Cour Suprême du Canada
Dugas et al. c. Chevrier, [1972] R.C.S. 285
Date: 1971-06-28
Régent Dugas et General Waste and Wares Ltd. (Défendeurs) Appelants;
et
Yolande Chevrier (Demanderesse) Intimée.
1971: les 4 et 5 février; 1971: le 28 juin.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement du Juge Legault. Appel rejeté.
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André Savoie, c.r., pour les défendeurs, appelants.
Pierre St-Pierre, pour la demanderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE ABBOTT — L’intimée a intenté une action en dommages-intérêts en vertu de l’art. 1056 du Code civil pour les dommages résultant de la mort de son époux dont la voiture a heurté l’arrière du camion de la compagnie appelante qui était conduit par son employé, Dugas, dans l’exécution de ses fonctions.
Tous les faits sont relatés dans les jugements de première instance et d’appel. En voici un bref résumé: l’accident s’est produit le 28 octobre 1964, vers 19h 30. Les deux véhicules circulaient d’est en ouest à Pointe-aux-Trembles, sur la rue Sherbrooke près de l’intersection de la 32e rue. La rue était suffisamment éclairée et la visibilité, bien qu’elle n’était pas excellente, permettait de conduire sans danger à 45 milles à l’heure d’après un des agents de police chargés de l’enquête. Dugas conduisait un camion de modèle 1956 dont l’état laissait à désirer. En particulier, il semble que la plupart des feux arrière ne fonctionnaient pas. Le camion transportait huit rouleaux de papier pesant chacun de 800 à 1,200 livres. Avant l’accident, Dugas roulait à 25 milles à l’heure environ dans la voie de gauche qui est habituellement réservée à la circulation plus rapide et il s’était arrêté au feu rouge à l’intersection de la 32e rue. Presque immédiatement après être reparti, son camion a été heurté à l’arrière par la Pontiac décapotable appartenant à feu Yvon Laurin et conduite par lui. Le choc entraîna la chute hors du camion de plusieurs rouleaux de papier qui écrasèrent la Pontiac décapotable, tuant son conducteur.
Après un examen approfondi des témoignages, le savant juge de première instance est arrivé aux conclusions suivantes quant à la responsabilité:
Ledit Yvon Laurin, avant l’accident, avait pris de la bière, peut-être pas en quantité suffisante pour être en état d’intoxication, mais suivant le témoin Pierre Gelly, fils d’un ami intime de la victime. il était «un peu chautasse et avait pris de la boisson quelque 10 à 20 minutes avant le moment de l’accident». Ce témoin, par la suite, a essayé de faire
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machine arrière et de dire qu’il n’avait décelé la présence de la boisson que par l’haleine de la victime. Ce témoin a déclaré qu’il connaissait la victime depuis son enfance et que celui-ci était un ami intime de son père. Il est difficile d’oublier sa première expression spontanée. L’alcool, même en petite quantité, souvent rend un chauffeur plus téméraire.
Le Tribunal doit venir à la conclusion que la victime, pour ne pas avoir vu le camion alors que d’autres l’ont vu, n’avait pas son véhicule sous un contrôle normal et suffisant pour parer aux dangers de circulation et ne prêtait pas attention à la route en avant de lui ou encore qu’il conduisait son véhicule à une vitesse plus grande que celle qui lui aurait permis d’arrêter dans l’étendue du feu de ses phares. L’argument de la visibilité réduite invoqué par la demande vaut également contre feu Yvon Laurin dans la conduite de son véhicule.
Une part de responsabilité dudit accident doit donc être attribuée à la victime. Une imprudence de la victime que son décès ne permet pas d’établir avec précision a certainement contribué à l’accident et il n’est que juste de lui faire supporter sa part de responsabilité.
A la lueur de tous les témoins entendus, il est difficile de partager et de fixer une proportion exacte de la responsabilité respective des parties concernées et le Tribunal ne peut croire que l’éclairage existant au lieu de l’accident, que le fait que d’autres véhicules aient dépassé ledit camion même sans lumière à l’arrière, sans accident, puissent créer une part de responsabilité plus forte chez les défendeurs que chez feu Yvon Laurin. Seule l’importance d’un feu rouge à l’arrière, le soir, permet au soussigné d’accorder une part égale de responsabilité aux défendeurs en leur qualité respective.
La faute additionnelle que l’on cherche à imputer aux défendeurs du fait que les rouleaux soient tombés sur la victime ne peut constituer un supplément de faute.
La preuve a révélé que lesdits rouleaux avaient été attachés et fixés suivant les règles ordinaires et les précautions usuelles et il serait impossible de demander à un camionneur de fixer son chargement de telle façon que celui-ci puisse résister à un choc de véhicule allant à une vitesse d’au moins 60 milles à l’heure. Le chargement, tel qu’établi par un témoin visuel et compétent, a été fait suivant les normes employées en pareil cas.
Le choc a dû être des plus violents pour faire obliquer un camion, lourdement chargé, vers la
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gauche et faire parcourir à ce camion 82 pieds alors que celui-ci roule en petite vitesse et là encore la trajectoire du camion a été interrompue brusquement par un fossé de 3 pieds qui a immobilisé les roues avant.
Pour ces diverses raisons, le Tribunal établit donc une responsabilité commune entre feu Yvon Laurin et les défendeurs en leur qualité respective.
A l’audition en cette Cour, après la plaidoirie de l’avocat des appelants, nous avons dit à l’avocat de l’intimée que nous n’avions pas besoin de l’entendre sur la question de la responsabilité.
Le juge de première instance a fixé les dommages à $66,358 et il a condamné les appelants solidairement à payer à l’intimée la somme de $33,179 avec intérêts et dépens.
Ces conclusions ont été unanimement confirmées par la Cour d’appel et il n’y a pas lieu de les modifier. Elles ont été revues à la lumière du critère approprié et les appelants n’ont pas démontré qu’il a été mal appliqué.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants: Lacoste, Savoie, Joncas & Smith, Montréal.
Procureur de la demanderesse, intimée: P. St. Pierre, Montréal.
[1] [1969] B.R. 994.