Cour Suprême du Canada
Bathurst Paper Limited c. Ministre des Affaires municipales de la province du New Brunswick, [1972] R.C.S. 471
Date: 1971-11-01
Bathurst Paper Limited Appelante;
et
Le Ministre des Affaires municipales de la province du Nouveau-Brunswick Intimé.
1971: le 8 octobre; 1971: le 1er novembre.
Présents: Les Juges Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU NOUVEAU-BRUNSWICK
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick[1], infirmant une décision d’un tribunal d’appel qui avait jugé que certains biens de l’appelante étaient exempts de toute taxe en vertu de l’Assessment Act, 1965-66 (N.-B.), c. 110. Appel rejeté.
D.K. Laidlaw, c.r., et Thomas W. Riordan, pour l’appelante.
B.A. Crane, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Il s’agit, dans le présent pourvoi, de savoir si une centrale électrique de la Bathurst Paper Limited, sise hors de la ville de Bathurst, est imposable pour l’année 1968 en vertu du New Brunswick Assessment Act,
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1965-66 (N.-B.), c. 110, modifié par 1967 (N.-B.), c. 25 et 1968 (N.-B.), c. 15. Un point précis d’interprétation législative se pose au sujet du droit à une concession fiscale en vertu d’une loi intitulée An Act relating to Bathurst Company Limited, 1927 (N.-B.), c. 75, continuée par la loi An Act respecting Bathurst Paper Limited — Les Papeteries Bathurst Limitée, 1966 (N.-B.), c. 124, laquelle est censée, d’après ses dispositions mêmes, être entrée en vigueur le 31 mars 1965. On soutient d’une part et l’on conteste de l’autre que l’exemption a été maintenue en dépit d’une modification à l’Assessment Act ci-après exposée en détail.
L’Assessment Act, sanctionné le 22 février 1966, confie à la province l’évaluation et l’imposition foncières qui, auparavant, relevaient de ses différentes municipalités. L’un des articles de la Loi imposant cette charge, l’art. 3, proclamé en vigueur à compter du 1er janvier 1967 et modifié par l’art. 2, c. 25, 1967 (N.-B.), édicte que, nonobstant toute loi spéciale ou privée, en l’absence de toute autre disposition à cet égard dans l’Assessment Act ou le Real Property Act, toutes les taxes ou cotisations provinciales, municipales et locales sur les immeubles se calculent et se prélèvent d’après la totalité des évaluations faites en vertu de l’Assessment Act. Les articles 15, 16 et 17 établissent les normes de valeur selon lesquelles doivent être imposés les immeubles en général et, en particulier, les terres de culture, les terres boisées détenues en tenure franche et les boisés de ferme. En vertu de l’art. 18(1), ces normes de valeur cotisable [TRADUCTION] «s’appliquent nonobstant toute disposition de toute autre loi, publique ou privée, ou de toute convention fiscale».
Dans l’art. 4 de la Loi, proclamé en vigueur le 1er mai 1966, une liste d’exemptions suit une déclaration générale portant que tout immeuble situé au Nouveau-Brunswick est assujetti à l’évaluation et à l’imposition. Aucune de ces exemptions ne s’applique dans le cas présent. En plus de ces exemptions, cependant, la Loi prévoit à l’art. 18(2) le maintien des concessions fiscales antérieures au 19 novembre 1965. L’article 18(2), qui est entré en vigueur le 1er mai 1966, se lit ainsi:
[TRADUCTION] Nonobstant les dispositions de toute autre loi publique ou privée, lorsqu’une personne
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jouissait, avant le 19 novembre 1965, d’une concession fiscale en vertu de toute loi publique ou privée ou de toute entente conclue avec une municipalité ou accordée par celle-ci sous l’empire d’une telle loi, cette personne n’est pas tenue de payer, à titre de taxes sur la propriété immobilière, y compris de taxes d’affaires, au cours d’une année donnée, un montant ou des montants supérieurs, dans l’ensemble, à ce qu’elle aurait eu à payer pour telle année, en vertu de toutes ces lois publiques ou privées ou de ces ententes, pendant la période spécifiée dans ces lois ou ententes et toute prolongation de cette période y prévue, en vertu du droit tel qu’il existait le 19 novembre 1965.
L’expression «concession fiscale» est définie comme suit à l’al. (i) de l’art. 1 de la Loi initiale, également entrée en vigueur le 1er mai 1966:
[TRADUCTION] «concession fiscale» désigne toute disposition contenue dans une loi publique ou privée ou fondée sur ses termes et par laquelle une personne a droit au privilège ou à l’avantage.
(i) d’une évaluation ou estimation fixe ou réduite d’un bien meuble ou immeuble,
(ii) d’une exemption de l’évaluation d’un bien meuble ou immeuble,
(iii) d’un taux ou d’une taxe fixe, ou d’une réduction du taux ou de la taxe,
(iv) d’une exemption de la répartition et de l’imposition,
(v) d’une modification du mode de paiement des cotisations ou taxes, ou
(vi) de tout autre privilège ou avantage de nature similaire.
Par l’al. (b) de l’art. 1 du c. 15 de 1968 (N.-B.), en vigueur le 1er janvier 1968, on a supprimé les sous-alinéas (ii) et (iv) dans la définition de la «concession fiscale». En conséquence, la centrale de l’appelante a été évaluée pour fins d’imposition, mais en appel, le tribunal d’appel créé en vertu de la Loi a jugé la compagnie exempte en vertu de l’art. 3 de la Loi de 1927, lequel est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les centrales électriques, barrages, barrages-réservoirs et lignes de transmission de la Bathurst Company Limited, de même que de toutes ses filiales et de leurs successeurs et ayants droit respectifs, situés au Nouveau-Brunswick, hors de la
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ville de Bathurst, seront dorénavant exempts de toutes taxes municipales, y compris les cotisations scolaires de district et de comté, et de l’évaluation du comté.
Appel a par la suite été interjeté à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, qui a conclu à la majorité qu’à cause de l’abrogation des sous-alinéas (ii) et (iv) de l’alinéa (i) de l’art. 1, la demande d’exemption devait être rejetée. En conséquence, elle a rétabli la cotisation de $271,000.
La réponse à la question de savoir si l’exemption fiscale prévue par la Loi de 1927 a continué à exister après la modification apportée en 1968 à la définition de la «concession fiscale», ne dépend pas de la Loi privée confirmative adoptée en 1966. Cette Loi, comme ses termes le démontrent clairement, ne fait que constater un changement de nom de compagnie; sa date d’entrée en vigueur, soit le 31 mars 1965, (qui lui rend applicable l’art. 18(2) de l’Assessment Act) ne fait que refléter la date réelle du changement de nom. En bref, la Loi privée de 1966 n’étend ni ne diminue la portée des exemptions visées par l’art. 18(2), tel qu’il existait au moment de l’entrée en vigueur de la Loi de 1966.
Ce qu’il faut trancher ici c’est la question de savoir si l’on peut dire que l’Assessment Act, tant après le 1er janvier 1968 qu’avant cette date, a constaté l’exemption fiscale créée par la Loi de 1927. Il ne s’agit pas ici d’une demande d’exemption fondée sur une disposition législative adoptée après l’Assessment Act et qui serait inconciliable avec celui-ci. La position de l’appelante, parallèle à celle qu’exprime dans ses motifs de dissidence le Juge Barry, juge ad hoc, en Cour d’appel, est que le changement apporté dans la définition de la «concession fiscale» n’a pas touché l’exemption créée en 1927 et confirmée en 1966, étant donné le sens très large des termes du sous-alinéa (vi) de l’alinéa (i) de l’art. 1; que l’arrêt majoritaire de la Cour d’appel n’a pas pris en considération ou n’a pas correctement apprécié le sens du sous‑alinéa (vi) avant la modification de l’alinéa (i) de l’art. 1 et qu’il ne serait pas convenable que les lois privées de 1927 et de 1966 soient abrogées du seul fait d’un changement dans une définition, spécialement lorsque l’art. 18(2) de l’Assessment Act ne révèle aucune incompatibilité apparente avec le
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maintien en vigueur des lois privées après la modification de la définition. L’avocat de l’appelante invoque à l’appui de sa thèse l’art. 13 de l’Interpretation Act, R.S.N.B. 1952, c. 114, libellé comme suit:
[TRADUCTION] La modification d’un texte législatif n’est censée ni être ni impliquer une déclaration portant que le droit aux termes dudit texte différait de ce qu’est devenu le droit aux termes du texte législatif modifié.
A mon avis, l’art. 13 ne fait qu’empêcher une cour de tirer, du fait qu’il y a eu modification du texte législatif, une conclusion conforme à la déclaration visée. Il ne l’empêche pas d’examiner la modification comme antécédent législatif ayant une influence sur l’interprétation du texte modifié. Toutefois, pareil examen n’est en soi d’aucune utilité en l’espèce. Rien au dossier n’indique que la modification de l’alinéa (i) de l’art. 1 visait quelque circonstance ou situation spéciale. Il reste donc à examiner s’il est possible d’en arriver à une conclusion au sujet du litige en étudiant l’art. 18(2) à la lumière de la définition de la «concession fiscale», telle qu’elle existait avant le 1er janvier 1968 et telle qu’elle existe depuis.
On ne conteste pas que l’Assessment Act, à l’exception de l’art. 18(2), abolit de fait toute exemption d’impôt foncier jusqu’alors existante à laquelle l’art. 4 ne s’applique pas. S’il n’y avait pas eu de définition de la «concession fiscale» dans la Loi, il serait pour le moins possible de dire que les termes de l’art. 18(2) visaient non pas les exemptions totales, mais plutôt des privilèges fiscaux allégeant le fardeau fiscal que les contribuables favorisés devraient normalement supporter. On peut donc dire que la première définition donnait un sens plus étendu à la «concession fiscale», mais que ce sens a changé par suite de l’abrogation des sous-alinéas (ii) et (iv). Cette position implique cependant l’attribution d’un sens particulier à l’expression «concession fiscale» et, de plus, restreint la portée du sous‑alinéa (vi) de l’alinéa (i) de l’art. 1 («de tout autre privilège ou avantage de nature similaire»), qui continue de faire partie de la définition de la «concession fiscale» depuis le 1er janvier 1968, comme il en faisait partie avant cette date.
Parmi les sens du terme «concession» que donne l’Oxford English Dictionary, on trouve [TRA-
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DUCTION] «l’action de concéder, de céder ou d’octroyer (une chose demandée ou requise)». Ce sens est assez large pour englober une exemption à moins que le contexte n’indique le contraire. Quel que puisse être le sens de l’expression «concession fiscale», indépendamment d’une définition législative, il faut s’arrêter au sens de cette expression aux termes du sous-alinéa (vi). Ce sous-alinéa, lorsqu’il faisait partie de la première définition de la «concession fiscale», ne pouvait avoir un objet bien étendu, s’il en avait. Quel qu’ait été cependant son objet, il ne comprenait alors que les «autres» privilèges ou avantages de nature similaire, c’est-à -dire ceux qui n’étaient pas visés par les sous-alinéas précédents, lesquels incluaient alors les exemptions d’évaluation et les exemptions d’imposition. Si, avant le 1er janvier 1968, le sous-alinéa (vi) n’englobait pas les exemptions, est-il raisonnable de dire que son sens s’est étendu depuis cette date?
On peut considérer la question du point de vue de l’objet du sous-alinéa (vi) en vertu de la version modifiée de l’alinéa (i) de l’art. 1. «Tout autre privilège ou avantage de nature similaire» (les italiques sont de moi) exclurait une évaluation fixe ou réduite de même qu’une taxe fixe ou réduite. Avant le 1er janvier 1968, cette expression excluait aussi les exemptions complètes d’évaluation et d’imposition. L’appelante demande à cette Cour de statuer que ce qui a été expressément exclu a, en même temps, été implicitement retenu. Cette proposition n’est pas logique même si les termes de la nouvelle définition lui donnent un certain poids, et cela à cause du besoin ou du désir de donner un objet au sous-alinéa (vi). La même difficulté, pourtant, de donner à ce sous-alinéa un objet, existait avant la modification. Bien qu’on puisse soutenir que le manque de clarté ne doit pas s’interpréter au détriment du contribuable jusqu’alors exempté quand le législateur aurait pu s’exprimer sans ambiguïté, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit ici d’une affaire où ce raisonnement doit s’appliquer. Les antécédents législatifs applicables ne sont pas tels qu’il doive en être ainsi.
Il y a une autre considération, qui a autant de poids. Il est raisonnable de croire que les modifications aux lois ont un but, à moins que des indices intrinsèques, ou des indices extrinsèques
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recevables, démontrent qu’on n’ait voulu qu’en polir le style. Selon la prétention de l’appelante, la modification de 1968 n’a rien accompli d’important, si ce n’est d’améliorer la rédaction. C’est là , à mon avis, un argument insoutenable.
En conséquence, je rejetterais le pourvoi, mais, comme la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, je n’accepterais pas de dépens au Ministre, qui a gain de cause.
Appel rejeté.
Procureur de l’appelante: Edward G. Byrne, Bathurst.
Procureur de l’intimé: Eric B. Appleby, Fredericton.
[1] (1970), 2 N.B.R. (2d) 514, 15 D.L.R. (3d) 468.