Cour suprême du Canada
Schwartz c. Schwartz, [1972] R.C.S. 150
Date: 1971-06-28
Jack Schwartz (Plaignant) Appelant;
et
Morris Schwartz et Abraham Schwartz, Exécuteurs testamentaires de Harry Schwartz (Défendeurs) Intimés.
1971: les 6, 7 et 10 mai; 1971: le 28 juin.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Morand. Appel rejeté.
D.K. Laidlaw, c.r., et A.J. Lenczner, pour l’appelant.
W.B. Williston, c.r., et T.E. Brooks, pour les intimés.
L.W. Perry, c.r., pour le tuteur public.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Les parties aux présentes procédures sont trois frères, fils du testateur Harry Schwartz. Le litige porte sur la validité du testament que ce dernier a fait le 1er mai 1964 et qui s’écarte de façon très importante de quatre testaments antérieurs, d’après lesquels le reste de la succession devait être partagé également entre les cinq enfants du testateur, les trois fils et deux filles. Le dernier testament, qui fait l’objet du présent litige, laissait $1 à l’appelant Jack Schwartz et partageait le reste de la succession également entre les quatre autres enfants. Le juge de première instance et la majorité de la Cour d’appel ont confirmé la validité du testament.
Le nouveau testament a été rédigé à la suite d’une querelle acharnée entre les trois frères au sujet du contrôle et de la gestion d’une compagnie familiale, appelée «Motor Accessory and Supply Company, Limited», dont le testateur et son frère Abraham étaient les fondateurs. D’abord une société, l’entreprise a été constituée en compagnie en 1929. Trois cents actions ordinaires ont été émises. Le testateur, Harry Schwartz, était président de la compagnie et a reçu 120 actions, soit 40 pour cent; son fils aîné, Morris, en a reçu 60, soit 20 pour cent, et son frère Abraham Schwartz en a reçu 120, soit 40 pour cent. A ce moment-là, le testateur et son fils aîné, Morris, avaient le contrôle de la compagnie.
En 1952, le frère du testateur, Abraham, est décédé; dans son testament, il partageait ses actions entre les membres de sa famille. Le 23 décembre 1963, le fils d’Abraham, Murray Schwartz, a acquis toutes les actions de ce côté de la famille, et possédait ainsi la tranche de 40 pour cent des actions émises que détenait auparavant son père.
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De 1935 à 1957, le testateur a transféré à ses fils les autres actions qui lui restaient, de sorte qu’à la fin de 1963, les actions étaient ainsi réparties:
Actions
Pourcentage
Morris Schwartz..............................................
75
25%
Jack Schwartz.................................................
60
20%
Abraham Schwartz.........................................
45
15%
TOTAL......................................................
180
60%
Murray Schwartz..............................................
120
40%
En d’autres termes, le pourcentage de la participation des fondateurs de la compagnie demeurait inchangé, les trois fils de Harry Schwartz détenant 60 pour cent, et Murray, fils du fondateur Abraham, 40 pour cent.
En 1963, la discorde a éclaté entre ces actionnaires. Les problèmes étaient sérieux et portaient sur la gestion de la compagnie. Ils sont exposés au long dans les jugements de première instance et de la Cour d’appel et il n’est pas nécessaire de les reprendre ici. Les actionnaires ont fini par se diviser en deux camps: Jack et son cousin Murray ont fait cause commune, ce qui leur donnait 180 actions, les deux autres frères, Morris et Abraham, n’ayant que 120 actions. Finalement, en février 1964, ces deux derniers ont quitté la compagnie.
Le testateur était au courant de cette dissension et la déplorait. En transférant ses actions à ses fils, il espérait que ceux-ci travailleraient de concert et conserveraient le contrôle, avec 60 pour cent des actions, de son côté de la famille. De toute évidence, il blâmait son fils Jack d’avoir rompu le contrôle de sa famille sur l’entreprise. A l’automne 1963, il a tenté d’amener une réconciliation. Jack et Morris ne se parlaient plus à cette époque-là. A un moment donné, il a exigé que Jack lui remette les 60 actions qu’il lui avait données au cours des années. Jack a refusé et vers le mois d’avril 1964, le testateur a décidé de faire un autre testament.
Le 13 avril 1964, les actionnaires ont conclu une convention que l’on a appelée «convention d’achat-vente» à laquelle étaient parties Jack et son cousin Murray, d’une part, et Morris et Abraham d’autre part. Selon la convention, Morris et Abraham devaient fixer un prix pour leurs actions. Jack et son cousin Murray devaient alors
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avoir la faculté soit de vendre leurs propres actions au prix fixé, soit d’acheter les autres à ce prix. Le 6 mai, Jack et Murray ont exercé leur option et acheté au prix stipulé. Cette convention était en vigueur mais non complètement exécutée à la date où a été préparé le testament. Rien n’indique qu’on ait fait connaître au testateur l’existence de cette convention mais il est amplement établi que ce dernier était parfaitement au courant de la querelle et avait pris position très fermement.
Entre le 22 décembre 1955 et le 27 octobre 1961, le testateur a fait quatre testaments. Chacun d’eux renfermait une clause de legs à titre universel rédigée dans les mêmes termes:
[TRADUCTION] Je partage tout le reste de ma succession entre Morris Schwartz, Jack Schwartz, Gertrude Donenfield, Tillie Schacter et Abraham Schwartz en parts égales.
Ce sont là ses cinq enfants.
Le dernier testament, daté du 1er mai 1964, objet du présent litige, laisse à Jack Schwartz la somme de $1; il laisse à chaque petit-enfant $5,000, sauf aux deux enfants de Jack Schwartz, qui reçoivent $1 chacun. Le reste de la succession est partagé également entre quatre enfants, Morris Schwartz, Abraham Schwartz, Gertrude Donenfield et Tillie Schacter.
En avril 1964, ayant décidé de modifier son testament, le testateur a parlé à son avocat, Samuel D. Borins, qui avait préparé les quatre testaments antérieurs, et lui a dit qu’il voulait modifier son testament et ne rien laisser à Jack. M. Borins était ami personnel de certains membres de la famille, les ayant déjà représentés en qualité d’avocat et ayant à l’occasion représenté la compagnie familiale. Il était bien au courant des frictions et dissensions dans la famille. Il n’a pas voulu se charger de ce que le testateur lui demandait et lui a proposé de retenir un autre avocat, sans nommer qui que ce soit. Le nouvel avocat était M.M.S. Lewis, que le testateur connaissait depuis quelques années. Le testateur lui a demandé de venir le voir personnellement. M. Lewis a obtenu une copie du dernier testament de M. Borins, puis s’est rendu chez le testateur pour recevoir
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ses instructions. Voici son témoignage sur les raisons que lui a données le testateur pour modifier son testament:
[TRADUCTION] Q. Très bien, vous avez parlé de choses générales durant environ quinze minutes, avez-vous dit, je crois; ensuite, avez-vous parlé du testament?
R. Oh, oui.
Q. Très bien, que vous a-t-il dit?
R. Il m’a dit qu’il voulait modifier son testament, et il m’a dit qu’il voulait révoquer le legs en faveur de son fils Jack.
Q. Maintenant…
R. A ce moment-là, nous avions… lorqu’il a dit cela, j’ai rétorqué: «C’est là une affaire très grave, pourquoi faites-vous cela?» «Bien,» a-t-il dit, «vous connaissez le problème» a-t-il dit, «je ne veux vraiment rien lui laisser, je ne veux plus avoir affaire à lui.» Je lui ai encore fait remarquer la gravité d’une pareille décision; il m’a dit qu’il avait travaillé plusieurs années avec son frère pour établir cette entreprise et qu’ils avaient toujours veillé à conserver une participation de soixante pour cent dans l’entreprise pour que lui‑même et ses enfants puissent continuer à être en mesure de la vendre. Ce ne sont pas ses propres termes, je les résume. Il en voulait beaucoup à Jack de se servir de ses actions pour voter en faveur de l’autre camp, de façon qu’Abe et Murray… Abe et Moe soient en minorité, et d’avoir créé cette difficulté. Je lui ai dit: «Vous savez, bien des choses arrivent en affaires et il ne faut pas que cela dégénère en querelle de famille; les choses s’arrangeront d’une façon ou d’une autre»; c’est ainsi que je parlerais de façon générale à une personne de ma connaissance. Mais non, ce n’est pas ce qu’il voulait, il voulait que l’entreprise soit à ses enfants et à leurs enfants; il ressentait une très grande amertume à ce sujet parce que, a‑t-il dit, il avait consacré sa vie à cette entreprise. C’est de cette façon qu’il m’a parlé.
M. Lewis a pris note des instructions du testateur et les a énoncées dans les termes suivants dans une note adressée à l’un des associés:
[TRADUCTION] Note à M. Marrus:
Veuillez rédiger un projet de testament pour Harry Schwartz, qui devra signer de la main droite au moyen d’une croix.
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Les exécuteurs testamentaires seront Morris Schwartz et Abraham Schwartz.
Laissez $5,000.00 à chaque petit-enfant vivant au moment de son décès, somme qui doit leur être versée lorsque chacun aura 21 ans.
Supprimez le legs en faveur de Fannie Schwartz et de Leah Grossfield.
Laissez les autres legs tels qu’ils se trouvent dans le testament ci-joint et partagez le reste de la succession entre Morris Schwartz, Abraham Schartz, Tillie Schacter et Gertrude Donenfield. Gertrude Donenfield habite à Los Angeles, Calif. Tillie et Gertrude sont ses filles.
M.S.L.
Je remarque que d’après les instructions, telles que M. Lewis les a transcrites, il doit être légué $5,000 à chaque petit-enfant. Le testament, tel qu’il a été signé, exclut les enfants de Jack Schwartz de ce legs, sauf que chacun d’eux reçoit la somme de $1. Le testateur a insisté pour que cette modification soit apportée lors de la lecture du testament et en présence des témoins. Il n’y a aucun doute qu’elle a été apportée par le testateur lui-même.
Au procès, on a présenté une preuve extrêmement détaillée sur l’état physique et mental du testateur depuis 1961 jusqu’à son décès, le 2 janvier 1966, sur son mode de vie au cours de cette période, sur la dissension familiale, sur les instructions relatives au testateur et sa signature. Le juge de première instance et la majorité de la Cour d’appel ont conclu, après avoir passé en revue toute cette preuve, que le testateur avait la capacité requise de tester et ont rejeté l’allégation de suggestion. On a de nouveau passé minutieusement en revue cette preuve devant cette Cour et je ne me propose pas de reprendre cet examen. Je suis convaincu que le juge de première instance et la majorité de la Cour d’appel ont raison.
La principale prétention formulée en cette Cour est malgré la conclusion que le testateur avait la capacité requise de tester et qu’il n’y avait eu aucune suggestion, en l’espèce, certaines circonstances suspectes pourraient amener à penser que le testateur ne connaissait peut‑être pas le contenu du testament et ne l’avait peut-être pas approuvé. A mon avis, il est impossible de tirer pareille déduction du dossier qui est à notre dis-
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position. Je dis tout de suite que je ne tiens pas pour suspect le fait que le testateur a changé d’avocat. M. Borins a déclaré très clairement que son refus d’agir dans cette affaire était dû à ses relations avec la famille et n’avait rien à voir avec la capacité mentale du testateur.
M. Lewis, auquel s’est adressé par la suite le testateur, représentait les fils Morris et Abraham dans leur querelle avec Jack au sujet de la compagnie. Eu égard à toute cette preuve, il est raisonnable de présumer que le testateur connaissait sa situation. Rien dans la préparation et la signature de ce testament ne permet de présumer que les relations de M. Lewis avec les deux fils ont influé de quelque façon sur le devoir de celui-ci envers le testateur. Il connaissait la situation familiale. Il a appris du testateur, s’il ne les connaissait pas encore, les raisons de la modification du testament. Étant donné la querelle familiale et la position qu’avait prise le testateur dès le début il ne s’agit pas d’un testament fait par caprice, par un coup de tête.
Lorsque M. Lewis est revenu avec le projet de testament deux ou trois jours après avoir reçu les instructions, l’un des témoins était le médecin, cardiologue, qui voyait le testateur au moins une fois par semaine depuis plusieurs années. L’avocat lui avait demandé d’être présent à titre de témoin.
En 1961, le testateur a eu une attaque. Il s’est bien rétabli mais est demeuré légèrement paralysé du côté droit et de la main droite. Voilà ce qui explique la note rédigée par M. Lewis, lorsqu’il parle de la façon dont devait être signé le testament.
Le témoignage du médecin est long et détaillé. Il est bien résumé dans une lettre qu’il a écrite à M. Lewis le 11 mai 1964, dix jours après la signature du testament:
[TRADUCTION] Objet: M. Harry Schwartz
Monsieur,
A votre demande, je vous écris au sujet de la capacité mentale de votre client, M. Harry Schwartz. Je l’ai soigné ces trois dernières années. Comme vous le savez, il a subi un accident vasculare cérébral il y a environ trois ans, à la suite de quoi il s’est rétabli à presque 90%. Il est de temps en temps sujet à des accès de dépression, mais je n’ai jamais constaté d’affaiblissement de
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sa capacité mentale. Il a indubitablement conscience du temps, des lieux et des circonstances. En ce qui concerne les récents événements touchant la modification de son testament, il avait pleinement connaissance de tout ce qui s’était passé et il m’a volontairement donné tous les détails, étant parfaitement au courant de tout ce qui arrivait. Toutefois, vous connaissez mes sentiments, j’aimerais qu’une évaluation psychiatrique soit faite par une personne indépendante pour confirmer mes conclusions. Je vous le mentionne dès maintenant pour que vous preniez la chose en considération. Je vous remercie d’avance et je demeure
A votre service,
«M.M. Abbott»
M.M. Abbott, M.D., F.A.C.P.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait retenu un psychiatre et pourquoi il ne l’avait pas fait, M. Lewis a répondu:
[TRADUCTION] R. Je ne croyais pas que c’était nécessaire. J’en ai parlé avec le Dr. Abbott par la suite. En passant, j’ai été surpris de lire cette lettre, parce que j’avais parlé au Dr. Abbott auparavant; je lui avais dit que l’on ferait probablement appel à lui à un moment donné pour prouver qu’il était témoin de ce testament et, naturellement, pour témoigner sur la capacité de tester; lorsque j’ai reçu cette lettre, je l’ai appelé pour lui demander des explications.
…
R. Ayant parlé au malade à deux reprises, y compris le jour où j’ai signé le testament, et également à l’infirmière et au médecin, je ne voulais pas qu’il reçoive la visite inopinée d’un psychiatre, sans raison apparente; j’ai cru que c’était mieux ainsi.
J’ai déjà mentionné que la modification apportée au testament juste avant sa signature, qui excluait les enfants de Jack du groupe des petits-enfants avantagés, venait du testateur. Si l’avocat a bien suivi ses instructions c’est donc un point auquel a songé le testateur entre la date où il a donné les instructions et celle où le testatement a été signé. Je ne puis considérer que cette modification, si c’en est bien une, résulte d’un caprice. Il suffit de dire ici qu’il existe réellement une relation entre l’exclusion de l’un de ces enfants, qui avait été amené à s’occuper de l’entreprise par Jack, et la querelle au sujet de la compagnie.
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Pour contester le testament, on a soutenu que le testateur avait une idée tout à fait fausse de te situation familiale au moment de la rédaction du testament, y compris la convention d’achat-vente, ce qui explique ou pourrait expliquer l’exclusion de Jack et de ses enfants. A mon avis, rien dans la preuve ne fonde pareille prétention. De fait, les témoignages de l’avocat et du médecin s’y opposent carrément.
Je ne crois pas que nous ayons à nous demander si le testateur a fait un choix judicieux en donnant son appui à Morris et à Abraham dans leur querelle avec Jack et son cousin Murray, ou s’il était au courant de la convention d’achat-vente. Dans tout le dossier, nous constatons qu’il déplorait la querelle, désirait une réconciliation et voulait que la famille garde un intérêt prépondérant dans la compagnie. C’est la raison évidente pour laquelle il a modifié son testament. Les modifications sont peut-être l’œuvre d’un homme aigri, en colère et déçu, mais non celles d’un homme incapable de tester, sur qui on aurait exercé une influence indue ou qui n’aurait pas connu ni approuvé le contenu du testament.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant: McCarthy & McCarthy, Toronto.
Procureurs des intimés: Fasken & Calvin, Toronto.
Tuteur public adjoint: L.W. Perry, Toronto.
[1] [1970] 2 O.R. 61, 10 D.L.R. (3d) 15.