Cour Suprême du Canada
Alberta Gas Trunk Line Co. Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] R.C.S. 498
Date: 1971-10-06
Alberta Gas Trunk Line Company Limited Appelante;
et
Le Ministre du Revenu national Intimé.
1971: les 15 et 16 juin; 1971: le 6 octobre.
Présents: Les Juges Abbott, Martland, Judson, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement du Juge Sheppard de la Cour de l’Échiquier du Canada[1], en matière d’impôt sur le revenu. Appel rejeté.
John G. McDonald, c.r., G.R. Forsyth et R.C. Macfarlane, pour l’appelante.
G.W. Ainslie, c.r., et J.R. Power, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le présent appel est à l’encontre d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada1 rejetant l’appel qu’avait interjeté l’appelante à l’encontre de la cotisation relative à son impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1966. Deux questions sont en jeu:
1. Le contrat de transport de gaz qui sera décrit plus loin comprenait-il deux promesses distinctes des expéditeurs (a) de payer les frais de transport de leur gaz, et (b) d’indemniser l’appelante contre toute perte subie relativement au change et découlant du fait qu’elle devait rembourser, en devises américaines, le capital et les intérêts des obligations de fonds d’amortissement de première hypothèque, série B, qu’elle avait émises, ou bien stipulait-il que les expéditeurs devaient payer
[Page 500]
une partie du prix de transport de leur gaz en devises américaines, de sorte que cet argent que l’appelante recevait faisait partie du revenu de l’entreprise qu’elle exploitait?
2. L’appelante, qui, au cours de l’année d’imposition 1961, s’est engagée à rembourser un capital de $67,000,000 en devises américaines en ce qui concerne lesdites obligations, grâce auxquelles elle a reçu $66,641,171.88 en argent canadien, a-t-elle subi une perte commerciale de $358,828.12 au cours de cette année d’imposition là, soit la différence entre les deux montants précités, perte qu’elle aurait le droit de déduire de son revenu pour cette année-là, dans le calcul de son impôt sur le revenu?
L’appelante possède et exploite un réseau de transmission de gaz naturel dont elle se sert pour transporter du gaz naturel depuis divers endroits situés en Alberta jusqu’à divers endroits de livraison, également situés en Alberta, entre autres, Coleman, Alberta, situé près du coin sud-est de la Colombie-Britannique, où le gaz est livré au réseau qu’exploite la Alberta Natural Gas Company.
L’appelante a conclu un contrat de transport de gaz le 14 juin 1960 avec la Alberta and Southern Gas Co. Ltd. et la Westcoast Transmission Company Limited, appelées dans les présents motifs «les expéditeurs», en vue de recevoir, de transporter et de livrer chaque jour certaines quantités de gaz en conformité des conditions du contrat, au moyen d’un réseau de transmission de gaz que l’appelante s’engageait à construire. Les dispositions contractuelles relatives aux paiements à effectuer en contrepartie du transport du gaz qui s’appliquent aux circonstances en cause, sont les suivantes:
[TRADUCTION]
12. FACTURATION ET PAIEMENT
12.1 Facturation: Au plus tard le vingt (20) de chaque mois, (l’appelante) remettra à chaque expéditeur une facture détaillée indiquant le prix de revient de distribution mensuel, calculé à l’égard de cet expéditeur en conformité du paragraphe 13 pour le mois qui vient de s’écouler (ci-haut désigné comme
[Page 501]
étant le «mois de la facturation»), et le nombre de dollars américains, s’il en est, qui doit être remis à la place de dollars canadiens en conformité du paragraphe 12.2.
12.2 Paiement partiel en dollars américains: Si (l’appelante) fait financer en tout ou en partie la construction dudit pipe-line par la vente, avant le 31 décembre 1964, de valeurs mobilières (de l’appelante) remboursables, capital et (ou) intérêt, en dollars américains (ces valeurs mobilières étant ci-après appelées «valeurs mobilières remboursables en argent américain»), chaque expéditeur, en payant la somme qui lui est facturée pour le prix de revient de distribution mensuel, substituera à un nombre égal de dollars canadiens, et (l’appelante) acceptera en remplacement, le nombre de dollars américains déterminé de la façon exposée ci-après, qui ne devra pas dépasser soixante-six pour cent (66%) de ladite somme facturée pour le prix de revient de distribution mensuel.
Le montant en dollars américains devant être ainsi payé mensuellement par chaque expéditeur sera égal à sa quote-part du douzième (1/12) du montant en dollars américains mentionné dans l’annexe dont il est question ci-dessus à l’alinéa (ii) pour l’année au cours de laquelle l’expéditeur doit effectuer le paiement;…
12.3 Paiement: Au plus tard le dernier jour du mois qui suit le mois de la facturation chaque expéditeur paiera à (l’appelante) au bureau (de cette dernière), à Calgary, en Alberta, la partie de la somme facturée qui doit être payée en dollars canadiens, et à l’endroit désigné par (l’appelante) en conformité du paragraphe 12.2, la partie de la somme facturée qui doit être payée en dollars américains.
L’appelante a financé la construction de son pipe-line par un emprunt de 67 millions de dollars américains, lequel était garanti par des obligations de fonds d’amortissement de première hypothèque sur le pipe-line, série B. Du produit de la vente de ces obligations l’appelante a reçu, en avril et en juillet 1961, 66,641,171.88 dollars canadiens. En préparant ses comptes et états financiers, l’appelante a indiqué qu’elle devait $67,000,000 et a déduit de son revenu la somme de $358,828.12 (qui représente la différence entre les sommes de $67,000,000 et de $66,641,171.88).
[Page 502]
En conformité du paragraphe 12.2 du contrat de transport de gaz, l’appelante a donné aux expéditeurs des avis qu’elle désirait:
[TRADUCTION] que les paiements à faire en vertu dudit paragraphe 12.2 soient effectués à la compagnie, à 505 — 2nd Street, S.W., Calgary, Alberta.
Les avis comportaient des annexes spécifiant la somme annuelle globale qui devait absolument être versée en dollars américains en vertu des conditions de l’emprunt contracté par l’appelante.
Chaque mois, l’appelante envoyait à chaque expéditeur une facture mentionnant le montant dû en raison du transport de gaz effectué au cours du mois précédent pour le compte des expéditeurs, et mentionnant la fraction de ce montant qui devait être payée en dollars américains. Voici, à titre d’exemple, une partie de l’une de ces factures, celle du mois d’avril 1966, envoyée à la Alberta and Southern Gas Co. Ltd.:
[TRADUCTION]
…
Prix de revient de distribution global..........................................................
$716,269
…
Mode de paiement
Westcoast
Alberta and Southern
Prix de revient de distribution du mois d’avril................
$123,842
$716,269
…
A payer en dollars américains
72,261
417,942
A payer en dollars canadiens
51,581
298,327
$123,842
$716,269
Conformément au contrat de transport de gaz, l’appelante a reçu, partiellement en dollars canadiens et partiellement en dollars américains, les montants qu’elle avait demandés dans les factures envoyées.
Les dollars américains reçus par l’appelante ont été déposés au Canada dans un compte ban-
[Page 503]
caire d’argent américain; ils ont été utilisés pour payer, à leur échéance, en dollars américains, le capital et les intérêts des obligations de fonds d’amortissement de première hypothèque sur le pipe-line, série B. De 1962 à 1966, le dollar américain faisait prime par rapport au dollar canadien.
Le savant juge de première instance a rejeté l’appel qu’avait interjeté l’appelante; quant à la première question, il s’est fondé sur ce qui suit:
[TRADUCTION] Etant donné que dans son entreprise, l’appelante s’occupe de transporter du gaz et que c’est pour cette entreprise que sont versés les dollars américains, il s’agit donc d’un revenu au sens de l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu. (Tip Top Tailors Ltd. c. le ministre du Revenu National, 1957 R.C.S. 703, p. 707). Si l’on veut estimer ce revenu, il faut convertir les dollars américains en dollars canadiens, lesquels servent à mesurer le revenu perçu et la somme qui est ainsi obtenue devra être créditée à titre de revenu. Par conséquent, la cotisation pour l’année d’imposition est exacte si l’on ajoute au revenu des années 1962 à 1966 inclusivement le nombre de dollars américains qu’a reçus l’appelante en conformité du paragraphe 12.2.
Quant à la deuxième question, il s’est fondé sur ce qui suit:
[TRADUCTION] Étant donné que le pipe-line constitue un bien de capital et qu’il a été construit grâce à des sommes empruntées, qui ont été apportées au Canada pour financer la construction du bien de capital, la perte subie en raison de la conversion en dollars canadiens est donc une perte subie lors d’une dépense de capital. Cette perte ne peut pas constituer une perte commerciale au sens de l’article 27(1)e) de la Loi de l’impôt sur le revenu…
La première question est identique à celle qui a été examinée par cette Cour dans la cause Alberta Natural Gas Company c. le ministre du Revenu National[2], entendue avant que ne le soit le présent appel. Les dispositions pertinentes du
[Page 504]
contrat à l’étude dans cette cause-là et celles du contrat qui est en cause en l’espèce sont substantiellement les mêmes. Les prétentions de l’appelante dans le premier appel sont quelque peu différentes de celles qui ont été faites dans le présent appel en ce sens que dans le premier appel on soutenait que la convention incluait une entente sur le change à terme, en plus du contrat de transport de gaz, alors que dans celui-ci on soutient que la convention inclut une entente d’indemnisation contre pertes au change, en ce qui concerne les valeurs mobilières remboursables en argent américain, en plus d’un contrat de transport de gaz.
Comme je l’ai dit dans les motifs que j’ai rendus dans l’autre cause, il est clair que la clause 12.2 a pour objet de fournir à l’appelante des dollars américains avec lesquels elle puisse remplir ses obligations en vertu des valeurs mobilières remboursables en argent américain. Mais à mon avis, il est également clair, d’après les termes de la clause 12.2, que les dollars américains que les expéditeurs devaient verser et que l’appelante devait accepter, servaient à payer la somme facturée pour le prix de revient de distribution mensuel que les expéditeurs étaient tenus de payer en contrepartie du transport de leur gaz, en vertu de la clause 2.3 de la convention. La substitution de dollars américains à des dollars canadiens que devaient verser les expéditeurs et que l’appelante devait accepter est définie comme servant à payer: [TRADUCTION] «la somme qui lui est facturée pour le prix de revient de distribution mensuel». Cela étant, je suis d’avis que l’argent américain qu’a reçu l’appelante représente un revenu provenant de son entreprise commerciale, et qu’il fallait tenir compte de sa pleine valeur en estimant le revenu provenant de l’entreprise de l’appelante aux fins de l’impôt.
Quant à la seconde question, l’appelante n’a pas établi qu’elle avait subi une perte de $358,-828.12 en 1961. Elle a emprunté $67,000,000 en devises américaines. A ce moment-là, cette somme équivalait à $66,641,171.88, en argent canadien. La question de savoir si l’appelante subira
[Page 505]
ou non une perte dépend des taux de change qui seront en vigueur au moment du remboursement en dollars américains.
Mais de toute façon, quelles que soient ces pertes, l’emprunt constituait un emprunt de capital destiné à la construction de biens de capital.
Si l’appelante est obligée, lorsqu’elle aura à liquider sa dette de capital au montant de $67,000,000 (U.S.), de verser plus de dollars canadiens que le nombre de dollars canadiens réalisés par la vente de ses valeurs remboursables en argent américain, la différence entre les deux montants représentera une perte à compte de capital, qui ne peut être déduite du revenu aux fins de l’impôt.
Pour ces motifs, à mon avis, l’appel doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante: J.G. McDonald et G.R. Forsyth, Vancouver.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1970] C.T.C. 452, 70 D.T.C. 6300.
[2] Voir p. 490.