Cour Suprême du Canada
International Association of Bridge, Structural & Ornamental Ironworkers Union, Local 97, et al. c. Canadian Ironworkers Union No. 1, [1972] R.C.S. 295
Date: 1971-10-05
International Association of Bridge, Structural & Ornamental Ironworkers Union, Local 97, et al. (Défendeurs) Appelants;
et
Canadian Ironworkers Union No. 1 (Demandeur) Intimé.
1971: les 27 et 28 mai; 1971: le 5 octobre.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], accueillant un appel d’un jugement du Juge Ruttan. Appel rejeté.
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J.M. Giles et I.G. Nathanson, pour les défendeurs, appelants.
J.N. Laxton, pour le demandeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le présent pourvoi est à l’encontre d’un arrêt majoritaire de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique concluant à la responsabilité de l’appelant, «Local 97», envers l’intimé, «Union No. 1», et ordonnant un nouveau procès sur la seule question du montant des dommages. La conclusion à la responsabilité ne vise qu’un seul des divers incidents mentionnés dans l’action, soit celui qu’on a appelé l’incident «Compagnie de la Baie d’Hudson». Le juge de première instance avait rejeté l’action, sauf à l’égard de ce qu’on a appelé l’incident «Northwood» et n’avait accordé que des dommages-intérêts symboliques à «Union No. 1», qui poursuit tant pour elle-même que pour ses membres.
«Local 97» est l’un des 19 syndicats de métier qui forment le Vancouver North-Westminster and District Building Trades Council (le «Conseil»). Cet organisme a été créé en vue de négocier comme groupe avec les employeurs de l’industrie du bâtiment dans la région, la plupart de ces employeurs étant eux-mêmes groupés dans l’Amalgamated Construction Association (l’«Association»). L’un des objectifs du Conseil est d’obtenir pour les membres des syndicats affiliés, dans la mesure du possible, l’accès exclusif à tous les emplois dans l’industrie du bâtiment de la région.
Par suite d’un différend né en 1960 au sein de «Local 97», certains de ses membres ont formé en s’en détachant un syndicat rival, «Union No. 1». Celui-ci a alors obtenu un certain nombre d’accréditations et conclu des conventions collectives avec quelques employeurs, dont The Century Steel Company. Dans une lutte sans merci, «Local 97» s’est servi de tous les moyens possibles en vue d’écraser son concurrent. De son côté, «Union No. 1» a eu recours à des procédures, dont des demandes d’injonctions, relativement à plusieurs incidents.
Le 14 juillet 1966 au matin, deux agents syndicaux se sont présentés à Prince George, sur le
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chantier de construction d’un nouveau magasin de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Tous deux étaient connus comme représentants de syndicats affiliés au Conseil. Ils ont élevé des difficultés au sujet du transport de certains matériaux fait, a-t-on prétendu, par un syndicat non affilié. Ils se sont plaints, également, de la présence sur le chantier de membres de «Union No. 1» à l’emploi d’un sous-traitant, The Century Steel Company. Il y eut des menaces de grève si les membres de «Union No. 1» n’étaient pas exclus du chantier le soir même. Le lendemain matin, des membres de syndicats affiliés mettaient un piquet de grève en place, ce qui amena la fermeture du chantier.
L’avocat de l’appelant a admis en Cour d’appel que l’établissement du piquet de grève et l’arrêt de travail étaient illégaux en vertu de la législation provinciale. Le but était de forcer l’entrepreneur général à résilier le contrat du sous-traitant qui était lié par convention collective avec «Union No. 1».
R.K. Gervin, le directeur de l’Association, a convoqué une assemblée des représentants de l’Association et de ceux du Conseil pour le 20 juillet 1966. Par suite des délibérations, une seconde assemblée a eu lieu le 25 juillet 1966, au cours de laquelle on en est arrivé à une entente. Voici le procès-verbal de ces assemblées:
[TRADUCTION] Assemblée tenue à la Vancouver Construction Association, rue Oak, mercredi, le 20 juillet 1966, 14 h.
Présents:
Employeurs:
R.K. Gervin
Don Bennett
C.J. Oliver
Century Steel
Syndicats:
J.R. St. Eloi
J. Whiteford
A. Leam
A. McGee
D.C. Fraser
M. Gervin ouvre la séance en déclarant qu’à sa connaissance le chantier du garage de stationnement de la Compagnie de la Baie d’Hudson, à Prince George, a été fermé parce que les hommes de métier ont quitté le travail. On a donné deux raisons pour ce débrayage.
1. Les matériaux destinés aux constructeurs d’ascenseurs étaient livrés au chantier par C.P. Mer-
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chandise dont les chauffeurs ne sont pas affiliés au Building Trades Council.
2. Century Steel, le sous-traitant, employait sur ce chantier des membres de Canadian Iron Workers Local No. 1.
Quant à la raison n° 1, on explique que le contrat afférent au nouvel escalier mécanique n’a pas été adjugé à Bennett and White, l’entrepreneur général. La Compagnie de la Baie d’Hudson a donné ce contrat directement à Otis Elevators. De plus, personne à l’assemblée n’est certain que C.P. Merchandise livre des matériaux à ce chantier.
Quant à la question n° 2, les syndicats de métier déclarent qu’aussi longtemps que des membres de Canadian Iron Workers No. 1 travailleront à ce chantier, ils auront et exerceront le droit de refuser de travailler avec des gens qui ne sont pas affiliés au Building Trades Council.
M. Gervin dit qu’il convoquera une assemblée de B.C. Amalgamated Contractors Association puisqu’il n’est pas en mesure de fournir aux syndicats une réponse à cette question sans consulter l’Association.
Les deux parties conviennent de tenir une autre assemblée lundi le 25 juillet à 14 h, à la Vancouver Construction Association, rue Oak.
Assemblée du 25 juillet 1966.
Présents: représentants de l’Association des employeurs:
R.K. Gervin
Don Bennett
des syndicats:
J. Whiteford
B. Whitelock
H. MacKichan
R. MacIntosh Peters
D. Jorgenson
A. McGee
D.C. Fraser
M. Gervin déclare qu’il ne peut, pour le moment, rien mettre par écrit, mais qu’il peut donner au Building Trades Council le ferme engagement qu’à compter d’aujourd’hui, 25 juillet 1966, les membres de l’Association ont convenu de ne pas octroyer de contrats aux maisons liées à Canadian Iron Workers Local No. 1 par convention collective ou accréditation et de ne pas recevoir d’offres de ces maisons.
Il est également décidé qu’on permettra aux compagnies employant des sous-traitants liés par convention avec Local No. 1 de compléter leurs travaux pourvu que les membres de l’Association respectent leurs engagements.
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Cela signifie que les sous-traitants qui emploient des membres de Local No. 1 devront cesser de faire affaires, recommencer sous une autre raison sociale et employer des membres de Local 97.
M. Don Bennett exprime son inquiétude au sujet des membres de Local No. 1 qui perdront leur emploi et insiste pour qu’on leur donne l’occasion de devenir membres de Local 97.
On signale que le Conseil n’a pas de pouvoir sur l’admission de membres par les syndicats affiliés.
La séance est levée à 16 h.
Le secrétaire
D.C. Fraser
Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont été unanimement d’avis que ce qui a été convenu, ce qu’on appelle «clause de sous-traitants», n’est pas illégal. Cependant ils ont aussi été unanimes à conclure que les moyens employés pour parvenir à cette fin, une grève avec menace de la prolonger indéfiniment, sont délictueux parce que c’est un délit civil que de se servir de moyens illégaux en vue d’atteindre un objectif licite, lorsqu’il en résulte des dommages.
Le seul motif pour lequel le juge de première instance a rejeté l’action — et pour lequel le juge dissident à la Cour d’appel aurait confirmé ce jugement — c’est que «Local 97» n’a pas participé à la grève et aux menaces subséquentes et n’était pas représenté aux assemblées. On a dit que la règle selon laquelle un membre d’un syndicat ouvrier n’est pas responsable des délits commis par le syndicat sans sa participation personnelle s’applique en l’occurrence.
Dans la présente affaire, il ne me paraît pas qu’il y ait quelque nécessité de se demander si une telle règle s’applique à une association restreinte, sans personnalité juridique, comme, le Conseil. Il y a des éléments de preuve selon lesquels les agents syndicaux qui étaient présents aux assemblées du 20 et du 25 juillet étaient autorisés à agir pour le compte de «Local 97» en faisant aux délégués patronaux les menaces qui ont constitué les moyens illégaux d’arriver au but visé, soit la clause de sous-traitants. Cette preuve se trouve précisément dans la déposition d’un nommé Joseph Whiteford, secrétaire-trésorier de l’un des syndicats affiliés. Il a assisté aux
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deux assemblées. Après avoir affirmé que le procès-verbal est fidèle et avoir relaté le langage qu’il a tenu envers les employeurs, il a donné les réponses qui suivent:
[TRADUCTION] Q. A ce moment-là, vous parliez au nom de tous les syndicats de métiers du bâtiment affiliés au Building Trades Council?
R. Ah, certainement. Certainement. Je crois qu’en tant que délégué du Building Trades Council j’ai ce droit.
Q. Oui. Et, en ce sens, vous parliez tant au nom de «Local 97» que de tous les autres syndicats affiliés?
R. Si «Local 97» fait partie du Building Trades Council, et c’est le cas, je parlais certainement au nom de tous les syndicats affiliés au Building Trades Council, je crois qu’il y en a dix-neuf, Votre Honneur.
Q. Y compris «Local 97»?
R. Y compris «Local 97», oui.
Il est bien vrai, comme l’avocat de l’appelant l’a souligné, que ceux qui cherchent à imputer à un défendeur la responsabilité d’un délit commis par des tiers doivent établir l’existence d’un lien de préposition. Il n’est cependant pas obligatoire de prouver l’existence de ce lien par une entente formelle. Le mandat ou la participation à un complot peut s’établir par tous moyens de preuve. Dans cette affaire-ci, on a nettement démontré qu’il ne s’agit pas d’une situation où des tiers se sont livrés à des actes dommageables, dans l’intérêt de «Local 97», sans aucune entente préalable. Il est clair que bien que les dirigeants de «Local 97» se soient tenus à l’écart et n’aient aucunement participé à ce qui se passait, ce que l’on a recherché était son principal objectif. Il est également clair que les tiers, qui avaient recours à des moyens illégaux pour atteindre ce but, considéraient que la participation de «Local 97» aux activités du Conseil signifiait qu’ils étaient mandatés pour agir comme ils l’ont fait.
Vu cette preuve, il importe peu que ce mandat ne puisse s’établir en vertu des statuts et règlements du Conseil, ou que la procédure suivie soit contraire à ces statuts et règlements. Sous ce rapport, la situation ne diffère pas de celle qui existait dans Belyea c. Le Roi; Weinraub c. Le Roi[2], où l’on a jugé qu’il y avait eu complot pour
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restreindre le commerce au moyen, entre autres, d’un conseil d’entrepreneurs en bâtiment enregistré suivant la Loi des unions ouvrières. Tous les objets déclarés de ce conseil étaient parfaitement légitimes. Cependant, en fait, ses buts véritables étaient illégaux. Le juge de première instance avait déclaré non coupables deux personnes qui, d’après la preuve soumise, «avaient pris une part active à la formation de l’organisme» mais dont on n’avait démontré aucune participation à un acte manifeste fait dans l’exécution du complot. En appel, on a annulé leur acquittement et ordonné d’inscrire une déclaration de culpabilité. Cette Cour a confirmé cet arrêt. Le Juge en chef Anglin a dit: (p. 295)
[TRADUCTION] Si nous étions un jury, nous ne devrions pas hésiter à conclure que les actes illégaux commis à Windsor sont la conséquence voulue par les défendeurs et leurs complices lors de la formation des organismes que l’on a jugés avoir constitué les instruments d’une coalition et d’un complot.
Dans la présente affaire, rien n’indique que Whiteford n’ait pas dit la vérité en témoignant qu’il avait mandat de «Local 97», aussi bien que des autres membres du Conseil, lorsqu’il a eu recours à des moyens illégaux pour lui procurer une «clause de sous-traitants». Cela était destiné à avoir comme conséquence de ruiner «Union No. 1 » à toutes fins utiles, et l’on savait parfaitement qu’il en résulterait un préjudice pour elle et pour ses membres.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants: Farris, Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs du demandeur, intimé: Shulman, Tupper & Co., Vancouver.
[1] (1968), 73 W.W.R. 172, 13 D.L.R. (3d) 559.
[2] [1932] R.C.S. 279.