Cour Suprême du Canada
Phillips et al. c. Samilo et al., [1972] R.C.S. 201
Date: 1971-06-28
Victoria Phillips et Kenneth Meredith, Exécuteurs testamentaires de Victor Alexander Phillips (Défendeurs) Appelants;
et
B.B. Enterprises Ltd. (Défenderesse) Appelante;
et
Sonia Samilo et Sophia Ewachniuk, Exécutrices testamentaires de Alexander Joseph Pylypchuk (Demanderesses) Intimées.
1971: les 11 et 12 mars; 1971: le 28 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], portant uniquement sur la demande reconventionnelle des appelants que la Cour d’appel, infirmant la décision du Juge Seaton à cet égard, a rejetée. Appel accueilli.
B.J. McConnell, pour les défendeurs, appelants.
R.P. Anderson, c.r., pour les demanderesses, intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE HALL — Le présent appel est formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et porte uniquement sur la demande reconventionnelle des appelants que la Cour d’appel, infirmant la décision du Juge Seaton à cet égard, a rejetée.
Le litige découle des affaires d’un groupe familial étroit qui, par une entente systématique et soutenue, entreprit de frauder le ministère du Revenu national et l’a effectivement fraudé durant plusieurs années.
Le groupe familial comprenait A.J. Pylypchuk (ci-après appelé «A.J.»), chef de la famille venu de l’Alberta pour s’établir à Vancouver en 1943. Il est décédé le 25 décembre 1964. Sa veuve, Mary Pylypchuk, vit encore et elle a témoigné au procès. A.J. et Mary avaient un fils, Victor, une fille, Sophia, et une fille adoptive, Sonia. Les filles, demanderesses en première instance et intimées en appel, sont exécutrices testamentaires de A.J. Victor a remplacé son nom de famille par celui de Phillips et a épousé Victoria Ewachniuk. Victor s’est suicidé le 9 juin 1963. Il est ci-après appelé «Victor». La fille de A.J., Sophia, ci-après appelée «Sophia», a épousé Roman Ewachniuk, frère de l’épouse de Victor, Victoria. Ils ont trois enfants. Roman Ewachniuk utilisait parfois le nom de Roman Evans; il est ci-après ap-
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pelé «Roman». Après l’arrivée à Vancouver, plusieurs entreprises commerciales ont été exploitées et A.J., Victor et Roman y avaient des intérêts.
L’entreprise à l’égard de laquelle il y a eu dissimulation de matière imposable, durant la période qui s’est écoulée de 1943 à 1959, est celle de Regent Hotel Ltd. L’historique des diverses opérations relatives à Regent Hotel Ltd. peut se résumer ainsi:
(a) L’hôtel est acheté en 1943. Le prix d’achat est de $75,000 pour la propriété et de $65,000 pour les actions.
(b) En 1943, les actions de Regent Hotel Ltd. (120) sont achetées par A.J., Victor et Roman (40 actions chacun). Chacun achète également un tiers des droits dans l’immeuble. Tous les trois deviennent administrateurs et prennent part à l’exploitation de l’hôtel avec leurs épouses. D’après le témoignage de Sophia, A.J. s’y est rendu chaque jour pour plusieurs heures mais n’a pas été employé à plein temps pour un nombre d’heures déterminé. Sophia s’est occupée de la comptabilité de l’hôtel durant une courte période de temps.
(c) En 1951, A.J. vend ses 40 actions à un dénommé Chmilar, mais il est demeuré pour un tiers propriétaire de l’immeuble.
(d) En 1954, constitution en corporation de Regent Holdings Ltd. Des actions sont émises en nombre égal en faveur de A.J., de Victor et de Roman. L’hôtel Regent est vendu à Regent Holdings Ltd. pour $75,000 et des obligations sont émises pour autant à A.J., Victor et Roman, en nombre égal.
(e) En 1956, Victor vend ses actions de Regent Hotel Ltd., 20 à un dénommé Bodner et 20 à Roman. Toujours en 1956, Roman acquiert de Chmilar 20 autres actions.
(f) En octobre 1959, les 20 actions de Bodner et les 20 actions de Chmilar sont acquises par Victor. Victor et Roman vendent et transportent ensuite leurs actions, au nombre de 40 et 80 respectivement, à Regent Holdings Ltd. Regent Holdings Ltd. vend alors l’actif de l’hôtel et les actions de Regent Hotel Ltd. à un Dr Moscovich. Le prix s’élève à $527,500, payable en partie comptant et en partie par versements. D’après le marché conclu avec le Dr Moscovich, tout l’impôt sur le revenu ayant trait à Regent Hotel Ltd. serait payé par les vendeurs; le Dr Moscovich s’est abstenu de payer une bonne partie du prix en attendant que la question de l’impôt sur le revenu soit réglée.
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(g) En 1954, A.J. fait don de ses actions et obligations de Regent Holdings Ltd. à ses trois petits-enfants, soit les trois enfants de Roman et de Sophia Ewachniuk. Les droits sont transmis à Sophia qui les détient en fiducie pour les enfants.
En première instance, il a beaucoup été question de plusieurs entreprises et en particulier de Regent Hotel Ltd., de B.B. Enterprises Ltd. et de B.B. Auto Finance, mais dans le présent appel il est uniquement question de l’impôt sur le revenu afférent à Regent Hotel Ltd.
Regent Holdings Ltd. ayant vendu à Moscovich, en 1959, les actions de Regent Hotel Ltd. et les terrains de l’hôtel Regent, le ministère du Revenu national entreprit une enquête sur les affaires de Regent Hotel Ltd. pour les années 1943 à 1959. Les fonctionnaires du ministère procédèrent à des perquisitions simultanées dans les locaux de l’hôtel, chez Victoria et chez Roman et Sophia et ont saisi des documents et des registres relatifs à l’exploitation de l’hôtel au cours des années en question. Après que les fonctionnaires du ministère du Revenu national eurent saisi ces documents, Sophia et Victor firent l’examen des papiers et registres qui se trouvaient chez A.J.; ils en brûlèrent beaucoup qui, s’ils avaient été en la possession du ministère du Revenu national, auraient pu être compromettants.
A.J. a eu une attaque en 1955. Le 15 décembre 1955, il a signé une procuration en faveur de Sophia et par la suite celle-ci a agi en son nom. Cette procuration n’a jamais été révoquée. A cause de sa maladie, on lui a caché les investigations de fraude fiscale, les procédures ultérieures et le fait qu’il était lui-même accusé. Il avait fait un testament en 1957. Le 18 juin 1963, après le décès de Victor, il fait un nouveau testament. Ce dernier a été homologué, et les intimées sont devenues exécutrices. L’état de A.J. s’est aggravé et en août 1963, il a été hospitalisé. Il est devenu mentalement incapable et le 10 août 1964, Sophia a été nommée curatrice aux biens de celui-ci par une ordonnance du Juge Wootton.
Cette affaire d’impôt a, dans la famille, causé beaucoup de soucis et a fait l’objet de nombreuses discussions dont était exclu A.J. Les autres, y compris Sophia en qualité de fondé de pouvoir de A.J., ont convenu que Victor serait le porte-
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parole de la famille et tenterait de faire un règlement avec le ministère du Revenu national, qui réclamait un montant de plus de $300,000 à titre d’impôts illégalement retenus. A.J. et Roman n’avaient pas à leur disposition la somme nécessaire pour régler la réclamation relative aux impôts; il a été convenu que Victor, qui était dans la situation la plus favorable, verrait à obtenir là où c’était possible, y compris chez B.B. Enterprises Ltd., les fonds requis pour payer les impôts du groupe, A.J. compris, et à emprunter ces fonds si nécessaire, et que A.J. et Roman rembourseraient leur part en temps et lieu.
Victor, Sophia et les autres membres de la famille ont décidé de ne pas contester le fait qu’ils s’étaient illégalement abstenus de payer les impôts qu’ils devaient, et de ne pas contester les cotisations en voie d’être faites ni leurs obligations en vertu de ces dernières. Ils ont accepté d’être tenus au paiement du montant le moins élevé qui pourrait être convenu avec le ministère à la suite des négociations que Victor devait entreprendre.
Le fait que A.J. est impliqué dans le plan de fraude fiscale est établi sans conteste. Dans son sous-sol, il avait installé un coffre-fort secret où, selon le témoignage de Sophia et de Mary Pylypchuk, des obligations, de l’argent et des valeurs mobilières étaient gardés. Le coffre-fort renfermait des obligations d’une valeur de $75,000, appartenant à A.J., et d’autres d’une valeur de $10,000, appartenant à Victor.
Des accusations ont été portées au criminel contre Regent Hotel Ltd., A.J., Victor, Roman et Chmilar en février 1963. On a tenté de faire abandonner les accusations, mais le ministère du Revenu national a tenu à ce que les poursuites soient continuées. Le 9 juin 1963, Victor s’est suicidé. Les appelants, Victoria Phillips et Kenneth Meredith, ont été nommés exécuteurs testamentaires de ce dernier.
Au décès de Victor, l’appelant Kenneth Meredith, avocat et l’un des exécuteurs testamentaires de Victor, ainsi que M.J.G. Gould (maintenant Juge) ont été retenus comme avocats aux fins de continuer les négociations avec le ministère du Revenu national et d’en arriver à un règlement. Les démarches relatives à ces négociations entre
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l’appelant, M. Meredith, et le ministère du Revenu national, furent longues, M. Meredith ayant dû se rendre au moins deux fois à Ottawa et ayant eu de nombreuses rencontres et discussions avec les fonctionnaires du ministère.
Par suite des négociations entre M. Meredith et le ministère du Revenu national, qui ont duré plusieurs mois, un règlement est finalement intervenu en vertu duquel la somme de $298,073.71 devrait être payée à la date du 31 janvier 1964. A ce moment-là, l’étude de MM. Russell et DuMoulin, avocats, de Vancouver, avait été retenue par Roman (Ewachniuk) aux fins de le représenter indépendamment de M. Meredith. Les détails du règlement auquel en était arrivé M. Meredith avec le ministère du Revenu national sont énoncés dans une lettre du 17 mars 1964 de Meredith à Russell et DuMoulin. Cette lettre se lit partiellement ainsi:
[TRADUCTION] Nous estimons qu’au 31 janvier 1964, le montant global auquel se chiffrait la dette en vertu de l’entente conclue avec le ministère, se décomposait ainsi:
Regent Hotel Ltd.............................................................................................
$245,198.75
Succession Phillips.........................................................................................
31,684.71
Pylypchuk.........................................................................................................
7,181.85
Ewachniuk........................................................................................................
14,008.50
$298,073.71
La dette de Regent Hotel Ltd. doit être payée par les particuliers en cause.
Jusqu’à ce jour, les montants suivants ont été payés:
Par la succession Phillips ou en son nom..........................................................
$184,300.00
Par Pylypchuk (montant approximatif)................................................................
10,000.00
Par Ewachniuk.......................................................................................................
10,000.00
$204,300.00
En outre, les montants suivants sont disponibles pour versement au ministère:
Montant en caisse, Meredith & Co. Au crédit de Regent Holdings Ltd. ...
$ 21,000.00
Emprunt à la Banque Toronto-Dominion par B.B. Enterprises Ltd. ..........
70,000.00
Montant en caisse, succession Phillips........................................................
5,000.00
$ 96,000.00
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Le total des montants déjà payés et des sommes disponibles pour versement s’élève à $300,300.00.
La différence entre la somme de $298,073.71 et celle de $300,300.00 peut être considérée comme se rapportant aux intérêts qui auront couru depuis le 31 janvier 1964.
Ayant exposé dans sa lettre les conditions du règlement et le montant qu’il restait à payer, M. Meredith a traité de questions qui, d’après Roman, opposaient ce dernier à la succession de Victor et à celle de A.J. D’après la lettre, Roman devait instituer une action dans les 60 jours pour opposer ses prétentions et son droit d’agir en conséquence était préservé. Cette action, il l’a instituée; elle fut entendue par le Juge Monroe, qui l’a rejetée le 9 juin 1967. Par la suite, il a institué une autre action comportant essentiellement les mêmes prétentions; elle fut entendue par le Juge Rae et ce dernier l’a rejetée le 25 juin 1969.
A la lettre du 17 mars 1964 était jointe une copie qu’on demandait à Roman et à Regent Holdings Ltd. de signer, pour y exprimer leur consentement, et de retourner à Meredith, ce qu’ils ont fait. La copie de la lettre a été renvoyée à Meredith avec la note suivante:
[TRADUCTION] EN CONTREPARTIE du paiement au ministère de la somme de $70,000 par B.B. Enterprises Ltd. et par la succession Phillips, nous donnons notre accord aux dispositions et conditions énoncées dans la lettre ci-incluse.
«Roman Ewachniuk»
Roman Ewachniuk
REGENT HOLDINGS LTD.
Par: «Roman Ewachniuk»
Par: «Sophia R. Ewachniuk»
La principale question en litige dans le présent appel porte sur la prétention de Sophia soit que A.J., de son vivant et, après son décès, sa succession, ne pouvait être tenue d’acquitter une partie du montant de $300,300 payé au ministère du Revenu national puisque la procuration de Sophia s’était éteinte après que A.J. eut été hospitalisé en août 1963 et tenu pour mentalement in-
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capable. Le savant juge de première instance, le juge Seaton, a formulé sur ce point la conclusion suivante, à l’encontre des intimées:
[TRADUCTION] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, si peu satisfaisante qu’elle soit pour bonne part, je conclus que l’état mental de M. Pylypchuk a été bien affecté par son attaque en 1955, mais qu’il est resté capable d’étudier ces questions l’intéressant qui n’étaient pas trop complexes. A cette époque, il était sujet à des variations émotionnelles et, certains jours, il était trop déprimé pour étudier des questions d’affaires. La plupart du temps il ne s’y intéressait pas et la famille le protégeait des problèmes d’affaires.
La preuve tend à indiquer qu’après son hospitalisation en août 1963, M. Pylypchuk a rarement pu traiter de questions d’affaires. Cela n’a pas trop modifié l’attitude de la famille à son égard, car elle l’avait continuellement tenu à l’abri de ces problèmes.
Je conclus qu’après son hospitalisation, en 1963, M. Pylypchuk était devenu incapable mais qu’auparavant, sauf dans ses moments de dépression, il avait été en possession suffisante de ses facultés relativement aux fins qui nous intéressent ici. Les paiements au ministère du Revenu national ont été effectués après l’hospitalisation de M. Pylypchuk en 1963, à un moment où celui-ci doit être tenu pour avoir été incapable.
L’autre difficulté est de déterminer l’époque qu’on doit présumer comme étant celle où M. Meredith a été au courant de l’incapacité de M. Pylypchuk. Il avait été mis sur ses gardes par les pièces qui lui avaient été initialement soumises par M. Phillips et le médecin, mais il n’était pas déraisonnable de sa part de voir dans le temps (sic) une exagération. Ces pièces avaient été rassemblées en vue de persuader la Couronne de ne pas procéder, et elles présentaient les circonstances sous le plus mauvais jour possible. Il avait des raisons suffisantes d’être sur ses gardes à compter de 1960 mais il n’y avait rien pour l’alarmer davantage. Mme Pylypchuk lui a dit, lorsqu’elle l’a appelé, après le décès de M. Phillips, que M. Pylypchuk se portait assez bien. Mme Ewachniuk, elle, a continué à signer des documents en conformité de sa procuration. Il est évident que j’accepte le témoignage de M. Meredith lorsqu’il ne concorde pas avec celui d’un membre de la famille.
Il semble que M. Meredith ait été maintenu dans un sentiment de sécurité du fait que toute la famille était impliquée dans cette affaire extrêmement urgente. Il était également convaincu que ce qu’il faisait
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était au mieux des intérêts de M. Pylypchuk et que la famille était résolue à protéger le père. Toute la famille a pris part à ce qui a été fait et y a donné son approbation; personne ne s’est opposé à la façon dont M. Meredith a mené l’affaire au nom de M. Pylypchuk. Dans ces circonstances, il est impossible d’établir que M. Meredith était au courant de l’incapacité de M. Pylypchuk.
On a exprimé l’avis que la procuration de Mme Ewachniuk se serait éteinte au moment où M. Pylypchuk est devenu incapable. M. Meredith avait reçu ses instructions par l’entremise de Mme Ewachniuk et de M. Phillips; les demanderesses soutiennent que son mandat s’est éteint lors du décès de M. Phillips et de l’incapacité de M. Pylypchuk. Ma conclusion serait que M. Meredith a été retenu par la personne autorisée, M. Phillips, que Mme Ewachniuk a souscrit à cet arrangement et l’a approuvé et que M. Meredith n’a rien appris qui eût pu indiquer que l’état de M. Pylypchuk s’était aggravé.
Une situation quelque peu semblable se présentait dans l’affaire Kerr v. Town of Petrolia (1922) 64 D.L.R. 689, pp. 694-5:
[TRADUCTION] «La corporation défenderesse a également soutenu qu’au moment de la signature du bail, John Kerr n’était pas sain d’esprit et était incapable d’administrer ses affaires et que en conséquence ou la procuration était révoquée ou le droit d’agir en vertu de celle-ci était suspendu, et que dans un cas comme dans l’autre Kenneth Campbell Kerr n’était pas habilité à signer le bail et le bail lui-même était nul.
Comme nous l’avons dit, John Kerr était sain d’esprit lorsqu’il a signé la procuration. Si par la suite, avant la signature du bail, il est devenu aliéné mental, les questions à résoudre sont les suivantes: quel effet, s’il en est, cette aliénation subséquente a-t-elle eu sur le pouvoir qu’avait Kenneth Campbell Kerr de signer le bail, et sur le bail lui-même?
Certains auteurs affirment que l’aliénation mentale du mandant entraîne ipso facto la révocation du mandat, mais les arrêts ne sanctionnent pas cette proposition dans ce qu’elle a d’absolu: par exemple, dans l’arrêt Drew v. Nunn (1879), 4 Q.B.D. 661, qui a fait autorité, il a été jugé qu’un aliéné était lié par les contrats passés entre son mandataire et des tiers qui ignoraient la démence du mandant mais à qui l’aliéné, lorsqu’il était sain d’esprit, avait dit que le mandataire était autorisé à contracter en son nom; ainsi, en pareil cas, l’aliénation du mandant n’entraîne pas la révocation du mandat.»
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Les défendeurs ont voulu faire supporter à A.J. Pylypchuk une partie de l’amende payée par M. Ewachniuk, ce qui ne peut se justifier. Ils ont également demandé exactement un tiers des frais légaux, ce qui n’est pas approprié. La défense de M. Pylypchuk à l’égard des accusations portées au criminel ne se compare pas à celle des deux autres particuliers ou à celle de la compagnie.
Les défendeurs ont démontré que des dépenses avaient été faites au nom de M. Pylypchuk à l’égard des accusations portées au criminel, mais celles-ci ne peuvent comprendre que 10 p. 100 du montant global. Il y a également lieu de mettre à la charge de M. Pylypchuk sa part des frais subis pour assurer la défense de la compagnie et j’impute 30 p. 100 de tous les frais de défense à la compagnie.
Sous réserve de cette restriction, je conclus que M. Meredith était autorisé à régler l’affaire comme il l’a fait. Vu que la question de l’aliénation mentale est difficile à résoudre, la conclusion quant à la compensation relative à l’impôt sur le revenu devrait être examinée à la lumière de certains autres arguments invoqués.
Si les défendeurs avaient allégué l’existence d’une relation fiduciaire, j’aurais été d’avis qu’ils avaient à juste titre acquitté la dette de M. Pylypchuk envers le ministère du Revenu national avec des fonds détenus en son nom.
La question de l’impôt sur le revenu doit également être résolue en faveur des défendeurs si on se base sur la notion de restitution, plus généralement appelée «enrichissement sans cause» et «quasi-contrat». L’expression «enrichissement injustifiable» est probablement celle qui convient le mieux dans le cas qui nous occupe.
En Cour d’appel, le Juge McFarlane, avec qui le Juge Robertson était d’accord (le Juge en chef Davey était dissident), a décidé ce qui suit:
[TRADUCTION] Nul n’a exprimé l’avis que Sophia ou quelque autre personne aurait, après le 14 mai 1964, consenti au nom de A.J. à ce que celui-ci accepte l’allocation proposée. Par conséquent, je dois conclure, acceptant les conclusions du savant juge quant à la situation véritable qui existait en mars 1964, que l’autorisation ou le consentement allégué n’a jamais été donné.
On a avancé l’opinion, lors des plaidoiries, qu’en acceptant un remboursement du ministère du Revenu national, Sophia avait sciemment bénéficié du règlement et qu’elle avait par conséquent ratifié, au nom de A.J. ou de sa succession, l’arrangement conclu par M. Meredith. Je ne puis accepter cette préten-
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tion puisque les fonds ont été saisis directement dans le compte de banque de A.J. en vertu d’un bref d’exécution de la Couronne. De plus, il n’est pas prouvé que Sophia avait pleinement connaissance des faits et comprenait parfaitement les droits en cause, ce qui était nécessaire pour fonder une conclusion que l’arrangement avait été ratifié.
Il n’est que juste de dire que je souscris à l’avis du savant juge de première instance que M. Meredith s’est occupé des problèmes d’impôt sur le revenu au mieux des intérêts de tous, avec compétence et de bonne foi.
A mon avis toutefois, l’appel incident doit être accueilli et la demande reconventionnelle rejetée.
Dans ses motifs, le Juge en chef Davey a décidé ce qui suit:
[TRADUCTION] Comme je l’ai dit, le savant juge de première instance a conclu que l’arrangement était que les diverses sommes portées au crédit et au débit seraient ventilées plus tard, une fois payée la somme due à la Couronne. Cette conclusion est étayée par la preuve, mais il semble qu’une bonne partie de cette ventilation ait été effectuée entre la note du 11 octobre 1963 produite comme pièce 22 et la lettre du 17 mars 1964 produite comme pièce 26, et qu’à cette date Ewachniuk et Sophia avaient déjà admis, avec certaines réserves qui ne sont plus pertinentes, que les montants mentionnés à la pièce 26 représentaient prima facie la part d’Ewachniuk et de A.J. Mais réflexion faite, je crois que l’expression «obligation prima facie» employée dans la pièce 26 est de portée assez étendue pour permettre au savant juge de première instance de faire les ajustements nécessaires en ce qui concerne les parts des divers contribuables, afin de donner effet de façon juste et équitable à l’esprit de l’arrangement intervenu. Je ne modifierai pas ces ajustements.
Jusqu’ici j’ai abordé la question en appel comme si Sophia était pleinement autorisée à faire tout ce qu’elle a fait en vertu de la procuration datée du 13 décembre 1955, reçue de A.J. Sophia et sa coexécutrice testamentaire ont soutenu que l’autorisation à elle accordée en vertu de la procuration avait été révoquée avant les dates pertinentes vu l’incapacité mentale de A.J., mais ce n’est qu’après les modifications apportées le 14 février 1968 à la déclaration, à la réponse et à la défense à la demande reconventionnelle que ce moyen a été soulevé, l’action ayant été instituée le 1er octobre 1965.
Le savant juge de première instance a analysé la preuve très attentivement et conclu que, sauf durant
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ses moments de dépression, A.J., jusqu’à son hospitalisation en août 1963, aurait été apte à s’occuper de la question de l’impôt sur le revenu si la famille, c-à-d. Sophia, avait décidé de le consulter, et que A.J. est devenu incapable peu après mais avant que les paiements ne soient effectués en son nom par les exécuteurs testamentaires de Victor. Il a également décidé que M. Meredith avait été maintenu dans un sentiment de sécurité et qu’il avait fait de son mieux pour toute la famille, que celle-ci avait participé aux démarches qu’il a faites au nom de A.J. et y avait donné son approbation, et que M. Meredith ne savait pas que l’état de A.J. s’était aggravé après le mois d’août 1963 ni que ce dernier était de ce fait devenu incapable. Que je sache, rien dans les débats ni dans la preuve n’indique que Victoria, coexécutrice testamentaire avec M. Meredith, était plus au courant que M. Meredith de l’incapacité de son beau-père.
Je ne modifierais pas ces conclusions de fait, d’ailleurs amplement appuyées par la preuve; par conséquent, la défense que A.J. n’était pas apte à conclure les arrangements et que Sophia n’avait aucun pouvoir à cet égard en vertu de sa procuration doit être rejetée en droit en ce qui concerne la succession de Victor et B.B. Enterprises Ltd.
De toute façon, je crois que le règlement intervenu avec la Couronne, l’arrangement conclu entre les contribuables particuliers, les paiements effectués par les exécuteurs testamentaires de Victor et par B.B. Enterprises Ltd. ont tous été ratifiés par Sophia en qualité de curatrice aux biens de son père. On a allégué dans les conclusions écrites qu’il y avait là fin de non-recevoir et, dans les débats, qu’il s’agissait d’une option, mais à mon avis cela constituait une ratification de ce que M. Meredith avait fait.
Il découle de ce que j’ai dit que Sophia avait pleinement connaissance de tous les faits importants, même s’il se peut qu’elle n’ait pas bien compris qu’elle n’aurait pu lier son père et la succession de celui-ci si M. Meredith ou Victoria avaient eu connaissance de l’incapacité du père. Mais dans une situation comme celle-là, une telle connaissance n’était pas requise pour qu’il y ait ratification, car les faits étaient connus.
Une fois effectué le règlement avec la Couronne et après que B.B. Enterprises Ltd. et les exécuteurs testamentaires de Victor eurent payé le montant global qui était dû, le ministre du Revenu national a délivré aux quatre contribuables des cotisations revisées qui augmentaient l’impôt de Regent Hotel
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Ltd. de $6,955.75, le portant ainsi à $245,198.75, et qui diminuaient l’impôt de A.J. de $41,079.15, le portant de $48,261.00 á $7,181.85. Le 17 septembre 1963, avant que le règlement n’ait eu lieu, le shérif, en vertu d’un bref d’exécution de la Couronne, avait saisi $11,475.53 dans deux des comptes de banque de A.J., et il avait remis cet argent à la Couronne. Le 25 août 1964, la Couronne a remis $4,664.42 à A.J., soit le solde qui restait après avoir utilisé en acquittement de la cotisation révisée l’argent prélevé par le shérif. Cet argent, Sophia l’a conservé et on peut présumer qu’elle l’a fait porter au crédit du compte de son père. Je dois dire qu’il m’a été impossible de faire concorder exactement ce montant, et ceux qui figurent aux pièces 22 et 26, avec ceux qui figurent dans d’autres relevés, mais je présume que les légères différences représentent l’intérêt qui ne cessait de courir en faveur de la Couronne.
Sophia a reçu ce remboursement en qualité de curatrice aux biens de son père; elle avait été nommée curatrice en vertu du Patients’ Estates Act, 1962 (B.C.), c. 44, par une ordonnance du 10 août 1964 qui lui conférait expressément les mêmes pouvoirs que ceux de A.J. sur les biens de celui-ci, comme le permettait la loi. Je considère qu’il est établi dans les ouvrages et arrêts que A.J. aurait pu ratifier ce que Sophia ou M. Meredith avait fait s’il avait été, au moment de la ratification, une personne capable. L’acceptation de ce remboursement constitue une ratification du règlement intervenu avec la Couronne, l’argent étant devenu payable à A.J. par suite de tel règlement. C’est là une ratification des paiements effectués par la succession de Victor et par B.B. Enterprises Ltd. parce que le règlement avec la Couronne obligeait les contribuables individuellement à payer l’impôt de l’hôtel, et seuls les paiements effectués par la succession de Victor et par B.B. Enterprises Ltd. ont permis que la Couronne n’ait pas à employer le reste de l’argent de A.J. à cette fin. Par conséquent, même si le montant remboursé provient de l’argent saisi dans les comptes de banque de A.J. ce n’est que grâce aux paiements effectués par la succession de Victor et par B.B. Enterprises Ltd. que ce remboursement a pu avoir lieu.
J’ai examiné les conditions de ratification énoncées dans les ouvrages et arrêts, lesquelles posent en l’espèce des problèmes qui ne sont pas sans subtilités. Toutefois, le temps que nous avons à notre disposition ne nous permet pas d’en discuter plus longuement; je dirai donc simplement que je suis convaincu que, d’après les faits ci‑dessus exposés, il y a eu, sur le plan juridique, ratification.
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Il a expressément approuvé les remarques du savant juge de première instance au sujet de la façon dont M. Meredith a réglé l’affaire de l’impôt:
[TRADUCTION] Je suis tout à fait convaincu que M. Meredith a mené l’affaire de l’impôt sur le revenu au mieux des intérêts de M. Pylypchuk et de sa succession. Si l’affaire était tombée entre les mains d’une personne moins compétente, il est fort possible que M. Pylypchuk ou sa succession auraient eu à payer un montant beaucoup plus élevé. Je suis également convaincu que M. Phillips a fait de son mieux lorsqu’il a agi pour le compte de son père. Ce dernier n’a subi aucun préjudice dû à quelque conflit d’intérêts qui aurait pu survenir.
J’accepte les constatations et conclusions du Juge en chef Davey. Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir le jugement du Juge Seaton pour autant qu’il se rapporte à la demande reconventionnelle des appelants visant à faire contribuer la succession de A.J. au règlement de l’impôt tel que susdit. Je suis d’avis de modifier le jugement de la Cour d’appel en conséquence. Les appelants ont droit à leurs dépens en cette Cour. Ils ont également droit aux dépens de l’appel incident en Cour d’appel. La décision du Juge Seaton quant aux dépens de première instance doit être maintenue.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants, Victoria Phillips et Kenneth Meredith: Meredith, Marshall, McConnell & Scott, Vancouver.
Procureurs de la défenderesse, appelante, B.B. Enterprises Ltd.: Farris, Farris, Vaughan, Taggart, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs des demanderesses, intimées: Boughton, Street, Collins, Anderson, Dunfee & Craig, Vancouver.
[1] (1969), 18 D.L.R. (3d) 256n.