Cour Suprême du Canada
Blundon et al. c. Storm, [1972] R.C.S. 135
Date: 1971-06-28
Ronald Blundon, Willard Dillon, Joseph Nearing, Robert D. MacDonald et Hyman Goldberg (Demandeurs) Appelants;
et
Alexander Storm (Défendeur) Intimé.
1970: les 26, 27 et 30 novembre et le 1er décembre; 1971: le 28 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE
APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse[1], accueillant un appel d’un jugement du Juge Pottier. Appel accueilli et jugement de première instance rétabli.
D.A. Kerr, c.r., et B.A. Crane, pour les demandeurs, appelants.
J.H. Dickey, c.r., pour le défendeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, rejetant l’action en reddition de compte intentée par les appelants, Ronald Blundon et autres, contre l’intimé, Alexander Storm, laquelle action avait trait à des pièces d’or et d’argent récupérées d’une vieille épave. Le juge de première instance avait adjugé à M. Storm 75 pour cent de la récupération et divisé les 25 pour cent restants entre les appelants.
En 1960, certains des appelants, ainsi que d’autres personnes étrangères aux présentes procédures ont formé une société officieuse en vue de chercher l’épave du vaisseau français «Le Chameau» qui avait fait naufrage au large de la Pointe-du-Cap-Breton, comté de Cap‑Breton (Nouvelle-Écosse), en 1725, alors qu’il se rendait de Louisbourg à Québec. Le vaisseau était censé transporter une quantité de pièces d’argent et d’or et c’est ce trésor que les parties cherchaient.
Au cours de l’hiver 1960-1961, les cinq appelants se sont groupés en une société officieuse et ont acheté un navire, le M.V. «Orbit», ainsi que d’autres pièces d’équipement pour faciliter leurs recherches qui reprirent au printemps. Un des appelants détenait à cette époque un permis délivré en vertu du Treasure Trove Act, R.S.N.S. 1954, c. 299.
Au cours des recherches qu’ils effectuèrent vers la fin du printemps de 1961, les appelants
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trouvèrent une ancre, des canons, des boulets et des projectiles; tous ces objets, croyaient‑ils, faisaient partie des débris du vaisseau «Le Chameau» naufragé. Conformément aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, les appelants ont fait part de leur découverte au receveur d’épaves pour la circonscription qui a enregistré leur réclamation et les a assurés que leur droit exclusif de faire des recherches dans ce secteur (autour de ce qu’on appelle le «récif du Chameau») serait protégé.
Plusieurs semaines plus tard, l’intimé a demandé au receveur d’épaves l’autorisation de faire des recherches au même endroit, mais il a été avisé qu’il ne le pouvait pas. Néanmoins, il a apparemment continué ses recherches, ce qui a provoqué des disputes avec les appelants, et le receveur d’épaves lui a ordonné à plusieurs reprises de se tenir hors du secteur déjà concédé aux appelants.
Au cours de ses recherches, l’intimé a trouvé une pièce d’argent et à la fin du mois d’août 1961, il a l’encontré les appelants pour discuter de la possibilité de former une nouvelle société. Quels qu’aient pu être les droits que les appelants détenaient en vertu du permis qui leur avait été délivré conformément au Treasure Trove Act, ou les droits que le receveur d’épaves avait le pouvoir de leur concéder, l’intimé et les appelants croyaient que le droit exclusif de faire des recherches dans le secteur du récif du Chameau appartenait à ces derniers. Cependant, l’intimé les a amenés à croire qu’il savait où gisait le trésor; la pièce d’argent qu’il avait trouvée paraissait confirmer ses dires. Que l’intimé ait effectivement affirmé qu’il connaissait l’endroit exact ou que, comme a conclu le juge de première instance, il leur ait simplement donné cette impression, il est évident que c’est pour ce motif que l’intimé a été admis dans la société et une convention en bonne et due forme, datée du 25 août 1961, a été signée. Aux termes de cette convention, chacun des cinq appelants devait recevoir 16 pour cent et l’intimé 20 pour cent du trésor, advenant sa découverte, et il était stipulé ce qui suit:
[TRADUCTION] 1. La société commence à la date de la présente convention et continuera à exister pendant une période indéfinie, savoir jusqu’à l’abandon
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complet de l’entreprise, où jusqu’au jour où toutes les parties conviendront par écrit que les fins de la société ont été réalisées, que l’entreprise est terminée ou que la société est dissoute.
13. Nul associé ne doit, durant l’existence de la société, soit seul soit avec toute autre personne, directement ou indirectement, être engagé ou intéressé dans quelque autre entreprise, activité ou affaire du même genre que celle que poursuit la présente société, sans le consentement écrit des autres associés.
14. Nul associé ne doit, durant l’existence de la société ou pendant les deux (2) ans qui suivent sa dissolution, d’aucune façon, sans le consentement écrit des autres associés, divulger à personne qui n’est pas membre de la société un secret quelconque du groupe, le lieu ou l’emplacement d’épave ou d’épaves, ou de parties d’épave, le contenu de cette épave ou de ces épaves, la source de renseignements les concernant, ou tout autre renseignement particulier dont il peut prendre connaissance pendant l’existence de la société ou à cause de celle-ci.
Le 26 août 1961, les six associés se sont rendus dans le secteur pour y chercher le trésor et les appelants ont apporté sur les lieux l’équipement nécessaire non seulement aux recherches, mais aussi au hissage du trésor. Ils s’attendaient évidemment à récupérer ce jour-là les pièces d’or et d’argent, mais ils ne trouvèrent que d’autres canons, boulets de canon et projectiles. Fortement déçus, les appelants firent preuve dès lors de moins d’enthousiasme pour les recherches. Tous les associés ayant un autre emploi, ils avaient convenu d’effectuer des recherches chaque fois qu’ils en auraient le temps, que l’équipement serait disponible, que les conditions atmosphériques seraient propices et qu’ils auraient les capitaux nécessaires aux expéditions. Relativement peu de plongées furent effectuées du 27 août 1961 jusqu’à l’hiver 1964-1965.
En 1961, quatre autres expéditions infructueuses furent entreprises, auxquelles quelques-uns des appelants seulement prirent part avec l’intimé. En février 1962, les associés tinrent plusieurs réunions à la résidence de l’intimé en vue d’organiser les recherches de cette année-là. L’intimé avait fait des cartes et des esquisses, dans lesquelles il proposait un quadrillage dont ils pourraient se servir pour chercher méthodiquement le trésor; ces cartes et esquisses firent l’objet
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de discussions. Ce projet n’a cependant jamais été réalisé et, bien que la preuve ne soit pas concluante sur ce point, il paraît qu’au plus six expéditions ont eu lieu pendant l’été et l’automne de 1962, au cours desquelles certains des appelants accompagnaient encore une fois l’intimé. Ce dernier s’était acheté un bateau, le «Marilyn B II», en avril 1962, et avait assuré les appelants qu’il ne s’en servirait pas pour chercher le trésor.
Au début de l’année 1963, les associés ont eu d’autres conversations au sujet des recherches, mais ils ont constaté à ce moment-là qu’ils ne pourraient se servir de l’«Orbit» dont la quille était brisée. En 1963, seuls l’intimé et une personne étrangère au groupe, Archie Leahy, ont effectué des plongées, d’ailleurs peu nombreuses, au cours des mois de septembre et octobre. De son propre aveu, Leahy y a pris part seulement à titre de représentant du groupe «Orbit». Le but premier de ces plongées, cependant, était la localisation d’une autre épave, la recherche du vaisseau «Le Chameau» n’étant qu’accessoire.
En juin 1963, l’intimé a acheté de l’appelant Goldberg un moteur pour le «Marilyn B II» et l’appelant Dillon l’a aidé à obtenir un raccord pour ce moteur. En juillet 1964, l’intimé a demandé à Dillon de l’aider à mettre le moteur en état de fonctionnement. Ils y sont parvenus après un certain temps et ils conviennent tous deux avoir discuté de la possibilité d’utiliser ce bateau dans la recherche du Chameau. Ce n’est qu’au printemps de 1965 que le moteur fut installé dans le «Marilyn B II».
A l’automne 1964, l’appelant Blundon et Leahy ont plongé à plusieurs reprises dans le secteur général du récif du Chameau, mais là encore, les plongées avaient un autre but premier, la récupération du trésor étant accessoire. Ces plongées ont été censément faites pour le compte du groupe; tous les appelants étaient au courant de la chose, mais personne n’a avisé l’intimé ni demandé son aide car, selon leurs dires, ils savaient que celui-ci avait déchiré son costume de plongée à l’été et n’aurait pu les aider dans leurs recherches. L’équipement qui se trouvait sur l’«Orbit» a été transporté pour ces recherches à bord d’un bateau appartenant à Blundon.
Le 10 septembre 1964, Dillon a fait transférer l’immatriculation de l’«Orbit» de son nom et de
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ceux de trois autres copropriétaires à son seul nom. Il ne se rappelle pas l’avoir fait mais, d’après la demande signée, il est clair que le changement a eu lieu.
En décembre 1964, l’appelant Dillon et l’intimé se sont rencontrés et ont parlé de convoquer une réunion de tous les associés pour bien établir que chaque membre devait devenir actif, sous peine d’être expulsé de la société. Cette convocation n’a pas eu lieu. L’intimé s’est alors fait délivrer un permis de recherche de trésor par le gouvernement de sa province, le 3 février 1965 et, le 8 février, il adressait sous pli recommandé à chacun des appelants un avis portant qu’il mettait fin à son association. Cet avis se lit comme suit:
[TRADUCTION] Je vous avise par les présentes qu’à compter du 1er février 1965, je, Alex Storm, de Louisbourg, met fin à ma participation à «la convention Chameau» du 25 août 1961.
Il a formé une autre société avec deux autres personnes et commencé à chercher le trésor au printemps de 1965.
Après l’avis du 8 février, l’intimé a envoyé une autre lettre, datée du 27 mars 1965, dont voici la teneur:
[TRADUCTION] Louisbourg, le 27 mars 1965.
Monsieur Dillon,
Suite à ma lettre du 8 février dans laquelle je mettais fin à ma participation à «la convention Chameau» du 25 août 1961, je vous informe qu’à partir du 1er février 1965 je serai le nouveau, probablement le troisième, détenteur du permis de recherche du trésor englouti, et j’ai fait établir mes droits de plongée à l’égard de la frégate française «Le Chameau» qui a coulé en 1725. Vous pouvez obtenir des renseignements à ce sujet du receveur d’épaves de la circonscription n° 19, M. Alfred David Perry, ministère du Nord canadien et des Ressources nationales, B.P. 160, Louisbourg (N.-É.).
En votre qualité d’ex-détendeur du permis de recherche du trésor, vous savez sans doute qu’il s’agit d’un droit exclusif; par conséquent, je ne puis vous permettre, ni à qui que ce soit, de plonger dans le but de repérer ou de récupérer quelque objet ou trésor englouti dans le secteur sur lequel j’ai fait valoir mon droit et qui correspond, sur la carte n° 4375 («Guyon Island to Flint Island») Nouvelle-Écosse à la description
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suivante: Un (1) mille marin carré avançant perpendiculairement, de l’anse sise à l’ouest du cap Breton, incluant l’île Portnova et le récif du Chameau, jusqu’à la moitié ouest du Cap Breton et de là vers l’ouest jusqu’à un point connu sous le nom de Woody Point.
Votre tout dévoué,
(Signé) Alex Storm
Sur réception de l’avis de l’intimé, les appelants ont tenu une réunion et nommé l’appelant MacDonald comme leur porte-parole auprès du receveur d’épaves, M. Perry, dont ils voulaient solliciter l’aide, mais celui-ci a confirmé que l’intimé avait un permis valide délivré par lui et en vertu du Treasure Trove Act. L’appelant MacDonald a communiqué deux fois par téléphone avec l’intimé qui a réaffirmé ses intentions. A ce moment-là, MacDonald a rappelé à l’intimé qu’il était encore lié par la convention et que le permis n’avait aucune valeur. MacDonald a aussi consulté un avocat sur la validité de la convention de la société. La l’encontre avec M. Perry n’ayant donné aucun résultat satisfaisant, l’appelant Dillon a rendu visite deux fois au capitaine Darnborough, le receveur d’épaves d’une circonscription voisine, en vue de contester les droits de sauvetage concédés à l’intimé, mais ces visites n’ont rien donné.
En mai 1965, plusieurs appelants ont plongé dans le secteur en question, prétendument pour mettre à l’épreuve la validité de leurs droits. Le mois suivant, ils ont remis au receveur d’épaves, M. Perry, les objets récupérés au cours de ces plongées-là. L’appelant Blundon a fait au moins cinq autres plongées dans le secteur au cours de l’été de 1965 et il y a vu l’intimé. En outre, les appelants prétendent avoir dressé des plans pour chercher le trésor vers la fin de 1965 et au début de 1966.
L’intimé a plongé dans le secteur du Chameau à 21 reprises au cours de l’été 1965, et a fini par trouver le trésor le 19 septembre. Il a cependant gardé le silence au sujet de sa découverte jusqu’au 4 avril 1966; les appelants ont entamé les présentes procédures le 7 avril et ont obtenu une injonction interdisant toute autre recherche dans le secteur et enjoignant à l’intimé de remettre le trésor à un officier de la Cour.
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Le savant juge de première instance a conclu que, même si l’intimé était indubitablement celui des associés qui a déployé le plus d’activité durant toute la période en cause, jusqu’en 1965, et que même si les appelants avaient en général fait preuve de moins en moins d’enthousiasme pour les recherches, celles-ci n’avaient toutefois pas atteint le point d’«abandon complet», une des raisons énoncée dans la convention elle-même comme cause de dissolution de la société.
Deux facteurs ont, ensemble, empêché que des recherches soutenues soient effectuées: l’absence de bateau et le manque de confiance entre les appelants et l’intimé. Bien que Nearing et Goldberg n’aient participé aux recherches qu’une fois et MacDonald, trois fois, Blundon et Dillon y ont pris part un certain nombre de fois chaque année, sauf en 1963.
Le juge de première instance a en outre conclu que le défaut d’enregistrer la convention de société, conformément au par. (1) de l’art. 19 de la loi dite Partnerships’ Registration Act, R.S.N.S. 1954, c. 213, n’a pas fait obstacle à l’institution de l’action, la loi en question n’entrant en jeu que (traduction) «à l’égard de tout contrat fait… relativement à l’un quelconque des buts ou objets de la société…» Il s’agit en l’espèce d’une action en reddition de compte visant la convention de société elle-même. Cependant, le juge de première instance a déclaré les appelants coupables de retard indu (en anglais «laches») du 25 août 1961 jusqu’à la découverte du trésor, et il a adjugé à l’intimé 75 pour cent du trésor. En particulier, il a conclu que les appelants auraient dû prendre des mesures pour protéger leurs droits après avoir reçu l’avis du 8 février 1965 de l’intimé.
La Chambre d’appel a reconnu que la société existait encore après le mois de février 1965, mais elle a isolé les actes des appelants à compter de cette date-là et conclu que, n’ayant rien fait pour protéger les droits que leur garantissait la convention, ceux-ci sont coupables de «laches» et d’acquiescement et n’ont droit à aucune partie du trésor. Cette conclusion est-elle juste? Voilà toute la question à décider dans le présent pourvoi.
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Les principales conditions du retard indu dit «laches» sont l’acquiescement et le changement de situation du défendeur. La doctrine ne se prête pas à une définition précise, mais on accepte en général les énoncés faits dans Lindsay Petroleum Co. v. Hurd[2], et Erlanger v. The New Sombrero Phosphate Co.[3] Dans l’affaire Lindsay Petroleum (à la p. 239), il est dit:
[TRADUCTION] Dans les cours d’equity, la doctrine du «laches» n’est ni arbitraire, ni de droit strict. Lorsque, à toutes fins utiles, il serait injuste d’accorder un redressement, soit parce que, par sa conduite, l’intéressé a fait quelque chose qu’on pourrait justement considérer comme équivalant à une renonciation audit redressement, ou lorsque, n’ayant peut-être pas renoncé à ce redressement, il a par sa conduite et sa négligence mis la partie adverse dans une situation dans laquelle il n’était pas raisonnable de la placer si le redressement devait par la suite être accordé, le laps de temps et le retard sont très importants dans chacun de ces deux cas. Mais, dans tous les cas, si une opposition au redressement, juste par ailleurs, se fonde simplement sur le retard, pourvu, bien entendu, que ce retard n’entraîne pas prescription, en vertu d’une loi quelconque, la validité de ce moyen de défense doit être décidée surtout selon des principes d’equity. Deux circonstances, toujours importantes en pareils cas, sont la longueur du retard et la nature des actes accomplis dans l’intervalle, éléments qui peuvent avoir des conséquences pour l’une ou l’autre partie et faire pencher la balance du côté de la justice ou de l’injustice selon qu’on adopte une solution ou l’autre, en ce qui a trait au redressement.
Dans l’affaire Erlanger v. The New Sombrero Phosphate Co., Lord Blackburn a commenté cet énoncé et ajouté ce qui suit:
[TRADUCTION] J’ai vainement cherché dans les arrêts et les ouvrages une règle plus claire et précise et vu la nature de la question à examiner, je crois que pour décider si la balance de la justice ou de l’injustice favorise l’octroi du redressement ou son refus, il s’agira toujours de se fonder plus ou moins sur la diligence raisonnablement requise ou le changement survenu. La décision de cette question doit dépendre en grande partie de la tournure d’esprit de ceux qui sont chargés de décider et, par conséquent, elle est nécessairement sujette à l’incertitude; mais cela, je crois, est inhérent à un examen de cette nature.
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Cette Cour a approuvé et appliqué la doctrine du «laches» telle qu’elle est énoncée ci-haut, notamment dans Farrell c. Manchester[4]; Harris c. Lindeborg[5] et Canada Trust Co. c. Lloyd[6]. Dans la présente affaire, la Chambre d’appel a rendu un arrêt défavorable à Blundon et à ses associés pour les quatre motifs suivants:
(a) ils auraient pu insister pour faire valoir leur droit de participer à la recherche du trésor;
(b) ils auraient pu donner à Storm l’occasion de poursuivre les recherches avec eux;
(c) ils auraient pu chercher à obliger l’intimé à exécuter la convention de société, ou demander une reddition de compte;
(d) ils aurient pu demander une injonction.
Je suis d’avis que les deux premières solutions étaient tout à fait irréalisables. Alors qu’il était membre de la société et à l’insu de ses associés, Storm a obtenu le permis requis par le Treasure Trove Act et l’autorisation fédérale prévue dans la Loi sur la marine marchande du Canada. Il a mis ses associés au courant de ce fait après coup et, par un avis dans un journal local, il a annoncé publiquement qu’il avait l’exclusivité des droits pour le secteur. Les appelants ont eu une entrevue avec les fonctionnaires qui ont délivré à Storm les nouveaux permis remplaçant ceux que détenait auparavant la société, mais ils n’ont pas réussi à recouvrer ceux-ci. Ils ont dit à Storm que la convention de société le hait toujours. Ce dernier avait formé une société avec deux nouveaux associés et enfreignait ainsi clairement le Partnership Act et la convention de société. Il était entré en concurrence avec ses associés pour l’affaire même qui avait donné lieu à la formation de la société.
Les deux Cours d’instance inférieure ont conclu que la première société existait encore au moment de la découverte. En cela, elles ont nettement raison. La société en question se composait de personnes qui ne pouvaient consacrer qu’une partie de leur temps à l’entreprise de la société. Chacun des associés avait une modeste
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occupation à plein temps. Storm s’est placé lui-même dans la situation où il s’est trouvé comme défendeur. Il a affirmé qu’il avait mis fin à la société, qu’il possédait en exclusivité les droits de sauvetage et que les appelants n’en avaient aucun. Ces derniers n’ont pas acquiescé à cet état de choses. En fait, au cours de l’été de 1965, ils ont fait quatre ou cinq plongées dans le secteur pendant que l’intimé s’y trouvait. Rien dans leur conduite n’a pu donner à Storm l’impression d’un acquiescement et rien de ce qu’ils ont dit ou fait n’a amené ce dernier à changer sa situation.
Quant au point (c), à savoir que les appelants auraient pu chercher à obliger l’intimé à exécuter la convention de société, ou demander une reddition de compte, je ne conçois pas la possibilité d’une telle action. Un associé ne peut être contraint d’exécuter la convention de société. L’exécution de la convention initiale dans ce cas-ci comporte des services personnels. Aucune ordonnance de cette nature n’aurait pu être rendue et une reddition de compte aurait été sans objet à ce stade.
Les deux autres Cours ont conclu que le défaut de demander une injonction fait entrer en jeu la doctrine du «laches». La Chambre d’appel dit: [TRADUCTION] «Les demandeurs prétendent qu’une telle démarche ne leur aurait procuré aucun avantage tangible à ce moment-là, mais elle aurait au moins montré de façon concluante qu’ils n’avaient pas l’intention de renoncer à leurs droits». A mon avis, les autres actes des demandeurs indiquent qu’il n’y a eu ni renonciation ni acquiescement. Je ne pense pas qu’ils avaient quelque devoir que ce soit d’engager des poursuites coûteuses contre un associé qui défiait la société. Jamais ces gens-là n’ont dit à Storm, ou lui ont laissé entendre par leur conduite, qu’ils ne pouvaient ni ne voulaient plus contribuer à l’entreprise qu’il devrait poursuivre sans eux. Au contraire, ils lui ont dit qu’il enfreignait la convention de société et c’est Storm qui a affirmé qu’il avait les droits et qu’eux n’en avaient aucun.
Ni le juge de première instance ni la Chambre d’appel n’ont tiré de conclusion quant à l’effet du permis délivré en vertu du Treasure Trove Act ou de la permission donnée en vertu de la Partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada,
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art. 501, par le receveur d’épaves. Nous n’avons pas été appelés à nous prononcer sur ce point. L’importance de ces permis-là tient au fait que, jusqu’à l’admission de Storm dans la société, les appelants croyaient avoir en exclusivité les droits de sauvetage. Par la suite, ils ont cru que ces droits étaient détenus pour le compte de la société, dont Storm faisait partie. Après que ce dernier eut acquis ces droits apparents, en 1965, ils ont consacré tous leurs efforts à recouvrer ceux-ci, mais leurs démarches auprès des autorités tant provinciales que fédérales sont restées vaines. Une chose est claire cependant: ils n’ont jamais accepté l’affirmation de Storm qui disait détenir seul les droits de sauvetage et ils n’y ont jamais acquiescé.
Storm a trouvé le trésor le 19 septembre 1965. Il plongeait depuis environ deux mois et demi. Il a gardé le silence absolu sur sa découverte, jusqu’au 4 avril 1966. Le 7 avril 1966, les appelants ont intenté leur action et obtenu une injonction.
Le motif de décision de la Chambre d’appel est exprimé dans le passage suivant:
[TRADUCTION] Considérant la preuve produite, de même que les textes cités, il nous faut conclure comme le juge de première instance que les demandeurs n’avaient pas confiance en la capacité du défendeur de découvrir le trésor et lui ont injustement laissé faire tout le travail mais qu’une fois le trésor découvert, ils sont venus en réclamer une part. Nul doute qu’ils n’auraient plus donné signe de vie si les efforts du défendeur avaient abouti à un échec plutôt qu’à une réussite. Cela, joint au fait qu’ils n’ont rien fait pour affirmer effectivement leurs droits en vertu de la convention de société, nous amène à conclure que par suite de leur propre retard indu à agir (laches) les demandeurs ne peuvent obtenir le redressement qu’ils réclament.
Je ne puis accepter cette manière d’envisager la preuve. Elle ne me paraît pas tenir compte des éléments suivants: le caractère secret des démarches de M. Storm pour obtenir les permis; les affirmations des demandeurs et leurs efforts pour recouvrer les permis; la formation par Storm d’une nouvelle société avec des étrangers; et, peut-être, les circonstances qui existaient au moment de l’admission de Storm dans la société, en 1961. Ce dernier s’est fait admettre dans la société et
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reconnaître une part de 20 pour cent, au regard de la part de 16 pour cent de chacun des autres associés, après avoir exhibé la pièce de monnaie et affirmé avec certitude qu’il savait où était le trésor.
Il a, à mon avis, bien plus que «donné une impression». Je dis cela à cause d’une inscription dans le journal qu’il tenait à l’époque, qui a été versé au dossier très tard au cours du procès et qui a constamment été désigné sous le nom de «Journal hollandais». Le 23 juillet 1961, d’après sa propre traduction vers l’anglais, il y a inscrit: [TRADUCTION] «Tout l’argent, etc., doit sûrement, à 100 pour cent, se trouver sous les boulets de canon ou parmi eux». Cette inscription ne figure pas du tout dans le journal anglais de Storm, qu’il a, en premier lieu, versé au dossier comme document contemporain et qu’on lui a permis de consulter, tout au long du procès, pour se rafraîchir la mémoire. En fait, c’est le journal hollandais qui est le document contemporain, mais Storm n’en a rien dit tant qu’il n’en a pas été question dans le contre-interrogatoire, très tard au cours du procès. Il a alors dit:
[TRADUCTION] J’ai constamment tenu mon journal en hollandais, jour après jour, et ceci est une traduction fidèle du hollandais… Vous pouvez faire venir ici un Hollandais et le lui faire traduire, mot pour mot. Ce carnet de travail, c’est exact, c’est la même chose que j’ai chez moi; c’est comme si j’avais la même lettre en double.
A ce stade, il devint évident que le journal anglais que le défendeur avait consulté pour se rafraîchir la mémoire les quatre jours pendant lesquels il avait déposé, n’avait pas été rédigé à l’époque où les événements avaient eu lieu. Néanmoins, il continuait à affirmer que le journal anglais était une traduction mot à mot.
Lorsque Storm a produit le journal hollandais, il est bientôt devenu évident que le journal anglais n’était même pas une traduction mot à mot, mais un document produit pour les fins du procès. Le journal anglais ne renferme pas l’inscription du 23 juillet 1961 dans la version hollandaise, savoir qu’il était certain à 100 pour cent de l’endroit où se trouvait le trésor. Il y a plusieurs autres divergences entre les deux journaux, toutes à l’avantage de Storm dont elles appuient la déposition.
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L’inscription du 23 juillet 1961 dans la version hollandaise du journal a une grande importance en l’espèce. Elle explique comment Storm a réussi à se faire admettre dans la société, avec une participation de 20 pour cent, au regard de la part de 16 pour cent de chacun des autres associés, et pourquoi l’expédition du 26 août 1961 était, selon toute apparence, en vue non de découvrir mais de récupérer le trésor.
L’avocat des appelants ne conteste pas la théorie de la Chambre d’appel selon laquelle un associé qui se tient coi, sans protester, et laisse un autre faire tout le travail et assumer tous les frais nécessaires pour mener l’entreprise à bien, se verra refuser un jugement en sa faveur. Toutefois, il en conteste l’application à cette affaire-ci. En quelques mots, il soutient qu’il ne s’agit pas d’associés qui se sont «tenus cois», mais d’exclusion effective de la part d’un associé qui affirme que la société avait pris fin et qu’il avait l’exclusivité des droits en vertu des permis. En ce qui a trait aux permis et à leur effet il a dans une certaine mesure l’appui des fonctionnaires fédéraux et provinciaux qui les ont délivrés. Toutefois, la situation juridique est claire. Quelle qu’ait pu être l’effet des permis, Storm les détenait à l’avantage de tous les associés (y compris lui-même) d’une société qui continuait d’exister. Rien de ce qu’ont dit ou fait les associés exclus n’aurait pu l’amener à croire qu’ils acquiesçaient à ses recherches indépendantes ou qu’ils renonçaient à leurs droits. A mon avis, la Chambre d’appel a fait erreur en fondant son arrêt sur Cowell v. Watts[7] et Clegg v. Edmondson[8]. Ces affaires-là et plusieurs autres causes semblables où les parties s’étaient tenues coites ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce.
L’avocat de l’appelant demande que soit rendue l’ordonnance suivante:
1. Que les Cours d’instance inférieure ont fait erreur en concluant que les appelants sont coupables de «laches».
2. Que la Chambre d’appel a fait erreur en décidant que, ayant conclu qu’il y avait eu «laches» de la part des appelants, le savant juge de première instance ne pouvait plus faire ce qu’il considérait comme étant juste pour les parties entre elles.
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Il est manifeste que l’avocat cherche à faire rétablir le jugement de première instance, et c’est ce qu’il a déclaré. J’ai dit aussi dans les présents motifs que, à mon avis, la conclusion que les appelants sont coupables de «laches» est erronée. L’action avait en substance pour objet une reddition de compte entre associés. Le savant juge de première instance a partagé le produit de la découverte de façon juste et équitable, selon lui, pour les deux parties entre elles.
Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le partage fait par le savant juge de première instance: 15 pour cent à Storm et 25 pour cent aux appelants. Je suis aussi d’avis de rétablir son ordonnance quant aux dépens. Les appelants ont droit à leurs dépens, y compris les frais de la requête en annulation, tant en cette Cour qu’en Chambre d’appel.
Appel accueilli et jugement de première instance rétabli, avec dépens.
Procureur des demandeurs, appelants: Donald A. Kerr, Halifax.
Procureur du défendeur, intimé: John H. Dickey, Halifax.
[1] (1969), 7 D.L.R. (3d) 418.
[2] (1874), L.R. 5 P.C. 221, à la p. 239.
[3] (1878), 3 App. Cas. 1218.
[4] (1908), 40 R.C.S. 339, à la p. 346.
[5] [1931] R.C.S. 235.
[6] [1968] R.C.S. 300.
[7] (1850), 2 H. & Tw. 224.
[8] (1857), 8 De G.M. & G. 787.