exception d’une action retenue par David Shanoff mais transportée en 1960 à un certain Harold Tanenbaum.
Tant en première instance, devant le Juge Stark, qu’en Cour d’appel de l’Ontario, Sears a soutenu que Tanenbaum personnellement contrôlait Downsview ou en était propriétaire. Le juge de première instance a rejeté cette conclusion, étant d’avis qu’on n’avait pas établi que Tanenbaum contrôlait Pinetree ou en était propriétaire. La Cour d’appel a été de l’avis opposé et, selon moi, elle pouvait bien conclure, d’après la preuve, que Tanenbaum contrôlait Pinetree et, partant, contrôlait Downsview. Que cette conclusion puisse servir de fondement à l’arrêt d’appel est ce qui reste à examiner maintenant. A cet égard, je me propose d’abord d’étudier l’art. 17(b) dans le contexte de l’accord dont il fait partie, puis d’analyser le déroulement du litige dont il est le cœur.
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Par l’accord précédant la constitution de la compagnie, les parties s’obligeaient à faire faire différentes choses par la compagnie qu’ils créaient. Ils devaient faire nommer des personnes déterminées comme administrateurs et dirigeants, faire émettre des actions privilégiées à Tanenbaum, faire ouvrir un compte spécial, en fiducie, pour le dépôt des acomptes sur les achats de terrains, faire utiliser à la compagnie une formule de convention en vue de la vente de terrains approuvée par un conseiller juridique, faire consentir une hypothèque à Tanenbaum pour l’obtention et la caution d’un prêt bancaire. En vertu de l’art. 17(b), ils devaient faire payer par la compagnie à la société immobilière de Sears la commission de vente stipulée. L’article 19 constitue une disposition générale «résiduaire» dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Les parties aux présentes s’engagent et s’obligent à faire faire, à titre d’administrateurs ou d’actionnaires de la compagnie à former, tout ce que ladite compagnie doit faire aux termes des présentes. Les parties aux présentes s’engagent et s’obligent de plus à fournir toutes autres assurances et tous autres documents requis en vue de réaliser plus pleinement les termes et les buts des présentes, à tous égards.
Les parties devraient remplir leurs engagements réciproques en veillant à la formation de la compagnie, à la répartition des actions et aux choses que la compagnie elle-même devait faire. La seule obligation financière personnelle était celle de Tanenbaum d’obtenir un prêt bancaire et celle des autres parties de l’indemniser au prorata s’il était appelé à honorer le cautionnement du prêt bancaire. En réalité, ce que les parties avaient promis de faire faire s’est réalisé dans l’ensemble par la formation de la compagnie Downsview et par les autorisations données et les résolutions adoptées lors des réunions du conseil d’administration. Rien cependant n’a été fait pour donner effet à l’art. 17(b); rien n’indique que Sears ait cherché à le faire exécuter pendant les premiers temps de la compagnie ou que Tanenbaum ni personne d’autre s’y soit opposé à ce moment-là. Malgré les difficultés que la compagnie a éprouvées à enregistrer un plan de subdivision et à procéder à la mise en valeur de
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l’immeuble, la compagnie de vente a eu lieu très tôt, mais elle s’est avérée infructueuse dans nombre de cas. Ce n’est qu’en 1962 que l’affaire a démarré; entre-temps Tanenbaum avait dû y engager des sommes importantes.
D’après le témoignage de Sears (le seul autre témoignage étant celui de Tanenbaum lors de l’interrogatoire préalable, lu au procès comme partie de la preuve du demandeur) c’est après que l’entreprise fut devenue profitable qu’il a parlé à Tanenbaum de l’exécution de l’art. 17(b). Une lettre ou état de compte du 23 mars 1964, de la part de la société immobilière de Sears, adressée à Downsview, a/s de Max Tanenbaum, réclame le paiement de la somme de $24,200 [TRADUCTION] «en vertu de la convention du 28 février 1955, article 17(b), et selon la demande antérieure». Cette lettre a été suivie d’une autre, le 24 avril 1964, des avocats de Sears, adressée également à Downsview, a/s de Max Tanenbaum, réclamant le paiement de cette somme. Sears affirme dans sa déposition que lorsqu’il a abordé cette question avec Tanenbaum, ce dernier a promis de s’en occuper. Le témoignage de Tanenbaum à l’interrogatoire préalable contient une dénégation qu’il ait fait une telle promesse. Il n’y avait pas lieu de se prononcer sur cette contradiction dans les témoignages puisque, comme l’a tout bonnement admis l’avocat de Sears, on n’avait invoqué contre Tanenbaum personnellement aucune promesse que ce dernier aurait faite à Sears après le 28 février 1955.
La déposition de Sears révèle également qu’il n’a jamais proposé de résolution visant à faire assumer par Downsview l’engagement énoncé à l’art. 17(b) et qu’il n’existe ni procès-verbal, ni autre écrit de la société immobilière de Sears, ni rapport ou état comptable qui témoigne de l’existence d’une créance éventuelle exigible de Downsview en faveur de cette société.
On peut raisonnablement conclure, de ce qui est arrivé par la suite, que les parties à l’accord du 28 février 1955 ont renoncé à ce qu’elles avaient arrêté en vertu de l’art. 17(b). On a laissé tomber d’autres dispositions lorsque certaines des parties à la convention et leurs représentants se sont retirés de Downsview. Par exemple, les conventions en vue de la vente et de l’achat de terrains devaient être approuvées par Tanenbaum
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et Wright et ensuite signées par Sears et Shanoff au nom de la compagnie (art. 15); Sears et Shanoff devaient recevoir les acomptes en fiducie (art. 16). Quand Wright, Sears et les Shanoff ont cédé leurs actions, ces articles sont devenus lettre morte. De même, la disposition de l’accord (art. 3) selon laquelle Tanenbaum, Sears, Shanoff et Laughlin seraient élus administrateurs permanents n’est pas restée en vigueur; Sears a été élu dirigeant après qu’il eut cessé d’avoir une participation à titre personnel.
Si l’on prend le témoignage de Sears à la lettre, la somme de $50 par lot vendu ne constitue pas une commission à sa société, mais plutôt une rétribution pour lui (avec indication de paiement à sa société) pour avoir procuré la somme de $75,000 qu’il a versée à Wright. Je suis sûr qu’il aurait pu exiger qu’on prenne les dispositions pour faire le paiement pendant qu’il demeurait actionnaire de Downsview à titre personnel. A mon avis, en cessant de l’être à ce titre, il n’était plus en mesure d’exiger l’exécution de l’art. 17(b). Ni les autres parties, ni leurs personnes désignées ne l’ont fait. Même s’il restait la moindre obligation après les changements complets survenus quant à la propriété du capital-actions de Downsview, personne ne pouvait en exiger l’exécution. Keele Investments n’a, à aucun moment, été personne désignée de Sears; la situation était l’inverse.
Bien que les défendeurs à l’action telle qu’elle était formée au moment du procès aient invoqué l’annulation de l’art. 17(b), le juge de première instance a conclu que cet article est en vigueur et l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu sur cette base. La déclaration amendée affirme que Sears a signé l’accord comme mandataire ou, subsidiairement, comme fiduciaire de sa société immobilière. L’action demande: (1) une déclaration que Tanenbaum était tenu de faire en sorte que Downsview fasse le nécessaire pour verser la somme à la société immobilière, (2) une ordonnance à cette fin, et subsidiairement (3) des dommages au montant de $24,200. Au début du procès, l’avocat de Sears a abandonné les prétentions qu’il y a eu mandat ou fiducie et déclaré qu’il ne demanderait pas de dommages en faveur de Sears personnellement, étant donné la difficulté d’établir qu’il avait subi quelque préjudice personnel. Il demande plutôt l’exécution directe de l’art. 7(b), à la diligence de Sears, par une ordonnance à
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Tanenbaum de remplir son engagement de faire en sorte que Downsview verse la somme à la société immobilière, ou subsidiairement, à défaut d’exécution directe, il demande que le tribunal condamne Tanenbaum personnellement à des dommages pour avoir manqué à cet engagement. L’enquête du demandeur close, les défendeurs ont demandé le non-lieu choisissant de ne pas offrir de preuve. Leur requête a été rejetée.
Le juge de première instance a cru que le principe traduit dans Beswick v. Beswick[2], s’applique de sorte que Sears peut exiger l’exécution du contrat qu’il dit exister entre lui et Tanenbaum. Cependant, parce qu’il a estimé qu’on n’avait pas établi que Tanenbaum contrôlait Downsview, le juge de première instance a conclu qu’une ordonnance d’exécution directe ne serait pas exécutoire et qu’il devait en conséquence faire droit à la demande subsidiaire en condamnant Tanenbaum au plein montant des dommages, qu’il paierait à Sears, en fiducie, au profit de la société immobilière.
Je fais mention des conclusions du juge de première instance parce que l’intimé Sears, en appel incident, demande le rétablissement du jugement de première instance si la Cour conclut que l’arrêt de la Cour d’appel ne peut être retenu. Je ne vois pas comment le juge de première instance a pu conclure que Sears a droit à une ordonnance d’exécution directe (même si elle n’était pas exécutoire) puisque les autres parties à l’accord ne sont pas parties à l’action et que, manifestement, Tanenbaum n’était pas maître de Downsview ni au moment de la signature de l’accord, ni, (d’après le Juge Stark), lors de l’institution de l’action. Je n’interprète pas l’art. 17(b) comme comportant des obligations divisibles, entre les parties qui y ont souscrit, d’obtenir de Downsview qu’elle s’acquitte de la somme envers la société immobilière de Sears. Cet article prévoit une obligation collective ou une obligation dont Sears pouvait requérir l’exécution de ses cocontractants en affirmant sa détermination à l’exécuter lui-même. Étant de cet avis, je ne puis admettre qu’il s’agisse d’une affaire où on peut condamner à des dommages en equity au lieu de l’exécution directe; il n’y a certainement pas lieu de condamner Tanenbaum au plein montant des dommages demandés.
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La Cour d’appel s’est appuyée sur deux motifs distincts pour conclure qu’il ne pouvait y avoir d’ordonnance d’exécution directe. (Ni Downsview, ni Sydney Sears Real Estate Ltd. n’étaient parties à l’appel). Elle mentionne d’abord dans ses motifs qu’elle n’ordonnerait pas l’exécution directe si celle-ci avait pour effet de faire remplir par un tiers une obligation contractée en vertu d’un accord auquel ce tiers n’a pas été partie, spécialement si ce tiers n’a pas assumé cette obligation. Cette opinion sur l’affaire, opinion juste à mon avis (et qui s’ajoute à l’observation déjà faite au sujet de l’absence de certains cocontractants, compte tenu de la nature de l’obligation qui fait l’objet de l’art. 17(b)), la différencie de Beswick v. Beswick.
Dans cette affaire-là, A s’était simplement engagé envers B à effectuer un paiement à C; il ne s’agissait pas, comme dans la présente, du cas où A, B, C et D se sont engagés entre eux à faire payer Y par X, ni X ni Y n’étant partie à l’accord. Les quatre parties, dans la présente affaire, ont contracté en présumant qu’elles étaient en mesure de remplir leur engagement. Aucune disposition ne les empêchait de vendre leurs actions ni ne les obligeait à les vendre ou à les offrir d’abord aux autres cocontractants. L’obligation de veiller à ce que la compagnie s’engage envers la société de Sears ne se transmettait pas à un cessionnaire d’actions à défaut d’indication dans l’entente ou d’autre élément de preuve qui puisse raisonnablement permettre de conclure qu’il y a eu novation à rencontre du cessionnaire. Il n’y a ni indication ni élément de preuve en ce sens ici. L’article 17(b), comme les autres dispositions, fait partie du plan de mise sur pied et ne constitue pas une disposition dont la raison d’être est permanente quels que soient les changements de détenteurs du capital-actions.
Je n’ai pas besoin de m’arrêter à ce qui arriverait si, après qu’un autre cocontractant eût cédé sa participation, Sears avait exigé des cocontractants restants l’exécution de l’engagement. De fait, c’est lui qui s’est retiré le premier, puis il a été suivi de deux autres avant que qui que ce soit ne tente de faire mettre l’art. 17(b) à exécution.
Comme second motif, la Cour d’appel a refusé l’exécution directe parce qu’elle obligerait Tanen-
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baum à voter ou à se comporter, en tant que président et administrateur de Downsview, d’une façon déterminée sur une question à laquelle la compagnie n’a rien à voir. La compagnie ne devait rien à Sears ni à sa société immobilière et il y avait possibilité de conflit d’intérêts entre la situation personnelle de Tanenbaum et son devoir comme dirigeant principal de la compagnie. La Cour d’appel mentionne l’arrêt de cette Cour dans Ringuet c. Bergeron[3], à l’appui de ce qui précède. A mon avis, il n’est pas nécessaire de savoir si les principes invoqués dans Ringuet c. Bergeron s’appliquent au cas présent. Je ferais remarquer cependant que ce second motif auquel la Cour d’appel a eu recours pour refuser l’exécution directe renforce l’opinion à laquelle je suis arrivé quant à la nature de l’obligation créée en vertu de l’art. 17(b).
En raison des motifs que j’ai examinés, la demande de Sears présentée et poursuivie comme elle l’a été doit être rejetée. Toutefois, la Cour d’appel fait reposer la responsabilité de Tanenbaum sur une autre base, que j’énonce en me servant des termes mêmes utilisés par elle:
[TRADUCTION] Néanmoins, si le refus d’accorder l’exécution directe demandée mettait fin à l’affaire, l’appelant, qui a pris le contrôle de la compagnie défenderesse à l’exclusion de l’intimé et des autres parties à l’accord du 28 février 1955, se trouverait à jouir des avantages de cet accord tout en refusant de remplir l’obligation qu’il y a contractée; un tel résultat est non seulement injuste, mais empêche le contrat intervenu entre l’appelant et l’intimé d’être conforme aux principes des affaires. Dans les circonstances, l’obligation contractée par l’appelant en vertu de l’art. 17(b) devrait être traitée comme un engagement personnel de sa part de payer. Si on le considère ainsi, l’appelant a manqué à cet engagement et, tous les intéressés étant parties à l’action, il devrait y avoir jugement contre l’appelant, en faveur de l’intimé, ordonnant à l’appelant de payer une somme à Sears Limited.
Je ne puis admettre les prémisses de cette conclusion parce qu’elles ne concordent pas avec les faits au dossier et je ne suis pas non plus d’avis que les termes de l’art. 17(b) impliquent un engagement personnel de la part de Tanenbaum de payer la société de Sears.
Il n’y a rien de mal à la façon dont Tanenbaum a acquis le contrôle de Downsview. Les autres
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contractants ont cédé leurs participations et rien n’indique qu’ils l’ont fait autrement que de façon volontaire. Tanenbaum n’a retiré de l’accord aucun avantage indu, et il en va de même de ses cocontractants. L’obligation contractuelle que Tanenbaum est censé avoir refusé de remplir est une obligation à laquelle ses cocontractants auraient également manqué (y compris Sears pendant qu’il était actionnaire à titre personnel), en supposant qu’elle ait subsisté jusqu’à la vente de leurs actions de Downsview. En réalité, il n’y a pas eu de contrat entre Sears et Tanenbaum seuls. Le texte de la décision de la Cour d’appel laisse entendre qu’il y en a eu un, ce qui ne peut être vrai que s’il y a eu novation du fait de l’acquisition par Tanenbaum du contrôle de Downsview et de l’acceptation par lui d’une obligation personnelle envers Sears d’éteindre les obligations collectives créées par l’art. 17(b). La preuve n’autorise pas cette conclusion et la demande ne s’appuie nullement sur une théorie de ce genre. Évidemment, si cette théorie était soutenable, il y aurait tout à fait lieu de s’arrêter à l’applicabilité du principe de Beswick v. Beswick.
On a établi que Sears et sa société ont participé à la vente de certains lots en amenant des offres d’achat dont quelques-unes furent acceptées. On n’a pas fait valoir de réclamation distincte en raison de ces services, mais pour autant qu’il existe un droit à une rétribution, rien dans les présents motifs ne milite contre le droit de la société de Sears d’en poursuivre le paiement.
Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer les jugements de première instance et d’appel et de rejeter l’action. Tanenbaum a droit aux dépens en toutes les Cours.
Le jugement des Juges Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario prononcé le 22 décembre 1969. Par cet arrêt, la Cour d’appel a modifié le jugement du Juge Stark rendu après l’audition le 10 juin 1968.
Le Juge Stark avait accordé au demandeur Sydney Sears, l’intimé en cette Cour, des dommages au montant de $24,200, à être payés audit Sydney Sears, en fiducie, au profit de Sydney
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Sears Real Estate Limited. La Cour d’appel a modifié ce jugement, y attachant la déclaration suivante:
[TRADUCTION] 2. LA COUR DÉCLARE que l’article 17(b) de l’accord du 28 février 1955 dont il est fait mention au paragraphe 5 de la déclaration amendée de la présente action constitue un contrat obligatoire entre le demandeur Sydney Sears et le défendeur Max Tanenbaum qui oblige à payer à la demanderesse Sydney Sears Real Estate Limited la somme y mentionnée, et que le défendeur Max Tanenbaum doit exécuter l’obligation même et LA COUR DÉCIDE ET ORDONNE EN CONSÉQUENCE.
2A. ET CETTE COUR DÉCIDE ET ORDONNE que le défendeur Max Tanenbaum paie sans délai à la demanderesse Sydney Sears Real Estate Limited la somme de $24,200.00.
J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le Juge Laskin dans ce pourvoi; par conséquent, je ne reprendrai pas le résumé des faits mais j’adopterai celui qu’en a fait mon collègue le Juge Laskin, sauf lorque je voudrai souligner certains aspects particuliers de ces faits. Toutefois, je regrette de ne pouvoir être d’accord avec mon collègue sur la façon dont le pourvoi doit être décidé.
Le savant juge de première instance a conclu son jugement ainsi:
[TRADUCTION] A mon avis, bien que le demandeur Sydney Sears ait droit à une ordonnance d’exécution directe de l’accord, cette ordonnance ne serait pas exécutoire. D’après la preuve, la majorité des actions de cette compagnie n’appartient pas au défendeur Max Tanenbaum et il n’est pas prouvé qu’il la contrôle. Par conséquent, comme dans l’affaire Beswick, il s’agit ici d’un cas où un redressement subsidiaire par voie de dommages au montant de $24,200 est justifié. Le montant de ces dommages devrait être payé par le défendeur Max Tanenbaum au demandeur Sydney Sears, en fiducie, pour le bénéfice de Sydney Sears Real Estate Limited.
Le juge d’appel Brooke, en rendant jugement au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, a dit ceci:
[TRADUCTION] Le savant juge de première instance est d’avis qu’il n’existe aucune preuve quant à la répartition de fait des actions de Pinetree Investments Limited. Toutefois, eu égard à l’ensemble de la preuve, je dois conclure que le savant juge de première instance a commis une erreur à ce sujet et aurait dû conclure que d’après la prépondérance des
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probabilités, l’appelant avait le contrôle de Pinetree Investments Limited, que les actions de la compagnie aient été à son nom ou au nom de membres de sa famille; après examen de l’ensemble de la preuve, je crois que c’est la seule conclusion logique.
Toutefois, malgré cette conclusion, le Juge d’appel Brooke est d’avis qu’il est impossible d’accorder une ordonnance d’exécution directe de l’obligation énoncée à l’art. 17(b) de l’accord précédant la constitution d’une compagnie pour deux raisons précises: d’abord, la conséquence d’une telle ordonnance serait de faire payer la compagnie défenderesse, Downsview Meadows Limited, même si cette compagnie n’était pas partie à l’accord ni n’avait jamais assumé quelque obligation que ce soit de payer; puis, parce qu’il ne peut y avoir d’exécution directe pour forcer un administrateur ou un dirigeant de compagnie à voter d’une façon déterminée sur une question à laquelle la compagnie n’a, de fait, rien à voir.
La décision de la Cour d’appel repose sur deux constatations fondamentales. D’abord, la Cour a fait sienne la conclusion du juge de première instance que l’accord est valide et continue d’être en vigueur et qu’il n’a pas été abandonné. Le Juge d’appel Brooke, qui a rendu les motifs de jugement de la Cour d’appel, dit ceci:
[TRADUCTION] Par sa décision, le savant juge de première instance a conclu qu’un accord valide subsiste entre l’intimé (l’appelant en cette Cour) et l’appelant Sydney Sears (l’intimé en cette Cour) et que bien que l’intimé ait droit à une ordonnance d’exécution directe, une telle ordonnance ne serait pas exécutoire.
Je suis d’avis qu’une telle conclusion est étayée par une preuve suffisante et convaincante. Je n’ai pas besoin d’énumérer tous les actes que les parties ont faits en exécution de l’accord; ils ont déjà été mentionnés dans les jugements de première instance et d’appel. Je souligne cependant le fait que bien que l’intimé Sydney Sears ait cédé les 32,000 actions qu’il avait, sauf une, à Keele Investments Limited, le 20 mai 1955, soit immédiatement après les avoir reçues, l’appelant Max Tanenbaum a exigé de l’intimé Sydney Sears, et non de Keele Investments Ltd., plusieurs mois plus tard, qu’il l’indemnise de ses engagements envers la banque à l’égard du financement à concurrence de la part de 16 pour cent des
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actions qui avait été émise au nom de Sydney Sears. D’autre part, quand il a fallu consacrer $500,000 à l’aménagement d’un réseau d’aqueducs et d’égouts avant que Downsview Meadows Ltd. puisse obtenir l’approbation de son plan de subdivision, c’est l’appelant qui a avancé cette somme, remboursée par la suite, et de nouveau c’est encore à l’intimé Sydney Sears que l’appelant a fait appel, en invoquant les dispositions de l’accord, pour que l’intimé l’indemnise en proportion de la part initiale de Sydney Sears. Cela s’est passé des années après que Sears eut cédé ses actions à Keele Investments Ltd.
Il est clair que, dans les deux cas, l’appelant s’appuyait sur l’art. 8 de l’accord. J’accepte donc la conclusion que cet accord, malgré les changements quant aux dirigeants de Downsview Meadows Ltd. élus à une époque ou l’autre lorsque les transferts d’actions dont je reparlerai plus loin ont eu lieu, a subsisté jusqu’au moment de la délivrance du bref en la présente action.
La seconde conclusion fondamentale de la Cour d’appel est celle que j’ai déjà mentionnée, soit que, d’après la prépondérance des probabilités, l’appelant Tanenbaum contrôlait Pinetree Investments Limited, que les actions de cette compagnie fussent inscrites à son nom ou à celui de personnes de sa famille.
Puisque Pinetree Investments Ltd. détenait, le 6 juillet 1964, 189,997 actions de Downsview Meadows Ltd. et que les autres actionnaires étaient, respectivement, l’appelant Max Tanenbaum, son fils et Lou Fruitman, son représentant, détenant une action chacun, et Minda Feldman, la fille de Max Tanenbaum, détenant 10,000 actions, il n’y a aucun doute que l’appelant Max Tanenbaum, du fait qu’il contrôlait Pinetree Investments Ltd. et les quelques actions de Downsview Ltd. qui appartenaient à d’autres que Pinetree Investments Ltd., avait le contrôle complet et absolu des actions ordinaires de Downsview Meadows Ltd.
Il paraît donc qu’à moins que l’intimé Sydney Sears n’en soit privé pour l’un ou l’autre ou l’un et l’autre des motifs mentionnés par le Juge d’appel Brooke dans les motifs de jugement qu’il a prononcés au nom de la Cour d’appel
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d’Ontario, il devrait avoir droit à une ordonnance d’exécution directe de l’obligation créée à l’art. 17(b) de l’accord. Dans ses motifs, après avoir conclu que l’intimé était privé de ce droit, le Juge d’appel Brooke a jugé que, dans le présent cas, il fallait considérer l’obligation de Tanenbaum en vertu de l’art. 17(b) comme un engagement personnel de sa part de payer. Si on la considère ainsi, l’appelant a manqué à cet engagement et, tous les intéressés étant parties à l’action, il devrait y avoir jugement contre l’appelant, en faveur de l’intimé, ordonnant que la somme soit payée par l’appelant à Sydney Sears Real Estate Ltd. L’obstacle que je vois à cette solution est que l’art. 17(b), libellé comme ceci:
[TRADUCTION] 17. (b) Les parties aux présentes s’engagent et s’obligent, lors de la vente de chaque lot, qu’elle soit faite par l’entremise de Sydney Sears Real Estate Limited ou non, à faire payer, par la compagnie à constituer, à Sydney Sears Real Estate Limited une commission de vente de cinquante dollars ($50) par lot.
ne comporte aucun engagement personnel de la sorte de la part de Max Tanenbaum de payer Sydney Sears Real Estate Ltd. Même si interprêter l’engagement de cette façon serait lui donner un effet en «equity», je ne crois pas qu’une cour puisse interpréter une clause d’un contrat scellé, rédigée en termes clairs, de façon à donner lieu à un engagement personnel que cette clause n’exprime pas. Par cet article comme par plusieurs autres de l’accord, ainsi que le souligne mon collègue le Juge Laskin, les cocontractants ont convenu de faire faire par «la compagnie», c’est-à-dire Downsview Meadows Ltd., certaines choses, et, à mon avis, toute extension des obligations des cocontractants en vertu de cet article est injustifiée. C’est un fait qu’après bien des vicissitudes, l’entreprise montée par les parties par l’intermédiaire de Downsview Meadows Ltd. s’est avérée très profitable, mais si par hasard Downsview Meadows Ltd. était devenue insolvable, peu importe le nombre de lots vendus jusque-là, comment aurait-on pu dire qu’en vertu de l’art. 17(b) l’appelant ou n’importe lequel des autres contractants aurait été obligé de payer une commission de $50 par lot à Sydney Sears Realty Ltd.? Je dois dire, respectueusement,
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que je ne puis donc souscrire à l’avis du Juge d’appel Brooke, soit que l’on puisse substituer cet engagement personnel à celui qu’exprime l’art. 17(b).
A mon avis, cela ne règle cependant pas le sort du pourvoi. J’examinerai les deux motifs sur lesquels le Juge d’appel Brooke fonde son avis qu’il ne peut y avoir d’ordonnance d’exécution directe de l’obligation stipulée à l’art. 17(b) de l’accord. Le premier de ces motifs est que le résultat d’une telle ordonnance serait de faire payer Downsview Meadows Ltd. bien qu’elle n’ait pas été partie à l’accord et n’ait jamais assumé aucune obligation de payer. Je dois dire respectueusement que je ne considère pas cela comme un obstacle réel à ce que le demandeur obtienne une ordonnance d’exécution directe. L’ouvrage que cite le Juge d’appel Brooke, soit Fry on Specific Performance, 6e éd., pp. 466 et 467, parle d’affaires où le mari, après s’être engagé à vendre la propriété de sa femme, est incapable d’obtenir le consentement de cette dernière à la vente. A mon avis, les affaires de ce genre ne résolvent pas une situation semblable à celle-ci. Ici, les différents signataires de l’accord, soit l’appelant Max Tanenbaum, l’intimé Sydney Sears, Percy Wright et Erneice Shanoff, se sont engagés, par contrat scellé, à faire différentes choses qu’il est inutile d’énumérer ici et à en faire bien d’autres par une compagnie qu’ils convenaient de créer. Cette compagnie c’est Downsview Meadows Ltd. En vertu de l’art. 17(b) de ce contrat, daté du 28 février 1955, ces signataires s’engageaient à faire payer par Downsview Meadows Ltd. à Sydney Sears Real Estate Ltd. une commission de vente de $50 par lot. Il s’agit d’un contrat scellé et, en conséquence, l’intimé Sydney Sears n’a pas à établir la prestation d’une contre-valeur mais, en fait, l’intimé Sydney Sears et Sydney Sears Real Estate Ltd. ont, tant avant qu’après la formation de la compagnie, rendu nombre de ces services et s’il fallait qu’il y ait eu contre-valeur, on en a certainement fait la preuve.
A la suite d’une série d’opérations survenues dans l’intervalle du 20 mai 1955 au 6 juillet 1964, entre les cocontractants, leurs représentants et les compagnies qu’ils contrôlaient, toutes les actions de Downsview Meadows Ltd. ont été acquises par l’appelant Max Tanenbaum, les
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membres de sa famille ou par Pinetree Investments Ltd., que Max Tanenbaum contrôle et dont il est, à l’exception des détenteurs d’actions statutaires, le seul actionnaire. Il n’y a donc pas de doute qu’une seule personne, l’appelant Max Tanenbaum, peut maintenant remplir l’engagement souscrit à l’origine conjointement par quatre personnes. Dans Fry on Specific Performance, 6e éd., par. 990, p. 463, on lit:
[TRADUCTION] 990. Cependant dans les contrats inconditionnels, l’impossible pour le défendeur d’exécuter son obligation en vertu du contrat, tout en n’étant pas une défense à une action en dommages, est un moyen de défense à un recours en exécution directe. Cette affirmation ne se fonde pas, comme dans le cas des contrats conditionnels, sur la nature ou les termes du contrat, ni, comme dans ceux qui tiennent à la possibilité du demandeur de remplir son obligation, sur un principe de justice qui joue en faveur du défendeur, mais sur les contraintes inhérentes à la nature du recours demandé.
Dans la présente affaire, il n’y a pas impossibilité d’exécution. Je l’ai déjà dit, Downsview Meadows Ltd. a reçu une contre-valeur. Il n’y a rien d’incorrect à ordonner l’exécution directe par celui qui est le seul à pouvoir remplir un engagement de faire effectuer par cette compagnie le paiement voulu par tous les premiers cocontractants, y compris, évidemment, l’appelant lui-même.
Le second motif invoqué par le Juge d’appel Brooke comme obstacle à une ordonnance d’exécution directe est qu’il ne saurait y avoir lieu à un tel recours pour forcer un administrateur ou un dirigeant d’une compagnie à voter d’une façon déterminée sur une question à laquelle la compagnie n’a vraiment rien à voir. Je suis d’avis, bien sûr, qu’à cet égard la compagnie Downsview Meadows Ltd. était concernée dans une grande mesure. L’accord a été fait en vue de la formation de cette compagnie et pour déterminer la répartition de son capital et la direction de ses affaires.
C’est à l’intimé Sydney Sears, peut-être surtout à lui, qu’on devait de pouvoir se procurer la propriété, ce grand terrain qui, espérait-on, serait à l’origine des bénéfices de la compagnie à former.
J’accepte la prétention de l’avocat de l’appelant qui soutient que ce qu’on a voulu faire par l’art. 17(b) de l’accord c’est de distraire $50 par lot vendu des bénéfices de la compagnie et de les
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payer à Sears Real Estate Ltd., par priorité, et ensuite de diviser les bénéfices entre les signataires selon leur participation dans le capital de la compagnie.
Lorsque plusieurs personnes conviennent de faire faire certaines choses à une compagnie à former, leur accord doit s’interpréter comme signifiant qu’elles exerceront le droit de vote attaché aux actions qu’elles détiennent de façon à réaliser cet engagement. Dans l’arrêt même que cite le Juge d’appel Brooke, Ringuet c. Bergeron[4], le Juge Judson caractérise un tel accord de la façon suivante (p. 684):
[TRADUCTION] Il n’y a rien d’illégal ou de contraire à l’ordre public dans un accord à ces fins. Les actionnaires ont le droit de réunir leurs participations et leurs droits de vote en vue d’acquérir un tel contrôle d’une compagnie et de s’assurer que des personnes déterminées administreront la compagnie d’une façon déterminée. C’est un contrat bien connu, normal et légal qui se voit souvent en pratique et il n’y a pas de différence que l’on procède pour arriver à cette fin par un accord comme celui-ci, ou une convention de vote comportant fiducie (voting trust).
Je ne puis donc accepter que ce second motif empêche l’intimé Sydney Sears d’obtenir une ordonnance d’exécution directe. Le fait que A a droit à une ordonnance d’exécution directe d’une promesse de B faite à A de payer à C une somme déterminée est maintenant certain depuis Beswick v. Beswick[5]. Je souscris à ce que dit lord Upjohn (p. 98):
[TRADUCTION] L’equity vient à l’aide de la common law avec tant de bon sens et de façon si pratique et elle est assez souple pour répondre aux exigences de la justice selon les circonstances d’une affaire à l’autre.
Qu’on n’ait pas trouvé de précédent sur ce point précis n’est pas, pour employer l’expression du Juge Kerwin (alors juge puîné) dans Gray c. Cameron et al.[6], à la p. 404, «un obstacle insurmontable».
Pour ces motifs, je suis d’avis de n’accueillir le pourvoi que pour substituer à l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario une déclaration que l’art. 17(b) de l’accord du 28 février 1955, in-
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voqué au par. 5 de la déclaration amendée en la présente action, constitue un contrat obligatoire entre le demandeur Sydney Sears et le défendeur Max Tanenbaum, appelant ici, et pour ordonner que ledit défendeur Max Tanenbaum exécute en nature ledit contrat en faisant payer par Downsview Meadows Ltd. à l’intimée Sydney Sears Real Estate Ltd. la somme de $24,200. Les parties ont admis pendant tout le litige que cette dernière somme représente un calcul juste de la prétendue commission dont il est question à l’art. 17(b).
Je n’ai pas tenu compte dans ces motifs du fait nouveau révélé à l’audition du pourvoi et mentionné dans la déclaration sous serment de Leonard Rubenstein. Il appert que bien après le 19 juin 1964, date de la délivrance du bref, et le 10 juin 1968, date du jugement de première instance, soit le 27 février 1969, lors d’une assemblée générale de Downsview Meadows Limited, on a approuvé la fusion de cette compagnie avec quatre autres et que, par la suite, le 28 février 1969, le Secrétaire provincial de l’Ontario a délivré les lettres patentes de fusion. A mon avis, il faut juger l’affaire à la date de la délivrance du bref et les actes postérieurs de Downsview Meadows Ltd. ou de son actionnaire, Pinetree Investments Ltd., qui, encore une fois, était contrôlée uniquement par l’appelant Max Tanenbaum, ne peuvent rien changer à la situation.
Bien que, dans les présents motifs, j’aie apporté une importante modification à l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario, la décision du pourvoi, en définitive, reste en faveur de l’intimé Sydney Sears et rien ici n’indique qu’il ne retirera pas tout le profit de cette décision.
Je crois donc que l’intimé a eu, dans l’ensemble, gain de cause en cette Cour et qu’il a droit aux dépens du présent pourvoi aussi bien qu’aux dépens adjugés en sa faveur par les jugements de première instance et d’appel.
Appel accueilli; action rejetée avec dépens, les JUGES RITCHIE et SPENCE étant dissidents.
Procureurs du défendeur, appelant: Robins et Robins, Toronto.
Procureurs du demandeur, intimé: Catzman et Wahl, Toronto.
[1] [1970] 1 O.R. 743, 9 D.L.R. (3d) 425.
[2] [1968] A.C. 58.
[3] [1960] R.C.S. 672.
[4] [1960] R.C.S. 672.
[5] [1968] A.C. 58.
[6] [1950] R.C.S. 401.