Cour Suprême du Canada
Attorney-General for Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry Association et al., [1971] R.C.S. 689
Date: 1971-06-28
Le Procureur général du Manitoba Appelant;
et
Manitoba Egg and Poultry Association, Manitoba Egg and Pullet Producers’ Association, Manitoba Feed Manufacturers Association, Manitoba Hatchery Association, Meat Packers Council of Canada, and Canadian Feed Manufacturers Association Intimés.
1971: le 31 mai, les 1er et 2 juin; 1971: le 28 juin.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA
APPEL à l’encontre d’un avis prononcé par la Cour d’appel du Manitoba[1], sur une affaire
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qui lui a été soumise par le Lieutenant-gouverneur en conseil. Appel rejeté.
D.W. Moylan, c.r., pour l’appelant.
Alan W. Scarth, c.r., et T.P. Dooley, pour les intimées, Manitoba Egg & Poultry Assoc., Manitoba Egg & Pullet Producers’ Assoc., Manitoba Feed Manufacturers Assoc. et Manitoba Hatchery Assoc.
Ronald J. Rolls, pour l’intimée, Canadian Feed Manufacturers Assoc.
John W. Morden, pour l’intimé, Meat Packers Council of Canada.
C.R.O. Munro, c.r., et T.B. Smith, pour le Procureur général du Canada.
G.S. Cumming, c.r., et G.H. Cross, c.r., pour le Procureur général de la Colombie‑Britannique.
J.E. Warner, c.r., pour le Procureur général du Nouveau-Brunswick.
François Mercier, c.r., Marcel Trudeau, c.r., et André Villeneuve, c.r., pour le Procureur général du Québec.
J.D. Hilton, c.r., et D. Bernstein, pour le Procureur général de l’Ontario.
J. Holgate, c.r., et G. Mylks, pour le Procureur général de la Saskatchewan.
R. Riendeau, pour le Conseil de l’Alimentation du Québec.
C.H. Goulet, c.r., et P.P. Hébert, pour la Fédération des Producteurs d’Œufs de Consommation du Québec.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Il s’agit ici d’un appel interjeté à l’encontre d’un avis prononcé à l’unanimité par la Cour d’appel du Manitoba[2] sur une affaire qui lui avait été soumise par un décret du Lieutenant-gouverneur en conseil, daté
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du 5 novembre 1970, modifié par un autre décret du conseil, daté du 18 décembre 1970. L’article 37 de la Loi sur la Cour suprême du Canada permet l’appel à cette Cour.
Le décret du conseil a approuvé une recommandation du procureur général du Manitoba de soumettre certaines questions à l’examen de la Cour d’appel. Les passages pertinents du décret, tel qu’il a été modifié, sont reproduits ainsi qu’il suit avec les réponses données par la Cour d’appel à chaque question: [TRADUCTION]
A Son Honneur, le Lieutenant-gouverneur en conseil
Le soussigné, le procureur général, soumet à l’approbation du Conseil le rapport suivant:
ATTENDU que plusieurs provinces du Canada, y compris la province du Manitoba, ont adopté une législation ayant trait à la réglementation et au contrôle de la mise en marché des produits agricoles;
ET ATTENDU que certains organismes de mise en marché établis dans certaines provinces en vertu de la législation susmentionnée se reconnaissent le droit de prohiber, de réglementer et de contrôler la mise en marché dans une province de produits agricoles produits à l’extérieur de cette province;
ET ATTENDU qu’il y a doute quant à savoir jusqu’à quel point une province, ou sa créature, peuvent légalement exercer un droit du genre décrit à l’attendu précédent eu égard aux limites imposées à la compétence législative des provinces sous le régime de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867;
ET ATTENDU que, en conformité de An Act for Expediting the Decision of Constitutional and Other Provincial Questions, soit le chapitre C 180 des Statuts Revisés du Manitoba, 1970, il est considéré opportun et dans l’intérêt public de soumettre à la Cour d’appel de la province du Manitoba, pour audition et étude, les questions énoncées ci-après;
PAR CONSÉQUENT, le ministre recommande QUE
1. En conformité des dispositions de An Act for Expediting the Decision of Constitutional and Other Provincial Questions, précité, et sur la base des hypothèses énoncées à l’alinéa 2, les questions formulées à l’alinéa 3 soient soumises à la Cour d’appel de la province du Manitoba pour audition et étude.
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2. La Cour d’appel soit priée, en répondant aux questions qui lui sont soumises, de faire les hypothèses suivantes:
(1) Le Lieutenant-gouverneur en conseil projette d’adopter le règlement ci‑joint, constituant l’Annexe A.
(2) La loi de la législature en vertu de laquelle l’on projette d’adopter le Règlement est censée autoriser l’adoption d’un tel règlement par le Lieutenant-gouverneur en conseil.
(3) L’Office de producteurs qui sera créé en vertu du Règlement, projettera d’adopter l’Ordonnance ci-jointe, constituant l’Annexe B.
(4) La loi mentionnée au sous-alinéa (2) et le Règlement sont censés autoriser l’Office de producteurs à adopter une telle Ordonnance.
(5) L’Office de producteurs se verra autorisé par le Gouverneur en conseil, en vertu de l’article 2 de la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles (Can.) S.R.C. 1952, c. 6, à réglementer la mise en marché des œufs produits au Manitoba sur le marché interprovincial et dans le commerce d’exportation et, pour ces fins, relativement aux personnes et aux biens situés au Manitoba, à exercer tous pouvoirs semblables à ceux qu’il peut exercer relativement à la mise en marché des œufs, localement, dans les limites de la province.
3. Les questions devant être soumises à la Cour d’appel soient les suivantes:
En se reportant particulièrement aux articles 91, 92 et 121 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, et sur la base des hypothèses énoncées à l’alinéa 2,
(1) (a) Le Règlement et l’Ordonnance sont-ils de ceux dont il serait de la compétence législative de la législature du Manitoba d’autoriser l’adoption par le Lieutenant-gouverneur en conseil et par l’Office de producteurs, respectivement?
RÉPONSE: Non.
(b) Si le Règlement et l’Ordonnance, ou l’un ou l’autre d’entre eux, ne sont au-delà des pouvoirs de compétence législative des provinces qu’en partie, quelles en sont les parties qui sont au-delà de tels pouvoirs?
RÉPONSE: La question ne se pose pas.
(2) Si le Règlement et l’Ordonnance, ou l’un ou l’autre d’entre eux, relèvent en tout ou en partie des pouvoirs de compétence législative des provinces
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(a) Une personne résidant et exerçant un commerce dans une province autre que le Manitoba aurait-elle le droit de vendre ou de livrer des œufs produits à l’extérieur du Manitoba à toute personne au Manitoba, sans être soumise à aucun règlement, directive ou contrôle de la part de l’Office de producteurs créé en vertu du Règlement, relativement
(i) au prix
(ii) à la quantité
(iii) à la qualité
(iv) à l’emballage
(v) au marquage
(vi) à la classification
(vii) au lieu de livraison
(viii) à l’identité de l’acheteur
(ix) au mode de paiement, et
(x) aux contributions à l’Office de producteurs, ou
(xi) relativement à l’un ou plusieurs de ces éléments
ou à tout autre égard?
RÉPONSE: Oui.
(b) Une personne résidant et exerçant un commerce au Manitoba aurait-elle le droit d’acheter et de prendre livraison d’œufs produits à l’extérieur du Manitoba, de toute personne résidant et exerçant un commerce à l’extérieur de la province, sans être soumise à aucun règlement, directive ou contrôle de la part de l’Office de producteurs relativement aux matières énumérées dans la clause a)?
RÉPONSE: Oui.
(c) Si un acheteur auquel la clause b) s’applique prenait livraison au Manitoba d’œufs visés par ladite clause, deviendrait-il alors lié sous quelque rapport par les dispositions du Règlement et de l’Ordonnance s’il tentait, au Manitoba,
(i) de consommer les œufs, ou
(ii) d’utiliser les œufs dans son entreprise de fabrication, ou
(iii) de revendre les œufs à un grossiste, à un distributeur, à un détaillant ou à un consommateur?
RÉPONSE, dans chaque cas: Non
(d) Si, à l’égard des personnes décrites dans les clauses a) et b) ou de l’acheteur décrit
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dans la clause c), et dans les circonstances décrites dans ces clauses, il est un domaine où l’Office de producteurs peut légalement exercer des pouvoirs de réglementation, de direction ou de contrôle, cet exercice devient-il illégal au-delà d’une certaine limite déterminée par son effet prohibitif ou restrictif sur le commerce interprovincial et, s’il en est ainsi, cette limite peut-elle faire l’objet d’une définition judiciaire? RÉPONSE: Une législature provinciale ne peut exercer de pouvoirs de réglementation, de direction ou de contrôle en matière de commerce si, dans sa nature ou son but, cet exercice se rattache à une frontière provinciale et fait obstacle à la libre circulation des échanges commerciaux à travers le Canada. Dans quelle mesure une réglementation, une direction ou un contrôle sont permis par la loi, cela dépend des faits et il ne conviendrait pas de tenter de donner, in vacuo, une définition judiciaire.
Le Règlement cité dans le décret du conseil est décrit comme étant [TRADUCTION] «un règlement prévoyant un plan pour contrôler et réglementer la mise en marché des œufs dans la province du Manitoba», ce plan devant être appelé «Le plan des producteurs d’œufs du Manitoba pour la mise en marché».
L’article 2 du Règlement renferme les définitions suivantes: [TRADUCTION]
(a) «poste de classification» désigne un établissement dont l’exploitant est lié par contrat à l’Office de producteurs et où tout produit réglementé est classifié, emballé, marqué et entreposé;
(b) l’expression «mise en marché» signifie la vente, ou la mise en vente et comprend la publicité, l’emballage, l’entreposage, l’expédition et le transport, mais ne comprend pas l’emballage et l’entreposage par un producteur dans son établissement;
* * *
(d) «poste d’emballage» désigne un établissement dont l’exploitant est lié par contrat à l’Office de producteurs et où tout produit réglementé et préalablement classifié est emballé, marqué et entreposé;
(e) «producteur» désigne tout propriétaire de pondeuses domestiques qui met en marché ou qui produit et met en marché tout produit réglementé à toute autre fin que l’incubation;
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(f) «Office des producteurs» désigne l’Office des producteurs d’œufs du Manitoba pour la mise en marché constitué en vertu du par. (1) de l’article 4 du présent Règlement;
(g) «produit réglementé» désigne l’œuf de la poule domestique qui ne sert pas à des fins d’incubation;
Les alinéas (a) et (c) de l’art. 3 prévoient que le Plan a pour objet: [TRADUCTION] «d’obtenir pour les producteurs les conditions de mise en marché du produit réglementé les plus avantageuses» et, aussi d’ordonner la production afin «d’éviter une surproduction».
Les paragraphes (1) et (2) de l’article 4 prévoient ce qui suit: [TRADUCTION]
4. (1) Un Office de producteurs est établi par les présentes sous le nom de «Office des producteurs d’œufs du Manitoba pour la mise en marché».
(2) L’Office des producteurs est composé de 6 membres, tous participants actifs à la production du produit réglementé et tous élus par les producteurs en la manière prévue dans un règlement qui sera adopté ultérieurement; le quorum requis pour l’expédition des affaires est constitué de la majorité des membres de l’Office des producteurs.
Les articles 5 et 6 se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 5. L’Office des producteurs est responsable de la mise en œuvre, de l’administration, de la gestion et de la mise en application de ce plan.
6. Relativement au produit réglementé, l’Office des producteurs est l’unique agent de vente de tous les producteurs.
Les parties pertinentes de l’article 7 prévoient ce qui suit:
[TRADUCTION] 7. Relativement au produit réglementé, tout producteur doit:
(a) Se conformer à toutes les ordonnances et à tous les règlements légalement adoptés par l’Office des producteurs;
(b) Honorer toute convention faite par l’Office des producteurs en tant qu’unique agent de vente du producteur;
(c) Se procurer un quota de production et de vente auprès de l’Office des producteurs et s’engager à le respecter;
(d) Confier à l’Office des producteurs l’exclusivité de la mise en marché de sa production.
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Les parties pertinentes de l’article 8 sont les suivantes: [TRADUCTION]
8. Relativement au produit réglementé, l’Office des producteurs peut:
* * *
(b) Attribuer des quotas de production et de vente aux producteurs;
* * *
(i) Contingenter la production et la vente du produit réglementé, fixer le temps et le lieu de sa mise en marché, prohiber la mise en marché hors du temps ou du lieu fixés ou en violation du quota ou de la norme établis, et interdire la mise en vente d’un produit réglementé particulier pour assurer la mise en marché ordonnée du produit réglementé;
(j) Déterminer le mode et les conditions de mise en marché du produit réglementé, ou en prohiber la mise en marché autrement que par son entremise;
L’Ordonnance de l’Office des producteurs d’œufs du Manitoba pour la mise en marché, mentionnée dans le décret du conseil, renferme les dispositions suivantes: [TRADUCTION]
1. Dans la présente ordonnance:
* * *
(c) «distributeur» désigne toute personne qui est liée par contrat à l’Office des producteurs et qui participe à la vente aux détaillants du produit réglementé;
* * *
(j) «détaillant» désigne toute personne qui participe à la vente aux consommateurs de tout produit réglementé, peu importe la forme sous laquelle ce produit réglementé est vendu. Le terme comprend tous organismes gouvernementaux, hôpitaux, institutions religieuses ou scolaires, de même que tous restaurants, hôtels ou entreprises utilisant tout produit réglementé dans le cours de leur commerce.
2. Le producteur doit envoyer toute sa production au poste de classification désigné par l’Office des producteurs.
3. Le producteur doit mettre sa production en marché par l’entremise de l’Office des producteurs agissant en tant qu’agent de vente du producteur.
4. Nul ne doit vendre ni offrir en vente un produit réglementé, autrement que par l’entremise de l’Office des producteurs à titre d’agent de vente.
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5. Nul ne doit vendre ni offrir en vente un produit réglementé qui n’a pas été classé, emballé et marqué à un poste de classification ou d’emballage, selon le cas, dont l’exploitant est lié par contrat à l’Office des producteurs.
* * *
12. Le produit réglementé doit être emballé dans des contenants fournis par l’Office des producteurs.
* * *
14. Les cartons et caisses de produits réglementés doivent porter, en caractères indélébiles et bien lisibles et visibles, d’au moins un quart de pouce de hauteur, les indications suivantes:
(a) la désignation de la catégorie du produit réglementé;
(b) le numéro du poste immatriculé où le produit réglementé a été classé et emballé;
(c) la date du classement;
(d) la provenance du produit réglementé;
(e) la marque de commerce de l’Office des producteurs.
15. L’indication de la provenance de produits réglementés originaires du Manitoba doit renfermer le mot «Manitoba», qui est exclusivement réservé à ces produits. L’indication de la provenance de tous autres produits réglementés se fait par l’inscription du nom du pays d’origine ou, pour les œufs provenant d’une autre province du Canada, du mot «Canada» ou du nom de la province d’origine, ou d’une mention équivalente.
16. Le jeudi de chaque semaine, l’Office des producteurs devra fixer le prix de chaque catégorie de produits réglementés. Tout produit réglementé devra être offert aux distributeurs à ce prix qui demeurera en vigueur du lundi au samedi de la semaine suivante, lundi et samedi compris.
* * *
19. L’Office des producteurs, à titre d’agent de vente, perçoit des acheteurs le prix de tout produit réglementé qui est vendu.
20. Nul producteur ne peut livrer un produit réglementé à qui que ce soit si ce n’est pas l’intermédiaire d’un ramasseur désigné par l’Office des producteurs. Le produit réglementé devra être mis dans des contenants fournis par l’Office des producteurs et apportés au producteur par le ramasseur.
21. L’Office des producteurs peut s’entendre avec des centres de cueillette pour la réception et l’en-
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treposage de produits réglementés, avec des postes d’emballages pour l’emballage, le marquage et l’entreposage de produits réglementés, et avec des postes de classification pour la cueillette, le lavage, le classement, l’emballage et l’entreposage de produits réglementés et pour toutes autres opérations connexes.
22. L’Office des producteurs peut conclure des ententes avec des distributeurs au sujet de la vente et de la distribution de produits réglementés.
Les dispositions du Règlement et de l’Ordonnance qui précèdent sont celles qu’il y a lieu de retenir aux fins du présent appel. Le Règlement et l’Ordonnance forment ensemble ce que j’appellerai «le Plan».
Il convient, tout d’abord, de s’arrêter au sens du mot «producteur», qui est défini aussi bien dans le Règlement que dans l’Ordonnance et qui revient souvent dans l’un et l’autre. Ce mot ne se limite pas spécialement, de par les termes utilisés, aux personnes qui, au Manitoba, étant propriétaires de pondeuses domestiques, mettent des œufs en marché, ou les produisent et mettent en marché. Toutefois, comme il est clair que la législature du Manitoba n’a pas le pouvoir constitutionnel de réglementer hors du Manitoba l’activité de personnes qui se trouvent hors du Manitoba, et vue la nature de la réglementation que nombre de dispositions du Plan visent à imposer quant aux «producteurs», je suis d’avis que, généralement, ce mot désigne, dans le Règlement et l’Ordonnance, un producteur du Manitoba.
Le Plan prévoit néanmoins qu’il s’appliquera à tous les œufs mis en marché au Manitoba, qu’ils soient produits dans cette province ou ailleurs. Bien que la législature provinciale ne pourrait réglementer la production d’œufs dans une autre province, ni permettre à l’Office des producteurs (ci-après appelé l’Office) de le faire, les dispositions du Plan s’appliquent aux produits d’une autre province une fois qu’ils se trouvent au Manitoba et prêts à être mis en marché.
On peut voir qu’il en est ainsi du fait que si d’une part l’art. 8(b) du Règlement donne à l’Office le pouvoir d’attribuer aux producteurs des quotas de production et de mise en marché, l’alinéa (i) du même article accorde d’autre part à l’Office le pouvoir général de contingenter
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la production et la vente, de prohiber la mise en marché en violation d’un quota établi et d’interdire la mise en vente d’un produit réglementé particulier pour assurer la mise en marché ordonnée du produit réglementé.
Les articles 2 et 3 de l’Ordonnance exigent qu’un producteur expédie la totalité de ses produits à un poste de classification désigné par l’Office et qu’il mette ces produits en marché par l’entremise de l’Office agissant à titre d’agent de vente du producteur. Les articles 4 et 5 décrètent que «nul» ne doit vendre ni offrir en vente un produit réglémenté autrement que par l’entremise de l’Office agissant à titre d’agent de vente et que «nul» ne doit vendre ni offrir en vente un produit réglementé qui n’a pas été classé, emballé et marqué à un poste de classification ou d’emballage dont l’exploitant est lié à l’Office par contrat.
Ces dispositions démontrent nettement que l’on veut que le Plan s’applique non seulement aux œufs produits par les producteurs du Manitoba, mais à tous les œufs au Manitoba, quelle que soit leur provenance. Cette intention se manifeste hors de tout doute dans les dispositions des art. 12, 14 et 15 de l’Ordonnance, qui exigent que le produit réglementé soit emballé dans des contenants fournis par l’Office et marqués d’une inscription indiquant la provenance du produit réglementé et précisant s’il vient du Manitoba, d’un autre pays ou d’une autre province.
L’Office se voit confier une autorité absolue sur la mise en marché de tous les œufs au Manitoba. Ce n’est que par l’entremise de l’Office, agissant à titre d’agent de vente, qu’on peut vendre des œufs ou les offrir en vente. Comme je l’ai signalé, l’Office a le pouvoir d’imposer des quotas de mise en marché et d’interdire la mise en vente d’un produit réglementé particulier pour assurer la mise en marché ordonnée du produit réglementé. Les œufs ne peuvent être vendus ni offerts en vente à moins d’avoir été classés, emballés et marqués à un poste de classification ou d’emballage lié à l’Office par contrat. Tous les œufs doivent être offerts aux distributeurs, qui sont liés à l’Office par contrat, aux prix établis périodiquement par l’Office.
L’Office auquel le Plan accorderait ces pouvoirs étendus est un organisme dont les membres
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doivent être non pas nommés par le gouvernement du Manitoba mais élus par les producteurs de cette province. Les membres doivent s’occuper activement de la production d’œufs. L’objet principal du Plan, que l’Office doit réaliser, est «d’obtenir pour les producteurs les conditions de mise en marché du produit réglementé les plus avantageuses».
Il s’agit donc ici d’un Plan qui vise à régir la vente de tous les œufs au Manitoba, d’où qu’ils viennent, et qui doit être mis en oeuvre par les producteurs d’œufs du Manitoba et à leur avantage et être appliqué par un office investi du pouvoir de réglementer la vente, au Manitoba, d’œufs venant de l’extérieur de la province, par contingentement ou même par interdiction pure et simple.
La question qu’il faut examiner dans cet appel est celle de savoir si le Plan dépasse les limites de la compétence de la législature du Manitoba parce qu’il empiète sur le pouvoir exclusif du Parlement du Canada, conféré par l’art. 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, de légiférer en matière de réglementation du trafic et du commerce.
Lorsque le Conseil privé s’est, pour la première fois, prononcé sur le sens de cette disposition, il a déclaré qu’elle inclut [TRADUCTION] «la réglementation du commerce dans les matières d’intérêt interprovincial» (Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons[3]). Cette proposition n’a pas été contestée depuis. Cependant, on décide plus loin, dans le même arrêt, que cette disposition ne s’étend pas à la réglementation des contrats de tel ou tel commerce particulier dans une province déterminée.
Cette restriction au pouvoir fédéral a été réaffirmée dans des décisions subséquentes du Conseil privé. L’affaire Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board[4] en résume la portée:
[TRADUCTION] Il est aujourd’hui bien compris que la présence, dans l’article 91, de la rubrique «la réglementation du trafic et du commerce», parmi les catégories de sujets sur lesquelles le Dominion a juridiction exclusive, ne donne pas à ce dernier le
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pouvoir de réglementer tel ou tel commerce pour des fins provinciales légitimes si tel commerce ne s’exerce que dans la province.
Dans cette affaire-là, le Natural Products Marketing (British Columbia) Act, 1936, avait été jugé relever de la compétence de la législature provinciale parce qu’il se limitait à des opérations portant sur des produits situés dans la province, même si ceux-ci n’y étaient pas nécessairement produits. Cette décision se fondait sur ce que [TRADUCTION] «cette loi, dans son essence et sa substance, vise à réglementer certains commerces qui se font uniquement dans la province…» (p. 720).
De même, dans Home Oil Distributors, Limited c. Attorney-General of British Columbia[5], cette Cour a maintenu une loi provinciale permettant la fixation de prix de gros ou de détail pour les produits du charbon et du pétrole vendu en Colombie-Britannique pour utilisation dans cette province. Cet arrêt se fondait sur la décision rendue dans l’affaire Shannon.
L’arrêt R. v. Nat Bell Liquors, Limited[6], avait auparavant affirmé le pouvoir d’une législature provinciale de prohiber de façon générale la possession et la vente de boissons enivrantes dans la province.
Divers juges de cette Cour ont examiné les précédents antérieurs sur la question de la réglementation provinciale de la mise en marché, dans le renvoi concernant le Farm Products Marketing Act[7]. Cette décision, de même que certains de ces précédents, ont été étudiés par cette Cour dans l’arrêt Carnation Company Limited c. The Quebec Agricultural Marketing Board[8], où il fut dit, p. 253:
[TRADUCTION] Bien que j’accepte l’avis, exprimé par les quatre juges dans le renvoi Ontario, qu’une opération commerciale parachevée dans une province n’est pas nécessairement, de ce seul fait, assujettie qu’à la réglementation provinciale, je suis également d’avis que le fait qu’une telle opération touche de façon incidente une compagnie qui se livre au commerce interprovincial ne la soustrait pas nécessairement à cette réglementation
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Nous avons conclu qu’il fallait examiner chaque opération et chaque réglementation par rapport aux faits qui leur étaient propres et que pour juger de la validité de la loi de réglementation en litige dans cet appel-là, il ne s’agissait pas de savoir si elle pouvait avoir un effet sur le commerce interprovincial de l’appelante, mais de savoir si elle portait sur la réglementation du trafic et du commerce interprovinciaux. Le passage suivant des motifs du Juge en chef Kerwin dans le renvoi Ontario (p. 204) fut cité:
[TRADUCTION] Dès qu’une loi vise à «réglementer le commerce dans des domaines d’intérêt interprovincial», elle dépasse la compétence d’une législature provinciale.
Je suis d’avis que le Plan en cause non seulement a un effet sur le commerce interprovincial des œufs, mais vise à réglementer ce commerce. C’est un élément essentiel de ce plan, dont l’objet est d’assurer aux producteurs du Manitoba les conditions de mise en marché des œufs les plus avantageuses, précisément que de contrôler et de réglementer la vente au Manitoba d’œufs importés. Le Plan est destiné à restreindre ou à limiter la libre circulation des échanges commerciaux entre les provinces comme telles. A cause de cela, il empiète sur le pouvoir exclusif du Parlement du Canada de légiférer en matière de réglementation du trafic et du commerce.
Cela étant, je conclus que le Règlement et l’Ordonnance ne sont pas de ceux qu’il est de la compétence de la législature du Manitoba d’autoriser, et la réponse à la question (1)(a) est: non.
Pour ce qui est de la question (1) (b) qui soulève la question de la divisibilité du Règlement et de l’Ordonnance, je suis d’accord avec la Cour d’appel qu’ils ne sont pas divisibles parce que les dispositions qui traitent du commerce local provincial des œufs sont inextricablement liées à celles qui portent sur le commerce interprovincial. A la question (1) (b), je réponds que le Règlement et l’Ordonnance sont, dans leur intégralité, au delà des pouvoirs de la compétence législative de la province.
Les diverses questions contenues dans la question (2) présupposent que le Règlement et l’Ordonnance, ou l’un ou l’autre, relèvent en tout
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ou en partie de la compétence législative de la province. Vu les réponses données aux alinéas (a) et (b) de la question (1), ces questions ne requièrent pas de réponse.
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel et, en réponse aux questions soumises à la Cour d’appel du Manitoba par le Lieutenant-gouverneur en conseil, je prononcerais cet avis:
Quant à la question 1 (a) et (b) il est hors de la compétence législative de la législature du Manitoba d’autoriser le Règlement et l’Ordonnance projetés; et
Quant à la question 2, vu les termes du décret du conseil n° 1083/70 du 5 novembre 1970, une réponse n’est pas requise.
Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — L’utilité du renvoi comme moyen de déterminer la validité d’une loi en vigueur ou projétée, compte tenu de la répartition des pouvoirs établie par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, est sérieusement diminuée en l’instance parce que les question soulevées dans le texte du renvoi ne s’appuient pas sur des faits. On aurait pu, pour éclairer ces questions, inclure des données sur la mise en marché dans ce texte même (comme on l’a fait, par exemple, dans le renvoi sur la Margarine[9]), ou dans un exposé des faits convenu, ou même, en présenter à la Cour pour faire connaître les circonstances qui ont donné naissance aux questions dont elle est saisie.
En fait, je ne sais rien de la nature du marché des œufs à l’intérieur ou à l’extérieur du Manitoba, rien de la production des œufs dans cette province, rien des utilisations de la production, rien du nombre des producteurs au Manitoba, rien des problèmes que l’entrée d’œufs de l’extérieur de la province auraient pu causer quant à la qualité, aux prix ou autrement. Je sais seulement, et encore mes connaissances sont-elles limitées aux termes généraux des deux premiers attendus du
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décret de renvoi (dont j’aurais pu, de toutes façons, prendre judiciairement connaissance) que (je cite les passages en question): [TRADUCTION] «plusieurs provinces du Canada, y compris la province du Manitoba, ont adopté une législation ayant trait à la réglementation et au contrôle de la mise en marché des produits agricoles» et que [TRADUCTION] «certains organismes de mise en marché établis dans certaines provinces en vertu de la législation susmentionnée se reconnaissent le droit de prohiber, de réglementer et de contrôler la mise en marché dans une province de produits agricoles produits à l’extérieur de cette province».
Il serait utile, pour déterminer l’application du plan législatif, d’avoir une certaine connaissance du marché au Manitoba, de la mesure où il est alimenté par les producteurs du Manitoba et de la concurrence qui se fait entre eux et qui se reflète dans l’approvisionnement, la qualité et les prix. Ainsi, si, par exemple, les œufs en provenance d’autres provinces représentent une fraction insignifiante du marché manitobain, cela pourrait incliner à interpréter ce plan comme ne s’appliquant qu’aux producteurs, détaillants et consommateurs du Manitoba à l’égard de la production, de la distribution et de la consommation au Manitoba. Si, par contre, ces œufs retiennent une importante partie du marché manitobain, le plan législatif, ne se limitant pas expressément à la production, à la distribution et à la consommation au Manitoba, pourrait à bon droit être considéré comme visant les œufs en provenance de l’extérieur de la province. A cet égard, ce serait la validité ou l’invalidité du plan qui serait en jeu et non la possibilité de l’interpréter comme ne s’appliquant qu’à la distribution et à la consommation dans les limites de la province des œufs produits dans la province.
En l’absence de ce que je considère comme des données pertinentes, la situation est, à la lecture du plan législatif et à la lumière des plaidoiries présentées à la Cour, que le Règlement et l’Ordonnance projetés sont censés englober les œufs en provenance de l’extérieur de la province, expédiés
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ou apportés dans la province. De plus, seraient visés tous les œufs en provenance de l’extérieur de la province, quelle qu’en soit la quantité et quelle que soit la place qu’ils prennent sur le marché manitobain, au niveau du détaillant et du consommateur. Dans ces circonstances, il faut considérer la question suivante, d’ordre purement constitutionnel: en l’absence de toute législation de réglementation fédérale de même effet, le plan proposé va‑t‑il à l’encontre des pouvoirs législatifs du Parlement quant à «la réglementation du trafic et du commerce» aux termes de l’art. 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et, si l’on doit répondre par la négative, ou par l’affirmative, enfreint-il de toutes façons les dispositions de l’article 121 de cet Acte?
Les affaires qui ont porté sur la validité de lois provinciales de réglementation, déterminée uniquement d’après la portée de l’art. 91(2) (et non, en plus, d’après l’existence au même moment de lois fédérales de même nature), ne peuvent être dissociées des affaires qui ont porté sur la validité de lois fédérales de réglementation et qui, par conséquent, ont traité affirmativement de la portée de l’art. 91(2). Ces deux catégories ne constituent pas nécessairement les côtés opposés de la médaille; aussi la forme de la mesure législative dans chaque cas revêt-elle une importance prédominante. Quant à la législation provinciale, on peut comparer les arrêts Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction[10] et Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board[11]; et quant à la législation fédérale, le renvoi concernant le Natural Products Marketing Act[12] et l’arrêt Murphy c. C.P.R.[13]
J’adopte le point de vue exprimé par le Juge Rand dans le renvoi concernant la Ontario Farm Products Marketing Act[14], savoir qu’il existe un domaine du commerce où les provinces ont com-
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pétence, telle compétence étant retranchée des pouvoirs conférés par l’art. 91(2). Ce retranchement me paraît tout à fait logique dans l’économie de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, bien que des termes plus forts, à propos d’une certaine autonomie provinciale nécessaire, aient été employés dans les causes pertinentes pour affirmer cette compétence. Cette Cour a dès le début reconnu qu’il fallait admettre pareil retranchement si l’on voulait reconnaître l’existence d’un domaine de réglementation provinciale. Dans le tout premier arrêt consigné dans les recueils sur le partage du pouvoir législatif, Severn c. La Reine[15], le Juge Strong, qui favorisait dans sa dissidence la validité d’une loi provinciale qui avait été attaquée avec succès, a fait remarquer (p. 104) qu’au sens littéral, [TRADUCTION] «la réglementation du trafic et du commerce dans les provinces, tant intérieurs et internes qu’étrangers et externes, [a été] conférée exclusivement au Parlement du Dominion par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique». Cette Cour a réduit cette compétence globale dans l’arrêt Citizens Insurance Co. c. Parsons[16], confirmé par le Conseil Privé[17] mais avec des remarques obiter qui ont conduit, avec les années, à une atténuation des pouvoirs fédéraux conférés par l’art. 91(2) presque aussi importante que l’extension qu’auraient connue ces mêmes pouvoirs si cet article avait été interprété littéralement. On a vu, au cours des deux dernières décennies, un équilibre nécessaire commencer à s’établir, comme il ressort des décisions de cette Cour dans Murphy c. C.P.R., précitée (et renforcée par le refus d’accorder la permission d’appeler dans Regina c. Klasser[18]) et dans Carnation Company Ltd. c. Quebec Agricultural Marketing Board[19].
Cet équilibre dénote une compréhension plus précise du sens des termes «trafic» (trade) et «trafic et commerce» (trade and commerce) pour
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autant qu’ils se rattachent respectivement aux secteurs de compétence provinciale et fédérale. Dans Montreal v. Montreal Street Railway[20], le Comité judiciaire a dit de l’art. 91(2) qu’il exprimait [TRADUCTION] «deux des matières énumérées à l’article 91». Il convient peut-être mieux de considérer cette disposition comme précisant une catégorie unique de sujet dans des termes qui indiquent une source de pouvoir plus forte que si seul le terme «trafic» ou seul le terme «commerce» avait été employé. Cette opinion est renforcée par le fait qu’il n’est pas nécessaire ici de s’appuyer sur l’art. 91(2) en ce qui a trait au pouvoir relatif aux transports (eu égard aux art. 92(10)(a), 92(10)(b), 91(10) et 91(29)), ce qui présente un contraste avec l’évolution jurisprudentielle du pouvoir sur le commerce aux États-Unis, sous le régime de la clause 3 de l’article I de la Constitution de ce pays, et avec l’évolution du pouvoir du Parlement du Commonwealth, en vertu de l’art. 51 (i) de la Constitution australienne, d’édicter des lois relativement au [TRADUCTION] «trafic et[au] commerce avec d’autres pays et parmi les États». Etymologiquement, le mot auglais «commerce» se rapporte à l’achat et à la vente de biens et le mot anglais «trade» a, entre autres sens (outre celui de «commerce»), celui d’une occupation commerciale. Bien qu’une application littérale soit inconcevable ces différentes significations indiquent néanmoins les pouvoirs qu’englobe l’art. 91(2).
Dans l’histoire de l’interaction des lois provinciales et fédérales relativement à l’art. 91(2), peu nombreuses ont été les tentatives de définir les termes de cet article. Une des premières est celle du Juge Sedgewick dans In re Prohibitory Liquor Laws[21]. L’on a également tenté de définir ou de préciser ses termes dans In re Canadian Insurance Act, 1910[22] confirmée[23]. Le sens de l’expression
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«trafic et commerce» en ce qui concerne les opérations relatives à des marchandises, par opposition aux opérations ne portant pas sur des produits, ne paraît avoir été élucidé dans aucun des arrêts publiés et a dû s’inférer de la nature de la loi en cause. Il a été considéré qu’il ne faisait plus de doute que le pouvoir conféré au Parlement par l’art. 91(2) est exclusif dans la mesure où il vise l’interdiction ou la réglementation de l’exportation et de l’importation à destination et en provenance d’autres pays, et que les provinces ne peuvent, par des mesures législatives, interdire ni réglementer l’exportation de biens hors de leur territoire. Cette dernière proposition, illustrée dans les arrêts In re Grain Marketing Act, 1931[24], et Re Sheep and Swine Marketing Sheme[25], ne veut toutefois pas dire qu’en l’absence de lois fédérales, les provinces ne sont pas compétentes pour imposer une réglementation quelconque des opérations qui portent sur des biens produits à l’intérieur de leurs limites et qui sont intervenues entre des personnes qui s’y trouvent, du simple fait que cette réglementation peut avoir un effet sur l’exportation ultime de ces biens hors de la province, que ce soit sous leur forme première ou sous leur forme conditionnée.
L’étape des opérations que frappe la réglementation et le but de cette réglementation, au sujet desquels il conviendrait de consulter des données d’ordre économique, sont des considérations importantes dans la détermination de la compétence provinciale. C’est ce qui ressort clairement de l’affaire Carnation Milk Company Ltd. c. Quebec Agricultural Marketing Board, précitée, dans laquelle cette Cour a rejeté la prétention que le plan de réglementation, qui était à la base de trois ordonnances contestées, constituait un empiétement illégal sur le pouvoir fédéral relatif à l’exportation. Ce qui était en cause dans ces ordonnances, c’était la fixation, par arbitrage s’il était autrement impossible d’en
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arriver à une entente, des prix auxquels les producteurs provinciaux assujettis à un plan conjoint de mise en marché devaient vendre la lait et les produits laitiers provenant de la province aux distributeurs et aux conditionneurs situés dans la province. Le fait que les produits conditionnés étaient en grande partie distribués et vendus à l’extérieur de la province n’a pas influé sur la validité du plan, dont le but était d’améliorer la situation, dans la province, des producteurs de la province dans leurs négociations avec les fabricants ou conditionneurs dans la province. La réglementation de la mise en marché que prévoyait le plan contesté ne s’étendait pas aux diverses étapes de la production, de la distribution et de la consommation.
La question qui a été soulevée dans l’affaire Carnation Milk, c’est celle de savoir ce qu’est, à des fins constitutionnelles, une opération intraprovinciale quant il y a des biens qui sortent de la province. Dans le présent renvoi, cette question est soulevée alors que des biens entrent dans la province et sont assujettis, par voie de conséquence, au plan de réglementation applicable à des biens semblables produits dans la province. Ce problème a été étudié dans les affaires Shannon, précitée, et Home Oil Distributors Ltd. c. Attorney-General of British Columbia[26], où il a été jugé, dans les deux cas, que les plans contestés ressortissaient à la compétence législative de la province.
Un passage des motifs de Lord Atkin, qui parlait au nom du Comité judiciaire dans l’affaire Shannon, (pp. 718-719, (1938) A.C.) a un rapport avec le présent renvoi:
[TRADUCTION] Il suffit de dire, à ce sujet, qu’il est manifeste que la loi en question se borne à la réglementation des opérations qui ont lieu entièrement dans la province et que, par conséquent, elle relève des pouvoirs souverains assignés sous ce rapport à la législature par l’article 92. Leurs Seigneuries n’admettent pas que les produits naturels, tels qu’ils sont
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définis dans la Loi, sont uniquement des produits naturels provenant de la Colombie‑Britannique. Une telle restriction n’existe pas dans la loi et une interprétation étroite donnerait probablement lieu à quelque difficulté si l’on voulait plus tard coopérer à un projet fédéral régulier. Il est cependant évident que la loi vise uniquement les opérations portant sur des produits qui sont dans la province.
La deuxième phrase de ce passage doit se lire à la lumière de l’évolution, à cette époque, des lois sur la mise en marché. Le Parlement et les législatures provinciales, qui avaient adopté ce qu’ils croyaient être des lois naturellement complémentaires, se sont aperçus que la pièce centrale, la loi fédérale, était allée trop loin en cherchant à englober des opérations purement intra-provinciales relatives à des produits cultivés et mis en marché dans la province, cet élément du plan se fondant sur le fait qu’une partie du produit pouvait être exportée: voir Attorney-General of British Columbia v. Attorney-General of Canada[27]. Dans l’affaire Shannon, le Conseil privé a cru, semble-t-il, qu’une coopération effective dans le domaine de la mise en marché pouvait mieux être assurée si l’élément extra-provincial, peu important, était rattaché accessoirement à la loi provinciale. En rendant cette décision, on n’avait pas prévu les mesures adoptées ultérieurement dans ce domaine telles que, entre autres, la Loi sur le transport par véhicule à moteur, 1954 (Can.), c. 59 et la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1952, c. 6, modifiée par la Loi de 1957 (Can.), c. 15.
A mon avis, l’arrêt Shannon ne peut plus avoir aujourd’hui l’effet qu’une application littérale de la deuxième phrase du passage cité laisse supposer. De plus, la quatrième et dernière phrase montre que la loi n’était pas destinée à s’appliquer aux producteurs de l’extérieur de la province. Toutefois, je trouve difficile de concilier cette affirmation avec la deuxième phrase à moins qu’il ne soit considéré que le projet de mise en
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marché ne s’appliquait pas aux produits de l’extérieur de la province au moment même de leur entrée dans la province ou que pareille application était de minime importance et n’était pas un but du plan. S’il en est ainsi, le projet qui était en cause dans l’arrêt Shannon diffère de celui qui est en jeu dans le présent renvoi.
L’affaire Home Oil Distributors Ltd. c. Attorney-General of British Columbia[28] mettait en cause non pas un projet de mise en marché du genre dont il est question dans l’affaire Shannon ou en l’espèce, mais un programme de fixation de prix, englobant à la fois les prix maximums et minimums du charbon et des produits pétroliers vendus en gros ou au détail dans la province ou destinés à être utilisés dans la province. On a soutenu que la loi était destinée à protéger l’industrie locale contre la concurrence étrangère et que, de fait, elle visait des sources d’approvisionnement extra-territoriales et une industrie interprovinciale et internationale intégrée. La validité de la loi a été contestée par des compagnies qui exploitaient des raffineries et vendaient leurs produits dans la province mais dont la matière brute provenait de l’extérieur de la province. On ne cherchait pas à réglementer l’entrée de leur pétrole qui, une fois raffiné dans la province, y était mis en marché, sauf dans la mesure où une telle réglementation pouvait venir du pouvoir de fixation des prix. Dans ces circonstances, la validité de la loi a été confirmée suivant le principe établi dans l’affaire Shannon.
Je ne puis voir aucun parallèle entre l’affaire Home Oil et le plan de mise en marché dont la Cour d’appel du Manitoba a été saisie par le renvoi. En disant ceci, je n’exprime pas d’avis sur une question qui n’a pas été traitée dans les motifs de cette Cour dans l’affaire Home Oil, savoir: en serait-il autrement si, en vertu du pouvoir conféré [TRADUCTION] d’«établir des listes de prix pour diverses qualités, quantités, normes, catégories et sortes de charbon et de produits pétroliers», les
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biens importés étaient traités de façon discriminatoire du simple fait qu’ils étaient importés?
Ni dans l’arrêt Shannon, ni dans l’arrêt Home Oil n’a-t-on cherché à considérer les divers éléments ou groupes de relations en jeu dans un projet de mise en marché ou de fixation de prix afin d’élucider le sens, sur le plan constitutionnel, du trafic et du commerce intra‑provinciaux. Cette Cour a dû se prononcer sur cette question dans le renvoi Ontario Farm Products Marketing Act, précité. Ce qui ressort des divers motifs des membres de la Cour c’est que: (1) les contrats individuels de vente et d’achat de marchandises dans une province ne mettent pas en cause le pouvoir fédéral conféré par l’art. 91(2) lorsque la loi provinciale applicable porte simplement sur les conditions du contrat; (2) la réglementation de la mise en marché, ou du conditionnement et de la mise en marché, de produits situés dans une province et destinés à être consommés dans cette province est dans les limites de la compétence des provinces; (3) la réglementation de la mise en marché des produits obtenus dans une province et destinés à l’exportation ou que l’on cherche à acheter en vue de l’exportation excède cette compétence; (4) la réglementation de la production ou de la fabrication ne doit pas être confondue avec la réglementation des opérations portant sur les produits et il ne peut être dit que la première est à ce point dans les limites du pouvoir de réglementation des provinces qu’elle couvre dans tous les cas la production ou la fabrication destinée à l’exportation; et (5) même en ce qui concerne la seconde, il ne peut être dit de façon catégorique que la destination ultime du produit hors de la province empêche la province de réglementer les étapes intermédiaires du processus de mise en marché. Le Juge Martland, qui parlait au nom de la Cour dans l’arrêt Carnation Company[29], a posé la question dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Bien que j’accepte l’avis, exprimé par les quatre juges dans le renvoi Ontario, qu’une opéra-
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tion commerciale parachevée dans une province n’est pas nécessairement, de ce seul fait, assujettie qu’à la réglementation provinciale, je suis également d’avis que le fait qu’une telle opération touche de façon incidente une compagnie qui se livre au commerce interprovincial ne la soustrait pas nécessairement à cette réglementation.
Le renvoi sur la Ontario Farm Products Marketing Act, bien qu’il ait précisé la signification d’une opération intra-provinciale, ne visait pas expressément la position d’un producteur extraprovincial, ou d’une personne achetant les produits de celui-ci, qui cherche à écouler ses produits dans une province sans qu’ils soient assujettis à un plan de réglementation applicable aux produits locaux. Le Juge Fauteux, alors juge puîné, a signalé dans ce renvoi que le plan de mise en marché des porcs, alors à l’examen, ne s’appliquait pas aux porcs élevés à l’extérieur de la province et ne touchait pas les producteurs de l’extérieur: [TRADUCTION] «En fin de compte», a-t-il dit, «n’importe qui en Ontario est libre d’importer dans cette province le produit réglementé et n’importe qui au-delà des frontières de cette province a le droit d’y exporter le produit en question» (p. 254, [1957] R.C.S.). C’est précisément, cependant, la question qui doit être étudiée dans le présent renvoi.
La question doit être examinée dans le contexte d’un plan qui, ainsi qu’il est exposé dans les mesures proposées accompagnant le décret de renvoi, comporte les éléments suivants:
(1) Est établi un Office de producteurs par l’intermédiaire duquel tous les œufs devant être mis en marché au Manitoba doivent être vendus.
(2) Tous les œufs visés doivent passer par les postes de classification et d’emballage exploités par des personnes ayant passé un contrat avec l’Office.
(3) Tous les œufs visés doivent être classés, emballés et marqués dans les postes de classification et d’emballage.
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(4) Ces œufs doivent être emballés dans des contenants fournis par l’Office et sur lesquels seront inscrits la catégorie du produit, le numéro du poste, la date du classement, la provenance des œufs et la marque de commerce de l’Office.
(5) Seuls les ramasseurs autorisés peuvent prendre livraison des œufs d’un producteur.
(6) L’Office peut attribuer des quotas de production et de mise en marché aux producteurs.
(7) L’Office peut contingenter la production et la vente et fixer le temps et le lieu de la mise en marché et, également, interdire la mise en marché faite différemment ou en violation des quotas ou normes établis.
(8) L’Office peut conclure des ententes avec des distributeurs qui agiront comme ses intermédiaires dans la vente aux détaillants.
(9) L’Office établira les prix hebdomadaires pour chaque catégorie d’œufs et les distributeurs seront autorisés à acheter à ces prix.
Bien que l’accent soit placé sur la réglementation des producteurs et distributeurs du Manitoba afin, selon les mesures proposées, «d’obtenir pour les producteurs les conditions de mise en marché les plus avantageuses» et «d’éviter une surproduction», le plan couvre tant les «personnes» que les producteurs, c’est-à-dire ceux qui, à l’extérieur de la province, sont des producteurs ou distributeurs qui cherchent à s’introduire sur le marché manitobain, ou ceux qui, étant dans la province et sans être eux-mêmes producteurs, font venir des œufs de l’extérieur en vue de les écouler au Manitoba. Cette opinion est renforcée du fait que le plan oblige à indiquer la provenance des œufs, y compris celle des œufs qui ne sont pas produits au Manitoba.
Plusieurs raisons peuvent pousser une province à réglementer la mise en marché de divers pro-
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duits. Ainsi, elle peut vouloir assurer la santé de la population par l’établissement de normes qualitatives, protéger les consommateurs contre des prix exorbitants, équilibrer la situation de négociation ou de concurrence des producteurs, des distributeurs ou des détaillants, ou de ces trois groupes à la fois, ou garantir un approvisionnement suffisant en certains produits. Ces objets ne sont peut-être pas tous ni toujours réalisables au moyen de mesures législatives qui s’attachent au produit réglementé en tant que produit situé à l’intérieur de la province. Ce n’est plus, si ce le fut jamais, le critère de validité. Tout comme la province ne peut, en règle générale, interdire à un propriétaire de marchandises d’expédier celles-ci à l’extérieur de la province, elle ne peut, non plus, assujettir des marchandises à un plan de réglementation lors de leur entrée dans la province. Cela ne signifie pas que les marchandises importées ne peuvent, par la suite, être soumises aux mêmes règlements, par exemple à l’étape de la distribution au détail aux consommateurs, que ceux qui s’appliquent à des marchandises semblables produites dans la province.
A supposer que pareils règlements puissent être imposés par une province, le plan dont cette Cour est saisie ne se limite pas à cela. Il embrasse des produits qui font partie du commerce interprovincial et, comme il a été signalé au début des présents motifs, il embrasse ces produits peu importe la mesure où on cherche à les introduire sur le marché provincial. C’est une pétition de principe que de dire que les producteurs de l’extérieur de la province qui y viennent de leur propre gré (le Manitoba ne peut certainement pas les y forcer) ne doivent pas s’attendre à être traités différemment des producteurs locaux. Je ne traiterai pas de la question de normes discriminatoires imposées aux producteurs ou distributeurs de l’extérieur de la province (c’est-à-dire, de la possibilité qu’une administration illégale du plan mette en jeu sa validité) parce que je crois que le plan empiète, de par sa formulation même, sur le pouvoir fédéral exposé à l’art. 91(2).
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Cette conclusion se fonde sur plusieurs motifs. Le plan proposé a pour objet direct de réglementer l’importation des œufs et cela n’est pas racheté par le fait que le marché local est assujetti au même régime. Le Juge Anglin a dit dans l’affaire Gold Seal Ltd. c. Dominion Express Co.[30] [TRADUCTION] qu’«il est reconnu que l’interdiction d’importer excède la compétence législative de la province». Par contre, la restriction générale à laquelle est soumise l’autorité provinciale quant à l’exercice de ses pouvoirs à l’intérieur ou dans la province l’empêche d’intercepter les marchandises qui pénètrent dans la province ou qui en sortent, sous réserve de certaines exceptions possibles, par exemple lorsque la vie ou la santé sont menacées. Le plan du Manitoba ne peut être considéré indépendamment de plans semblables dans d’autres provinces; permettre à chaque province de rechercher son propre avantage, pour ainsi dire, par la fermeture (au sens figuré) de ses frontières dans le but d’interdire l’entrée des marchandises venant des autres provinces, serait aller à l’encontre de l’un des objets de la Confédération, que font ressortir la liste des pouvoirs fédéraux et l’art. 121, savoir, faire de l’ensemble du Canada une seule unité économique: voir l’arrêt Lawson[31]. Le fait que des plans de mise en marché des œufs existent dans plus d’une province et tendent vers des objectifs semblables à ceux visés par le plan manitobain démontre clairement que le commerce interprovincial des œufs est visé par les barrières que des provinces opposent à leur mouvement vers divers marchés provinciaux. S’il est jugé nécessaire ou souhaitable d’arrêter le mouvement des œufs à quelque frontière provinciale, il faut alors faire appel au Parlement du Canada, comme on l’a déjà fait au moyen de la Partie V de la Loi canadienne sur la tempérance, S.R.C. 1952, c. 30, relativement à la réglementation par les provinces de la vente de boissons enivrantes.
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Je ne crois pas qu’il soit nécessaire en l’espèce d’invoquer l’art. 121 et je ne me prononce donc pas sur son applicabilité au plan de mise en marché en litige. Je fais également remarquer ici que même si, d’après les hypothèses formulées au décret de renvoi, l’Office des producteurs devait être habilité, en vertu de la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles fédérale susmentionnée, à réglementer le placement sur le marché interprovincial et dans le commerce d’exportation des œufs produits au Manitoba, cela n’ajoute rien à la compétence de la province. L’effet combiné des arrêts Murphy c. C.P.R., (précité) et P.E.I. Potato Marketing Board c. H.B. Willis Inc.[32], est de permettre au gouvernement fédéral de déléguer des pouvoirs d’agir à l’égard de matières de compétence fédérale; l’autorisation de la province n’est pas requise et sa compétence législative ne s’en trouve pas accrue.
Je passe maintenant aux questions soumises à la Cour d’appel du Manitoba et aux réponses que le Juge d’appel Dickson a formulées au nom de la Cour:
(1) (a) Le Règlement et l’Ordonnance sont-ils de ceux dont il serait de la compétence législative de la législature du Manitoba d’autoriser l’adoption par le Lieutenant‑gouverneur en conseil et par l’Office de producteurs, respectivement?
Réponse: Non.
(b) Si le Règlement et l’Ordonnance, ou l’un ou l’autre d’entre eux, ne sont au delà des pouvoirs de compétence législative des provinces qu’en partie, quelles en sont les parties qui sont au delà de tels pouvoirs?
Réponse: La question ne se pose pas.
(2) Si le Règlement et l’Ordonnance, ou l’un ou l’autre d’entre eux, relèvent en tout ou en partie des pouvoirs de compétence législative des provinces
(a) Une personne résidant et exerçant un commerce dans une province autre que le Manitoba aurait-elle le droit de vendre ou de livrer des œufs produits à l’extérieur du Manitoba à toute
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personne au Manitoba, sans être soumise à aucun règlement, directive ou contrôle de la part de l’Office de producteurs créé en vertu du Règlement, relativement
(i) au prix
(ii) à la quantité
(iii) à la qualité
(iv) à l’emballage
(v) au marquage
(vi) à la classification
(vii) au lieu de livraison
(viii) à l’identité de l’acheteur
(ix) au mode de paiement, et
(x) aux contributions à l’Office de producteurs, ou
(xi) relativement à l’un ou plusieurs de ces éléments
ou à tout autre égard?
Réponse: Oui.
(b) Une personne résidant et exerçant un commerce au Manitoba aurait-elle le droit d’acheter et de prendre livraison d’œufs produits à l’extérieur du Manitoba, de toute personne résidant et exerçant un commerce à l’extérieur de la province, sans être soumise à aucun règlement, directive ou contrôle de la part de l’Office de producteurs relativement aux matières énumérées dans la clause a)?
Réponse: Oui.
(c) Si un acheteur auquel la clause b) s’applique prenait livraison au Manitoba d’œufs visés par ladite clause, deviendrait-il alors lié sous quelque rapport par les dispositions du Règlement et de l’Ordonnance s’il tentait, au Manitoba,
(i) de consommer les œufs, ou
(ii) d’utiliser les œufs dans son entreprise de fabrication, ou
(iii) de revendre les œufs à un grossiste, à un distributeur, à un détaillant ou à un consommateur?
Réponse: (i) Non.
(ii) Non.
(iii) Non.
(d) Si, à l’égard des personnes décrites dans les clauses a) et b) ou de l’acheteur décrit dans la
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clause c), et dans les circonstances décrites dans ces clauses, il est un domaine où l’Office de producteurs peut légalement exercer des pouvoirs de réglementation, de direction ou de contrôle, cet exercice devient-il illégal au delà d’une certaine limite déterminée par son effet prohibitif ou restrictif sur le commerce interprovincial et, s’il en est ainsi, cette limite peut-elle faire l’objet d’une définition judiciaire?
Réponse: Une législature provinciale ne peut exercer de pouvoirs de réglementation, de direction ou de contrôle en matière de commerce si, dans sa nature ou son but, cet exercice se rattache à une frontière provinciale et fait obstacle à la libre circulation des échanges commerciaux à travers le Canada. Dans quelle mesure une réglementation, une direction ou un contrôle sont permis par la loi, cela dépend des faits et il ne conviendrait pas de tenter de donner, in vacuo, une définition judiciaire.
Dans l’appel porté devant cette Cour, la réponse à la question (1)(a), qui porte sur la principale question d’ordre constitutionnel, est contestée par l’appelant, le procureur général du Manitoba, et par les intervenants, les procureurs généraux de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan, de même que, sauf pour ce qui a trait à l’art. 15 du projet d’ordonnance de l’Office des producteurs (qui concerne l’obligation d’indiquer la provenance des œufs qui entrent sur le marché du Manitoba), par le procureur général de l’Ontario, intervenant; elle est contestée aussi, sauf en ce qui a trait à l’art. 14(e) du projet d’ordonnance (qui concerne l’obligation d’apposer la marque de commerce de l’Office de producteurs sur les caisses et les cartons d’œufs prescrits), par le Procureur général du Québec, intervenant également. Les divers intimés ainsi que le procureur général du Canada et le Conseil de l’Alimentation du Québec, qui sont intervenants, appuient sans réserve, naturellement, la réponse de la Cour d’appel.
Ainsi qu’il ressort de mes motifs, je souscrits à la réponse que le Juge d’appel Dickson a donnée à la question (1)(a). Je ne puis donc accepter que l’un ou l’autre des art. 14(e) et 15 puisse être séparé du plan; je ne crois pas non plus que,
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s’ils pouvaient l’être, le plan projeté serait dans les limites de la compétence de la province. Je suis donc d’avis, comme le Juge d’appel Dickson, que la question 1(b) ne se pose pas.
Bien qu’elle postule, au début, la validité de la totalité ou d’une partie du plan, la question (2) pose, à l’alinéa (a), des questions qui elles-mêmes mettent cette validité en cause. Puisque le plan proposé ne peut être mis en æuvre que si l’Office des producteurs est l’agent de vente exclusif pour tous les œufs mis en marché au Manitoba, on ne peut répondre à la question (2), à mon avis, qu’en supposant que les œufs produits hors de la province ne tombent pas sous le coup de ce plan. Dans ce cas, il faudrait répondre «oui» à la question (2)(a) et à la question (2)(b).
La question (2)(c) se rapporte à l’acheteur manitobain qui obtient ses œufs d’un vendeur de l’extérieur de la province (cas également visé par la question (2)(b)); si l’on part de ce qui a été postulé pour l’ensemble de la question (2), il faut répondre «non» aux questions (2)(c) (i) et (2)(c) (ii). La question (2)(c) (iii) apporte cependant un nouvel élément, que j’appellerais la «naturalisation» dans la province des œufs provenant de l’extérieur. A mon avis, la réponse à la question (2)(b) dissipe tout doute que les œufs ne font pas partie du commerce interprovincial. La question (2)(c) (iii) soulève la question de savoir à quel moment les œufs deviennent, le cas échéant, assujettis aux règlements locaux; non parce qu’ils auraient été produits dans la province, mais parce que c’est là qu’ils auraient fini par aboutir. C’est là un problème familier du droit constitutionnel américain où, à la suite de l’évolution de la doctrine dite du «original package», il est traité de façon pragmatique: voir Smith, «The Commerce Power in Canada and in the United States» (1963), pp. 280 à 284.
Je crois comme le Juge d’appel Dickson que chaque cas est un cas d’espèce, donc à décider quand il se présente en vertu de la loi applicable. Dans le projet qui nous occupe, la revente tomberait sous le coup des dispositions du plan et
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obligerait le revendeur éventuel à s’adresser à l’Office des producteurs. En conséquence, la réponse à la question (2)(c) (iii) varie selon qu’il peut être dit que les œufs importés relèvent du commerce interprovincial ou qu’ils ont cessé de faire partie de ce commerce. Eu égard à la réponse donnée à la question (2)(b) et à la forme du plan de mise en marché, la réponse à la question (2)(c) (iii) doit aussi être «non».
Il n’est pas possible, à mon avis, de répondre effectivement à la question (2)(d) sans faire d’hypothèses au sujet du rôle de l’Office des producteurs vis-à-vis des détaillants et des consommateurs d’œufs aussi bien que des producteurs, distributeurs, grossistes, ni, en outre, sans relier les activités de l’Office dans ces cas à des éléments tels que le prix, la qualité et la classification, mentionnés à la question (2)(a). Je suis donc du même avis que le Juge d’appel Dickson lorsqu’il dit qu’il ne conviendrait pas de chercher à donner, in vacuo, une définition judiciaire de l’étendue de la compétence provinciale. Les procureurs généraux de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick appuient la réponse du Juge d’appel Dickson dans sa totalité; le procureur général du Manitoba, l’appelant, et le procureur général de la Saskatchewan n’en appuient que la première partie, comme, de fait, le procureur général du Québec. Le procureur général de l’Ontario soutient qu’il est impossible de répondre à cette question. Le procureur général du Canada va plus loin et prétend que la question (2) dans son ensemble ne requiert pas de réponse, bien qu’il donne à la question (2)(d) une réponse générale assimilable à une réaffirmation de la réponse à la question (1)(a). Dans les réponses de formulation variée qu’ils ont proposées, les intimés insistent sur l’invalidité de tout règlement provincial qui porterait atteinte ou ferait obstacle au commerce interprovincial ou qui établirait une discrimination, relativement à cet aspect de la question, entre les produits venant de l’extérieur et les produits locaux.
Les considérations qui précèdent me confirment dans mon opinion qu’il me faudrait postuler trop
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de faits (ce qui ne serait pas prudent) pour être en mesure de donner une réponse utile à la question (2)(d). Je m’en tiens, de façon générale, aux motifs que j’ai exprimés sur les points que soulève cette question.
Je suis d’avis de rejeter l’appel.
LE JUGE PIGEON — Je souscris aux motifs et conclusions de mon collègue le Juge Martland sous réserve des observations suivantes.
A mon avis, il faut bien considérer que l’énoncé du Conseil privé dans Citizens Insurance Company v. Parsons[33] s’inscrit dans le contexte d’un arrêt où, en fait, la décision ne portait pas sur l’étendue des pouvoirs du Parlement fédéral en matière de commerce mais sur la compétence des provinces quant au commerce local. De plus, cet énoncé est immédiatement suivi de cette réserve importante:
[TRADUCTION] Nous nous abstenons en l’espèce de toute tentative de définir les limites de la compétence du Parlement fédéral dans ce domaine.
Bien que je sois entièrement d’accord que le Plan en litige est nul du fait qu’il tend à réglementer le commerce interprovincial des œufs, je désire restreindre à la considération suivante le motif sur lequel je fonde cette conclusion.
Un aspect essentiel de ce projet, dont le but est d’obtenir pour les producteurs d’œufs du Manitoba les conditions de mise en marché les plus favorables, n’est pas simplement l’assujettissement des œufs provenant de l’extérieur de la province aux mêmes règlements commerciaux qui s’appliquent aux œufs produits dans la province, mais, en fait, le pouvoir conféré à ces producteurs, par l’intermédiaire de l’Office, de restreindre par des quotas, autant que le dictent leurs intérêts, la vente locale des œufs produits ailleurs, même si cela signifie en interdire complètement la vente. Le plan est donc destiné à restreindre ou à limiter comme tel le commerce entre provinces.
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Appel rejeté.
Procureur de l’appelant: G.E. Pilkey, Winnipeg.
Procureurs des intimées, Man. Egg & Poultry Assn., Man. Egg & Pullet Producers Assn., Man. Feed Manufacturers Assn. et Man. Hatchery Assn: Scarth & Simonsen, Winnipeg.
Procureurs de l’intimée, Canadian Feed Manufacturers Assn.: Fasken & Calvin, Toronto.
Procureur de l’intimé, Meat Packers Council of Canada: Day, Wilson & Campbell, Toronto.
[1] [1971] 3 W.W.R. 204, 18 D.L.R. (3d) 326.
[2] [1971] 3 W.W.R. 204, 18 D.L.R. (3d) 326.
[3] (1881), 7 App. Cas. 96 à 113, 51 L.J.P.C. 11.
[4] [1938] A.C. 708 à 719, 2 W.W.R. 604, 4 D.L.R. 81.
[5] [1940] R.C.S. 444, [1940] 2 D.L.R. 609.
[6] [1922] 2 A.C. 128.
[7] [1957] R.C.S. 198, 7 D.L.R. (2d) 257.
[8] [1968] R.C.S. 238, 67 D.L.R. (2d) 1.
[9] [1949] R.C.S. 1, [1949] 1 D.L.R. 433.
[10] [1931] R.C.S. 357, 2 D.L.R. 193.
[11] [1938] A.C. 708, 2 W.W.R. 604, 4 D.L.R. 81.
[12] [1937] A.C. 377, 1 W.W.R. 328, 61 C.C.C. 337, 1 D.L.R. 691.
[13] [1958] R.C.S. 626, 15 D.L.R. (2d) 145, 77 C.R.T.C. 322.
[14] [1957] R.C.S. 198 à 208-209, 7 D.L.R. (2d) 257.
[15] (1878), 2 R.C.S. 70.
[16] (1880), 4 R.C.S. 215.
[17] (1881), 7 App. Cas. 96, 51 L.J.P.C. 11.
[18] (1959), 20 D.L.R. (2d) 406, 31 C.R. 275, 29 W.W.R. 369; [1959] R.C.S. IX.
[19] [1968] R.C.S. 238, 67 D.L.R. (2d) 1.
[20] [1912] A.C. 333 à 344, 81 L.J.P.C. 145, 13 C.R.C. 541, 1 D.L.R. 681.
[21] (1895), 24 R.C.S. 170 à 231.
[22] (1913), 48 R.C.S. 260, 5 W.W.R. 488, 15 D.L.R. 251.
[23] [1916] 1 A.C. 588, 26 D.L.R. 288.
[24] [1931] 2 W.W.R. 146, 25 Sask. L.R. 273.
[25] [1941] 3 D.L.R. 569.
[26] [1940] R.C.S. 444 [1940] 2 D.L.R. 609.
[27] [1937] A.C. 377.
[28] [1940] R.C.S. 444, [1940] 2 D.L.R. 609.
[29] [1968] R.C.S. 238 à 253, 67 D.L.R. (2d) 1.
[30] (1921), 62 R.C.S. 424 à 465, 3 W.W.R. 710, 62 D.L.R. 62.
[31] [1931] R.C.S. 357 à 373, 2 D.L.R. 193.
[32] [1952] 2 R.C.S. 392, [1952] 4 D.L.R. 146.
[33] (1881), 7 App. Cas. 96 à 113, 51 L.J.P.C. 11.